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Internet, blogs, journaux gratuits, pipolisation, scoops… Quel journalisme demain ?

Compte rendu de la Rencontre du CERA du vendredi 30 novembre 2007

 

Face à la multiplication des techniques et des sources de communication, quelles sont aujourd’hui la qualité et la fiabilité de l’information qui nous parvient ?

 

Débat

Albert du ROY

4 grandes raisons expliquent la décrédibilisation du système informatif en France aujourd’hui :
Problème de l’indépendance de la presse

– Difficulté pour les médias d’être totalement indépendants vis-à-vis de l’Etat, soit parce qu’ils relèvent du service public, soit qu’ils sont dépendant de grands groupes industriels qui les financent (Bouygues, Lagardère, Dassault), dont l’activité dépend en partie de marchés publics. Ces liens jouent dans le ressenti des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.
– Etroite dépendance des titres aux marchés publicitaires. En témoigne la confusion grandissante visible entre rubriques commerciales et informatives.
– Les directions de communication des entreprises sont devenues extrêmement pointues et performantes ces dernières années. Elles disposent de moyens importants pour COMMUNIQUER. Les rédactions manquent de moyens pour s’aligner sur cette communication tout en gardant leur vocation d’INFORMER.
– Endogamie entre politique, patronat et journalisme qui créé des contacts et une connivence permanente (mêmes études, mêmes relations, mêmes restaurants,…)

 

Concurrence

– Mauvaise maîtrise de la concurrence. Compétition exacerbée pour l’audience, qui concerne autant la presse écrite que la télévision. Pour s’aligner dans cette course à l’audimat, les médias se laissent tenter par les infos les plus « vendeuses », qui ne sont pas forcément les plus importantes et les plus intéressantes.
– Plus de monopole depuis peu : liberté des ondes radiophoniques depuis seulement 1982.
– L’abondance et la rapidité avec laquelle on souhaite disposer de l’information ne sont pas une bonne chose. Précipitation et approximation en découlent.
– La hiérarchisation de l’information peut être faussée par une concurrence exacerbée. Ce qui soulève la responsabilité des « consommateurs » qui sont des citoyens de base. Ce sont les journaux people, les journaux télé et la presse féminine qui sont les plus lus…

Contestation des médiateurs et intermédiaires

Il existe en France une légitimité présidentielle et une légitimité parlementaire (Assemblées). La première a « écrasé » aujourd’hui la seconde. La démocratie représentative a nettement baissé. Nous sommes dans un système de démocratie directe, en « lien direct » avec le Président de la République puisque nous sommes en mesure de l’élire directement depuis 1965. Les intermédiaires, dont les journalistes font partie, ne semblent dans ces conditions plus autant nécessaires.

– Le leurre de l’information sur Internet :
– Chaque citoyen, grâce à Internet, pense qu’il peut avoir accès à toutes les informations. Pour autant, il ne peut pas être certain que ces informations sont exactes. Les images notamment peuvent être trafiquées : manque de crédibilité des sources. Et les médias, en France, rechignent à reconnaître qu’ils ont diffusés de fausses informations.
– Même sur les sites des grands quotidiens régionaux, nous cherchons un ou des secteurs qui nous intéressent particulièrement. D’où une individualisation de la recherche d’informations, qui a une incidence sur la dimension de responsabilité citoyenne. Un journal papier présente toutes les rubriques, le lecteur dispose d’une information ouverte, d’une vue globale des sujets, qui peuvent le conduire à porter sur le monde un regard que sa recherche individuelle limite.

 

Jean-François KAHN

Nous sommes dans un formidable remaniement du monde. Passage du capitalisme au néo-capitalisme, du libéralisme au néo-libéralisme.

Les médias répercutent cette crise cataclysmique : si l’on appliquait les règles de l‘économie de marché aux médias, ils devraient tous fermer.

 

Pourquoi compte-t-on aujourd’hui de moins en moins de lecteurs ?

– réduction des points de vente (passés de 33000 à 21000), à mettre en relation avec le processus de désertification national,

– concurrence de la presse gratuite (Métro, 20 mn,…) et d’Internet.

 

La publicité occupe toujours plus de place. On en arrive à un constat plus que regrettable : il devient plus intéressant d’avoir de la publicité que de vendre ses journaux.

Les hebdos offrent de plus en plus de cadeaux à leurs abonnés (montres, calculettes, mini-chaînes – qui ne fonctionnent généralement pas…) Par cette surenchère, on en vient à acheter le client !

Pour qu’un journal soit indépendant, il doit gagner de l’argent. S’il dépend de l’argent des autres, il n’est plus indépendant. Or aujourd’hui, presque tous les journaux perdent de l’argent.

Pour cette même raison, les journaux ne peuvent plus prendre le risque de perdre des lecteurs. D’où la préoccupation de ne pas les décevoir, de ne pas les contrarier.

Aujourd’hui, il existe beaucoup moins de journaux, et par conséquent moins de sensibilités, d’échanges, de diversité d’opinions et de pluralisme, de stimulation des médias entre eux.

On constate d’autre part globalement un appauvrissement culturel du lectorat, qui entraîne la nécessité de quitter la « belle écriture » pour être lu par un public de jeunes. Certaines références n’étant plus connues, il convient de ne plus les utiliser.

La pensée journalistique est de plus en plus manichéenne, suivant le clivage gauche / droite. On raisonne en bons et méchants. Ce qui est absurde. La fonction première du journaliste est de dire ce qui se passe et non d’affirmer ce qui répond à ses convictions. Toutefois, je reste assez optimiste. Les moyens de communication se développent toujours plus mais l’un ne remplace pas l’autre. Le cinéma n’a jamais pris la place du théâtre, la télé celle du cinéma et Internet la place de la télé.

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Extraits des questions-réponses :

Qui et que croire ?

Albert du ROY 

Il y a de bons journaux en France. Il existe le moyen d’être bien informé mais cela demande de la part des lecteurs un esprit critique à l’égard de leur propre journal. Ouest France (1° quotidien régional) et le Télégramme de l’Ouest sont de bons quotidiens régionaux. L’ouest breton et l’est alsacien ont des journaux de qualité. Or ce sont deux bonnes régions citoyennes. Un lien est probablement à établir entre ces deux faits.

L’idéal est de ne pas se contenter d’un seul journal. Il est souhaitable d’aller consulter certaines infos sur des sites par exemple, même si l’on n’est pas en accord avec les convictions de ces organes de presse.

 

Jean-François KAHN

Il faudrait enseigner dans les écoles comment lire un journal et affûter l’esprit critique des jeunes à leur égard.

Il ne faut pas hésiter à lire, réagir, écrire, téléphoner, dire son point de vue, que l’on soit d’accord ou pas avec le discours proposé.

Le philosophe E. Kant faisait une différence entre « les choses pour soi et les choses en soi ». On peut rapprocher cette idée du point de vue du journaliste qui ne peut être totalement objectif dans ses positions. Ainsi, par honnêteté, j’ai dit pour qui je votais aux dernières élections présidentielles.

Si les journalistes admettaient qu’ils faisaient parfois des erreurs, ils seraient plus crédibles. Par exemple, les médias français, contrairement aux médias anglo-saxons, n’ont pas reconnu qu’ils avaient relayé des informations fausses sur les horreurs s’étant soi-disant passées au Kosovo, inventées par une équipe pilotée par Tony Blair.

 

La gratuité de certains journaux est vécue différemment par l’ancienne et la nouvelle génération. Comment aborder cette question ?

Jean-François KAHN 

Si on accepte l’idée de la gratuité de l’information, on intègre l’idée que la presse est morte. Un journal gratuit ne peut absolument pas révéler le scandale associé à un de ses annonceurs. Quel différence entre un journal gratuit et un tract : Ils sont tous les deux distribués à la sortie des gares…

 

Albert du ROY 

Europe 1 est une radio complètement gratuite pour ses auditeurs. Durant de longues années, les informations relayées par celle-ci étaient de très bonne qualité. Par extension, les informations d’un journal gratuit ne sont pas forcément de mauvaise qualité. La gratuité n’est pas le signe d’une dévaluation évidente.

Un quotidien gratuit offre une information rudimentaire qui permet l’accès à la presse écrite payante à un certain nombre de lecteurs qui autrement ne l’achèteraient pas. Quelques jeunes disent qu’ils ont envie d’approfondir certains sujets en achetant un journal.

 

Jean-François KAHN 

Pour un jeune qui achète un journal payant pour creuser un sujet, trois autres prennent l’habitude de ne lire que la presse gratuite…

 

Existe-t-il des labels de qualité de l’info ?

Albert du ROY 

Le seul critère réside dans les parts de marchés dégagées.

Le label qualité ne pourrait de toute façon que concerner la justesse des faits. Les commentaires doivent rester libres, et à ce titre, il n’y a pas d’objectivité réelle possible.

La question de la qualité m’amène à soulever la question des radios d’informations (France Infos). C’est une bonne chose mais quand il faut rendre compte de l’information tous les ¼ d’heure sans se répéter pour ne pas lasser l’auditeur, on se précipite sur l’info sans toujours prendre le temps de la croiser pour la valider.

 

Jean-François KAHN 

On pourrait imaginer la création d’un organisme évaluant la qualité des médias. Les journalistes n’apprécieraient guère mais c’est une idée intéressante.

 

Les régulateurs actuels de la presse sont l’audimat et l’éthique des journalistes. Y-a-t-il d’autres moyens de régulation possibles ?

Albert du ROY 

Autrefois à l’Express, il fallait calculer le quota de publicité pour être considéré comme un journal et non comme un dépliant. Aujourd’hui, ce moyen de régulation n’existe plus. Il faut dire qu’alors, les annonceurs se bousculaient à la porte des rédactions. On pouvait donc renoncer à un annonceur qui procédait à une forme de chantage. Aujourd’hui, les médias ont trop besoin de tous les annonceurs pour se permettre cette forme de régulation.

 

 

Existe-t-il un réel contre-pouvoir de la presse ?

Albert du ROY 

Le véritable contre-pouvoir repose sur le lecteur et sur la justice lorsqu’il y a procédure.

 

Jean-François KAHN 

Quand il y a diffamation, l’individu ou l’entreprise concernée va sans doute pouvoir obtenir réparation mais il a de forts risques d’être « grillé » de toute façon.

 

Pouvez-vous nous parler des médias par rapport à la responsabilité en matière politique ?

Jean-François KAHN 

J’ai envie de vous parler de « la journée sans Sarkozy » que j’ai proposée, convaincu de la nécessité d’introduire une pointe d’humour pour détendre l’atmosphère dans le climat de forte tension actuelle. Climat qui émane d’ailleurs des pro et anti Sarkozy. Evidemment, cette journée ne peut pas avoir lieu…

Albert du ROY 

Il y a bien sûr des pressions qui pèsent sur les médias. Il faut être capable d’y résister en acceptant ou en refusant de relayer certaines informations. C’est un exercice qui demande un certain courage que tous les journalistes n’ont pas.

 

Quelles sont les spécificités de la presse française par rapport à d’autres démocraties ?

Albert du ROY 

La plupart des médias sont des annexes de grands groupes industriels français. Ce qui les « brident » en partie et fait la différence avec la presse anglo-saxonne qui a, par tradition, tendance à séparer davantage le factuel et l’éditorial.

 

Jean-François KAHN 

La France est le pays où l’on lit le moins de quotidiens. En Grande-Bretagne, le N°1 fait 3 à 4 millions de ventes, en France, N°1 tire à 500.000 exemplaires (journaux nationaux).

Autres spécificités françaises : l’importance des hebdos ; l’existence de seulement 4 journaux producteurs d’opinions (d’où l’absence de représentation médiatique pour certains courants politiques) – sur ces 4, 3 sont dirigés par des patrons d’entreprises en relation très étroite avec l’Etat ; journalistes « formatés » dans les mêmes écoles, d’où tendance à avoir les mêmes sensibilités typiquement françaises. L’ISPP (Institut des Sciences Politiques de Paris) a créé une option journalisme, ce qui me semble être une erreur dommageable à la diversité de la presse.

On observe une relative unification idéologique de journalistes âgés d’une soixantaine d’années et une certaine dissonance dans leur démarche intellectuelle. Ils revendiquent pour la plupart d’avoir participé à Mai 68 et se targuent aujourd’hui de néolibéralisme…

 

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
www.semaphore.fr