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Quand l’actualité écrit une page d’Histoire… Les nouvelles cartes d’un monde nouveau

Compte rendu de la 57ème Rencontre du CERA du vendredi 25 janvier 2013

Notre 21ème siècle a-t-il commencé le 11 septembre 2001 ? Ou en 2008 avec la crise financière ? Ou en 2011 avec le printemps arabe ? Nous sommes souvent tentés de confondre l’actualité avec l’Histoire… Trop d’informations finissent par tuer le sens. Peut-être devrions-nous changer nos vieilles lunettes pour regarder un monde nouveau, en construction sous nos yeux…
Avec l’Histoire et la Géographie pour témoins, Alain SIMON revisite l’actualité de 2011 et 2012 pour retenir les événements qui dessinent un nouveau paysage. Il nous propose une grille de lecture qui fait le tri dans les informations, les plus futiles et les plus utiles, les péripéties et les vraies ruptures.

 

Présentation d’Alain SIMON par Jean-Michel MOUSSET

Alain SIMON est consultant en géostratégie, il enseigne à l’université et au sein de diverses grandes écoles. Il est auteur de deux ouvrages à ce jour épuisés mais disponibles en format numérique sur Internet. Il s’agit de « Géopolitique d’un monde mélancolique » paru en 2008, et « Le temps du discrédit, crise des créances, crise des croyances » paru en 2011.
Expert APM (Association pour le progrès du Management) et GERME (Groupe d’Entraînement et de Réflexion au Management des Entreprises), il connaît bien le monde de l’entreprise.
Alain SIMON était venu nous rendre visite il y a deux ans pour nous présenter « La nouvelle carte du monde ». Aujourd’hui, nous attendons de lui un décryptage de l’actualité des deux années qui viennent de s’écouler pour anticiper, éventuellement, ce qui va se passer en 2013.

 

Alain SIMON

Bonjour à tous, merci à Jean-Michel MOUSSET qui vous a brièvement expliqué qui je suis. Je vais pour ma part vous expliquer ce que je fais. Mon métier consiste à aider les gens que je rencontre et qui me font confiance, à décrypter ce qui se passe dans le monde. Je passe mon temps à distribuer des informations pour essayer de donner du sens à la confusion qui est souvent fille de la profusion. C’est ce que nous allons faire ensemble aujourd’hui.

Il ne s’agit pas seulement de l’information lue mais de toutes les natures d’informations, à antennes déployées. J’aimerais que vous sortiez de ce moment passé ensemble, un peu différents dans votre vision du monde. Le monde n’arrête pas de changer certes, mais en plus, si vous prenez connaissance de la presse quotidienne, vous vous apercevez que d’un journal à l’autre, la hiérarchie des importances est très variable. Chacun y va de son hit parade ! C’est bien difficile de s’y retrouver. Comment juger de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas ? Ceci nous conforte dans l’idée que trop d’information tue la capacité à la traiter. C’est la forêt qui cache l’arbre. Qu’est-ce qui est futile, qu’est-ce qui est utile, qu’est-ce qui est péripétie, qu’est-ce qui est tendance lourde ? La géopolitique est le démêlant dont j’essaye de me servir. Je ne vais pas parler de celle-ci ouvertement mais je vais m’en servir.

Il y a deux ans, je parlais de géopolitique en m’interrogeant sur les conséquences des événements mondiaux sur nos dirigeants. Aujourd’hui et depuis deux ans, on assiste à une surenchère d’informations. Je modifie donc mon angle de vue pour tester les vertus explicatives de la géopolitique. Cette nouvelle méthode va m’éviter d’être redondant par rapport à ce que je vous ai dit il y a deux ans. Je me lance ainsi un défi qui va m’obliger à vous dire des choses que je ne pouvais pas vous dire il y a deux ans.

Nous avons le sentiment étrange qu’un vieux monde est en train de naître. Nous allons évoquer les vrais séismes et ceux dont la dimension est métaphorique.
La méthode que je vais employer s’apparente à celle des orpailleurs qui cherchent des pépites dans un fatras. Ils tamisent. J’aimerais faire la même chose avec tous les événements qui se sont produits depuis deux ans, et me demander avec vous ce que des historiens retiendront dans 10, 20 ou 30 ans. Si un ou plusieurs événements devaient rester dans l’histoire, desquels s’agirait-il ? Et à quel titre ? J’aimerais soumettre à vos esprits critiques un certain nombre d’hypothèses que je vais vous exposer en allant du plus simple au plus compliqué.

 

Première hypothèse

Il se pourrait que les historiens disent que ce qui nous était apparus, il y a deux ans, comme de délicats parfums de jasmin, témoignaient en réalité du fait qu’une page d’histoire venait de se tourner. Autrement dit, les historiens diront peut-être qu’en 2011 s’est clos le chapitre d’histoire qui avait commencé 10 ans auparavant. Le 11 septembre 2001 s’avèrera un chapitre de ce qui aura duré 10 ans. Je vous rappelle que le 11 septembre n’a pas seulement été un événement mais un déclencheur de choix, de priorités, de formes organisationnelles qui se révèleront avoir été valides jusqu’en 2011. Personne ne le savait au moment où les choses se sont passées. Par exemple, c’est parce qu’il y a eu le 11 septembre que dans quelques pays du pourtour sud de la Méditerranée, entrés en tremblement il y a deux ans, certaines tranches de population se sont dit qu’il était peut-être préférable de conserver une dictature laïque plutôt que d’aggraver le risque d’une dictature religieuse. Je ne dis pas qu’ils avaient raison ou tort, je constate ce qu’ils ont fait. Mais je constate aussi qu’il y a deux ans dans les mêmes pays, une autre tranche de population, plus jeunes, les enfants des premiers, ne s’est plus sentie tenue par l’alternative qui avait paralysé leurs parents, entre la « peste laïque » et le « choléra barbu ». Peut-être que les historiens trouveront cette jeune génération bien naïve lorsqu’ils verront la tournure pas très rassurante des événements. D’ailleurs, on l’a peut-être été aussi bien naïfs de croire que cette page était tournée. On avait même fait le choix de soutenir les régimes qui nous paraissaient des remparts contre ce qui était devenu le danger N°1. On s’est retrouvés pris à contre-pied dans l’obligation de soutenir des gens qui se révoltaient contre des régimes qu’on soutenait jusque là. C’est bien parce qu’il y avait eu le 11 septembre qu’en France, on avait fait le choix de soutenir un terroriste laïc transformiste en la personne de Kadhafi ! Ca pouvait se comprendre à ce moment-là. Le 11 septembre se révèlera avoir été un traumatisme structurant d’un certain nombre de choix et de priorités. Il y a eu d’autres traumatismes venus depuis se superposer.

Le principal intérêt de cette première hypothèse est d’introduire la notion de traumatisme fondateur dont je vais me servir à plusieurs reprises. En matière nucléaire, Tchernobyl a été le traumatisme fondateur, même si l’on ne parle plus de cet événement aujourd’hui. Derrière les traumatismes qui marquent les comportements, il y a des figures symboles, des héros. Prenez par exemple Masao Yoshida, le directeur de la centrale nucléaire de Fukushima lourdement irradié, remplacé sur décision de la Compagnie TEPCO qui n’a jamais accepté de reconnaître les causes de sa maladie. Il y a un nombre incroyablement élevé d’événements qui se produisent sur des registres différents, qui marquent des « avant » et des « après » de l’Histoire. Par exemple, le traumatisme fondateur à Toulouse, c’est AZF.

Derrière les traumatismes, il y a des objets symboles, le portique détecteur de métal, le détecteur de becquerels, cadeau de l’année sur les marchés à Tokyo !
Si les historiens devaient trouver un précédent historique à ce que j’appelle les traumatismes fondateurs, peut-être devraient-ils se référer à ce genre d’événements qui marquent les esprits après la disparition des témoins. La preuve, c’est qu’on a fêté le centième anniversaire de la disparition du Titanic avec le drame du Concordia. Ce qui a été traumatique dans l’affaire du Titanic, ce n’est pas seulement les quelques centaines de personnes qui ont perdu la vie, c’est la disparition du mythe, c’est l’insubmersibilité des constructions humaines qui a sombré. C’est le mythe de la capacité des hommes à maîtriser les éléments qui a pris l’eau, c’est avant tout le mythe de leur puissance dont il est question. Les traumatismes changent complètement les comportements au quotidien. C’est depuis le 11 septembre qu’on ne peut plus arpenter aussi tranquillement le quartier de La Défense à Paris lorsqu’il passe un avion dans le ciel ! Il y a deux ans, lors de mon intervention au CERA, l’image des 4/4 dans des champs de dunes évoquait le Paris/Dakar. Aujourd’hui, la connotation n’est plus la même ! On ne peut plus voir la moindre fumerolle s’échapper d’une centrale nucléaire sans paniquer ! Actuellement, la moindre goutte d’eau fait déborder le vase de l’inquiétude. Tout cela parce que depuis deux, un nombre incroyable de mythes viennent d’être démystifiés. C’est la fin du mythe de l’insubmersibilité des centrales nucléaires qu’on croyait hors d’eau. Les habitants de Flamanville comprendront… C’est la fin du mythe de l’indéboulonabilité des régimes politiques dont on avait fini par croire qu’ils étaient éternels. C’est la fin du mythe de l’inattaquabilité des gens qui se croyaient au-dessus de tout soupçon – ou que l’on croyait tels. C’est la fin du mythe de l’immunité. Tout ce que l’on croyait ne pas pouvoir se produire, on se rend compte que cela peut arriver. Des états ont perdu leur triple A, ils se sont vus « dégradés », ce sont des mots que nous n’avions pas entendu depuis l’Affaire Dreyfus ! Tous ceux qui se croyaient à l’abri enregistrent un démenti. Sur la côte ouest des Etats-Unis, tout le monde vit dans l’attente du Big one, alors que le tremblement de terre s’est passé chez des gens qui pensaient que ce n’était pas possible. Nous vivons actuellement le même niveau d’inquiétude que lorsque les premiers cas de séropositivité sont apparus chez les hétérosexuels. La maladie devait toucher les populations à risques, comme le pensaient les belles âmes qui croyaient qu’elles ne faisaient pas partie de ces dites populations. Tout le monde savait que l’Italie était sismique, sauf que le dernier en date des tremblements s’était passé dans une région où l’on croyait qu’un tremblement de terre n’était plus possible. On est en train de découvrir qu’il est extrêmement dangereux de considérer que sont éteints des volcans au seul motif qu’on les a toujours vus endormis. Au sens large. Cette découverte change notre relation au temps. La période oblige à penser l’impensable. Des choses qui étaient censées atténuer les risques les aggravent. Comme si les instruments pour se protéger des fluctuations sur les marchés étaient justement ceux qui les accentuaient. Il ne manquerait plus que des promesses deviennent toxiques. Comme si les gens chargés de lutter contre la criminalité en devenaient adeptes. Comme si ceux à qui l’on confie des secrets soient ceux qui les ébruitent. Demandez à Liliane ce qu’elle en pense ! Ou au pape qui faisait benoîtement confiance à son majordome. Nous vivons une période iconoclaste. La convergence d’événements dans des registres différents a un immense impact comportemental, plus rien ne peut être exclus.
Voici donc ma première hypothèse que j’aimerais maintenant soumettre à vos esprits critiques par trois questions :
– Croyez-vous comme moi que nous vivons l’un de ces moments traumatiques dans l’histoire des prises de conscience ?
– En quoi la notion de traumatisme fondateur est-elle transposable au monde de l’entreprise ?
– Si cette hypothèse de comportement de scepticisme généralisé est vraie, qu’est ce que ça change pour les gens qui ont pour clients des populations qui aujourd’hui croient que tout peut arriver ?

 

Intervention du public

A travers vos trois questions, il apparaît une certaine impermanence de situations qui paraissaient immuables. A vous écouter, on s’aperçoit que tout est éphémère et peut s’écrouler du jour au lendemain. Cette incertitude a quelque chose d’angoissant.

On préfère bien souvent se tromper avec une fausse certitude plutôt que d’être dans l’inquiétude de n’être sûr de rien. L’inquiétude aujourd’hui généralisée résulte du martèlement de tous ces événements, amplifié par l’écho des médias.

 

Votre question ne serait-elle pas une forme de nombrilisme ? Qui reviendrait à penser que l’époque tout à fait particulière dans laquelle nous nous trouvons, qui se réduit à quelques dizaines d’années de passage sur terre, intéressera les siècles à venir.

Votre remarque est tout à fait pertinente car chaque génération a ses traumatismes. La génération de nos grands-parents en a eu sa dose. Nous nous situons ici au niveau de la perception. Ce dont je suis témoin est important. Tenez par exemple, j’ai longtemps considéré que les gens qui avaient 20 ans de plus que moi étaient jeunes. C’était ma perception. Cette définition présentait l’avantage d’exclure à tout jamais que je sois vieux, et comportait en creux ma définition de la jeunesse. Eh bien ma perception en ce moment, c’est qu’il y a de plus en plus de vieux dans le monde. Et qu’ils sont même de plus en plus vieux ! Donc, je suis d’accord avec vous, cette conception et nombriliste, mais d’un nombrilisme générationnel. Si l’on veut comprendre le fonctionnement d’une génération, d’un microcosme, d’une organisation au sens large, il est absolument indispensable de retrouver l’histoire des traumatismes dont le présent est la simple résultante. Cette question peut être appliquée à l’entreprise. Par quels traumatismes ont été martelés ses acteurs ? On peut évoquer une grande grève, un accident industriel. Chaque organisation ne se comprend au présent qu’à la lumière de ses percussions traumatiques. On ne peut pas comprendre les réactions vendéennes si on ne les explique pas par l’histoire ! Les gens qui n’ont pas de mémoire n’ont déjà pas de présent. Un dirigeant d’entreprise doit être historien de son organisation.

 

Je retiens pour ma part davantage l’accélération du temps et l’impact de la mondialisation de l’information que la force des traumatismes.

Vous parlez d’accélération, mais c’est avant tout un sentiment d’accélération que vous décrivez, qui a pu se ressentir à d’autres époques. Pensez à nos arrières grands-parents qui ont vécu en très peu de temps l’invention du chemin de fer, de l’électricité, de la téléphonie et de l’avion ! Ils ont eu aussi la perception que les choses s’accéléraient. La multiplication des outils qui permettent d’avoir des capteurs partout accentue cette impression. Le moindre corbeau qui rate sa branche en Indonésie peut avoir une portée traumatique ici !

 

Vous avez égrené des événements qui fonctionnent comme les notes d’une marche funèbre. Avez-vous identifié des traumatismes qui pourraient apporter une note légère, des lueurs d’espoir ?

Pas vraiment en France sur le plan collectif. En revanche, j’aime bien cette remarque que vous venez de faire parce qu’elle m’oblige à reconnaître que j’ai évoqué les traumatismes fondateurs en leur accolant à chaque fois le signe moins. Il existe aussi des traumatismes fondateurs positifs. La victoire de l’équipe de France de football en 98 en est un exemple. Dans le cadre de l’entreprise, l’obtention d’un bon contrat peut en être un autre. Qu’ils soient accolés au signe + ou au signe -, les traumatismes expliquent les comportements et les formes organisationnelles même lorsque plus personne ne s’en souvient, et il faut les retrouver si l’on veut comprendre.

 

Deuxième hypothèse

Il se pourrait que les historiens disent également qu’en 2011 et 2012 a été modifiée notre relation aux moteurs de l’histoire. On croyait jusqu’à ces dates que les moteurs étaient nos dirigeants au travers de leurs grand-messes, les G8, G10, G20 etc. Je me demande qui croit encore à ce genre de pantalonnade ! Il n’y a que ceux dont la vanité peut être flattée d’être filmés et enregistrés. On croyait que l’Histoire était écrite par les dirigeants et les marchés puisqu’on pensait même que ces derniers étaient capables de provoquer des tremblements. Tout se jouait dans un bras-de-fer entre les coriaces et les voraces, jusqu’à imaginer que les marchés avaient pris le pouvoir sur les dirigeants, qu’ils pouvaient obtenir ce que personne d’autres ne pouvait obtenir. Ce n’était bien sûr pas la réalité mais notre perception que je décris.

Cette perception a connu un infléchissement et une rupture depuis deux ans. Commençons par l’infléchissement. Ce ne sont pas les agences qui ont pris le pouvoir mais les dirigeants et les acteurs des marchés qui leur ont abandonné. C’est très commode de s’abriter derrière une agence en disant « Ce n’est pas moi qui vous demande de boire cette potion amère, c’est les agences ! » Déjà les Romains s’abritaient derrière les oracles avant de prendre des décisions… Déjà à Rome on disait : « Deux grands prêtres ne peuvent pas se croiser sans rire »… Nous n’avons pas fini de rire !

J’ai aussi parlé d’une rupture juste après l’infléchissement. On s’est aperçu il y a deux ans que l’Histoire pouvait aussi être écrite par des individus, le retour des sans grade. Sans que les dirigeants n’y puissent rien. C’est ce qui s’est produit l’année dernière en Tunisie. Des femmes et des hommes – seuls ou en foule – ont franchi un rubicond de trouille. C’est l’Histoire en mouvement. Les individus et les foules étaient au spectacle de l’Histoire écrite par d’autres. En 1968 à Prague, on a assisté au même mythe. On croyait que quelques personnages charismatiques allaient déplacer des montagnes. Malheureusement, ils sont tombés sur un bec qui leur a rappelé qu’il existe un autre acteur de l’écriture de l’Histoire. Il s’agit des armes. L’Histoire est écrite par les peuples, les armes, les dirigeants et les marchés. Ce ne sont pas toujours les mêmes que l’on trouve au filet ou en fond de cour. La Révolution de Jasmin nous rappelle que la fleur et le fusil peuvent être associés, comme ça s’est produit il y a fort longtemps et que l’on ne croyait plus possible. Je ne sais d’ailleurs pas ce que les historiens diront des récents événements égyptiens, s’ils parleront de coup d’état militaire ou de révolution.

Ces mêmes historiens diront qu’en 2011, les contemporains que nous sommes se sont aperçus que les lignes de fracture des plaques historiques étaient capables de balayer les constructions humaines, comme les lignes délimitant les états ou des centrales nucléaires. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe en Lybie où avons reconstitué une vieille ligne de fracture qui n’était qu’assoupie et pas éteinte. En 1911, il y a un siècle précisément, les Italiens débarquaient dans la région. Trouvant 3 provinces curieusement distinctes, ils ont décidé de les agréger pour tenter d’en faire un état qui est devenu indépendant. Le nom de Cyrénaïque tripolitaine dont nous n’avions plus entendu parler depuis 1911 est réapparu il y a 2 ans. Au départ il s’agissait d’une révolte de la Cyrénaïque contre le pouvoir tripolitain. Ce clivage qui avait existé jusqu’en 1911 remontait à la vieille ligne de fracture apparue en l’an 4 après JC, au moment du schisme entre l’Empire d’Orient et l’Empire d’Occident. Quand je vois la tournure des événements en Lybie, je me dis qu’il n’y a peutêtre pas que chez ces exotiques-là qu’il existe de vieilles lignes de fracture que l’on croit archivées et qui pourraient resurgir. Comme par exemple les lignes de fractures remontant au partage de l’empire tracé par Charlemagne au profit de ses petits-fils, qui séparait France orientale, France occidentale et Lotharingie. Il est très dangereux de confondre la durée de sa vie et la durée de l’Histoire, autrement dit de confondre temps court et temps long. Ce sont les mêmes gens qui croient que les guerres ne sont plus possibles au motif qu’ils n’en ont pas vécu eux-mêmes. Quelle leçon ce serait de découvrir que c’est le temps long qui a le dernier mot ! Je vous propose d’actualiser mon propos. Ségolène ROYAL, présidente depuis très longtemps de la région Poitou-Charente, a confondu temps court et temps long de l’Histoire. Pensant que Châtellerault et La Rochelle faisaient partie de la même région, elle a commis l’erreur de faire débarquer Madame AUBRY et Madame DUFLOS à La Rochelle, réactivant ainsi de manière très désagréable le souvenir de Richelieu chez les Rochelais.

On entend dire une autre chose sur la période actuelle, qu’elle est propice aux forces centrifuges. Des gens sont tentés par la sécession. Si l’on regarde la carte, on s’aperçoit que les Ecossais et les Flamands, qui réclament leur indépendance, se situaient juste à la limite de l’Empire romain, séparés par le mur d’Adrien. Les revendications qui peuvent nous paraître étranges s’expliquent par le retour des volontés séparatistes des Barbares qui ne faisaient pas partie de l’Empire romain. Là encore, le temps court a tenté de badigeonner – sans succès – le temps long qui triomphe.

Cette deuxième hypothèse est transposable au monde de l’entreprise. Il m’arrive de travailler chez THALES à Lyon. Des années après la fusion, il y a encore des personnes marquées par la culture de THOMSON et d’autres par celle de CSF. Prenez GROUPAMA, tout a été mis en oeuvre pour fondre l’identité des collaborateurs venant d’horizons différents. Au premier coup de tabac, les gens qui venaient du GAN ont retrouvé leur sentiment identitaire. Il est frappant de constater que ce phénomène touche même des personnes rentrées dans l’entreprise après ce que j’appellerais l’agrégation. On ne peut pas faire table rase du passé. On ne peut pas manager de la même manière les gens qui ont été « absorbeurs » et les « absorbés ». Méconnaître l’histoire est extrêmement dangereux. Un chef d’entreprise doit être historien.

 

Par rapport à la dimension historique que vous venez d’évoquer, je me dis que la Vendée devrait peut-être prendre conscience de sa réalité de relever du massif armoricain sur les plans géographique, historique et culturel. Nous avons plus intérêt à être armoricain que poitevin, et plutôt que d’attendre que des bureaucrates décident du territoire sur des cartes d’état-major, nous avons intérêt à prendre notre destin en main, la Grande Vendée constituant pour nous un mythe fondateur.

C’est évident, mais il existe des régions françaises où ce sentiment identitaire n’est pas clair comme pour la Vendée.

 

Les lands allemands ont-ils respecté l’histoire sur des temps longs ?

Incontestablement. Les lands étaient rattachés à des principautés, à des monarques, voire à des empereurs. La seule fois où l’Allemagne a surmonté ses sentiments identitaires et s’est unie, n’a pas laissé un bon souvenir.
Je reviens encore à l’entreprise. Même si l’on évite que ne rejaillissent de vieilles identités parfois dangereuses, il faut absolument avoir conscience qu’elles sont toujours présentes. Je ne vous dis pas que la vie est un éternel recommencement mais que si l’on veut éviter leur retour, il faut reconnaître les vieilles identités. Ce sont les gens qui croient qu’elles sont sans danger sous prétexte qu’elles sont parfois classées monuments historiques qui baissent la garde. On a compris ce risque en Europe où l’on reste vigilant pour ne pas se faire surprendre par des résurgences de réactions identitaires.

 

Il me semble que ces réactions sont accentuées par le phénomène de mondialisation qui inquiète.

Oui, plus on se sent pris dans un processus d’uniformisation, plus on a besoin de réaffirmer son identité. Le phénomène est également accentué par les phases de difficulté. En période de croissance, c’est un diluant. En période de stagnation ou de régression, les identités ressortent. Un homme résume somptueusement tout ce que j’essaie de vous dire. Il s’agit de René CHAR, immense poète et grand résistant. Il parle des personnes capables de retrouver le mouvement des vagues dans les entrepôts de sel. Un dirigeant, c’est ça. On n’est pas obligés de recommencer les mêmes erreurs, surtout si l’on a conscience que la récidive est possible. René CHAR le traduit en ces termes : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».
C’est la même chose à titre privé. Je croyais, lorsque j’étais enfant, qu’il était possible de tuer le père. Les principes éducatifs de mes parents n’avaient aucun sens, je ferais à mon idée. Or il arrive un jour de se surprendre en flagrant délit de reproduire les comportements que l’on avait tant critiqués chez ses propres parents. Ce qui prouve que l’on peut tenter d’inventer de nouvelles erreurs en sachant que l’on n’échappera pas à la gravitation des anciennes !
Un autre homme résume ces propos. Il s’agit de Paul WATZLAWIC qui, dans un livre que je vous recommande, « Faites vous-même votre malheur », dit qu’être adulte, c’est faire quelque chose, bien que vos parents vous l’ai conseillé ! J’ai tendance à penser qu’être moderne, c’est faire quelque chose bien que l’on ne puisse pas échapper à la gravitation de l’histoire.

 

Que peut-on utiliser de ce que vous nous avez dit par rapport aux changements dans l’entreprise ? Par exemple, dans le cas de succession. Quand le repreneur fait fi du passé, ne tient pas compte des cycles de vie de l’entreprise, l’esprit de corps s’amenuise et les difficultés s’accentuent. On reprend espoir en se tournant vers les racines.

Vous avez tout à fait raison. Je n’ai pas toujours été de cet avis. J’ai cru longtemps qu’il fallait tordre le cou au passé. Maintenant je sais que l’on peut tout changer sauf le passé. Les risques de la mémoire sont moindres que ceux de l’amnésie.

 

Troisième hypothèse

Il se pourrait que les historiens se disent également que ce ne sont pas seulement les relents nauséabonds du passé qui nous reviennent mais aussi quelques parfums new look.

Je rappelle en passant que toutes les époques ont été des temps modernes. Et l’on associe toujours la modernité à de nouveaux rouages, de nouveaux process, des innovations technologiques qui accélèrent la performance, la puissance, la rapidité qui parfois broient. Il faut un certain temps pour s’apercevoir que ce que l’on croyait être technologique est profondément politique. C’est une remise en cause des relations de pouvoir. Prenez par exemple les engrenages de Charlie Chaplin devenus en quelques années éminemment politiques sous forme de chenillettes des panzers. Il a fallu moins de 10 ans pour cela !

Les historiens penseront peut-être la même chose des nouveaux objets de notre époque. Les nouvelles technologies de l’information ont révélé leur dimension politique. C’est par l’intermédiaire des réseaux qu’on a pris connaissance du déroulé des événements du Printemps arabe. Nuit et jour, minute après minute. On avait commencé à entendre parler du 11 septembre par la rumeur, puis par la radio et par la télévision. Aujourd’hui, on suit l’actualité en direct.
D’autre part, c’est parce qu’ils ont été couverts de la sorte que les événements ont eu lieu. L’actualité en direct a remis en cause l’exercice du pouvoir. Si les anciennes formes de pouvoir répressif n’opèrent plus parce qu’elles se sont retrouvées sur Facebook.

Il y a deux ans, Michèle ALLIOT MARIE proposait de recourir à des grenades lacrymogènes pour tenter d’enrayer Face book. Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans cette perspective un côté un peu Maginot !

La génération née avec ces objets et réseaux a transformé en révolution politique ce que nous croyions être une révolution technologique. Les américains appellent « cyber natives » ceux qui sont nés avec ces technologies. Alors que notre génération pensait qu’il s’agissait de petits objets pour addicts de la FNAC…
Pour la première fois, des gens qui venaient d’écrire une page d’histoire, les Egyptiens qui avaient obtenu le départ de MOUBARAK, ont fêté l’événement en brandissant les écrans par lesquels ils étaient informés du succès de l’opération. Ca remet tout en cause dans l’exercice du pouvoir, démocratique ou dictatorial ! On ne peut plus rien cacher aujourd’hui.

Les écailles nous sont tombées des yeux lorsque l’on a réalisé que ce que l’on croyait « techno » était « politico ». Si l’on remonte dans le temps, on a pris à son époque GUTEMBERG pour un copiste ingénieux. Il a fallu attendre l’arrivée de LUTHER des années plus tard pour que le politique pointe sous le technologique. Jusqu’à GUTEMBERG puis LUTHER, les méthodes managériales qui prévalaient dans la multinationale papale étaient plutôt du genre top down, le pape communiquait à des sous papes qui eux-mêmes transmettaient ce qu’ils voulaient à des hiérarques, etc. LUTHER a mis fin à ces dérives en décidant d’imprimer une bible. C’est cette bible et seulement celle-ci, la sola scriptura, qui fera désormais référence. Le pouvoir des hommes d’Eglise a complètement été remis en cause. La Réforme protestante est une fille putative de l’invention de l’imprimerie. Cette réforme constitue un deuxième schisme, après celui qui a séparé l’Empire d’Orient et d’Occident. Il est une clé de compréhension possible de notre actualité.

Voici quelques exemples en guise d’illustrations. Des systèmes de valeurs et des référentiels éthiques ont émergé. Dans l’éthique catholique, lorsque l’on est témoin d’un dysfonctionnement, on ne dénonce pas. A l’extrême limite, on pratique l’omerta. Dans les pays de culture protestante, quand on est témoin d’un dysfonctionnement, c’est ne pas le signaler qui constituerait une double faute, vis-à-vis de la brebis égarée qu’on laisserait s’enfoncer dans l’erreur, et vis-à-vis de la communauté. Cette ligne de fracture continue à imbiber l’organisation du pouvoir. Dans des pays de culture césaro-papiste, les juges et procureurs sont nommés par le garde des sceaux, et estiment n’avoir de comptes à rendre qu’à leur hiérarchie. Dans les pays de culture protestante, les juges et procureurs sont élus par la communauté, et estiment n’avoir de comptes à rendre qu’à ladite communauté. La faute avérée de DSK est de s’être comporté selon le référentiel catholique dans un pays dont le référentiel culturel dominant était protestant. Il aurait fait ce qu’il a fait en Italie, il se serait retrouvé Président du Conseil ! La relation à l’interdit n’est évidemment pas la même d’une culture à l’autre.

Autre exemple. On assiste encore souvent dans les régions de vignobles à des fractures entre les vignerons qui pensent que les dégustations doivent être gratuites et ceux qui considèrent qu’elles doivent être payantes. La relation au bénévolat n’est pas la même. La question de fond vise à savoir ce que l’on peut attendre de la gratuité. C’est la pratique des indulgences qui est en jeu ! Sur laquelle s’est mise en place la Réforme protestante.

Aux Pays-Bas, il y a encore des cabinets d’expertise comptable catholiques et d’autres protestants. Les banques n’analysent pas de la même manière les bilans qui émanent des uns et des autres. Comprenez que la notion de provision pour créances douteuses n’a pas le même sens pour les gens pour qui existe l’ardoise magique de l’absolution que pour les autres ! Chez les protestants, le devoir est le devoir. Dans l’éthique catholique, ce qui est interdit, c’est avant tout de se faire prendre.

Vous souvenez-vous du premier vendredi 13 de l’année 2012 qui en a compté 3 ? Le 13 janvier avait lieu le naufrage du Costa Concordia. C’est aussi le jour où la France a perdu son triple A. Ce n’est pas seulement la note de la France qui a été modifiée, c’est l’ensemble des notes des pays de l’Euroland qui a été requalifié par Standard & Poor’s. Quand on regarde la carte qui résulte du lifting du 13 janvier, on s’aperçoit que les pays qui disposent du triple A sont de culture protestante. Les autres sont de culture catholique ou orthodoxe. Dans ces conditions, la question du sauvetage de l’€ se pose de façon tout à fait différente, dans la mesure où l’€, en plus d’être une monnaie, est une tentative de patch oecuménique qui vise à essayer de faire marcher du même pas monétaire des gens qui ne font pas les mêmes enjambées culturelles. Pour mesurer cet écart, il faut prendre des exemples concrets. La langue allemande a été pour la première fois unifiée par LUTHER pour la traduction de la bible, à partir des langues vernaculaires qui prévalaient. On ne peut pas comprendre certaines choses sans passer par quelques subtilités de traduction. Le mot « dette » en français se traduit par « schuld » en allemand. Quand on fait l’inverse, ce même mot allemand se traduit en français par « responsable » et « coupable » !

Pour sortir de la crise dans laquelle les états sont plongés dans l’Euroland, il faut se souvenir qu’ils sont endettés parce qu’ils ont emprunté pour permettre aux banques endettées jusqu’au cou de ne pas faire faillite. Lesquelles banques ne pouvaient pas s’en sortir parce qu’elles avaient prêté à des gens eux-mêmes insolvables. La solution, c’est comme aux cartes, c’est de continuer à refiler le pouilleux ! Pour sortir de l’euro dette, on a introduit dans les rouages ce lubrifiant extraordinaire qu’est l’inflation. Le problème, c’est que cette solution se heurte à plusieurs niveaux de mémoire allemande. Je rappelle que l’inflation est à la faute financière ce que l’absolution est à d’autres péchés. 5 pater, 4 ave, 5% d’inflation et on remet les pendules à zéro ! C’est bien sûr incompatible avec ce que je viens de vous raconter. Les Allemands se souviennent, ils ont déjà fait appel à l’inflation qui a été à l’origine de la ruine des classes moyennes allemandes. Alors que l’inflation a favorisé les plus belles années de la classe moyenne en France. Nous sommes face à un conflit de mémoires. Il faudrait avoir recours à une inflation légère mais c’est difficile à proposer car les Allemands ont de l’inflation le même souvenir que les habitants de Tchernobyl ont de la fission nucléaire. Pour l’anecdote, vous avez peut-être vu qu’un timbre franco-allemand était sorti pour fêter le 50° anniversaire. Il n’est curieusement pas tout à fait le même en France et en Allemagne parce que là-bas on répugne à recourir à l’arrondi supérieur. La valeur n’est donc pas tout à fait la même. Vous voyez comme la mémoire suinte !
Donc, si l’on ne reconnaît pas ces différences de mémoires culturelles, on ne pourra pas s’en sortir. Pour information, la remarque est aussi valable en entreprise. L’autre jour une DRH venait d’embaucher une collaboratrice nord américaine. Tout se passait très bien jusqu’au jour où, à l’heure du repas, la dite collaboratrice part déjeuner à l’extérieur, manque de se faire renverser par un autobus, le chauffeur conduisait trop vite et téléphonait au volant. Elle fait ni une ni deux, et appelle la compagnie. En rentrant au bureau, elle raconte ce qu’elle a fait à ses collègues qui se montrent choqués de son comportement. Depuis, elle est complètement ostracisée. Ce n’est pas elle qui s’exprime, mais sa culture. Et l’on a beau dire que la religion a disparu au profit de la laïcité, les choses continuent sur un plan culturel. On ne gère pas de la même manière des filiales à Nancy et à Metz. Et il ne s’agit pas de querelles de clochers. Les choses sont foncièrement différentes. Nous n’avons pas à nous en féliciter ou à nous en plaindre, il s’agit de reconnaître que ça persiste.

Je reviens un instant sur cette évolution culturelle sous un autre angle. Ce qui nous est présenté comme une révolution dans le monde arabe n’est ni plus ni moins que l’équivalent de la Réforme protestante dans le monde musulman. Une remise en cause du monopole des clercs. On comprend que les clercs se crispent. L’islamisme radical est violent à la mesure de la déstabilisation dont il fait l’objet. On assiste également à une remise en cause du monopole des clercs laïcs. Il suffit de regarder ce qui s’est passé au Japon. Quand la population ne savait plus quoi penser des discours édifiants des dirigeants de TEPCO, tout le monde connaissait un blogueur ou un tweeter ou un face booker qui en savait suffisamment pour ne pas croire qu’un nuage radioactif pouvait s’arrêter à la frontière… On peut également parler d’une remise en cause du monopole des clercs syndicaux. Quand les plus archaïques des syndicats Français, les ouvriers du livre, bloquent régulièrement les journaux, ils n’obtiennent rien alors que Steve JOBS obtient ce qu’il veut. Remise en cause des clercs académiques également, autrement dit des profs : les étudiants sont tous planqués derrière leur écran pendant les cours. La plupart font tout à fait autre chose que ce pour quoi ils sont présents, les autres cyber bavardent, et une minorité vérifie ce que le prof dit ! Dans vos entreprises, il va falloir manager autrement ces cyber natives !

 

Quatrième hypothèse

Il se pourrait que les historiens dans le 4° tamis trouvent la pépite suivante. Ils se diront peut-être que nous pensions, au début de la période que nous vivons, respirer le délicat parfum du jasmin. Plus le temps passait, plus l’odeur de la tulipe nous a pris la tête. Or depuis le début de notre rencontre, je n’ai pas arrêté de vous dire qu’il fallait gratter le vernis jusqu’à retrouver la marqueterie. La tulipe a tout des attributs hollandais, elle est pourtant d’origine turque. Comment a-t-on pu oublier la marqueterie turque sous le vernis hollandais ? Vous vous posez la question de savoir où je veux en venir. J’y arrive. La tulipe a été offerte par Soliman le Magnifique à un grand européen né à Gand, Charles QUINT. Or on s’aperçoit que les Pays entrés en tremblement depuis deux ans faisaient curieusement tous partie de l’Empire Ottoman. Et il se trouve que la Turquie retrouve aujourd’hui l’influence qu’elle avait perdue en 14/18. On avait cru cette disparition éternelle parce qu’elle avait duré un siècle. Ce n’était qu’une parenthèse. Le printemps arabe, c’est la fin de l’hibernation de l’influence ottomane. Les historiens souriront peut-être en voyant rétrospectivement la réticence de l’Europe à intégrer la Turquie dans ses rangs sous prétexte qu’elle était musulmane et que nous sommes un club de chrétiens. Nous avons réussi à affaiblir notre propre zone et participé à rendre puissante une zone alternative que nous avons refusé d’intégrer. Une erreur historique pareille, il n’y en a pas eu beaucoup. Je ne vois guère que la révocation de l’Edit de Nantes en comparaison. Ce n’est plus la Turquie qui a besoin de l’Europe mais le contraire… Nous avons complètement perdu de vue le but de la construction européenne qui vise à éviter que la guerre ne se reproduise en Europe.

Les historiens pourront peut-être se dire que le XX° siècle qui avait commencé en 1914, a commencé à se déconstruire en 89, a poursuivi sa déconstruction en 91 en Yougoslavie, puis en Syrie et en Irak en 2003, en Lybie en 2011, en Syrie en 2013. Ce que nous sommes en train de vivre, c’est le retour du temps long qui percute la mémoire courte.

Les historiens pourront enregistrer sur leur sismographe une modification de notre relation à l’Histoire, qui contient le passé mais aussi d’une certaine manière le futur, qui est le passé en préparation.
Les historiens se diront peut-être qu’après tout ce qui nous était arrivé, nous étions dans l’incapacité de prévoir. Rappelez-vous dans quel état de naïveté nous nous trouvions au printemps 2011 ! Ca devrait nous servir de leçon… De même, le Japon se posait des questions sans commune mesure avec la gravité des faits qui allaient suivre, 3 jours avant la catastrophe qui a fait tant de morts. Nous devrions comprendre l’écart qui existe entre l’idée que l’on se fait du futur et les menaces réelles.

Depuis le début de cette présentation, j’ai utilisé le langage des fleurs. Il a été question de jasmin, d’oeillets et de tulipes. J’ai composé à votre intention un bouquet constitué de fleurs qui ne peuvent pas fleurir en même temps, comme dans certaines peintures flamandes, nous donnant ainsi l’illusion de la maîtrise du temps. Ce genre pictural s’appelle des vanités. Ce qui m’amène à évoquer la vanité de croire que l’on peut échapper à la gravitation du temps et penser que nous pouvons prévoir la suite. C’est la raison pour laquelle en entreprise, nous devons remplacer les prévisions par des hypothèses et des scénarios.
Je voudrais laisser le mot de la fin à une personne qui résume bien tout ce que j’ai voulu vous dire. Il s’agit de BARBARA qui chante GOTTINGEN.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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