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Les Éconoclastes : Comment décrypter l’actualité économique et géopolitique dans notre monde en mutation ?

CR de la 86ème rencontre du CERA du 20 SEPTEMBRE 2018

« Un regard décapant sur l’actualité économique de notre monde »

Avec la participation de Philippe Béchade, Olivier Delamarche et Nicolas Meilhan.

Débat animé par Aïda Valceanu.

 

Accueil par Aïda Valceanu :

On dit que la bulle financière va exploser, sachant que la dernière crise date de 2008. On dit aussi qu’il y a une crise financière tous les dix ans. Nous aimerions savoir si nous allons avoir une nouvelle crise en 2019. Nous avons la chance d’avoir avec nous trois experts de haut niveau, qui sont non seulement des intellectuels de la pensée mais surtout des gens qui ont les deux pieds dans le monde de l’entreprise. Ils savent de quoi ils parlent. J’ai le plaisir d’inviter Philippe Béchade à me rejoindre.

Philippe Béchade, les think tank, maintenant nous connaissons. J’ai cru comprendre que Les Econoclastes n’était pas un think tank universitaire mais plutôt un lieu de réflexion bien ancré dans le monde de l’entreprise et je voulais vous demander, à vous qui l’avez créé, qu’est-ce que Les Econoclastes ?

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Intervention de Philippe Béchade :

Je ne l’ai pas créé, je l’ai cofondé puisque c’est une œuvre collective. C’est un élan spontané qui est apparu comme une sorte d’impératif pour ceux qui se croisaient sur les plateaux TV et autres médias. Nous nous sommes reconnus les uns les autres Econoclastes par notre vision un peu décalée, parfois insolente mais pleinement assumée. Et puis nous avions cette manie de passer au crash test les éléments de langage que l’on entend à longueur de temps sur les chaînes économiques. On essaie de voir plus loin, de prendre du recul en croisant deux expériences : celle des gens qui écoutons ce que disent les autres think tank et celle des chefs d’entreprise que nous sommes. Ce n’est donc pas un think tank d’intellectuels. Je n’ai rien contre les intellectuels, je n’en fais pas une stigmatisation, mais disons que notre véritable fibre, c’est la direction d’entreprise à la base, pour au moins les six ou sept premiers membres de l’association.

Aïda Valceanu : Et d’ailleurs malgré vos nombreuses activités de chroniqueur, je crois que vous avez plus de 2105 chroniques et analyses économiques à votre actif, malgré vos nombreuses interventions télévisées, en particulier sur BFM, vous gardez votre statut de chef d’entreprise et pour vous c’est toujours aussi important.

PB : Oui, j’ai cofondé en 1994 une petite agence d’informations financières qui cible les marchés régulés et non pas l’ensemble des marchés sur lesquels les gens peuvent intervenir. C’est une petite agence qui a fait son chemin. Elle fêtera ses vingt-cinq ans au 1er janvier 2019. Les Econoclastes qui m’entourent sont également des chefs d’entreprise. Ils ont risqué leur argent. Ils ont fait évoluer leurs entreprises, et l’on essaie de se débrouiller avec la conjoncture, avec la tectonique des plaques économiques. On essaie de savoir quelle plaque se dirige dans quelle direction, à quelle vitesse, à quel moment elle va en percuter une autre et avec quelles conséquences.

La raison d’être des Econoclastes, ce sont aussi les conférences que nous organisons, parce qu’une de nos particularités, c’est l’espace que nous réservons à l’interaction avec le public. Faire circuler la parole, permettre aux gens de confronter leurs expériences avec les nôtres, qui sont, contrairement à d’autres think tank universitaires, peut-être plus terre à terre. De temps en temps, on essaie aussi de laisser parler notre imagination, et puis si jamais l’inspiration venait à nous manquer, elle nous revient toujours de la salle.

AV : Merci Philippe. Nicolas Meihan et Olivier Delamarche vous ont accompagné. Nous avons imaginé une rencontre sous la forme de conférences, d’exposés suivis de temps de questions / réponses. J’invite sans plus attendre Olivier Delamarche.

Olivier, vous êtes économiste, serial entrepreneur, responsable d’une société de gestion helvète et également auteur d’une lettre macro-économique. Pour faire simple, la macro-économie est votre sujet de prédilection. Qu’entendez-vous par macro-économie ?

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Intervention d’Olivier Delamarche :

OD : Il s’agit de l’étude de tout ce qui se passe dans le monde. Je n’ai pas une approche par entreprise mais une approche globale des différentes régions du monde et des interactions qui peuvent exister.

Je voudrais commencer par un petit sondage : Qui n’a pas le moral dans cette salle, et qui pense que tout va bien ? Quand j’aurai parlé, vous serez fixés. Définitivement ! Je vais vous raconter la situation actuelle.

Que s’est-il passé depuis une dizaine d’années ?  Nous avons connu une grosse crise qui nous est venue des Etats-Unis, assez prévisible mais qui a tout de même surpris beaucoup de monde. Cette crise s’est répandue dans le monde et, à ce moment-là, les dirigeants économiques ont commis une erreur majeure. Ils ont essayé, en employant des moyens non conventionnels, de minimiser cette crise au lieu de la laisser se dérouler, ce qu’il aurait fallu faire.

On nous dit maintenant, c’est facile, que cette crise aurait été épouvantable. C’est vrai, mais nous aurions au moins gardé des munitions pour essayer de repartir après.  Là, en évitant la crise et des dégâts importants, on s’est coupé les chances de pouvoir ensuite redresser la barre. Maintenant nous sommes dans une situation où il n’y a plus de limite, plus de possibilité de retour en arrière. On me demande souvent « Qu’est-ce que vous avez comme solution ? »

C’est bien de faire un constat avant de chercher des solutions. C’est un peu l’histoire du type qui se jette du 40° étage et quand il passe au niveau du 4° étage, il y a quelqu’un qui lui demande « ça va ? ». Il dit « oui, tant que je tombe, ça va ». C‘est la réception qui est violente ! Et je crois qu’il va falloir aller jusqu’à la réception, il n’y a plus aujourd’hui beaucoup de moyens d’éviter de se casser la figure. Il ne fallait pas sauter. Maintenant c’est trop tard, il n’y a plus beaucoup de moyens d’éviter de se casser la figure.

On a en plus, malheureusement pour eux, je ne sais pas s’il y a des élus nationaux ici, des élus et des dirigeants économiques d’une incompétence crasse. Pourquoi je dis cela ? Parce que nous sommes dans une ère de communication, c’est tout ce qu’ils savent faire, essayer de nous vendre un peu de temps. On essaie de camoufler leur incapacité à prévoir et préparer les choses. Ils aspirent simplement à être élus, or quand on dit la vérité aux gens, cela ne les fait ni rire ni rêver. Moyennant quoi, les électeurs se détournent d’eux.

Quelle est la situation aujourd’hui ? On vous parle de croissance, on vous dit que la dette, ce n’est pas grave, que demain il y aura de la croissance et qu’on va s’en tirer comme çà. Je crois que cela n’a aucun intérêt. Bien sûr, sur un trimestre on peut avoir un petit coup de chance, un peu de déficit budgétaire et, puis ponctuellement vous allez remonter à 2% et l’on vous dira « Regardez, grâce à nous, on a fait 2% de croissance annualisée ». Sauf que souvent le trimestre suivant, c’est la grosse déception. Ce premier trimestre par exemple, on pensait avoir réussi un joli coup. On était à +2, et puis au deuxième trimestre, on était à -0,1. Donc vous n’avez pas de croissance, et vous ne risquez pas d’en avoir. Pourquoi ? Il y a un problème dont on parle très peu, c’est le problème démographique. Or malheureusement, cela conditionne tout. Dans la plupart des pays occidentaux, les pays en voie de développement, les Brics, nous avons une démographie catastrophique. Les Japonais sont les leaders. Aujourd’hui, ils sont 126 millions, en 2050, ils seront moins de 90 millions. Les Russes en 2050 auront perdu 20 millions d’habitants. Les Italiens sont déjà sur la pente descendante. Les Allemands sont les Japonais d’il y a vingt ans et l’ouverture de leurs frontières n’a rien changé. Ce sont des pays vieillissants. Idem pour l’Espagne, le Portugal, la Grèce. Pour avoir le renouvellement de la population, il faut un taux de fécondité à 2,10. L’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Italie sont à 1,30. La France est à 1,80. La population vieillit. Or vous savez qu’une personne de 75 ans ne consomme pas comme une personne de 50 ans. Ses revenus sont réduits et il consomme beaucoup moins. Par conséquent la croissance potentielle des pays dits matures est en gros de 1, voire les bonnes années 1,5. Cela veut dire que l’on ne va pas être bien du tout. Les politiques qui nous vendent un recul de l’âge de la retraite de 1 ou 2 ans, c’est une blague ! En nous donnant en plus, des ratios de dépendance qui sont faux, c’est-à-dire le nombre des personnes de plus de 65 ans et ceux de moins de 14 ans (soient les gens qui ne travaillent pas) rapporté à celui des gens de la classe d’âge 15 – 65 ans (en comprenant les chômeurs). Si vous retirez les gens qui n’ont pas d’activité (chômeurs inscrits + toutes les personnes qui n’ont pas de travail), le taux de dépendance qui, dans les années 70 – 75, était de 4 actifs pour 1 dépendant, aujourd’hui il de 1 pour 1. Ça va être compliqué. Je vous rappelle que, selon le système en France, vous ne capitalisez pas, vous payez la retraite des gens aujourd’hui à la retraite. Vous avez donc aujourd’hui un gars que vous devez payer sur votre salaire, et dans quelques années ce sera plus d’un gars à la retraite pour un actif. On fait comment ?

Les Japonais ont décidé que, dans le public, les retraites seront prises à 80 ans. Chez nous, Il faudra, vraiment, reculer l’âge de la retraite. De plus, pour compenser leur montant plus faible, les retraités seront conduits à vendre leurs actifs. En France, l’actif est en grande partie de l’immobilier, puis de l’assurance vie. L’immobilier n’aura plus une croissance formidable car certains, pour finir leur vie, seront obligés de réaliser leurs actifs.

La situation est la même dans les autres pays, voire pire.

Ce problème démographique est un vrai sujet, il va plomber la croissance potentielle, plomber les retraites. Le seul continent à avoir une démographie croissante est l’Afrique. D’ici 2050, il y aura 1 milliard d’Africains de plus. Les problèmes migratoires n’ont pas fini de nous poser des questions.

Ce problème démographique va donc obliger nos gouvernements à poursuivre leur cavalerie. Aujourd’hui on ne fait que créer de la dette pour pouvoir rembourser les intérêts de la dette antérieure. Par exemple, en 2011 on a annoncé le sauvetage de la Grèce. Elle va revenir sur les marchés. Pour faire quoi ? Pour s’endetter afin de régler ses dettes anciennes. Alors qu’elle venait de faire un hair cut, autrement dit un défaut de paiement sur obligation, ce qui veut dire « on vous doit 100 et on va vous rembourser 25 ». La Grèce a fait un hair cut de 75% sur sa dette. Mais les possesseurs d’obligations grecques comme la BCE ont dit « Moi je ne suis pas concerné, car ce serait un trop fort risque de faillite ». Les banques internationales ont également dit qu’elles n’étaient pas concernées car ce hair cut ne concernait que des obligations émises en droit grec. Il ne restait plus que les banques grecques qui avaient des obligations grecques. Comme elles étaient devenues mourantes, il a fallu les recapitaliser et la BCE a de nouveau prêté de l’argent. Clairement, arrivé à un certain point, il n’y a plus de retour possible. On est obligé de poursuivre. Peut-être avez-vous entendu parler du Quantitative Easing, autrement dit de la planche à billets actionnée par la banque centrale pour pouvoir racheter les dettes auprès des investisseurs internationaux. Ces processus agissent comme des drogues.

Aujourd’hui les économies ne sont basées que sur la dette, dans ces conditions, comment voulez-vous laisser monter les taux d’intérêt ? Certains disent « Ce n’est pas grave, on a toujours fait comme çà ». Quand les taux d’endettement sont de 50% comme en 2007, ce n’est pas grave, les taux montent de 1, cela vous coûte 0.5 de plus. Mais quand vous avez, comme les Japonais aujourd’hui 250% du PIB en dettes, vous montez le taux d’intérêt de 1, vous payez 2,5 en plus, et là ce n’est pas drôle, surtout quand vous n’avez pas de croissance à mettre en face. Et alors que fait-on ? On ne fait rien car on tombe dans un piège dont on ne peut plus sortir. Que dit M. Kuroda, le patron de la banque centrale du Japon : « Je vais arrêter mes achats » (il faut savoir que la banque centrale rachète 70% de tous les marchés tous les jours : actions, obligations, ETF, etc…). Instantanément les taux à 10 ans qui étaient négatifs sont passés de -0,20 à +0,30. Deux jours plus tard, M. Kuroda, qui ne voulait pas laisser les taux monter, a repris ses achats et les taux sont redevenus négatifs. Il ne peut plus faire autrement car il n’y a pas de croissance au Japon, un taux de dettes épouvantable, 7 à 10% de déficits budgétaire par an. La banque du Japon va donc continuer à tout acheter parce que les Japonais n’ont plus le choix.

A l’origine, le mandat d’une banque centrale était d’éviter l’inflation. Jusqu’en 2005-2006, cela fonctionnait parfaitement. On avait des économies cycliques, au fur et à mesure qu’on était en expansion, la banque centrale accompagnait le mouvement avec une politique de taux bas et des facilités pour les crédits. Puis au fur et à mesure que la croissance montait, il y avait des tensions sur les prix, sur les salaires, en conséquence la banque centrale restreignait le crédit, elle montait les taux et la courbe de croissance s’aplatissait et redescendait.

Aujourd’hui les banques centrales n’ont plus la main. De Data dépendantes c’est-à-dire dépendantes des données économiques, elles sont devenues Market dépendantes, ce qui signifie qu’elles dépendent maintenant uniquement des marchés parce qu’elles se sont mises à acheter des actions et des ETF, ce qui n’est pas leur boulot, et elles ont des bilans qui sont juste ahurissants, bourrés d’obligations pourries. Elles n’ont qu’une peur : un fort repli des bourses qu’elles ne pourront pas supporter, ni pour elles, ni pour tous les systèmes qui sont basés sur la dette, comme les assurances vie, les programmes sociaux, les retraites, les fonds de pension américains. Pour éviter le pire, les banques centrales devront racheter les dettes aux systèmes financiers et feront tourner la planche à billets. La monnaie perdra de sa valeur et sera remplacée par des échanges de valeurs considérées comme sûres, dollar, franc suisse, or… c’est le début de l’hyper inflation.

Il se passe des choses importantes en Italie. M. Salvini, comme un magicien, agite sa main droite pour attirer notre attention, sa main droite étant l’immigration. Pendant ce temps, avec sa main gauche, il a engagé aux postes clés des économistes profondément europhobes. Il est peut-être en train de préparer une sortie de l’Euro. Si c’était effectivement le cas, ce sera l’éclatement de l’Euro dans les semaines qui suivent. Les Espagnols, les Grecs, les Portugais feront la même chose et je souhaite que les Français en fassent autant, j’espère avant les Allemands. Attention parce que cela peut arriver vite, il y a le budget italien qui sera présenté le 27 septembre. Il est possible que le ton monte entre l’Italie et l’Europe, ce qui pourrait déclencher le processus suivant : les marchés auront peur => ils vendront => les taux monteront. Avec l’endettement de l’Italie et ses créances pourries (350 milliards d’Euros, plus de 20% du PIB), si le taux monte, les créances à moitié pourries deviendront vraiment pourries et l’Italie risquera un gros accident bancaire auxquels les pays ne pourront pas faire face en nationalisant. L’Etat peut alors décider « vous avez des sous à la banque – on vous les prend ». C’est ce qui s’est passé à Chypre. Pour éviter cela, on ferme les banques dans toute la zone Euro. Je vous conseille donc de sortir tout votre argent avant qu’il ne soit trop tard.

Voilà ce qui peut se passer. Attention ! Aujourd’hui il y a des risques importants dans le monde entier, vous avez des risques absolument pas valorisés par les marchés, des risques de faillites bancaires, de pays qui partent à la dérive. Vous avez aujourd’hui un vrai risque de vous faire barboter votre capital.

AV : Conclusion, il vaut mieux vivre à crédit.

OD : Non, il vaut mieux consommer ce qu’on a. Partez tous en vacances et claquez de l’argent !

AV : Merci Olivier, c’est la première fois que j’écoute un économiste pendant 40 mn sans voir le temps passer. Sans tarder, passons aux questions.

 

Les questions de l’assistance :

Je salue votre intervention et  garde mon optimisme. Ne convient-il pas de distinguer au sein de la dette, l’objet de la dette qui peut prendre la forme d’investissements, de recherche, de développement génératrice de croissance, de gain de productivité, en comparaison d’une dette de train de vie, de fonctionnement, et en même temps ne sommes-nous pas dans un nouveau dispositif de dette perpétuelle ?

OD : La plus grande partie de la dette publique est pour le fonctionnement, ce n’est pas de l’investissement. Pour faire un investissement rentable, il faut avoir une vision. Aujourd’hui quelle est la vision d’un homme politique ? C’est 5 ans, le temps de sa réélection. Il n’en a rien à faire de vos investissements.

Quant à l’investissement privé, il n’existe plus. Regardez ce qui passe aux Etats-Unis. Cette année les entreprises vont consacrer plus de 1000 milliards de milliards pour racheter leurs propres titres. C’est la conséquence des taux à zéro qui vous font prendre de mauvaises décisions, de toute façon vous ne risquez rien puisque l’argent est gratuit. Avec des taux à 5%, il faut réfléchir un petit peu : « Est-ce que ce projet dans lequel je vais investir va me rapporter plus de 5% ? ». Mais là vous n’en n’avez rien à faire, donc vous investissez bêtement et là on est au summum de la bêtise : racheter ses propres titres. Je ne vois pas aujourd’hui d’investissements qui vous apporteraient de la croissance. Mais restons optimistes. Moi-même j’ai trois sociétés et je n’ai jamais vu un entrepreneur qui ne soit pas optimiste !

 

Je voulais savoir si au gouvernement il y a des économistes qui préparent l’éventualité de la sortie de l’Euro ?

OD : Le ministre de l’économie, c’est M. Le Maire qui est incapable de faire un pourcentage. Il y a quelques jours, il a dit que les gens qui avaient investi 100 dans le Bitcoin se retrouvent avec 30, ils ont donc perdu 3 fois leur mise ! Interrogé il y a quelques années, quand il était ministre de l’agriculture, il n’a pas été capable de répondre à des journalistes qui lui demandaient ce qu’était un hectare ! Donc on part de loin et quand je vous disais que l’on est dirigé par des ânes, c’est vraiment çà. Alors, est-ce que l’on a des gens qui réfléchissent à la sortie de l’Euro ? Je ne crois pas parce qu’aujourd’hui, l’Euro est une religion. Simplement poser la question vaut d’être excommunié. Toutefois il y a quelques économistes qui travaillent sur ce sujet. L’un d’entre eux est l’économiste Jacques Sapir. Je trouve qu’il a maintenant une vision plus politique qu’économique. Pour lui, si on revenait aux monnaies nationales, on aurait 5% de croissance, une baisse du chômage de 5%, etc. et tout irait bien. Je n’y crois pas. Je pense que cela sera difficile parce que difficile à détricoter mais aussi parce que personne n’a travaillé dessus pour essayer de faire une sortie intelligente. Ce sera une sortie probablement incontrôlée, donc avec de la casse.

 

Votre exposé est brillant et parfaitement destructeur pour le monde financier. Vous êtes un peu le mécano de cette finance, peut-être n’êtes vous pas omniscient non plus. Je voudrais revenir sur votre conclusion qui m’a un peu choqué, peut-être que ce côté un peu jouisseur est une ultime provocation. Pouvez-vous prendre un peu de hauteur et de responsabilité? Aujourd’hui les limites, ce ne sont plus les limites de la croissance, ce sont celles de la planète. Aujourd’hui il y a un épuisement des ressources que vous ne pouvez pas ignorer.

OD : Claquer son argent est un peu rapide, c’est vrai. Ce que je veux vous faire comprendre, c’est que vous êtes dans tous les produits actuels : les produits bancaires, les produits d’assurance vie, les produits d’investissement, Codevi, PEL, tout cela, c’est de la dette. Votre argent est en risque. Si vous êtes en une seule monnaie, vous êtes en risque. Une devise est un actif comme un autre, qui peut monter, qui peut baisser et peut valoir zéro (voir le Venezuela).

 

Pouvez-vous revenir sur le système de création monétaire. L’Etat se finançant sur le marché privé ?

OD : Les intérêts d’une obligation, c’est votre rémunération pour le risque que vous prenez, c’est le risque de ne pas être remboursé. Personne n’achètera des obligations à 0%. En 2008, la crise est aussi venue du fait que les banques s’étaient couvertes deux fois. Elles avaient acheté des CDS pour jouer sur la dégradation de la dette alors qu’elles étaient déjà rémunérées pour çà par le taux. En Grèce on s’est retrouvé avec des taux de 15% et on demandait une rémunération supplémentaire.

Quand vous allez voir un banquier pour lui emprunter 1 million, il fait le pari que vous le rembourserez avec intérêt. Pour se couvrir, il va sur le marché interbancaire et demande à ses collègues banquiers de lui prêter de l’argent pour équilibrer son bilan. Donc si une des principales banques saute, par exemple en Italie, toutes les banques sautent, les banques systémiques : BNP, Société Générale, Deutch Bank, etc.

Vous avez un deuxième moyen de trouver de l’argent avec les banques centrales. Par exemple, l’Etat japonais (c’est-à-dire les Japonais) émet une dette, la banque centrale japonaise (toujours les japonais) l’achète en faisant tourner la planche à billets. Ce n’est pas le rôle des banques centrales. Je vous rappelle qu’à l’origine, elles ne devaient qu’ajuster les taux de crédit, maintenant elles se sont arrogées des privilèges exorbitants de créer de la monnaie, racheter des dettes, racheter des actions.

 

Je suppose que j’ai 10 000€ dans mon Codevi, j’ai un ami qui est entrepreneur, je sors ces 10 000€ pour les mettre sur le compte courant de l’entreprise de mon ami comme associé.

OD : C’est bien, j’espère que vous avez confiance dans les capacités d’entreprendre de votre ami et tout se passera bien. Vous avez aujourd’hui beaucoup d’investisseurs qui sortent de la bourse et qui investissent dans des entreprises réelles. Puisque les banques ne le font plus (faire un dossier de crédit, c’est compliqué, c’est risqué, ça prend du temps…), des investisseurs apportent des moyens plus ou moins importants. Vous pouvez acheter des actions ou prêter de l’argent sous forme d’obligations que la société vous remboursera avec un taux d’intérêt pour rémunérer le risque. Et c’est probablement aujourd’hui le plus intéressant, car à la Bourse vous pensez que vous confiez votre argent à un gérant, mais ce n’est pas vrai, vous le confiez à un algorithme. Cela n’a pas d’intérêt.

 

Je voulais savoir si pour amortir la chute hypothétique de l’Euro, il serait possible de créer une valeur sur la Blockchain qui serait adossée à une valeur physique ou pas.

OD : Oui, mais vous pouvez aussi ne pas le faire par la Blockchain, vous pouvez aussi acheter des pièces d’or. Actuellement vous avez en Suisse des initiatives sur des blockchains adossées à des jetons physiques en or.

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Aïda Valceanu : Merci Olivier Delamarche, nous vous remercions chaleureusement. Nous avons évoqué la transition énergétique et notre deuxième invité, Nicolas Meilhan va nous expliquer où nous sommes en 2018 et vers quoi nous allons.

Nicolas Meilhan est ingénieur à Paris et à Boston, ingénieur Crash dans le secteur automobile avant de devenir consultant en stratégie dans les domaines du transport et de l’énergie. Ses principaux domaines d’expertise sont la voiture électrique, la mobilité du futur, l’énergie du futur ainsi que la raréfaction des ressources. Il est conseiller scientifique auprès de France Stratégie et fait partie de la STO, Association pour l’étude du pic pétrolier. Donc quelle transition énergétique ?

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Intervention de Nicolas Meilhan :

Quelle transition énergétique ? Vaste question. C’est compliqué, en France, l’énergie c’est le nucléaire, point final.

Olivier vous a parlé de croissance, et là vous avez la croissance depuis 2000 ans :

 

Jusqu’en 1870, il n’y a pas eu de croissance. A partir de 1870, la courbe croît de façon exponentielle, fonction qui double à intervalles de temps réguliers. Par exemple entre 1972 et 1994, le PIB a doublé, idem entre 1994 et 2014 et, en toute logique entre 2018 et 2038 le PIB va doubler. Est-ce que le PIB va vraiment doubler et passer à 160 000 milliards $ en 2018 ?

Que s’est-il passé en 1870 ? L’avènement de la machine à vapeur qui a permis deux choses : le train et le bateau, tous les deux actionnés par la machine à vapeur alimentée par du charbon. C’est c’est la période de la première mondialisation des échanges. Cette courbe ascendante peut-elle continuer ?

Quelques rappels sur l’énergie :

Les médias parlent souvent des énergies renouvelables intermittentes qui représentent 2 à 3% des énergies consommées au niveau mondial. Mais l’énergie, c’est surtout du pétrole, du charbon et du gaz représentant 80% de l’énergie totale. Dans 20 ans, ce sera presque pareil, un peu moins de 75%, plus un peu de nucléaire représentant 4% du total mondial et les énergies renouvelables (les anciennes : le bois, l’hydraulique ; les nouvelles dont on parle en permanence : l’éolien et le solaire).

Les trente glorieuses correspondent à une forte consommation de pétrole.

La croissance des trente glorieuses a été principalement alimentée par le pétrole. La consommation de charbon décolle aux environs de 2000, correspondant au Protocole de Kyoto où il a été décidé de faire baisser les émissions de CO2. En toute logique, on a augmenté la consommation de charbon. Incroyable ! Avant Kyoto la consommation de charbon était limitée et après, avec les signatures de 195 pays, on n’a jamais fait une performance pire que ces années-là ? C’est aussi à ce moment-là que la Chine a rejoint l’OMC et que nombre de nos usines sont parties en Chine.

Tout le monde pense que le charbon est l’énergie du passé, c’est vrai en France où l’on utilise de moins en moins de charbon, mais chez certains de nos voisins, ce n’est pas forcément le cas.

Les Allemands ont fait le choix de sortir du nucléaire en considérant « Le nucléaire c’est dangereux, le charbon c’est sale ! On se débarrasse d’abord de ce qui est dangereux. » En 1998 quand Gerhard Schröder, pour gagner les élections, a eu besoin des 3% des voix des écologistes, il leur a promis la sortie du nucléaire. La décision de sortir du nucléaire sur 20 ans a été prise en 2002 et non pas en 2011 par Angela Merkel. Toutefois en 2005 la construction de 10 Giga W de nouvelles centrales à charbon a été décidée.

A gauche de la carte on est plutôt dans le vert – le jaune, à droite dans le foncé. En 2004, s’est produit l’élargissement du nombre des Etats membres et la décision de fermer des centrales à charbon dans la zone gauche et d’en installer dans la zone droite. C’était moins cher avec des personnes moins bien payées mais cela augmentait les émissions de CO2.

Retenez que l’industrie, c’est du charbon et que 95 % du transport, c’est du pétrole.

 

Pourquoi l’industrie consomme-t-elle tant de charbon (alors que c’est sale, que ça produit du C02, consomme de l’eau, émet des particules, de l’oxyde d’azote, de l’oxyde de soufre) ? Regardons les pays qui exportent : il y a une relation évidente entre l’utilisation du charbon et le niveau des exportations parce que le charbon n’est pas cher. On ne paye pas avec le charbon toutes les externalités comme la CO2, la pollution de l’eau et de l’air. La Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne consomment beaucoup de charbon, alors que la France est mieux placée en matière de pollution, toutefois il faut savoir que nous avons délocalisé une partie de nos usines dans des pays qui fonctionnent… au charbon.

 

Les émissions de CO2 comprennent les émissions locales, en Vendée, en France.

L’empreinte carbone, ce sont les émissions locales, desquelles on retranche les exportations et auxquelles on rajoute les importations.

Inventaire national, émissions de C02 en France : depuis 1995 moins 10%. Parfait.

Empreinte : avec nos importations en bleu foncé, ce n’est pas -10, mais +10% parce que l’on a simplement délocalisé nos émissions. En 2015, en France, plus de la moitié des émissions 55% sont importées de l’étranger. Quand les médias vous parlent du CO2, on vous parle toujours et seulement des émissions du territoire hors exportations (303 millions de tonnes équivalent CO2), jamais de votre empreinte carbone. Finalement on voit que depuis 2010, l’empreinte carbone baisse, on est sur une bonne pente, oui mais si on regarde de plus près :

A partir de 2015, année de l’Accord de Paris, nos émissions de CO2 ont recommencé à remonter chaque année. Le pays de l’accord de Paris n’est pas capable de montrer l’exemple ! Cela va être compliqué de demander aux autres de faire un effort.

Je vous ai dit que les émissions de CO2 avez baissé un peu grâce aux usines, au diesel.

Vérifions-le.

Les émissions de CO2 depuis 1990 dans le transport : +15%, le pire. Le résidentiel n’a pas trop bougé. Idem pour l’agriculture. L’industrie manufacturière : -40%, une partie est due à l’amélioration de l’efficience des usines, une autre partie est due à l’externalisation d’usines. L’industrie de l’énergie a baissé aussi en fermant les centrales au fioul et au charbon. Moralité, aujourd’hui on délocalise, demain si on veut sauver la planète, on doit relocaliser !

Mais rassurez-vous, tout le monde fait pareil ! Depuis 2000, 20% des usines sont passées des pays riches aux pays pauvres, cela ne s’était jamais vu à ce rythme-là.

Nous avons parlé du charbon, je vais vous parler maintenant de pétrole. L’énergie des transports est le pétrole, à 95%. Pourquoi n’êtes-vous pas venus en voiture électrique ? Uniquement parce que dans 1 kg de pétrole, il y a autant d’énergie que dans 100 kg de batterie. Et aujourd’hui, on n’a jamais fait mieux, à part l’uranium, pour stocker autant d’énergie dans un encombrement aussi petit. A titre d’exemple, avec 50cl de pétrole, notre voiture peut parcourir 10 km.

Est-ce que le pétrole coûte cher ? Hormis les taxes qui se rajoutent, il est moins cher qu’un litre d’eau puisqu’il coûte moins de 50 centimes du litre.

Bien que le pétrole ne soit pas cher, il représente un coût important pour les Français, puisqu’il recouvre 80% de notre déficit commercial. A partir de 2011, le déficit commercial a baissé parce que les produits manufacturiers et agricoles ont baissé, puis à partir de 2014, c’est le prix du pétrole qui a baissé alors que les produits manufacturiers n’ont cessé de remonter. En 2017, nous avons battu notre record de déficit commercial sur les produits manufacturiers : – 40 milliards d’Euros. En 2018 le prix du pétrole a augmenté et dans les années qui viennent, il y a peu de chance qu’il baisse à nouveau. Cela fait 15 ans que la France est en déficit.

Ce serait bien que l’on utilise moins de pétrole. Ce n’est pas un problème franco français selon la courbe suivante où sont représentés les soldes commerciaux de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie.

On achète tous de l’énergie et on a la même problématique que ces pays-là. Là où ça change, c’est dans le solde des produits manufacturiers. Nous, cela va de moins en moins bien, avec un record d’Europe. L’Espagne, bon an mal an, se tient, l’Italie présente des chiffres incroyables ! Il manque les années précédentes pendant lesquelles Matéo Renzi a fortement comprimé la demande, la consommation, donc les importations. Le solde du graphe n’étant que la différence des exportations et des importations, ici il devient positif. L’économie italienne va très très mal. L’Allemagne va bien, elle est le plus exportateur net mondial, devant la Chine.

A qui achète-t-on ce pétrole ?

20% du pétrole est acheté à l’Arabie Saoudite, à qui nous vendons par ailleurs des armes, qui seront peut-être mises entre les mains d’enfants… Mais on ne peut pas tout contrôler !

Quand le pétrole était à 100$, cela nous coûtait 50 milliards d’Euros d’achat de pétrole, soit 10 milliards d’Euros à l’Arabie Saoudite qui consacre 8,8 milliards € à l’expansion du wahhabisme dans le monde.

Reste-t-il encore beaucoup de pétrole ?

 

 

 

Il reste des quantités quasi infinies de pétrole. Le problème, c’est combien ça coûte d’aller le chercher et est-ce que l’on dispose de la technologie pour aller le chercher ? Nous devons maintenant aller le chercher dans des endroits de plus en plus difficiles, en profondeur, dans l’eau, aux Etats-Unis dans des roches mères, au Canada dans du sable, en Arctique… Ce qui augmente son prix.

On a constaté que lorsque l’on dépasse le prix de 120$ le baril, la demande de pétrole diminue parce que les gens n’ont plus le moyen de se le payer. Par conséquent, le prix rebaisse. Donc on prendra le pétrole sous les 150$ et le reste restera sous nos pieds.

En reste-t-il beaucoup du pétrole à 150$ ?

En 2005, la production de pétrole a connu un plateau, celui du 1°pic pétrolier, du pétrole conventionnel, facile à extraire. Depuis quelques années, la production de pétrole est repartie à la hausse, en particulier aux Etats-Unis et Canada.

Le pic du pétrole va-t-il arriver un jour ?

Ce graphe est la comparaison de la production de pétrole en 2005 et en 2018. Tous les pays à gauche, du Mexique à l’Equateur, ont perdu de la production de pétrole. Ceux à droite ont gagné en production de pétrole. Et deux pays ont plus que compensé le déclin, ce sont l’Irak et les Etats-Unis.

En 2002, c’était la guerre en Irak et à défaut de trouver des armes de destruction massive, les Américains ont trouvé du pétrole. L’Irak depuis 2003 a multiplié sa production de pétrole par 3. Mission accomplie ! Comme disait George Bush.

Quand la production commencera à baisser, nous pourrons célébrer le pic du « tout pétroles ». Mais à partir de ce moment-là, tout risque de s’enchaîner. Ci-dessous la publication du Club de Rome en 1972 qui anticipait, entre 2010 et 2030, sur une contrainte de disponibilité de ressources. Que se passe-t-il au regard du tableau ci-dessous ?

Sur ce tableau, on voit le monde dans lequel nous arrivons dans les prochaines années. Mais tout espoir n’est pas perdu car nous avons lu Jeremy Rifkin, la 4° révolution industrielle et les énergies renouvelables couplées avec la méthanation de l’hydrogène vont nous sauver. Peut-être, peut-être pas ! Car finalement au Moyen Age on était bien 100% renouvelable, pas de pétrole, pas de gaz, pas de charbon, mais on était un peu moins nombreux et on consommait un peu moins.

Peut-on revenir aux 100% énergies renouvelables ? Quand on sera un peu moins nombreux et qu’on consommera un peu moins !

Là vous avez la part des énergies renouvelables dans la consommation de chaque pays du monde. Quand vous avez beaucoup de lacs, de forêts, quand vous êtes assis sur une faille sismique et à condition de ne pas être trop nombreux comme en Islande, en Norvège, au Costa Rica, c’est super. Par contre, les gros pays avec 5 à 20% de renouvelable, comment font-ils pour atteindre les 100% ? C’est facile, soit on fait 5 fois plus, soit on consomme 5 fois moins, ou un peu des deux.

Si dessous une projection faite par BP :

En 2035, les énergies renouvelables ne représenteront que 8% du total, loin de l’objectif !

Une autre projection, avec l’hypothèse : demain plus de pétrole, plus de gaz, plus de charbon, on fait comment ? On est 8 milliards de personnes consommant chacune 2,5 tep (tonnes d’équivalent pétrole)/an, ce qui nous amène au schéma suivant :

En maximisant toutes les types d’énergies renouvelables, on arrive à 7 tep sur 20, soit 1/3 du total.

Donc les 2/3 restant, il falloir les chercher ici :

En vélo, avec votre pull ! Comme tout le monde, on n’aura pas le choix et on fera la sobriété énergétique qui est la seule solution qui nous sortira d’affaire.

On peut aussi faire de l’efficacité en prenant un vélo électrique parce que c’est de l’efficacité qui n’a pas d’effet rebond. Souvent l’efficacité, c’est de vous rendre le même service mais en consommant moins, le problème est que cela nous coûte moins cher et qu’en conséquence on l’utilise plus. Uber est un exemple de l’effet rebond. Avant Uber vous n’utilisiez pas les taxis parisiens car c’était une expérience horrible, après Uber vous prenez plus souvent la voiture car c’est très sympa d’avoir un chauffeur attentionné.

Pour finir, quelle transition énergétique ?

Je vais sous dire ce qu’il ne faut pas faire. C’est juste ce que l’on a fait depuis 15 ans, par exemple l’industrie, les usines des pays rouges de l’Europe de l’Ouest (fort coût de main d’œuvre) ont été transférées dans les pays verts, de l’Est. Par exemple, on a fermé deux usines d’assemblage de voitures en Europe de l’Ouest, et on en a ouvert 11 en Europe de l’Est. Avec cette transition on a fait moins d’emplois, plus de CO2 et plus de déficit commercial. On a donc tout faux !

La transition énergétique de demain, ce sera une transition où l’on aura plus d’emplois, moins de CO2 et essayons d’avoir un peu moins de déficit commercial.

 

Les questions de l’assistance :

Je suis un peu déçu par votre exposé car on a tous bien compris que le renouvelable n’allait pas assez vite et assez loin, mais je n’ai entendu aucune proposition. Que faudrait-il faire en France pour aller beaucoup plus vite ?

NM : En fait, la question est : Est-ce que l’on veut aller plus vite et pour faire quoi ?

Ma position personnelle est qu’il n’y a aucun pays au monde qui dépend autant d’une seule source d’énergie que la France. Dépendre à 75% d’une seule énergie n’est pas une bonne gestion. Nous aurions intérêt à diversifier notre électricité. En France, nous sommes enfermés dans nos vielles centrales nucléaires car elles émettent le moins de CO2 et on a un potentiel éolien important sur nos côtes. Mais développer l’éolien c’est une bonne chose, mais le jour où il n’y a pas vent, comment fait-on ? Il faut en parallèle développer des centrales à gaz à cycles combinés. Mais en France, il y a des écolos qui sont à la fois contre le nucléaire, pour l’éolien et contre le gaz. Ça ne marche pas !

Je suis pour un mix plus équilibré avec, par exemple, 40% de nucléaire, 30% d’énergies renouvelables, 30% de gaz et diviser notre consommation par deux. Mais malheureusement cela ne marche pas en France car il faut être soit pro nucléaire, soit pro renouvelable, soit pro gaz de schiste. On ne peut pas faire les deux ou les trois.

En 2013 le Royaume Unis produisait 35% de l’électricité avec du charbon, cinq ans plus tard elle n’utilise plus de charbon. Le Royaume-Unis a réussi l’équilibre avec le gaz (de schiste ou non), le nucléaire et le renouvelable (l’éolien offshore). Cette discussion est impossible en France. Je suis donc pour une diversification, mais attention en augmentant le nombre de centrales à gaz, nous augmentons notre production de CO2. En face, le nucléaire n’émet que 5% de CO2. On a la chance de n’avoir jamais eu d’accident nucléaire.

Il y a aussi un enjeu coût. Les Allemands aujourd’hui ont 40% de charbon, 30% d’éolien et solaire, mais nous payons 15 centimes le kWh, eux le payent 30 centimes. Sommes-nous d’accord pour payer le double qu’aujourd’hui ?

Le vrai débat que l’on devrait avoir concerne notre consommation. Aujourd’hui nous consommons 100, comment fait-on pour consommer 50 ? Après on verra si on peut fermer nos vieilles centrales nucléaires, si on fait du renouvelable, si les gens sont prêts à payer plus cher tout cela.

Pour mémoire les Allemands émettent deux fois plus de CO2 que nous. Je pense que le CO2 n’intéresse que deux lobbies : les pro diesel et les pro nucléaire.

Le Protocole de Kyoto a été signé par l’ensemble des pays sauf un, les Etats-Unis. Enfin, ils l’ont signé mais pas ratifié. Or les Etats-Unis est le pays qui a le plus baissé ses émissions de CO2 entre 2005 et 2013. Surprenant ! Entre Emmanuel Macron qui signe le traité de libre-échange avec le Canada, avec le Japon, avec tous les pays, et Donald Trump qui met des protections pour relocaliser la production chez lui, lequel concrètement fait baisser les émissions de CO2 et lequel nous envoie dans le mur ?

 

Vous parliez de l’éolien en mer, c’est une source de production importante. On a aujourd’hui un réseau pas forcément très performant et qui milite pour éviter les pertes en ligne. On a un pays qui a de l’eau et du relief et on ne parle pas beaucoup de l’hydro. En tant que producteur, je connais bien le sujet, on trouve que c’est aujourd’hui très compliqué soit d’augmenter sa production, soit de trouver de nouveaux sitex de production, non pas pour des problèmes techniques mais pour des questions administratives. Quel est votre avis sur la question ?

NM : Avant qu’Emmanuel Macron vende nos bijoux à Engie, nous étions le champion du monde de la houille blanche, développée il y a une centaine d’années. Pour toutes énergies renouvelables, les projets sont soumis à de longs délais administratifs.

Pourquoi ne sommes-nous pas 100% renouvelable dans l’électricité ? L’électricité se transporte assez bien, mais se stocke très mal. Comment font les Allemands ? Quand il y a trop de soleil ou trop de vent et qu’il n’y a pas assez d’industries qui tournent, soit ils coupent des centrales mais il faut quand même payer le producteur, soit ils stockent chez les voisins ? Ils envoient l’énergie en Pologne, en Hongrie, en France. Mais quand ces pays se seront développés, les Allemands ne pourront plus utiliser ce surplus d’électricité et il se passera un blackout. Il est indispensable que le sujet soit discuté et coordonné au niveau européen. Il est largement temps que les pays se parlent plutôt que d’entreprendre des stratégies chacun de son côté. Par exemple, le Danemark produit beaucoup d’électricité avec l’éolien et quand il y a trop de vent, ils envoient l’excédent d’électricité en Norvège pour pomper de l’eau dans leurs barrages. Il faut en discuter, élever le débat et avancer !

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Aïda Valceanu : Merci beaucoup Nicolas. Nous entrons dans la dernière partie, celle de la géopolitique avec Philippe Béchade, président et cofondateur des Econoclastes, rédacteur en chef de la chronique Agora, plus de 2105 chroniques à votre actif, correspondant de BFM et chef d’entreprise, vous allez nous synthétiser les enjeux géopolitiques et nous parler de la fameuse route de la soie dont on parle de plus en plus.

 

Intervention de Philippe Béchade :

Les enjeux géopolitiques sont des enjeux économiques et des enjeux de contrôle et de maîtrise de l’approvisionnement énergétique. L’histoire des Etats-Unis depuis 1850, ce n’est presque que cela. C’est une problématique que tentent de résoudre toutes les grandes puissances, la Chine, 1° puissance industrielle représentant 16,5% de la production mondiale pour 16,3% pour les Etats-Unis. L’Europe représente plus que ces 16,5% mais il n’y a pas véritablement d’unité dans ce bloc hétérogène. Depuis l’avènement de M. Xi Jinping, en 2014, celui-ci parle beaucoup à ses voisins. M. Xi Jinping a un projet, une expression, « le rêve chinois ». Le projet de M. Xi Jinping, c’est une Chine qui commerce avec le monde entier et plus particulièrement avec ses voisins, et puis c’est une Chine qui cherche à sécuriser ses approvisionnements en énergies, en matières premières. Et voilà que les néoconservateurs américains ont décidé de jeter M. Poutine dans les bras de M. Xi Jinping. Pour réaliser son projet, il a besoin d’énergies et la Russie en a puisqu’elle est 1° producteur mondial, ex aequo avec l’Arabie Saoudite et les USA. Le gaz, la Russie en produit beaucoup et on n’a pas besoin de le comprimer pour le livrer. Il y a aussi le Pakistan qui possède des matières premières qui intéressent beaucoup la Chine.

Cet été, j’ai parcouru 7000 km de la route de la soie. Celle d’origine est tracée en vert, ci-dessous. Elle passe par le nord du Pamir et la Mer Noire. Aussi ancienne, il y a celle passant par le Pamir et des cols à plus de 5000 m, puis par l’Afghanistan, l’Iran et la Turquie.

On trouve aujourd’hui que la Chine, la Russie, l’Iran, ont l’air de fonctionner plutôt bien. Une nouvelle voie ferrée passe maintenant par l’Iran. La route de la soie ferroviaire vient d’être achevée, depuis 1 an. Après l’Iran, cette voie se prolonge jusqu’en Turquie.

Cette route de la soie fonctionnait très bien en 250 après JC avec l’Empire romain, mais aussi avec Alexandre le Grand et l’empire macédonien. La route de la soie fonctionne depuis 2400 ans et les Chinois en ont tiré beaucoup d’enrichissements.

Proches du terrain, les Econoclastes voyagent beaucoup et sont spécialistes de tel ou tel pays

Regardons quelques photos :

L’habitat en Chine :

Ici une ville nouvelle qui a la particularité d’être le point le plus éloigné de toute mer, capitale du Xinjiang, qui compte 1,2 million d’habitants en 2012 et 6,5 millions en 2018.

Pour loger les gens, on construit de très grandes villes, dans le désert, au milieu de pas grand-chose, avec des besoins en énergie. Ce parc d’éoliennes qui fait 300 km comprend 12 000 éoliennes, aujourd’hui pas encore toutes raccordées.

De l’énergie, c’est aussi de l’essence et du gaz (sur la photo de droite, un système de détente de gaz liquéfié arrivant par pipeline) :

Le Xinjiang est le premier producteur de pétrole chinois, muni d’une multitude de puits de pétrole. Sa production de pétrole a quadruplé en l’espace de 10 ans.

Le long d’une voie ferrée servant au transport du pétrole sont plantés des peupliers, sur 2000 km, mais aussi autour des villes et même en dehors de toute ville pour attirer les Chinois vivant dans les grandes villes modernes chinoises comme Pékin, Shangaï…

Sur une vingtaine d’années, les Chinois ont planté 2 milliards de peupliers !

 

Chantier de l’autoroute longeant la voie ferrée de la route de la soie.

Ici, nous voyons la Muraille de Chine et une centrale nucléaire refroidie avec l’eau acheminée des montagnes situées à une centaine de km :

Là il s’agit du TGV traversant maintenant l’intégralité de la Chine, d’est en ouest :

Le TGV traverse l’intégralité de la Chine, d’est en ouest. Il s’arrête dans des petites villes de 50 000 personnes car il en est prévu 2 millions dans trois ans.

Toutefois il y a aussi de très jolis panoramas en Chine, et ici dans la région du Pamir :

Les camionneurs empruntent les cols en direction du Pakistan, alors que le TGV passe plus au nord vers le Kazakhstan et l’Iran.

 

Faisons un peu de géopolitique maintenant. Je vous ai montré la Chine installant 12 000 éoliennes en 10 ans. Il faut savoir qu’elle a installé la moitié des éoliennes sur toute la planète au cours de ces cinq dernières années.

Qu’est-ce que la géopolitique ? C’est Trump qui dit « Les Chinois nous ont assez arnaqués, l’Europe nous escroque ». Donc l’Amérique va faire exactement le contraire de ce que propose M. Xi Jinping, se replier sur soi, imposer des barrières douanières, taxer les autres. La Chine a le projet totalement inverse : associer tous les pays voisins à la route de la soie, au transport de marchandises. La Chine a un modèle depuis 2400 ans, c’est en commerçant qu’on s’enrichit. Donald Trump a publié il y a une quinzaine d’années un livre qui s’appelait « L’art du deal ». Il écrit être convaincu de mettre la Chine à genou, alors que celle-ci a un modèle qui fonctionne depuis 2400 ans !

La Chine fait donc du commerce avec ses voisins depuis 2400 ans et a d’ailleurs inventé la carte de crédit. Les caravaniers ne transportaient pas d’argent mais des marchandises. Ils étaient payés à l’arrivée par leurs mandataires mais pour se nourrir, d’étape en étape, ils présentaient une tablette créditée avant leur départ. A chaque étape on cochait cette tablette donnant droit au gîte et au couvert. La tablette était la preuve que leur mandataire avait bien payé et paiera chaque hôtel, chaque restaurant. L’argent ainsi circulait de la Chine à d’autres contrées lointaines. Le commerce s’enrichissait sans taxe, sans droit de douane. Si la Chine avait décidé de taxer les produits, cela aurait pu donner l’idée à d’autres pays de taxer les produits chinois. Cela aurait réduit la fluidité du commerce.

Donc la Chine a passé 2400 ans à nouer des partenariats commerciaux et au XV° siècle, elle a ouvert une nouvelle route de la soie maritime, qui est aujourd’hui la principale. Les marchandises chinoises transitent vers les pays occidentaux sur des super conteneurs.

Aujourd’hui, l’essentiel des marchandises passent par la mer, mais grâce au rétablissement du lien terrestre, la Chine veut éviter que la 6° flotte américaine vienne faire le blocus des côtes du sud de l’Asie. Les Etats-Unis et la Chine ont là aussi une philosophie différente. La Chine n’a jamais envisagé de bloquer les routes maritimes vers l’occident, en revanche les Etats-Unis pourraient un jour mettre la pression en bloquant le détroit de Malacca, sait-on jamais.

Les Américains ont 850 bases militaires à l’étranger, avec souvent l’assentiment de ceux qui les hébergent. Ça ne fait pas beaucoup de commerce mais ça fait de la présence. Les Chinois eux n’en ont aucune, excepté à Djibouti. C’est une grande nouveauté. Toutes leurs forces militaires étaient distribuées autour de la Grande Muraille dont l’utilité était avant tout d’empêcher toute forme d’invasion et qu’on vienne leur piquer leurs marchandises. Par contre il y a une diaspora chinoise répartie dans les 850 plus grandes villes du monde. Celle-ci importe des produits chinois, tandis que les importations de produits américains en Europe représentent peu de chose. Et si on considère l’Iran ou la Russie, le fait qu’il n’y ait pas de produit américain distribué dans ces pays-là, a peu d’importance car tout vient de Chine. Avec les sanctions contre de la Russie, on voit la formation d’un énorme bloc parfaitement cohérent où la Russie fournit de l’énergie à la Chine, qui se sert de cette énergie pour fabriquer des biens qu’elle distribue dans le monde entier, des biens qui permettent à l’Iran de se ficher complètement de l’embargo américain. La seule chose qui les coince, c’est que sans le dollar, ils sont contraints économiquement, ils n’ont pas accès au crédit. Que les Etats-Unis ne soient plus dans la boucle ne gêne pas du tout.

Depuis quelques années, s’opère un basculement vers l’Asie qui crée un super ensemble parfaitement cohérent, autonome énergétiquement, quasi autonome en termes de matières premières, et la Chine détient, en plus de cela, le monopole des terres rares. Il se joue un jeu entre la Chine et les Etats-Unis. La Chine a une seule déficience concernant la fabrication des semi-conducteurs, et non pas leur assemblage. Les Etats-Unis ne peuvent pas décréter de ne plus livrer de semi-conducteurs à la Chine, car ces semi-conducteurs ont besoin de terres rares et c’est la Chine qui en a le monopole. (Les terres rares sont un groupe de métaux aux propriétés voisines utilisés dans la fabrication de matériel de haute technologie.  NDLR).

  1. Trump a bien engagé le bras de fer avec la Chine, lui avec son petit bouquin « L’art du deal », et les autres, en face, avec leurs 2400 ans d’expérience des deals commerciaux. Je vous laisse deviner qui va gagner ce bras de fer commercial, je pencherais plutôt pour la Chine.

Je vais donc parler aussi de son allié, la Russie. Allié maintenant militaire puisqu’il y a des manœuvres communes entre la Russie et la Chine, voire des war games, avec du matériel et des simulations électroniques.

L’autre point chaud aujourd’hui est celui entre la Chine et la Turquie, aboutissement de la route de la soie. La Turquie fait partie des très gros sous-traitants de l’Europe comme les pays de l’Est. M. Erdogan a de grosses ambitions, recréer l’ancien Empire ottoman qui a été démantelé après la première guerre mondiale. Celui-ci englobait la Syrie, le Liban, une partie de la Jordanie. M. Erdogan ne veut pas recréer la totalité de cet Empire, mais la partie de la Syrie qui produit du pétrole l’intéresse beaucoup.

Il reste une petite poche de rebelles à Idlib qui devait être la scène d’une catastrophe humanitaire. Alors MM. Erdogan et Poutine ont convenu de chercher un règlement politique pour qu’Idlib soit libéré des rebelles sans qu’il y ait trop d’effusion de sang. M. Erdogan souhaite, par ce biais, limiter le nombre de réfugiés supplémentaires en Turquie. On voit que MM. Erdogan et Poutine se parlent. La Turquie accepte tout à fait que la Russie fasse un deal avec l’Iran, que l’Iran soit dans cette coalition russo-syrienne qui a reconquis la presque totalité du territoire syrien avec l’aide de l’Iran. M. Erdogan s’est fait à cette réalité et accepte de revoir ses ambitions à la baisse et renoncer au pétrole du Kurdistan, même si le Kurdistan demeure un objectif constant de la Turquie depuis des décennies.

Donc sur le plan géopolitique, nous voyons un affrontement économico – presque militaire entre la Chine et les Etats-Unis, un grand bloc asiatique qui englobe également l’Iran et la Turquie, des pays complètement ostracisés par les Etats-Unis.

 

Les questions de l’assistance :

Il y a des tensions sur la monnaie, sur l’énergie et sur le plan géopolitique. Quel avenir pour les jeunes dans tout cela ?

Pour l’instant c’est difficile de faire la part de « Qu’est-ce qu’on risque au niveau géopolitique ? Est-ce que l’on peut avoir un nouvel embrasement au Proche Orient ?». Le principal risque est que l’Israël décide de s’en prendre à l’Iran. On sait que les Américains de Trump et les néo conservateurs sont prêts à accompagner l’Israël dans ce genre d’aventure, mais les conséquences paraissent tellement potentiellement catastrophiques que l’on va j’espère rester raisonnables. Il y a eu une grosse alerte il y a une dizaine d’années. Israël était prêt à bombarder l’Iran. In extremis Georges Bush a bloqué l’opération. Cette menace existe et elle peut revenir.

Un conflit entre les Etats-Unis et la Chine n’est pas tout à fait impossible sur des théâtres localisés comme les Iles Spratleys que les Chinois ont complètement annexées en s’asseyant complètement sur le droit international. Les Iles Spratleys sont des petits ilots coralliens que les Chinois ont équipés de pistes d’atterrissage, de ports militaires, de bases et ils considèrent maintenant que ces ilots font partie de la terre chinoise. Les Américains pourraient décider de contester cette position.

La Corée du Nord, c’est une évidence. M. Trump prétend reprendre les négociations mais sans l’aide de la Chine, je ne vois pas comment cela peur aboutir d’une façon ou d’une autre. Le premier ministre sud-coréen, lors de sa visite en Corée du Nord, a reçu un accueil triomphal, mais il n’y a pas eu d’accord pour dénucléariser la Corée du Nord. C’était une belle fête. Pas plus !

Si M. Trump continue d’insulter et de traiter les Chinois d’escrocs, je doute que M. Xi Jinping fasse la pression nécessaire pour que M. Kim Jong-un accepte de discuter et accède aux demandes américaines de dénucléariser la Corée du Nord. Je ne suis pas sûr que cela puisse arriver car si M. Kim Jong-un a répété qu’il ne construirait pas de nouvelles usines ni de nouveaux pas de tir de missiles, il ne va tout de même pas démanteler les bombes.

Ça c’est le risque géopolitique. Quant au risque économique, Olivier l’a bien décrit, la bombe à retardement majeure, c’est la dette et c’est une dette qui ne fait peur à personne. Il y a une raison technique pour laquelle la dette ne fait pas peur. La mesure du risque, le VIX, est au plus bas historique. Le VIX évolue entre 15 et 19, et quand il dépasse 25, on est dans une sale période. Actuellement il est entre 12 et 13, avec un encours de dette qui est le plus important de l’histoire de l’humanité !

Et plus fort encore par rapport à 2008, le stock de dettes à risque intéresse fortement les gérants, les fonds de retraite, car ce sont celles qui rapportent. Ils se les arrachent. Quand on regarde la demande de dettes à risque, on évalue donc s’il y a du stress ou pas, s’il y a une forte demande. Et il y a une forte demande, donc la jauge du risque est extrêmement basse, historiquement basse. Qu’il y ait le moindre souci et ces dettes à risque vont se transformer en dettes faillite, c’est-à-dire non remboursées comme on l’a connu en 2008. En 2008 on n’avait pas peur non plus des dettes parce qu’on était couvert. Il y avait, d’une part, des agences de notation qui notaient le risque associé aux des dettes subprime et elles leur accordaient le meilleur niveau, triple A. On décidait que le risque était de zéro. Quant aux sceptiques qui voyaient des choses bizarres (des maisons construites sans personne dedans, des maisons saisies) ils ont acheté des CDS (ces Credit Default Swap sont des produits dérivés qui jouent le rôle d’assurance. Ils permettent de se protéger contre le non remboursement d’une dette. NDLR) Ils se sont dit « On va se couvrir, on va acheter une assurance, puis beaucoup, puis beaucoup, presque l’équivalent du risque à couvrir ». Puis le jour où les CDO (Collateralized debt obligations, un type de dérivé de crédit ; ce sont des obligations sécurisées par un ensemble d’actifs (en général de 100 à 250) et notamment des crédits de type subprime. NDLR) le jour où les CDO se sont effondrés, on a fait jouer les assurances. C’était facile. Mais les assureurs n’avaient pas l’argent nécessaire. En 2008, il n’y avait personne pour payer l’assurance. Et aujourd’hui en 2018 nous sommes dans la même situation, on n’a plus de CDS sur les mauvaises dettes mais on a le VIX, on se couvre contre la bulle boursière, on achète des contrats de volatilité, c’est-à-dire que si la volatilité commence à grimper, on fera jouer cette assurance et on récupèrera l’argent qu’on perd sur les actions, sur les obligations dont les cours vont commencer à plonger. Qui vous vend cette assurance, cette prime à faire jouer si d’un seul coup les actions baissent et que on peut se faire rembourser ? Qui vous assure ?

 

Aïda Valceanu : Voilà, ce sont vos exercices pratiques à réaliser au terme de cette conférence ! Merci beaucoup Philippe Béchade pour votre brillant exposé. Merci à tous pour votre patience qui n’a pas faibli pendant 3 heures. Merci au CERA et à l’OESTV qui ont permis cette soirée. Merci aux Éconoclastes.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière

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