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«Comment être heureux et dépasser nos peurs et nos inhibitions ? »

Compte rendu de la 75ème rencontre du CERA du vendredi 16 septembre 2016  

Laurent GOUNELLE : Comment être heureux et dépasser nos peurs et nos inhibitions ?
Accueil de Laurent Gounelle par Agnès Chevillon, Danielle Arrivé-Griffin et Gilles Ranou :

Bonjour Laurent Gounelle
Vous venez tout juste de fêter vos 50 ans, vous êtes marié à Zoé et papa de 2 filles. Vous êtes quelqu’un de généreux! Dans vos 4 livres à succès, vous donnez, vous transmettez beaucoup de votre expérience personnelle. En voici quelques grandes lignes :

Votre famille
Votre mère est catholique et fantasque, tandis que votre père, protestant, professeur et chercheur en physiologie, est un « pur scientifique », méga-rigide, un Jospin puissance dix!

Vos études
Poussé par vos parents à faire des « études sérieuses », vous obtenez une maîtrise de sciences économiques à Dauphine puis un DESS à la Sorbonne.
Vous suivez, dites-vous « la seule voie possible dans ma vieille famille protestante : des études supérieures, un « bon métier », un bon salaire. »

Vos premières expériences professionnelles
Bac + 5 en poche, vous voilà à 23 ans propulsé dans le monde de l’entreprise. C’est le choc !
2 ans comme chargé d’études financières aux NMPP : Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne. «Le travail ne me plaisait pas, dites-vous, mais je ne comprenais pas pourquoi.»
Vous enchaînez avec un poste de directeur adjoint d’un LEROY MERLIN et rebelote : séparation d’un commun accord avec votre employeur.

L’abysse et l’abîme
Mal à l’aise dans votre corps, grand, maigre, « atrocement maigre » dites-vous, vous faites une dépression, perdez dix kilos.
Vous tentez de monter une boîte d’importation de gants de jardinage fabriqués en Asie. « Au bout d’un an, vous vous retrouvez avec 14 000 paires sur les bras! »
A 28 ans, c’est l’abîme « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? »
L’abîme est un mot que vous adorez Laurent Gounelle. Je vous cite : L’abîme. On tombe, oui, mais c’est la condition pour renaître, pour se “co-naître”. »

Vous vous jetez alors corps et âme dans les sciences humaines notamment la psychologie et la philosophie, à travers des lectures puis des formations de plus en plus pointues aux États-Unis, en Europe et en Asie.
Vous faites des voyages initiatiques, rencontrez des sages.
« J’y voyais plus clair, dites-vous. Je me connaissais mieux, j’identifiais mes fragilités, mon besoin d’harmonie, de silence, de recueillement, mais aussi et surtout mon envie de transmettre ce que je découvrais. »
Désireux de faire de votre passion, votre métier, vous devenez consultant en relations humaines, métier que vous exercez pendant 15 ans.

Et pour terminer votre chemin…
En 2006, au cours d’une année chargée en émotions (mort de votre père, naissance de votre premier enfant, mort de votre meilleur ami…), vous prenez la plume pour écrire une histoire qui vous permet de partager des idées qui vous tiennent à cœur sur la vie et la recherche du bonheur.
Ce roman, « L’homme qui voulait être heureux » est publié en 2008 et devient un best-seller mondial, traduit en 25 langues

Vont suivre :
2010, « Les dieux voyagent toujours incognito »,
2012, « Le philosophe qui n’était pas sage »,
2014, « Le jour où j’ai appris à vivre »
octobre 2016, votre nouveau livre « Et tu trouveras le trésor qui est en toi » sort en librairie.

Vous nous dites « On ne peut pas changer les gens, on peut juste leur montrer un chemin puis leur donner envie de l’emprunter… »
Et bien maintenant il est temps de vous donner la parole !
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Bonjour à tous, je suis très content d’être ici avec vous.

Les journalistes me demandent parfois si parler du bonheur n’est pas une quête de riches? Ils ont peut-être raison, non pas sur un plan financier, mais en termes d’évolution personnelle et de civilisation. Vous connaissez peut-être la pyramide de Maslow qui disait que les besoins humains pouvaient être classifiés. Ceux-ci n’étant pas tous de mêmes niveaux, une fois assouvi le besoin d’une catégorie, on peut accéder à la suivante. Au premier étage de la pyramide se trouvent les besoins physiologiques (dormir, manger, boire…) Une fois assouvis ces besoins, on passe au besoin de sécurité (avoir un toit, se sentir protégé), puis au besoin d’appartenance (faire partie d’une entreprise, d’une association, d’un parti politique,…), au besoin d’estime de soi (besoin d’être reconnu et apprécié pour sa valeur intime) et enfin au besoin de réalisation de soi. Aujourd’hui nous sommes des millions à souhaiter nous réaliser, nous épanouir, être heureux. Dans ces conditions, on peut parler d’une quête de riches parce qu’il faut avoir gravi les échelons précédents. Bien sûr, nous pouvons rencontrer des obstacles à certains moments de notre vie, comme une période de chômage qui nous appelle à répondre à nos besoins fondamentaux, rien n’est définitivement fixé. Il me semble que c’est un bon signe de constater qu’un nombre croissant de personnes aspire à la réalisation du bonheur. Il y a des choses qui vont mal dans notre société, mais il y a aussi des choses qui vont bien, j’ai plaisir à le dire. Cette quête de réalisation et de bonheur se produit souvent à la moitié de la vie, à l’occasion d’une crise que les Américains appellent la « mildlife crisis », qui se produit vers l’âge de 50 ans. Je me souviens que le jour de mes 50 ans, je me suis dis que statistiquement, il y avait très peu de chances que je devienne centenaire, ce qui signifiait que ma durée de vie effectuée était plus longue que celle qui me restait à vivre. J’ai ressenti que j’atteignais le deuxième versant de ma vie. Ce n’est pas anodin de vivre cette crise de la cinquantaine, intimement liée je pense à la conscience de notre mortalité. Quand on est jeune, on se croit immortel, ce qui se modifie passé un certain âge. Cette prise de conscience est essentielle et pas du tout culturelle. Autrefois il existait une sorte de proximité avec la mort. On allait fleurir régulièrement la tombe de ses proches. Ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui où nous nous trouvons dans une sorte de déni généralisé de la mort. On masque les signes du vieillissement, aux autres, mais également à nous-mêmes. Blaise Pascal disait que l’être humain s’abîme dans le divertissement. Il désignait ainsi non pas les activités de loisirs mais celles dans lesquelles on peut s’engouffrer pour oublier notre condition de mortels. Or je suis convaincu que l’on vit bien lorsqu’on a conscience de la mort parce qu’on se pose la question du « comment vivre », que l’on se pose rarement quand on est jeune. La question de la « vie bonne « , Eudaimonia en grec, est la question fondatrice de la philosophie. J’ai eu la chance pour ma part de vivre la crise de la cinquantaine à 23 ans, quand j’ai été projeté dans le monde de l’entreprise. Je me suis fourvoyé dans la direction de l’expertise comptable qui n’était pas ma voie. J’ai d’abord été un enfant plutôt soumis, obéissant, je n’ai pas fait une vraie crise d’adolescence. Mes parents me suggéraient des études longues et je pensais qu’en suivant leurs préceptes, je serais heureux. Quand je me suis retrouvé devant un bureau avec des colonnes de chiffres à analyser, j’ai eu un choc. Je ne pouvais pas imaginer passer 40 ans de ma vie de cette manière! J’ai erré de postes en postes pour voir ce que je pouvais faire, en pensant évidemment que le problème était à l’extérieur, lié à l’entreprise, alors que je trimbalais mes propres problèmes. J’ai fini par me faire licencier. Durant deux années de chômage, j’ai été laminé par des questions existentielles sur mon devenir. On me disait relativement intelligent, j’avais un beau diplôme que je ne voulais plus utiliser, et je ne savais absolument pas dans quelle direction aller. Je ne le savais pas à l’époque mais je traversais une crise profonde. Et j’ai envie de généraliser toutes les crises, qu’elles soient personnelles, professionnelles ou sociétales, pour dire qu’elles accompagnent les transitions. Des difficultés émotionnelles et organisationnelles accompagnent ces phases de transition, mais avec le recul, parfois de longues années, on s’aperçoit que ces phases ont accompagné des modifications dans l’évolution de l’organisation. La crise que nous vivons actuellement, qui n’est pas seulement une crise économique mais de civilisation, débouchera probablement sur quelque chose de positif. Le problème se rencontre dans l’instant de la crise. Beaucoup de gens souffrent aujourd’hui dans le monde mais quelque chose se produira derrière.

Qu’est-ce qu’une vie bonne ? En Occident, on cherche à s’épanouir dans l’action professionnelle ou extra-professionnelle. On cherche à se réaliser dans le « faire ». Or il existe d’autres directions possibles, dont les relations. Vous avez peut-être entendu parler de ces études menées à Harvard depuis 1938. Il s’agit de l’étude la plus longue réalisée sur le bonheur. 724 adolescents émanant de milieux très différents ont été choisis pour être suivis tout au long de leur vie. Tous les deux ans, un questionnaire leur était soumis pour savoir où ils en étaient, s’ils se sentaient épanouis, heureux ou pas. Ils devaient fournir à chaque fois un bulletin de santé. 30 individus de ce panel sont encore en vie aujourd’hui. Les premières conclusions commencent à être publiées. Il apparaît que les principales causes du bonheur et de la bonne santé, ce sont les relations. Famille, amis, des gens sur qui l’on peut compter.

Je reviens sur la question du « faire » et de « l’être ». Vous savez que je suis consultant depuis quelques années. Avant, je travaillais en entreprise. Et ce que j’ai constaté, c’est que souvent, les gens savent ce qu’ils veulent. A ce titre, ils trouvent en eux de l’énergie, agissent, luttent contre les obstacles qui se dressent. Quand leur projet réussit, il arrive qu’ils soient déçus, parce que finalement, ils ne savaient pas très bien pourquoi ils voulaient réussir ce projet. La plupart du temps, les gens vont trouver un nouvel objet du désir. Ils vont réinvestir émotionnellement un autre projet, et ils peuvent poursuivre ce schéma toute leur vie. Les raisons qui accompagnent notre envie de réussir tel ou tel projet sont liées à nos valeurs, à ce qui est fondamentale pour nous. Il y a des valeurs que je qualifierais de surface, dont on nous rabat les oreilles, comme la solidarité par exemple. Je ne dis pas qu’il ne s’agit pas d’une belle valeur mais certaines résonnent plus particulièrement. Par exemple l’une des valeurs qui m’anime, essentielle pour moi, est le partage. Ce qui explique mon côté un peu pédagogue, même si c’est sous forme de romans. Vous devez absolument connaître vos valeurs à l’aube de vos projets. Pour les découvrir, on peut se pencher sur son passé, sur ses réussites et ses échecs, sur ce qui vous a fait vibrer au cours de vos expériences. Pourquoi j’ai aimé ou détesté telle ou telle situation? Ce travail d’introspection est vraiment intéressant. Or à notre époque, nous ne sommes plus tellement dans l’intériorité parce qu’on dispose d’un grand nombre d’outils très utiles mais qui attirent notre attention à l’extérieur de nous-mêmes en permanence. Comme la télé, la radio, internet, les réseaux sociaux, etc. Non seulement ils nous tirent vers l’extérieur mais ils sont sources d’émotions qui deviennent peu à peu addictives. On se met en condition pour aller chercher des stimuli externes qui nous donnent des émotions si possible agréables, mais qui peuvent également être négatives, et dans ce cas, accroissent notre concentration. Des études ont prouvé que notre attention est accrue lorsque nous entendons de mauvaises nouvelles, ce qui s’explique par la réaction de notre cerveau reptilien qui inconsciemment cherche à nous protéger. Les publicitaires l’ont bien compris. Nous sommes bien plus réceptifs à un message publicitaire lorsqu’il est porteur de mauvaises nouvelles. Le conseil que je peux donner pour développer votre intériorité et contacter ce qui est important pour vous, c’est de prendre 2 ou 3 minutes à la fin de la journée pour s’accorder un moment de silence, de vide. Rester un peu seul avec soi-même. Vous verrez qu’au départ ce temps peut être inconfortable mais au terme de quelques jours ou quelques semaines, des choses vont émerger, qui correspondront à vos aspirations profondes. Il ne s’agira pas de désirs inculqués par l’extérieur, d’appel du conformisme social ou la publicité. C’est votre cœur qui parlera.

Au niveau du « faire » toujours, lorsqu’on trouve des projets épanouissants, il se présente assez fréquemment de bonnes raisons pour ne pas s’engager. Un certain nombre de peurs émergent qui nous conduisent à penser que nous ne sommes pas à la hauteur du projet. Ces peurs sont le plus souvent des créations de notre imaginaire, basées sur des illusions. Le seul moyen de savoir de quelle nature est une peur, c’est de la confronter à la réalité en avançant dans le projet. Au-delà des peurs, un autre phénomène a beaucoup plus d’impact sur nous. Il s’agit des croyances. Celles-ci ne sont pas associées qu’au religieux. Ce sont des espèces de convictions profondes qui sont soit le fruit d’un discours parental, positif ou négatif, soit le résultat de nos actions. Lorsqu’on entreprend quelque chose, sur un plan personnel ou professionnel, on aboutit à un résultat, positif ou pas, sous forme de réussite ou d’échec. Il faut savoir que le cerveau humain produit naturellement le phénomène de la généralisation. On généralise les résultats. Par exemple j’ai vu en entreprise un bon nombre de personnes qui, constatant un échec en situation managériale, concluaient immédiatement qu’elles n’étaient pas faites pour manager. En fait, elles ont vécu une émotion négative à l’occasion de cette situation qui s’est mal passée. Le principe de généralisation a été accentué, alors qu’il est probable que ce jour-là, pour diverses raisons, elles n’ont pas réussi à manager. Cette généralisation peut s’avérer par ailleurs un phénomène très protecteur. Prenez par exemple un petit enfant qui se brûle la main en l’approchant d’un four chaud. Son cerveau va généraliser et il n’approchera plus jamais sa main d’un four. En fonction de ces convictions induites par nos parents et la généralisation de ce que nous avons vécu, on développe un certain nombre de croyances, de convictions intimes sur nous-mêmes, sur les autres, sur nos relations aux autres et tout le monde qui nous entoure. Nous sommes portés par une constellation de croyances. Ce n’est pas grave mais ce n’est pas la réalité, alors que nous sommes convaincus qu’il s’agit bel et bien de la réalité. L’impact en est évident. Je vous donne un exemple. Si ma croyance me porte à penser que le monde est dangereux, je vais percevoir tous les dangers possibles. Ma conviction va agir comme un filtre perceptuel. C’est un peu comme si je voyais le monde à travers une paire de lunette constituée par mes croyances. Je crois voir la réalité alors que je n’en vois qu’une partie, parce qu’elle est biaisée par mes convictions sur le monde. Au-delà du filtre perceptuel apparaît la dimension d’interprétation. Par exemple je vois devant moi une dame au premier rang qui porte son manteau sur son bras. Soit je me dis qu’elle doute de ce que je dis et s’apprête à partir, soit je me dis qu’elle est si passionnée par mes propos qu’elle n’a pas pris le temps de poser son manteau. Peut-être que l’une de ces interprétation est juste, ou aucune des deux. Je ne peux pas connaître sa réalité intérieure mais j’ai besoin de comprendre. L’être humain est un être de sens, qui a besoin de comprendre. Quand on manque d’informations, on procède à une forme de projection. On projette notre propre mode de fonctionnement sur l’autre pour interpréter son comportement. Ce sont mes croyances que je projette ainsi, et cette démarche me rassure. Y compris dans ses aspects négatifs curieusement. Je vais être confirmé dans ma perception du monde car ce que j’observe est décidément en accord avec ce que je pense. On est donc tous pétris de croyances sur le monde. Il n’y a pas de mal à ça sauf si ça nous empêche de nous réaliser. A ce titre, il est intéressant de repérer nos croyances limitantes. Un grand nombre de croyances limitantes sont celles qui concernent nos capacités. On se dit qu’on a très envie de réaliser tel ou tel projet, d’exercer tel ou tel métier, mais on s’en pense incapable. Il faut alors se poser la question du comment. Comment je vais m’y prendre pour réaliser ce projet. Si je ne sais pas répondre à cette question, il y a de bonnes chances que j’en tire une croyance limitante. Une autre croyance limitante porte sur l’argent. Pour l’illustrer, je vous demande d’imaginer, raisonnablement, ce que pourrait être votre revenu maximum dans 5 ans… Vous ne gagnerez pas plus puisque c’est la limite que vous vous donnez! Mais nous allons poursuivre l’expérience. Je vais vous demander de fermer les yeux quelques instants et d’ouvrir un peu la bouche. Imaginez qu’une personne approche un citron coupé en deux de votre bouche. Il presse tout à coup le citron et un jet vient se répandre sur votre langue. Certains d’entre vous ont sans doute senti un flux salivaire. Ce qui s’explique par le fait que le système neurologique ne fait aucune différence entre le virtuel et le réel. Vous constatez par cette expérience qu’il existe de vraies réactions physiologiques dans les deux cas. Il existe une technique très efficace pour se libérer d’un certain nombre de croyances limitantes. Il s’agit de faire semblant. Reprenez le revenu maximum auquel vous avez pensé et multipliez-le par trois. Imaginez maintenant que vous êtes en 2021. Vous gagnez trois fois ce que vous aviez espéré gagner. Tournez-vous vers votre passé pour voir ce que vous avez mis en place pour en arriver là. Il est possible de quelques idées stratégiques émergent. Le fait simplement de prétendre que quelque chose est possible fait accéder à des ressources auxquelles on se fermait jusque-là. Bien sûr l’argent n’est pas essentiel pour être heureux, mais l’exercice que je viens de vous proposer met en lumière une métaphore qui s’applique à toutes sortes de domaines.

Beaucoup de gens retiennent leurs actions par peur de l’échec. J’ai eu pour ma part beaucoup de chance. Adolescent, je faisais souvent de la planche à voile en Bretagne. Un jour mon moniteur m’a dit « A partir de maintenant, tu vas plafonner. » Comme j’étais vexé, je lui ai demandé des explications. Il m’a répondu « Je t’ai bien observé, tu t’arranges toujours pour ne pas tomber. » Effectivement je valorisais le fait de rester le plus possible sur la planche. J’avais donc développé des compétences pour cela. Le moniteur m’a expliqué qu’on ne connaissait pas ses limites en s’interdisant de tomber. Il avait complètement raison. J’ai compris grâce à lui que l’échec est utile et je l’ai souvent constaté. Le succès sert essentiellement à donner des émotions positives dans l’instant et à renforcer la confiance en soi. C’est une bonne chose mais ce n’est pas suffisant. Si vous saviez combien d’échecs j’ai essuyé dans ma vie! A commencer par ma crise de la cinquantaine à 23 ans! Je suis allé d’échecs en échecs durant plusieurs années. C’est en acceptant ma position de faiblesse que j’ai compris ce qu’il y avait au fond de moi. De ma position au fond du trou ont comme par hasard émergé des envies. J’ai alors compris ma passion pour l’humain et voulu en faire un métier. L’échec nous nourrit en retour, en nous permettant d’analyser et comprendre notre voie ou d’identifier de quelle manière améliorer ses compétences. Je suis pour favoriser l’échec et je plains les personnes qui réussissent très tôt dans leur vie.

Je vais maintenant vous parler un peu « d’être ». On touche ici la spiritualité car qui dit « être » dit quelque chose de difficile à définir. Savez-vous répondre spontanément à la question « Qui êtes-vous? » On peut se définir par son prénom, son activité principale, sa profession, etc. qui qualifient également d’autres personnes. Comme c’est extrêmement difficile de répondre, on a tous tendance à s’identifier à des choses qui ne sont pas seulement nous. On pense à des images, des rôles, si possible valorisants, et on croit qu’il s’agit de nous. Au fond on se reconnaît dans une fausse représentation de soi-même qu’on appelle l’ego. Un grand nombre de personnes s’identifient ainsi à leur apparence physique. Le problème, c’est que celle-ci ne dure pas très longtemps. On peut chercher à masquer les rides et les cheveux blancs mais personne n’est dupe. On a beau être moins attrayant à cinquante ans qu’à vingt ans, on est toujours soi-même. Je ne suis pas moins moi en voyant mon corps s’abîmer. On peut aussi s’identifier à son intelligence, à sa culture. Vous pouvez le savoir quand on vous vous sentez attaqué lorsqu’une personne vous contredit. Vous vous sentez agressé parce que vous croyez que cette personne s’en prend à vous. Ce qui signifie que vous êtes identifié à vos pensées, à votre intelligence. Alors qu’il peut juste s’agir d’un interlocuteur qui n’est pas d’accord avec votre pensée. Une personne identifiée à son apparence physique souffre lorsqu’elle se trouve en présence d’une personne plus belle qu’elle. Un grand nombre de personnes s’identifient à leur profession. Elles s’interrogent alors sur la manière dont un représentant de cette profession doit se présenter, parler, s’habiller, car elles collent à ce rôle. En réalité, elles sont bien plus que ce rôle social. Plus l’ego croît, plus on s’éloigne de qui on est.

Toutes les spiritualités, de l’hindouisme au christianisme en passant par le taoïsme et le bouddhisme, visent à la libération de l’ego, de ces fausses représentations de soi-même auxquelles nous nous accrochons parce qu’elles sont valorisantes, mais qui ne sont pas nous. Plus on se trompe sur soi-même plus on s’interdit d’être heureux. La véritable joie, la véritable illumination comme l’appellent les sages asiatiques, consiste précisément à se libérer de tout ça. Quand on pose des actes qui ne sont pas motivés par une arrière-pensée egotique, ils sont d’une puissance incroyable. Je suis convaincu que toutes les grandes choses qui ont été faites au fil des siècles ont été menées par des hommes libérés de leur ego. Jésus ou Bouddha n’avaient pas d’ego. Je me souviens d’un échange que j’avais eu avec une psychologue américaine il y a une vingtaine d’années, à l’époque où je travaillais beaucoup sur moi car j’étais pétri de peurs. Nous discutions de la résolution des problèmes psychologiques. A un moment donné, j’ai eu une sorte de vision, de vertige, en réalisant que ce qui me faisait avancer dans la vie, c’était mes problèmes. Parce que mon ego était blessé. J’avais avant tout besoin de montrer ma valeur. Voilà ce qui me portait dans l’existence. En discutant avec cette psychologue, il m’est apparu que si je me libérais de tous mes problèmes, je serais un peu comme le sage asiatique traditionnel, assis et qui ne bouge plus. Cette pensée m’a fait horreur! Je ne me voyais pas du tout assis dans mon canapé à ne plus rien faire parce que j’étais zen. Je voulais garder mes problèmes! J’ai ressenti la peur du vide. Ce qui m’a fait réaliser que l’ego est un puissant moteur. Sans les juger, je ne peux pas m’empêcher de constater que de grands chefs d’entreprises et de grands hommes politiques ont des ego blessés. En fait, la peur du vide n’est pas justifiée. On peut rester dans son canapé en position de lotus mais on peut aussi agir. Lorsque l’on s’est dégagé de l’ego, on sait pourquoi on agit. Ce n’est pas pour son propre compte, pour être aimé ou pour avoir plus d’argent, mais parce que nos actes ont de l’importance pour nous. Nos valeurs profondes font écho. Il y a donc un vrai bénéfice à se libérer de l’ego. Comment peut-on faire? Je pense que les religions ne nous ont pas beaucoup aidés à cet égard. Par exemple, même si ce n’était pas volontaire, le message de Jésus induisait une culpabilité. Il y avait bien une volonté de libérer l’ego des gens mais présentée de façon assez maladroite. Quand j’étais petit et que je me mettais un peu en avant, mon père me disait d’arrêter de « faire l’intéressant ». Dans notre culture judéo-chrétienne, on nous culpabilisait pour essayer d’étouffer l’ego. En fait, ça ne marche pas de cette manière. Il est inutile d’essayer d’écraser l’ego. Ce qui fonctionne, c’est de s’en libérer et d’accepter. Plus on lutte, plus les résistances apparaissent. C’est mécanique. Un ego blessé va tout faire pour exister. On gagne à développer un ego sain en s’aimant, ce qui n’est pas dans notre culture. Nous devons apprendre à voir ce qu’il y a de bien en nous. Il existe des techniques qui font un peu gadget mais qui sont remarquablement efficaces. L’une d’entre elles consiste à penser tous les soirs à trois choses qui ont eu lieu dans la journée dont on peut être fier. Des chercheurs en neurosciences ont démontré qu’au bout de 90 jours maximum, on développe de nouvelles habitudes de l’esprit. Le cerveau est fait de neurones et de synapses. Or l’information a tendance à suivre toujours les mêmes trajets. On a des habitudes de l’esprit qui s’accentuent avec l’âge. Or il est possible de développer de nouveaux liens neuronaux toute notre vie. C’est bien sûr essentiel d’avoir diverses cordes à son arc. Plus on a de choix de comportements adaptés aux diverses situations, plus on est libre. Pour en revenir à l’estime de soi, si l’on développe pendant 90 jours la conscience de ce dont on peut être fier, on développe la confiance en soi en ayant une bonne appréciation de soi-même. En apprenant à s’aimer, l’ego maladif s’amenuise naturellement. On devient de plus en plus conscient et confiant en sa valeur. Il ne sera plus nécessaire de la montrer par le titre, l’apparence ou l’action.

Je vais maintenant vous raconter une petite histoire américaine qui se déroule dans les Rocheuses. Un papa se promène avec sa petite fille. La petite fille se met tout à coup à crier et entend le même cri en retour. Très surprise, elle s’écrie « Qui es-tu? » et entend en retour un son plus feutré qui lui répond « qui es-tu? ». Elle reprend « Non dis-le toi en premier! » et entend aussitôt le même retour. Agacée, elle hurle « tu es vraiment nul, je te déteste! », l’écho lui retourne. Alors un peu contrite, elle crie « Je suis désolée » puis « Je t’aime! » L’écho lui retourne une nouvelle fois ses propres mots. Alors elle se tourne vers son père, en attente d’explications. Celui-ci lui dit alors « Certains appellent cela l’écho, moi j’appelle ça la vie. Car la vie te renvoie toujours ce que tu lui donnes. »
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Extraits du débat :

Je voudrais poser une question sur ce qui me semble être un paradoxe. Vous avez dit que de grandes choses avaient été faites par des hommes qui n’avaient pas d’ego. Ensuite vous nous avez dit au contraire qu’il fallait accepter son ego et le développer. Dans ce cas, où est le chemin?

L’idée est d’accepter son ego pour pouvoir s’en libérer. Lutter contre son ego, c’est jeter de l’huile sur le feu. Si vous culpabilisez parce que vous vous sentez obligé de démarrer le premier au feu rouge, si vous vous sentez humilié parce quelqu’un vous a fait une queue de poisson, ce qui est un comportement typiquement egotique, si vous luttez contre ces réactions, vous allez enfler votre ego qui ne demande qu’à se développer. Comme on a tous besoin d’exister, on se raccroche volontiers à de fausses représentations de nous-mêmes. On sent confusément que ce n’est pas vraiment nous, mais le malaise que l’on ressent ne fait qu’accentuer l’effet de l’ego. Accepter son ego, c’est se détendre et éprouver de moins en moins le besoin de le manifester. Un ego sain se révèle quand on apprend à voir qui on est, quelle est notre valeur véritable. J’ai une vision assez rousseauiste de l’être humain. Je pense que toutes les personnes ont une belle part en elles, même si certains de leurs comportements sont absolument abjects. Celles-ci ont à un moment donné développé des croyances qui les ont conduites à commettre des choses horribles, mais au fond il y a en elles quelque chose de bien, quelque chose de divin. Apprendre à s’aimer, c’est aimer le divin qui est en nous. Le divin étant la part non egotique, celle qui n’a rien à prouver, celle qui est reliée aux autres. L’être humain a trois dimensions. La dimension horizontale qui nous met en relation avec nos semblables, la dimension verticale qui nous transcende, et la dimension intérieure. La transcendance nous dépasse, on ne sait pas la nommer, mais elle est commune à chacun d’entre nous.

Robert Dilts, un chercheur en neurosciences et en psychologie cognitive, a mené une expérience à laquelle j’ai participé. Des capteurs ont été posés sur les index des 4 volontaires que nous étions. Ces capteurs évaluaient l’humidité de la peau, qui varie en permanence, un peu comme les battements du cœur. Cette variation est liée à nos émotions, à nos ressentis. Il y avait dans la pièce un écran qui affichait les quatre courbes du taux d’humidité de la peau de chacun. Robert Dilts nous a posé un certain nombre de questions et les courbes ont commencé à fluctuer, témoignant de l’état interne de chacun. Au bout d’un moment, il nous a demandé de nous regarder les uns les autres et d’essayer de sentir ce qui nous reliait. On s’est tous regardé avec beaucoup de bienveillance en essayant de percevoir ce lien informel qui nous unissait. Petit à petit, les courbes se sont mises à converger jusqu’à n’en former plus qu’une seule. C’était étrange mais évident. Il semble que tous les êtres humains soient reliés à un certain niveau.
Concernant la question du vivant, je voudrais savoir si votre quête vous a rassuré sur votre propre mort ?

Dans ce domaine, on ne peut évidemment pas avoir de certitudes. L’interprétation de chacun quant à l’après est le fruit de ses propres croyances, notamment religieuses. Je n’ai pour ma part reçu aucune éducation religieuse. Mes croyances ne sont donc pas de cet ordre-là. Ma vision de la mort est la suivante. Je pense qu’une forme de vie perdure, qu’on peut appeler l’âme. Au cours de notre vie, il me semble que l’on se défait de tout ce qui n’est pas essentiel. L’essence étant notre âme. Arrive un moment où l’on n’a plus besoin de son corps et de son intelligence. Mon intime conviction est que l’âme perdure d’une certaine manière. La question est de savoir pourquoi on s’est incarné durant quelques décennies sur terre. Il y a plusieurs réponses possibles. J’ai pensé à un moment que le sens de la vie était d’apprendre un certain nombre de choses avant de retourner à la source. Aujourd’hui je pense qu’on vient sur terre avec une mission, celle de faire émerger le divin en soi. Ce ne sont que des hypothèses bien sûr. En tout cas, la vision de ma mort est assez sereine. Les moments où j’ai peur de la mort, c’est quand je viens de commencer l’écriture d’un livre. J’ai peur de mourir avant de l’avoir terminé!
Je souhaite rebondir sur la capacité à s’aimer soi-même, notamment par rapport à l’éducation des enfants. Vous qui avez une bonne connaissance de la société américaine et française, on voit bien que nos fondements d’éducation sont aux antipodes. Dans la culture anglo-saxonne, on met l’accent sur les points positifs de l’enfant, alors que dans notre culture française, on prend le stylo rouge et on pointe ce qui ne va pas. Cette éducation ne nous handicape-t-elle pas pour développer une capacité à s’aimer?

C’est très juste, et en même temps, rien dans la vie n’est totalement positif ou totalement négatif. Oui, notre type d’éducation qui reprend sans cesse l’élève sur ses fautes a des effets négatifs, mais pas seulement. Pour cette raison, les Français sont plus rigoureux, plus exigeants, plus fiables. On ne dit pas n’importe quoi, contrairement à des pays où l’on ment à qui mieux mieux pour se valoriser. L’éducation est un sujet extrêmement complexe. Quand une situation est mauvaise, l’idéal n’est jamais son contraire. Il existe des écoles alternatives qui donnent à l’enfant un cadre de laisser-aller, alors que je suis convaincu que l’être humain s’épanouit dans l’exigence. On se complaît dans le laisser-aller et on s’épanouit dans l’exigence. L’idéal serait d’avoir les deux. La société doit imposer des règles qui passent éventuellement par des punitions. En même temps il faudrait valoriser et encourager les enfants. Beaucoup d’entre eux souffrent du manque de structure dans leur famille. En pédagogie, de nombreuses recherches ont été menées, notamment sur l’apprentissage des langues. Des chercheurs ont démontré qu’un enfant ou même un adulte apprend beaucoup mieux une langue si on ne le reprend jamais sur ses fautes. Pour bien apprendre, il faut se sentir en sécurité, se sentir aimé et encouragé.
Vous avez dit que la crise devrait déboucher sur un monde meilleur. Quand on voit l’évolution du monde depuis l’apparition de l’humanité, on peut s’interroger à cet égard. Persistez-vous à le penser ?

J’ai envie de répondre plusieurs choses. Globalement, les spécialistes vous diraient que le monde n’a jamais été aussi en paix qu’aujourd’hui. C’est difficile à croire mais c’est ainsi. Ce qui signifie que la civilisation évolue plutôt bien. Je perçois aujourd’hui en quelque sorte deux courants, symboliquement celui du mal et celui du bien. Si certaines choses empirent, d’autres s’améliorent nettement grâce à l’éveil des consciences. Un nombre croissant de personne n’agit plus impulsivement mais de façon éclairée, consciente. Évidemment, on se demande quel courant va gagner. Je suis pour ma part assez confiant par rapport à l’évolution de la civilisation. Mes doutes et inquiétudes vont plutôt vers l’environnement. La planète nous survivra bien sûr, mais il est question de sauver l’humanité. Aujourd’hui des sommités, philosophes, scientifiques, sonnent l’alarme et ne sont pour ainsi dire pas entendus. En 100 ans, nous sommes passés de 1 à 7 milliards d’hommes. On sait que dans quelques années, nous serons 10 ou 11 milliards. Dans cette perspective, notre mode de vie est totalement aberrant. Nous assistons à des fonctionnements criminels au sens propres quand on voit notamment les allers et retours de produits transformés et vendus aux quatre coins de la planète. Même les plus égoïstes doivent se rendre compte que nos propres conditions de vie sont menacées à assez brève échéance. Comme je suis optimiste de nature, je veux croire à un sursaut des humains, qui pourrait prendre la forme d’un changement dans notre mode de consommation. Notre société est fondée aujourd’hui sur un modèle essentiellement économique et un process de croissance. Pourquoi a-t-on besoin de tant de croissance? Le principe d’une société fondée sur la dette n’est pas vertueux. Au bout d’un certain temps, on est submergé par la dette. On ne peut pas être plus nombreux sur terre dans les conditions actuelles. Il va donc falloir modifier beaucoup de choses mais le fera-t-on à temps? L’être humain a du mal avec le changement, en témoignent ses nombreuses habitudes. Renoncer à ce qui nous convenait depuis longtemps est coûteux bien sûr. Je ne mange pour ma part plus de viande depuis un an. Ça n’a pas été facile au départ. Nous aimons aller vers la facilité et nous montrons indulgents à l’égard de nous-mêmes. Serons-nous dans ces conditions capables de changer à temps? On se pose de vraies questions quand on voit dans certaines villes chinoises les gens vivre avec des masques à gaz. J’ai choisi il y a quelques mois de quitter la région parisienne avec ma famille parce que je supporte mal les alertes aux particules fines. Je n’ai plus envie d’expliquer à mes filles qu’elles ne doivent pas courir dans la cour de récréation un jour sur quatre. Je reste résolument optimiste et pense que c’est important de l’être. Être négatif n’arrange pas les problèmes.
Comme vous j’ai passé le cap de la cinquantaine et le diplôme d’expert comptable. Mais je suis resté dans la profession. J’ai coutume de dire qu’au-delà des chiffres, nous avons un métier de relations. Un ermite ou un moine qui vivrait complètement isolé peut-il être heureux ?

Le cas des moines est un peu à part car ils ne vivent pas isolés mais en communautés. L’ermite par contre est seul. Or l’humain est un être de relation avant tout. Je pense à une expérience terrible menée en Roumanie sur des enfants qui vivaient dans un orphelinat. La consigne stricte de ne pas prendre les nouveaux-nés dans les bras était donnée pour qu’aucun contact, y compris visuel, ne se produise entre les adultes et les enfants. L’objet de l’étude visait les réactions physiologiques. Les enfants avaient beau être nourris, lavés, changés, ils sont tous morts. Ce qui confirme notre besoin absolu de relations. Pour en revenir à notre thème du jour, le bonheur n’est jamais une démarche égoïste. On ne peut pas être heureux seul dans son petit coin.
Vous avez parlé des trois dimensions qui caractérisent l’être humain. Ce que l’on appelle un sage peut-il à votre avis atteindre le nirvana, la véritable béatitude ?

Je ne suis pas un spécialiste de la question mais je sais qu’il y a en Asie des sages qui vivent seuls et semblent avoir atteint un état d’éveil. Tout le monde ne peut pas devenir sage. La voie est très longue, c’est le travail de toute une vie. Certains ont des illuminations, ce qui est le cas de Bouddha. Mais cet homme a eu une vie très particulière, avec une enfance qui n’est pas anodine. Je pense que pour vous et moi, le bonheur se niche avant tout dans les relations.
Je suis agriculteur et éleveur. Vous nous dites que vous ne mangez plus de viande. Je ne vous en veux pas pour ça mais parce que vous m’empêchez de dormir quand je mets le nez dans vos livres! Merci pour tout ce que vous partagez. Je reviens sur l’évolution de nos sociétés et des hommes. On est effectivement 7 milliards d’êtres humains, peut-être 10 milliards dans une quarantaine d’années. Mais nous ne serons toujours qu’un peu plus d’un milliard d’Occidentaux. Après avoir gaspillé pendant des siècles, on veut faire la morale à tout le monde en exigeant d’innombrables efforts. Comment ose-t-on imposer aux autres de ne pas faire ce qu’on a fait de mal, alors que le modèle occidental suscite tant de convoitise ?

Je suis de votre avis, on ne peut pas donner des leçons aux autres et ne pas les appliquer à soi-même. Le problème, c’est qu’on a exporté notre mode de pensée et notre système de croyances qui porte l’idée que le bonheur passe par la consommation. Là encore je veux être confiant. J’ai énormément voyagé, rencontré des sages dans de nombreux coins du globe. Partout, je vois le même éveil des consciences, y compris dans des pays dits en voie de développement. De larges courants d’éveil touchent une grande partie des populations. Les gens veulent vivre différemment, se libérer d’un ultra consumérisme. Il y a vraiment de l’espoir, notamment porté par les réseaux sociaux qui propagent des informations sur ce qui se fait de bien ailleurs. Des sociologues ont démontré que pour qu’une société bascule dans un autre mode de vie, il n’est pas nécessaire que plus de 50% des gens y soient favorables. 25 ou 30% de personnes ayant basculé suffisent pour que le retournement s’effectue très rapidement. Je constate qu’il existe un grand nombre d’initiatives à la surface du globe, qui à un moment donné, vont probablement converger. Il existe une très jolie métaphore qui parle d’une variété de bambous dont les rhizomes se développent sans que rien n’apparaisse à la surface pendant au moins deux ou trois ans. Sous terre, les choses se passent différemment. La croissance s’effectue, et le bambou prend 8 mètres en quelques mois une fois sorti de terre. C’est à mon avis ce qui est en train de se passer à la surface du globe.
Vous nous avez donné quelques petites recettes remarquablement efficaces, je voulais déjà savoir si vous en aviez d’autres, et avoir votre avis sur la gratitude. D’autre part vous nous avez parlé de croyances limitantes. J’aimerais que vous partagiez avec nous vos expériences et vos moteurs par rapport à l’écriture de votre premier roman. Ce qui pourrait peut-être aider certains écrivains en herbe qui se trouvent dans cette salle à passer le cap.

Je vais déjà vous répondre sur la gratitude. On peut avoir certaines attitudes de demande, se retrouver dans une sorte d’attitude client/fournisseur avec la vie. On aimerait être un peu plus comme ceci ou comme cela. Mais un autre aspect de la gratitude se révèle dans le remerciement pour ce qu’on est et ce qu’on possède. Quand on réalise notre chance dans différents domaines, la santé, l’argent ou autre et que l’on remercie l’univers pour cela, on est dans un état extrêmement positif. Les personnes qui sont dans cet état de gratitude ont dépassé l’état de demandeur pour atteindre l’état de remerciement. Il me vient à ce propos l’image de Matthieu Ricard qui parlait, par rapport à la question de la consommation, d’un mantra qui dit « Je n’ai besoin de rien ». Un mantra, c’est une petite phrase qu’on se répète en boucle pour s’approprier son contenu. Matthieu explique qu’il existe une dimension libératrice dans la répétition de cette phrase. N’avoir besoin de rien, hors de nos besoins vitaux, nous conduit à réaliser notre état de complétude. Nous sommes dans un système économique basé sur la consommation qui nous incite à créer le manque. Car c’est au moment où nous ressentons le manque que nous passons à l’acte pour acheter. La publicité joue beaucoup là-dessus. On pense que le produit acheté va combler le manque. On oublie que l’état de manque n’est en aucun cas relié à un possible état de bonheur. Le fait de s’entraîner à la gratitude et de remercier envoie un message à notre cerveau, lui signalant que nous n’avons besoin de rien puisque notre situation est heureuse. Quand on y réfléchit, nous avons des conditions de vie extraordinaires en Occident. Le fait d’appuyer sur un bouton pour avoir de la lumière, ou d’ouvrir un robinet pour avoir de l’eau, c’est formidable quand on y pense! Alors qu’on a tendance à trouver ça banal…

Votre deuxième question concerne mon état d’esprit au moment de la rédaction de mon premier livre. Au risque de vous surprendre, j’étais absolument convaincu, sans forfanterie de ma part, que ce livre serait un succès et allait trouver son public parce que je ne l’ai pas écrit pour moi. Quand on écrit, on a des intentions plus ou moins conscientes. On peut écrire pour soi dans le cadre d’un journal intime, on peut écrire parce qu’on a des choses intéressantes à dire, ou pour montrer qu’on a un beau style littéraire, pour impressionner les copains, pour être reconnu des journalistes, pour concourir à un prix littéraire, etc. Pour ma part j’avais une seule bonne raison, une seule intention sur laquelle j’étais totalement alignée, c’était de pouvoir partager des choses qui ont été essentielles pour moi. Grâce à mes voyages et expériences, j’ai pu accéder à un enseignement extraordinaire, qui n’est malheureusement pas enseigné à l’école. Cet enseignement vise à donner des clés sur la manière de vivre sa vie, sur une meilleure connaissance de soi-même, comment se réaliser, etc. Dans ce premier livre, j’étais totalement clair et sincère dans mon objectif de transmission. Je me définis volontiers comme un vulgarisateur de concepts, y compris les plus conceptuels et complexes comme les croyances. Je ne me suis pas senti très fier du succès de ce livre, déjà parce que je connaissais les pièges de l’ego et que je ne voulais surtout pas tomber dans ce leurre, mais au-delà de ça, ce succès m’a semblé naturel.
Merci pour votre simplicité et pour votre propos sur les valeurs auxquelles je suis très attaché. A propos de ces valeurs qui donnent du sens à beaucoup de choses, nous avons en France des valeurs aidantes sur le professionnalisme, l’expertise, la rigueur, l’exigence. J’observe aussi qu’on a du mal à les ramollir, comment s’y prendre pour les ramollir afin d’accompagner les changements? Ma deuxième question vise les organisations au sens large, dont les entreprises. On parle beaucoup de management par les valeurs, qu’en pensez-vous ?

Je réponds déjà à votre première question. Il n’y a pas de règle par rapport au management par les valeurs. Je connais des chefs d’entreprise très sincères dans la transmission de belles valeurs de respect de l’autre, d’écoute, aussi bien vis-à-vis des clients que des collaborateurs, et qui font des choses extraordinaires. Je connais par exemple un boulanger qui avait deux boulangeries avec le projet de développer une franchise. Il a compris que la franchise ne rentrait pas dans ses valeurs, lui qui voulait rester proche de ses clients et collaborateurs. Il valorise des choses comme la générosité, le partage. Il y a 10 ans quand il a ouvert sa première boulangerie, il a commencé à offrir beaucoup de choses aux gens. Ce qui n’était pas du tout l’usage des commerçants de la commune. Il disposait des paniers le long de son comptoir avec des brioches et des gâteaux en petits morceaux, et les gens se servaient. Dans la confiance et la générosité à l’égard de sa quarantaine de collaborateurs, il en a aidé certains à ouvrir leur propre boulangerie. Il est dans une dynamique qui peut paraître peu rationnelle mais qui fonctionne très bien. Je vous raconte cette histoire pour vous montrer qu’il existe vraiment des chefs d’entreprise qui sont porteurs de valeurs sincères. Il existe aussi des chefs d’entreprise qui utilisent des valeurs pour manipuler leur entourage. Ce sont des valeurs de surface, qu’ils affichent d’ailleurs généralement sur les murs. Mais soyons confiants, les choses vont évoluer. Plus on parlera d’exemples vertueux, plus ça donnera envie à des chefs d’entreprise d’essayer la confiance et la générosité.

Concernant votre question sur la manière de ramollir les valeurs, ma conviction est que les valeurs poussées à l’extrême sont limitantes, contraignantes, parce qu’elles nous bloquent dans notre vie, dans nos projets, dans l’estime de soi. Mais je pense que ce serait une erreur de vouloir s’en défaire. Il y a même une tendance à la suppression de ce que Freud appelait le Surmoi. La théorie de Freud met en scène le Moi, nous en avons parlé, le Ça, qui recouvre les tendances pulsionnelles, nos bas instincts, et le Surmoi qui nous incite à contrôler nos pulsions. Je trouve qu’aujourd’hui s’ouvre la boite de Pandore du Surmoi. On fait croire aux gens qu’ils seraient plus heureux s’ils donnaient libre cours à leurs instincts. Avec les effets pervers induits. Dans le monde de l’entreprise, on constate que certains chefs d’entreprise n’ont plus de Surmoi. Ils vont très loin dans l’exploitation des autres, la manipulation, l’escroquerie même. La violence à laquelle on assiste aujourd’hui en est une conséquence. Je ne pense pas qu’il soit judicieux de ramollir les valeurs de rigueur. Il n’est pas incompatible d’apprendre et à côté de se détendre et s’aimer.
Je voudrais rebondir sur le relationnel et la question du sage tout seul perché et qu’on imagine isolé relationnellement. Ce sage n’est pas à proprement parler isolé car il est relié aux autres par ce réseau invisible que vous avez testé. On peut être relié autrement que par le regard. Des expériences ont été menées avec des couples. Mari et femme étaient séparés et on leur soumettait des images qui allaient émotionnellement les percuter. Des courbes d’émotions étaient enregistrées. Quelques micro-secondes avant que l’image apparaisse, les courbes se modifiaient, en lien avec l’émotion du conjoint. Ce qui signifie qu’on est connecté même si on ne communique pas par le regard. Le sage à sa façon est avec nous parce qu’il est relié au tout.

Bien sûr dans le relation apparaît également la dimension d’attachement qui peut faire souffrir lorsqu’on se sépare.

C’est vrai et en même temps il serait dommage de se priver de relations juste par peur du jour où peut-être celles-ci pourraient s’arrêter.

Vous avez parfaitement raison par rapport au sage qui est connecté à l’univers. Il ne se vit pas comme un solitaire.
Avez-vous des outils sur la confiance relationnelle ?

Je crois beaucoup en l’expérimentation. On ne peut pas endosser spontanément les croyances des autres. Expérimenter la confiance, faire de plus en plus confiance, est positif. On se rend compte que les gens sont la plupart du temps dignes de la confiance que vous leur avez accordée. Il y a des contre-exemples mais ce n’est pas grave. Je pense à Woody Allen qui partait du principe suivant : « Tout va aller mal et de temps en temps, on se trompe et tout va bien ». J’ai tendance à penser le contraire. Ayez confiance dans la vie, dans les autres, et la plupart du temps la vie vous donnera raison.
Quelle est votre vision de l’évolution de l’être humain sur terre, partant du principe qu’il y a toujours eu des cycles, et qu’à l’heure actuelle, nous sommes dans un cycle de transition ? Combien de temps celui que nous connaissons va-t-il durer et dans quelle direction allons-nous à votre avis ?

Pour étudier la progression de la civilisation humaine, il y a un modèle qui me semble particulièrement pertinent. C’est le modèle « Spiral dynamic » d’un psychologue Américain qui s’appelle Don Beck. Il s’agit d’un modèle empirique scientifique qui montre que les être humains suivent une évolution non linéaire. Cette évolution montre des allers et retours entre deux grandes tendances que sont l’individualisme et le collectif. Depuis l’apparition de l’homme sur terre, on oscillerait entre ces deux tendances. De mémoire, l’humanité aurait commencé par une phase personnelle conduite par les besoins physiologiques de Maslow. Très vite seraient apparues des croyances très ésotériques sur le monde, qui correspondent au besoin de l’homme de comprendre son environnement, donner du sens au chaos qu’il perçoit de l’univers. Ces croyances, partagées, relevaient donc du collectif. La phase suivante retourne vers l’individuel. Il s’agit d’une phase assez agressive où l’être humain, très individualiste, était prêt à tuer pour préserver son intérêt. Ce dernier a ensuite évolué en structurant son comportement en fonction des notions de bien et de mal. Il a donc adopté des valeurs collectives. Dans notre zone géographique, cette période jalonne la longue période du Moyen-âge. De nombreux codes comportementaux apparaissent alors, stipulant ce qu’on avait le droit de faire et de ne pas faire. Très récemment, on a assisté à une sorte d’accélération dans l’évolution de l’homme. Au XX° siècle, l’homme se libère un peu du carcan des valeurs morales pour s’intéresser un peu plus à lui-même. C’est une période individualiste durant laquelle l’homme apprend à s’occuper de lui, de son bien-être. C’est le début des congés payés. Selon le modèle de Don Beck, au début de chaque phase, on vit les aspects positifs, tandis qu’à la fin, on vit les aspects plutôt négatifs. Nous sommes donc en train de vivre les pires aspects de l’individualisme. La plupart des gens ne pensent qu’à eux. Mais on assiste aussi au basculement de nombreuses personnes vers une nouvelles ère collective où nous prenons conscience de notre impact sur la planète, de l’impact de notre comportement sur les autres. Les sociétés du nord de l’Europe semblent en avance sur nous de ce point de vue, portées par de nombreuses valeurs collectives. Aujourd’hui, nous vivons de manière inconfortable la fin d’une ère et basculons dans une nouvelle phase qui, démarrant, sera très agréable en termes de relations humaines. L’inconfort vient notamment du fait que toutes les populations n’en sont pas au même point dans cette évolution vers demain.
J’ai beaucoup apprécié votre livre « Le jour où j’ai appris à vivre » dans lequel vous faites état de diverses informations mettant en lumière la liaison qui nous unit tous. Vous y parlez de la pensée créatrice et dites que quand on pense positif, les choses tournent au positif. Et inversement. On suit tous notre propre cheminement et notre propre chemin de vie mais en vertu de cette liaison, nous pouvons accompagner des personnes à aller vers plus de positif si nous sommes nous-mêmes dans cet état d’être. Qu’en pensez-vous ?

Les Américains ont une expression consacrée pour parler de çà, qui dit « ce sur quoi vous portez votre attention tend à s’étendre ». Je me souviens d’un de mes managers au tout début de ma vie professionnelle, à qui je rendais souvent compte des nombreux problèmes que je rencontrais dans mon travail. Un jour, il m’a dit un peu vulgairement mais clairement « Quand on veut voir la merde, on produit la merde ». Je ne comprenais absolument pas ce qu’il voulait dire mais il avait raison. On alimente les phénomènes auquel on s’intéresse. C’est pour cette raison que j’en veux aux médias qui nous donnent tant de mauvaises nouvelles. Il ne s’agit pas de cacher la vérité mais j’aimerais disposer d’une information proportionnelle et représentative de ce qui se passe réellement dans le monde. Ce n’est pas du tout le cas, on ne parle quasiment que de ce qui va mal.

Donc vous avez raison madame, si l’on est soi-même dans le positif, c’est contagieux. Quand on met l’attention de la personne sur ce qu’il y a de bien en elle, cet aspect se développe. On le sait bien en management. Certains collaborateurs ont des comportements appropriés. D’autres moins. Le manager a envie de faire évoluer ces comportements, c’est d’ailleurs son rôle. Il sera beaucoup plus efficace en pointant ce que ses collaborateurs font de bien plutôt qu’en soulignant leurs erreurs. Je me souviens par exemple de l’une de mes collaboratrices dont la manière de répondre aux clients par téléphone ne répondait pas tout à fait à mes attentes. Plutôt que de lui dire que ça n’allait pas, j’ai préféré attendre un moment opportun et je l’ai chaudement félicité le jour où je l’ai entendu répondre de la manière la plus appropriée à mon sens.
Il me semble que nous devons essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour montrer l’exemple. Vous me rejoindrez probablement sur ce point-là. Autrefois, on entendait souvent dire, y compris par des gens de mon âges, « C’était mieux avant ». J’ai eu moi-même recours à cette maxime à des moments où je n’avais pas trop le moral. Maintenant que mes tempes ont grisonné, j’ai progressé et lorsque je m’adresse à mes enfants, j’ai plutôt tendance à leur dire d’essayer d’être heureux. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que c’était mieux avant? Est-ce qu’on était plus heureux avant ?

C’était différent. Il peut m’arriver de le dire également. C’était sans doute mieux avant sur certains points car l’évolution n’est pas positive dans tous les domaines, même si globalement on peut dire qu’elle l’est. Tout n’est pas complètement linéaire.

Tous les sages vous diront que le bonheur est ici et maintenant. Comparer le présent avec le passé ou même avec le futur (imaginez qu’on sera plus heureux demain) est un mécanisme typiquement egotique. La position la plus sage est de se dire que c’était différent. Quand peu à peu on parvient à se libérer de l’ego, on se libère aussi du temporel. D’ailleurs un certain nombre de physiciens qui travaillent sur le temps tendent à affirmer que le temps n’existe pas. Jésus disait « Avant qu’Abraham fût, je suis ». Après m’être interrogé sur la concordance des temps de ce propos, j’ai compris le génie de cette phrase! Il nous a par cette phrase signifié que le temps n’existe pas. C’est avant tout de l’ordre du ressenti.

Lors d’une conférence, j’ai répondu à des questions sur l’intuition à des spécialistes de ce sujet. Ils m’ont surtout interviewé sur la façon dont j’écrivais mes livres, de manière très désordonnée. Le chapitre 23 me venant à l’esprit avant le chapitre 2. Après la conférence, Alexis Champion, de l’institut IRIS (l’école de l’intuition) est venu me proposer de me former à sa méthode de développement de l’intuition. Je vais vous la décrire en quelques mots. Cette méthode est basée sur la capacité à découvrir un lieu pris en photo, celle-ci étant cachée dans une enveloppe. L’objectif consiste à découvrir le lieu. Je n’y croyais pas du tout car je suis très rationnel, mais comme je suis curieux et bon élève, j’ai joué le jeu et appliqué la méthode. Alexis a attribué des coordonnées au lieu à découvrir, sous forme de chiffres qui correspondaient à des informations factuelles comme l’année, le mois, le jour, auquel il a ajouté un nombre à 3 chiffres sorti de son chapeau. J’ai recopié cette suite de chiffres sur un papier et j’ai laissé ma main en liberté dessiner un gribouillis selon le principe de l’écriture automatique. Alexis m’a ensuite enseigné comment interpréter ce gribouillis. Sans entrer dans les détails, une sinusoïde rend compte de la présence d’eau dans ce lieu, des formes anguleuses parlent de structures créées par des hommes, etc. C’est très codifié et très complexe. J’ai ensuite tapoté sur la feuille sur laquelle figurait mon gribouillis et noté mes ressentis. Curieusement ceux-ci étaient de diverses natures, durs, souples, mous, spongieux, etc. alors qu’il s’agissait d’une feuille de papier! Cette méthode inventée par les Américains, vise à rééquilibrer les deux hémisphères du cerveau pour faciliter l’accès à notre intuition. Alexis m’a demandé de rédiger une synthèse écrite très précise de ces ressentis puis il m’a dévoilé la photo. Dans un premier temps, j’ai été très déçu parce que je n’imaginais pas du tout ce lieu, mais dans un second temps, à la relecture de mes notes, je me suis rendu compte que celles-ci décrivaient parfaitement le lieu en question. J’y mentionnais par exemple des lignes verticales et horizontales, des formes rondes multiples, de l’eau en bas et un peu de lumière dans le fond. En réalité j’avais parfaitement décrit le lieu qui était une cave d’affinage de fromages. Je n’en revenais pas! Mon cerveau gauche n’était pas du tout à l’aise avec ce qui se passait mais il faut bien se rendre à l’évidence que chaque être humain est doué d’intuition à laquelle il a plus ou moins accès. Je vous racontais cette histoire par rapport à la notion de temps. Alexis pense que pour écrire mes livres, je recours à l’écriture à la façon d’un révélateur de quelque chose qui préexiste. Fils de scientifique avec une formation d’expert comptable, je doute encore, mais je ne peux pas m’empêcher de repenser à certaines scènes que j’ai écrites, qui n’ont trouvé leur sens qu’une fois la structure du livre établie. Ce qui tend à valider la proposition d’Alexis.
Pensez-vous que l’ego féminin soit le même que l’ego masculin ?

Je n’ai pas de connaissance spécifique sur la question mais je dirais que l’ego féminin me semble moins développé et donc moins problématique, mais en même temps, les femmes tendent de plus en plus à ressembler aux hommes, et pas forcément sous leurs bons aspects. Et il me semble qu’un nombre croissant d’ego féminins ressemblent aux ego masculins.
A propos du transhumanisme. A votre avis, l’homme augmenté sera -t-il plus heureux ?

Personnellement, je ne suis pas du tout attiré par ce genre de choses. Certains y voient la tentation de prendre l’homme pour Dieu. Ce qui ne me choque pas, mais je pense que l’homme n’a pas besoin de toutes sortes de gadgets ajoutés pour développer la part de divin qui se trouve en lui.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée du livre « Le jour où j’ai appris à vivre » ?

J’ai eu cette idée en observant que l’individualisme exacerbé rend l’homme malheureux. J’avais envie d’écrire un livre sur ce qui, à l’inverse, nous relie aux autres et contribue à notre épanouissement. Ma démarche est similaire pour les autres livres que j’ai écrits. Je suis d’abord habité par un thème, et l’histoire suit. Je ne fait pas relire mes livres par des psychologues ou des neuropsychologues mais je m’appuie souvent sur des expériences scientifiques que je cite, et je m’emploie à vérifier la validité de ces expériences dont j’entends généralement parler par la presse, qui elle, ne vérifie pas toujours ses sources.
Avez-vous écrit vos livres totalement seul ou aidés ?

J’écris seul mais mon épouse est très présente à mes côtés et j’échange beaucoup avec elle en amont. Ne serait-ce que par rapport au choix des thèmes. Par contre, je ne lui révèle jamais l’histoire car elle est aussi ma première lectrice, donc la première à me faire part de son ressenti, ce qui est pour moi très précieux car je la sais totalement sincère dans ses commentaires. Je serais incapable d’écrire à plusieurs. J’ai essayé dans un cadre professionnel et ça ne fonctionnait pas du tout. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question d’ego. Il est nécessaire avant tout d’être très clair sur son intention. Si l’on écrit pour soi, il n’est pas utile de publier, on peut le faire dans le cadre d’un journal intime. Publier, c’est écrire pour les autres.
Est-il préférable de garder l’anonymat pour écrire ?

Il m’est arrivé de regretter de publier sous mon nom, trouvant la notoriété inconfortable. Je la vivais comme une perte de liberté, ce que je ressens moins maintenant.
Les mots « bonheur » et « heureux » sont des mots forts, ne pourrait-on pas évoquer tout simplement l’idée d’être en harmonie avec soi-même?

Le mot « bonheur » est peut-être parfois utilisé à tort, à commencer par moi. Étymologiquement ce mot signifie « être au bon moment au bon endroit ». Le terme le plus adapté serait le mot « joie » qui me paraît aujourd’hui un peu désuet. J’utilise volontiers le mot « épanouissement ».

Au terme de cette rencontre, je remercie le CERA d’avoir organisé cette rencontre qui m’a fait grand plaisir.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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