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Nos PME à la conquête du monde

Compte rendu de la 52ème Rencontre du CERA du vendredi 13 janvier 2012

« J’ai un gros défaut : je suis quelqu’un de viscéralement optimiste » avoue celui qui vient d’être élu manager de l’année 2011 par le Nouvel Economiste. Xavier FONTANET connaît bien la Vendée car il a dirigé les chantiers Bénéteau dans les années 80, avant de présider aux destinées mondiales d’Essilor. Son livre « L’entreprise française et la mondialisation : si on faisait confiance aux entrepreneurs » (Editions Les Belles Lettres) est un plaidoyer pour l’esprit d’entreprise. C’est aussi un témoignage pour convaincre nos PME que leur marché est désormais mondial et accessible à tous ! Parmi ses conseils avisés figure celui-ci : « Dès qu’une société devient leader sur le marché, elle est dans la ligne de mire des suiveurs. Les concurrents fourbissent leurs armes contre elle, ce qui l’oblige à se maintenir en forme et à faire attention à tout ce qui bouge. Règle de conduite absolue : bannir toute forme d’arrogance. Plus vos parts de marché augmentent, plus vous devez être humble ».

 

Présentation de Xavier FONTANET par Yves GONNORD

Cher Xavier, aujourd’hui, nous sommes un vendredi 13, c’est un jour de chance parce que nous vous accueillons aujourd’hui alors que vous êtes arrivé seulement hier soir de Chine. Pour vous présenter rapidement, vous êtes quelqu’un de mondialement connu tout en étant fort discret. Peu de gens connaissent votre parcours exceptionnel. D’ailleurs, Le Nouvel Economiste vient vous nommer manager de l’année 2011, couronnant ainsi un parcours sans faute avec une vingtaine d’années à la tête du Groupe Essilor que vous avez hissé au premier rang mondial de l’optique ophtalmique avec 40 000 salariés dans le monde et 4 milliards d’€ de CA.

Vous avez réalisé d’abord un parcours intellectuel de haut niveau avec l’Ecole des Ponts, un Master de Science du Management au Massachussets Institute of Technology à Boston. En 1974, vous débutez votre carrière au Boston Consulting Group avant d’occuper le poste de directeur général chez Bénéteau de 1981 à 1986. Vous avez fortement aidé Annette ROUX à devenir leader mondial de la voile. Par la suite vous avez passé 4 ans dans le groupe Wagons-Lits à la tête d’Eurest. En 1991, vous avez rejoint le groupe Essilor dont vous êtes depuis 1996 le PDG. Vous êtes également membre du conseil de surveillance de Schneider Electric, et faites partie des commissions Pébereau et Attali.

Ce parcours est impressionnant, mais je vais vous dire une chose, ce que j’admire le plus chez Xavier FONTANET, c’est l’homme, discret, simple. Comme on dit en Vendée « Cet homme-là, il n’est pas fier ». C’est quelqu’un qui est animé par des valeurs humaines, qui a toujours eu le souci de l’intérêt général, des personnes et des hommes. Xavier FONTANET est un pragmatique, un humaniste, autrement dit, c’est un vendéen !

 

Xavier FONTANET

Merci Yves pour cette formidable introduction qui me va droit au cœur. Effectivement, la Vendée est une région qui nous est restée chère à ma femme Christine, à mes 3 filles et à moi-même après les quelques années que nous y avons passées avant de rejoindre la région parisienne.

Merci à tous d’être venus aujourd’hui, car je sais que vous êtes des entrepreneurs, et qu’il n’est pas aisé de dégager du temps. Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui car je pense beaucoup de bien de ces temps d’échange.

Pour commencer, je vais essayer de vous raconter ce qui m’a fait courir et m’a motivé tout au long de ma vie professionnelle.

L’expérience que j’ai envie de partager avec vous et qui me paraît intéressante, c’est que j’ai toujours vécu dans un environnement de PME. J’ai toujours travaillé dans des petites entreprises qui pour certaines sont devenues N°1 sur le plan mondial.

Je commencerais par dire que les Français n’aiment pas la mondialisation alors que personnellement, je n’en ai connu que les bons côtés. Le Français est très doué et extrêmement dégourdi. C’est l’un des meilleurs soldats du monde disait Napoléon, seulement, il a besoin de bien comprendre ce que l’on attend de lui. S’il ne comprend pas, il ne peut pas accorder sa confiance qui s’avère pourtant une clef indispensable mais j’y reviendrai.

D’abord, j’ai eu la chance de naître et de grandir dans une famille très aimante. Une famille bourgeoise, d’origine bretonne et savoyarde, constituée de médecins, d’entrepreneurs, de notaires, des gens très bien dans leur peau. J’ai certainement trouvé dans cette famille un équilibre pour toute ma vie.

J’ai grandi à Paris, chez les jésuites. J’aurais voulu intégrer HEC, comme mon père. Mais lui avait rêvé de devenir ingénieur ! Plus ou moins consciemment, il m’a imposé son modèle inversé. Je me suis donc retrouvé dans la filière scientifique de préparation aux grandes écoles. Au début, j’étais vraiment malheureux car je ne comprenais tout simplement pas les cours de mathématiques. Je ne décollais pas de la 30 e place sur 35, alors que j’avais toujours été en tête de classe pendant mes études secondaires. Mais ce fut en fait une excellente leçon : d’humilité d’abord, de stratégie ensuite. En effet, comment faire mieux que quelqu’un de beaucoup plus fort que vous ? Et puis, cela se passait à « Ginette ». Or on peut dire ce que l’on veut des jésuites, mais ils savent vous donner le sens de l’équipe, du partage, de l’écoute. Le travail en équipe m’a fait du bien. J’ai ensuite été admis à toutes les grandes écoles que j’avais présentées. J’ai choisi l’École nationale des ponts et chaussées.

Je me suis ensuite marié avec Christine et nous sommes partis aux Etats-Unis. J’y ai trouvé une liberté et un sens de la communication absolument formidables. Au terme de mes études, j’ai eu de nombreuses offres de grandes sociétés françaises dans la banque ou l’industrie, et des offres de consultants américains. Mon entourage me conseillant de démarrer par l’industrie, j’ai signé, un peu à contrecoeur, avec une entreprise industrielle qui me proposait de diriger une petite usine. Le soir même, l’un de mes proches amis m’appelle et me dit « Xavier, tu fais l’ânerie de ta vie. Avant de te décider, passe au Boston Consulting Group, rencontre Bruce qui est à Paris demain. Tu prendras ta décision après. » Bruce, c’était Bruce HENDERSON, le fondateur mythique du BCG. L’un de ses rendez-vous ayant été annulé au dernier moment, la chance a voulu que je me retrouve en face à face avec lui pour déjeuner. C’était inimaginable pour moi ! Nous discutions assez vivement de toutes sortes de questions d’économie et échangions sur des théories que je venais d’apprendre au MIT, déjà dépassées par celles du BCG, mais je ne le savais pas encore. Quand tout à coup, Bruce renverse, sans le faire exprès, sa soupe sur son pantalon. Il l’essuie vaguement sans y prêter plus attention et continue à discuter comme si de rien n’était. A cet instant, j’ai décidé d’entrer au BCG, en me disant qu’un patron de société qui s’intéresse à un jeune comme moi, lui consacre un repas, s’accroche avec lui et discute avec telle passion qu’il en négliger la soupe tombée sur son pantalon est forcément à la tête d’une société exceptionnelle. J’ai donc envoyé ma lettre de démission au groupe industriel avec lequel j’avais signé la veille… Le BCG était à ce moment en France une petite start-up d’une dizaine de personnes dont les plus âgées avaient 35 ans, qui vendaient du conseil en stratégie. Nous compensions notre manque d’expérience par l’utilisation d’outils en avance sur leur temps. Intégrer le BCG m’a donné un atout intellectuel. En fait, j’ai appris ce qu’était la concurrence et la capacité à jouer dans un monde de concurrence, qui est un autre nom que l’on peut donner à la liberté. Le plus souvent, la concurrence on l’aime bien, mais si elle n’était pas là, ce serait mieux. Quand vous faites du commerce sur la scène mondiale, vous savez ce que signifie un peuple libre et battant. Travailler dans un pays où il n’y a pas de liberté, c’est impossible ! Autant vous dire que je préfère 100 fois le stress de la concurrence à des situations contraintes. Au BCG, j’ai appris un savoir-faire. Comment être heureux dans un monde de concurrence, comment utiliser le concurrent ? L’autre gros cadeau que j’ai reçu, c’est Bénéteau. L’histoire vaut la peine d’être racontée. J’ai rencontré Annette et Louis-Claude ROUX en 1976. J’ai d’abord travaillé avec eux comme consultant BCG, puis comme DG de 1981 à 1986. La première fois que j’ai travaillé avec Annette, elle tenait dans ses mains un document. Il s’agissait de son bilan qu’elle n’osait pas me montrer car elle était très endettée. Je lui dis que ce n’est pas forcément une mauvaise chose et je regarde son bilan ainsi que celui de son principal concurrent qui était Jeanneau. Après étude, je lui dis « La situation est risquée mais ne changez pas votre stratégie d’endettement volontaire. Avec un peu de chance, vous leur passerez devant dans cinq ans et vous les rachèterez dans dix ans. » Elle m’avait répondu « Chiche ! » Quelques temps après, je rejoignais les chantiers Bénéteau.

Jeanneau était à cette époque LE Leader dans la fabrication de bateaux de plaisance. Filiale d’un groupe américain très puissant, Bangor Punta, il n’avait aucune dette mais versait de gros dividendes à la société mère. Tout le monde pensait donc que l’entreprise était très solide. Bénéteau arrivait en 5° position mais ne payait pour sa part aucun dividende, réinvestissait tout son bénéfice et se réendettait de 1 franc à chaque franc réinvesti. En 1976, le rapport de force était en gros le suivant : 80 millions pour Jeanneau et 30 millions pour Bénéteau. Les résultats de Jeanneau, 12,2 millions de francs, étaient réduits par les impôts de 4,3 millions et, après la distribution d’un dividende de 4,7 millions (60% de 7,9), il ne restait plus que 3,2 millions à investir pour un actif de 41 millions, ce qui donnait une croissance théorique de 8% (3,2/41). Bénéteau avait un résultat après déduction des frais financiers de 5,5 millions et payait 1,9 millions d’impôts, il restait donc 3,6 millions. Le chantier ne payant aucun dividende et s’endettant au ratio de 1 pour 1, ajoutait 3,6 millions au bénéfice net. Bénéteau investissait donc 7,2 millions, soit plus du double de Jeanneau, alors qu’il était deux fois plus petit. Il en résultait une croissance théorique de 50% (7,2/14). Dans les faits, les chiffres d’affaires respectifs des deux entreprises se sont croisés entre 1981 et 1982 à 170 millions de francs. Jeanneau avait crû de 12% et Bénéteau de 40% l’an !

Bénéteau est ainsi parvenu à faire basculer tout le système en bénéficiant d’un marché en croissance très rapide, ce qui lui a permis de se tailler de larges parts de marché, durant une période où le leader Jeanneau était paradoxalement gêné par son actionnaire.

J’ai quitté Bénéteau après 5 ans d’étroite collaboration pour des raisons familiales, nous souhaitions rejoindre Paris. J’ai ensuite intégré la restauration d’entreprises chez Eurest, comme directeur de la restauration aux Wagons-lits jusqu’en 1991. Eurest se trouvant au cœur de tourmentes boursières, j’avais annoncé que je ne resterais pas si les mouvements annoncés se produisaient au sein de l’entreprise.

Quelques temps plus tard, à l’occasion de l’un de mes nombreux déplacements en avion, j’ai rencontré Gérard COTTET, sur le point de devenir président d’Essilor. Vu les circonstances, je lui dis que je cherchais du travail, il m’a recruté. Philippe ALFROID a été mon second pendant des années. C’était un type formidable. On s’est complétés à merveille. J’ai passé la main à une belle équipe et je ne mets plus les pieds dans l’entreprise, c’est ce qu’il faut absolument faire à partir du moment où l’on a passé la main. Lorsqu’on a passé des années dans une entreprise, même si l’on décide de se mettre à un moment donné en retrait, il suffit d’un clignement d’œil pour que les gens qui vous connaissent sachent ce que vous pensez !

Mais je reviens quelques années en arrière. Je connaissais Essilor car j’avais travaillé pour cette entreprise lorsque j’étais consultant chez BCG. Essilor est né en 1972 de la fusion de deux leaders français à deux doigts de se détruire mutuellement, qui réalisaient à l’époque à elles deux 30 millions de chiffre d’affaires. La première, Essel, société de lunetiers, était une coopérative ouvrière née en 1849 qui voulait montrer qu’on peut être communiste et salarié. Cette PME était leader français du verre minéral, inventeur des montures Nylor qui utilisent le nylon pour attacher le verre à la monture. Elle était connue pour ses fameux verres Varilux. La seconde, Silor, était filiale du groupe Lissac. Georges Lissac était un homme absolument génial qui avait inventé le concept du très grand magasin à plusieurs étages. Silor produisait des montures et les premiers verres ophtalmiques en plastique. Les deux entreprises, opposées de classes, représentant respectivement le communisme et le capitalisme, ont eu la sagesse de se dire qu’il fallait arrêter cette guéguerre franco-française et ont décidé de se marier. Une société civile, Valoptec, fut immédiatement créée, qui regroupait les actionnaires des deux parties.

Essel apportait des mécaniciens de génie, des Gadzarts pour la plupart. Silor pour sa part fournissait des « moines soldats » qui sont partis construire des usines il y a 20 ans dans des endroits tordus, dans la forêt philippine, dans le désert du Mexique, en forêt amazonienne, à Saint Pétersbourg et aux Etats-Unis.

Dans les années 90, nous avions l’habitude de dire que nous avions les deux pieds sur terre avec les verres d’une part (2/3 du CA) et les montures d’autre part (1/3 du CA). Pourtant, si nous étions leaders mondiaux en verres, nous étions quatre fois plus petits que « les gros » en montures. A cette époque sont apparus, face aux réseaux généralistes qui fournissaient verres, verres de contact et montures, des réseaux commerciaux spécialisés performants qui démontraient leur grande efficacité. Un choix assez audacieux devant être fait à notre niveau, nous avons coupé l’entreprise et vendu les implants, verres de contact et une partie des montures aux entreprises concurrentes. Il en a résulté très peu de licenciements secs mais je dois dire que nous avons traversé 5 années assez douloureuses.

Le seul domaine dans lequel Essilor choisit d’investir durant ces années-là fut celui du verre photochromique plastique, qui fonce au soleil. Une joint venture fut donc créée en 1991 avec le grand groupe américain PPG qui disposaient de brevets mais avait besoin d’un partenaire pour incorporer les pigments dans les verres plastiques. Nous avons ainsi fait nos premiers pas en Amérique.

On va parler maintenant un peu de stratégie. Deux principaux concurrents figuraient dorénavant sur la scène, des spécialistes de verres, l’un en Asie qui s’appelait Hoya, l’autre aux Etats-Unis, qui s’appelait Sola. Entre 1995 et 2000, Essilor s’est attaché à se déployer sur le plan mondial, avec 80% de son investissement hors de l’Europe. On a racheté les concessionnaires, coupé l’herbe sous le pied de Sola en mettant nos verres à la place des siens, récupéré ainsi une grosse part de marché en mettant en place un véritable jeu de Packman grandeur nature ! Nous nous sommes également lancés dans l’achat de laboratoires aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande, dans des pays où Sola était particulièrement bien implanté, avec une vivacité qui l’a laissé en arrière. L’implantation d’Essilor aux Etats-Unis a constitué un véritable saut, nous sommes alors passés du statut d’entreprise européenne à celui d’entreprise occidentale. Nous avons bénéficié de la puissance américaine en marche, de son dynamisme et de son professionnalisme. Parmi les valeurs formidables qui ont cours au Etats-Unis, je retiens particulièrement le sens de la discipline et de l’exécution ainsi que la capacité à pardonner l’échec et s’en relever. Nous avons énormément bénéficié de cet état d’esprit. Cet investissement américain a véritablement permis à Essilor de marcher sur deux jambes, l’Europe et l’Amérique, pour partir à la conquête de la Chine et de l’Inde.

Hoya était une très belle entreprise japonaise, leader en Asie à cette époque. Une fois entrés en Asie, nous nous sommes alliés avec son pire ennemi qui était Nikon, connu mondialement pour ses appareils photo. Nikon est également leader international du stepper. Cet instrument, au cœur des progrès de l’industrie informatique, permet de produire les microprocesseurs. C’est grâce à lui que nous avons amplifié la puissance et la vitesse de nos ordinateurs. C’était la première fois que Nikon concluait une joint venture avec un groupe étranger. Nous étions désormais pleinement actif sur le marché japonais. En achetant tous les distributeurs de Hoya, nous sommes devenus le leader mondial. Se confronter au Japon a été une formidable source d’enrichissement, nous avons retenu grâce aux Japonais de nombreux enseignements que nous continuons à utiliser sur d‘autres marchés. Cette expérience a aussi été pour nous l’entrée de plain-pied en Asie. Le Japon est au cœur d’une zone extraordinairement puissante : prenez un compas et piquez sa pointe sur le sud-ouest du Japon. Sur un diamètre de 200 km, vous rencontrez sur la circonférence Tokyo, Séoul, Shanghai et Taipeh, ce qui ouvre le Japon, la Corée, Taiwan et la partie orientale de la Chine ! Grâce à cela, on est entrés en Asie. On a commencé par la Corée en appliquant la même méthode qu’au Japon, une joint venture avec la branche ophtalmique de Samyung trading, un conglomérat familial fondé par la famille Lee. Nous avons alors découvert les qualités industrielles coréennes. Les Coréens sont des producteurs-nés, leur vitesse d’exécution est inégalée et ils ont comme les Japonais un grand sens du détail.

En 1993, nous hésitions entre la Chine, l’Inde et la Russie. Nous ne pouvions pas attaquer deux zones en même temps faute de ressources humaines. La Chine et l’Inde étant dotés de pouvoirs régaliens forts, condition nécessaire à l’implantation d’une entreprise comme Essilor, il nous a paru souhaitable de les privilégier. C’est ainsi que nous sommes partis en Chine en 1993 et en Inde en 1995. Nous avons fait partie des premiers à investir ces régions, ce qui nous a ouvert d’immenses perspectives !

Nous avons commencé à prospecter en Chine au début des années 1990, en cherchant d’abord des sous-traitants pour prendre la mesure de l’industrie. Durant ces années, les choses ont évolué de manière incroyablement rapide en Chine. L’industrialisation du pays était telle que d’une fois sur l’autre, nous avions du mal à reconnaître l’environnement de nos usines. Les libertés économiques ont explosé, les gens se sont mis à gagner plus d’argent, à voyager. Ce pays a vécu un véritable décollage !

L’Inde a été une autre belle histoire. Il faut d’abord savoir que les Chinois sont majoritairement myopes. Ils ont donc recours à des verres épais qui ne nécessitent pas de transformations après usinage. En revanche, les Indiens ayant des yeux très courts, ils sont hypermétropes et presbytes, ils ont donc besoin de Varilux qui sont fabriqués en deux temps. Ce qui explique la nécessité de disposer de laboratoires sur place, et par conséquent le nombre important d’acquisitions et de joint ventures réalisés par Essilor sur le territoire indien. De nombreux Indiens se sont formés et ont travaillé aux Etats-Unis. Ils brillent notamment par leurs compétences en informatique. Les grands familles industrielles indiennes sont désormais présentes sur la scène mondiale.

Tout n’a pas été toujours simple. Il nous a fallu par exemple adapter les verres à la lecture de droite à gauche.

La bataille entre Essilor, Hoya et Sola s’est autant jouée sur le terrain géographique que technique. Essilor détenant une réelle valeur ajoutée en termes de design, Hoya se montrant performant sur le plan technique, notamment en chimie fine des verres et en couches minces. Sola a été racheté par Zeiss qui a rattrapé le peloton de tête. La concurrence est ainsi maintenue entre les leaders. La mondialisation a été pour Essilor et moi-même une expérience extraordinaire.

Je vais vous dire quelque chose qui n’est pas sans rapport avec notre sujet. Ma passion, c’est le tennis, dès que j’ai un moment libre, je regarde des matchs. Si je vous dis ça, c’est parce que je ne peux pas m’empêcher de faire des comparaisons. Federer n’aurait jamais été Federer sans Nadal. Le tennis a toujours progressé lorsqu’il y a eu de grands champions, quand Borg et McEnroe se sont tapés dessus. Alors évidemment, c’est fatigant, on s’épuise, mais on s’améliore. Je voudrais passer ce message aux jeunes. Quand on est champion, on hausse le métier. C’est aussi vrai pour des entreprises qui visent le long terme et permettent à des gens du monde entier de se rapprocher. C’est un facteur de paix.  Essilor n’existe que par ses concurrents.

Parmi les anecdotes qui m’ont marqué, je vais vous en raconter une. En 2006, SATO SAN a été nommé PDG de Hoya, notre principal concurrent, le même jour que moi à la tête d’Essilor. Il m’a appelé un jour pour me dire qu’il voulait me voir. J’étais persuadé que c’était pour me dire qu’il voulait acheter le plus gros concurrent et qu’il voulait connaître notre position concurrentielle. Je vais donc le voir, nous dînons ensemble, et c’est alors qu’il me dit « Ecoutez Monsieur FONTANET, je voulais vous voir parce que je pars à la retraite. Nous travaillons ensemble depuis 15 ans, je ne vous ai jamais vu mais je sais parfaitement comment vous travaillez heure par heure. Tous mes commerçants savent où vous êtes. Je me lève tous les matins en me disant « je casse Essilor, je casse FONTANET », et vais vous dire quelque chose que je n’ai encore dit à personne, je me sens plus proche de vous que de beaucoup de mes amis, même Japonais ». J’étais au bord des larmes parce que c’était une formidable marque de respect de la part d’un important concurrent. Alors je lui ai répondu « Vous savez Monsieur SATO, je vais à mon tour vous dire quelque chose que je n’ai jamais dit, c’est que si vous n’aviez pas été là, si nous n’avions pas été dans cette terrible concurrence que vous nous avez opposée, nous n’aurions jamais remonté Essilor. » Nous étions tous les deux très émus. Le message que je voudrais faire passer grâce à cette anecdote, c’est que la concurrence fait grandir. J’ai toujours appris de mes concurrents, j’entre dans leur tête et j’imagine ce qu’ils pensent de moi. C’est la base de toute stratégie.

Le peuple français est extrêmement doué. Napoléon était un homme épouvantable, les gens étaient des pions entre ses mains, mais c’était un sacré stratège et un sacré manager. Il disait que le propre des Français au seuil d’une bataille était qu’ils avaient besoin de connaître tous les paramètres d’une situation avant de s’y investir. Il disait donc à ses soldats « voilà la situations, voilà l’objectif, maintenant, à vous de voir comment vous voulez jouer la partie ». Une fois le jeu entre les mains, ils y vont, à la différence des Américains et des Allemands. C’est également le peuple le plus désobéissant du monde mais aussi le plus malin. Ils cassent volontiers ce qui existe mais ils savent inventer et prendre des initiatives. Il existe des voies dans lesquelles les Français sont particulièrement bons, ce sont celles dans lesquelles il faut de la clarté, du calcul et de l’intuition, comme les bateaux, les avions (EADS), les verres ophtalmiques, mais aussi les assurances où il faut des mathématiques et de l’intuition.

Le monde n’a jamais crû aussi rapidement. Il importe donc de capter la croissance là où elle se trouve et ne pas hésiter à s’expatrier. Lisez « Du « miracle » en économie » d’Alain PEYREFITTE, c’est un livre extraordinaire qui met l’accent sur l’idée de la confiance inséparable du commerce.

La question de la confiance m’a complètement obsédé, et plus particulièrement à partir de 2000, quand Essilor est rentré au Japon, que je n’ai plus pu suivre l’ensemble des dossiers directement. J’ai alors décidé de faire complètement confiance à mes collaborateurs, c’est un formidable choix !

Qu’est-ce que la confiance ? C’est un mystère, ou plus exactement un miracle puisque ça existe. Il s’agit de 3 éléments conjugués : la confiance en soi, la confiance dans les autres et la confiance dans la stratégie. La confiance en soi a quelque chose à voir avec l’idée que toute entreprise est leader en quelque chose, pas forcément sur le plan mondial mais s’avère leader en quelque chose, et donc bien dans sa peau. C’est une histoire de psychologie. La confiance dans les autres : il y a des gens qui ont très confiance en eux et pas du tout dans les autres, ils sont incapables de travailler avec d’autres. C’est impensable chez Essilor. Faire équipe, ce n’est pas facile mais c’est indispensable. La confiance dans la stratégie : pour tenir le miracle de la confiance, garder la confiance de l’équipe, il faut de bonnes stratégies sur du long terme. La contribution du manager qui favorise une bonne ambiance, c’est de mettre en œuvre la bonne stratégie. A partir du moment où tout un chacun sait dans l’entreprise dans quelle direction va la société, l’organisation se met à bouger positivement et les salariés donnent toute leur énergie. Beaucoup de choses sont faites aujourd’hui pour casser la confiance alors qu’il faut en prendre soin, la préserver à tout prix. Il s’agit d’un « mécanisme vertueux », un puissant moteur de changement lorsqu’elle est fondée sur un mécanisme de réciprocité : pour que les collaborateurs aient confiance en leur management, il est nécessaire que le management ait d’abord confiance en lui-même.

 

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Extraits des questions-réponses :

Ne craignez-vous pas que les progrès quasi quotidiens de la chirurgie oculaire aient une incidence sur l’activité d’Essilor ?

Il importe ici de faire la part des fantasmes et de la réalité. Il est vrai que les médias jouent volontiers sur les peurs, sur le spectaculaire de la chirurgie de la cataracte par exemple. Maintenant, il faut regarder les chiffres. Il faut savoir que mondialement, la chirurgie réfractive est en très gros déclin. Après une première génération d’appareils qui ont généré de gros problèmes, on a vu apparaître des appareils de 2° génération dans les années 1995. Le maximum du marché a atteint environ 770 000 paires d’yeux opérées. Ensuite, le marché a chuté. Un autre aspect étant le coût très élevé des interventions. Donc en gros, le marché a chuté d’au moins 40%. Essilor a rencontré des difficultés au moment de la croissance, les marchés financiers suivant ces événements de très près ont pris peur et puis le marché s’est régulé. Il y a d’autres techniques qui arrivent comme les implants correcteurs. Vous savez, nos entreprises sont appelées à vivre au rythme des découvertes technologiques. Nous sommes de plus en plus dépendants de la chimie. Voyez plutôt, la demande d’acuité visuelle du futur sera de 10 à 20 fois plus élevée qu’aujourd’hui. Donc si vous n’avez pas une correction extrêmement précise, votre cerveau va être obligé de travailler plus qu’il ne le ferait pour interpréter les taches floues. A ce moment-là vont se manifester des maux de tête, votre intelligence qui est grande va se mettre au service de la vue plus que de la réflexion, etc. Là encore, vive la concurrence qui nous permet de progresser.

 

Vous avez dit « Les cadres qui partent, je ne les retiens jamais ». Pourriez-vous développer votre pensée ?

Je suis surpris d’avoir dit ça car un cadre qui part, c’est un drame et un échec. Particulièrement dans un groupe comme Essilor parce qu’on perd une compétence dans un métier pointu, sachant que la technologie de Varilux est tellement compliquée qu’il n’y a pas d’école d’optique qui l’enseigne. Donc les concurrents peuvent acheter un Essilor et pomper ce savoir-faire.

Dans la mise en place de la confiance, il faut donner aux gens des responsabilités. C’est ce qui permet à l’humain de se développer. Le succès est d’autant plus important que la responsabilité est claire. Chez Essilor, on explique aux gens les raisons de leurs erreurs et ils progressent, autant grâce à leurs succès qu’à leurs échecs. Le vrai critère pour moi, c’est évaluer le capital humain que telle ou telle personne a su apporter à Essilor. C’est un élément clé à comprendre dans le mécanisme de la confiance. L’échec est capital, et ce que les gens appellent justice, au sens dérivé où la gauche l’utilise, c’est « je défends mes droits, je défends la propriété », au prix d’une inégalité. Je veux parler de cette justice d’égalité dans laquelle on justifie la spoliation. Le Français est tellement pour l’égalité qu’il est prêt à sacrifier sa liberté pour elle. La sphère publique est devenue bien trop lourde en France. Elle est censée nous protéger alors qu’elle nous plombe. L’Etat providence est une fiction qui fait croire que l’on peut vivre avec de l’argent venu du ciel. Or il n’y a pas de miracle car l’argent vient de la poche de chacun d’entre nous. Nous devrions revenir au début des années 70 sous POMPIDOU. A cette époque, l’Etat n’était quasiment pas endetté et les prélèvements obligatoires ne dépassaient pas 30% alors que l’économie était florissante. Aujourd’hui l’excès d’imposition tue la motivation ! Le plan d’action consisterait à réduire d’au moins 20% les frais de la Nation. Tout chef d’entreprise sait qu’il est possible de faire de telles économies. La concurrence nous oblige de faire plus avec moins. Je crois à ce titre que les chefs d’entreprise sont les plus à même de faire sortir l’économie de la crise. Il faut pour cela leur faire confiance. Pour en revenir à mon sujet, le boss juste, c’est celui qui dit ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Le libéralisme, c’est d’abord la conviction que chaque personne est unique et géniale ; chaque personne renferme son propre talent, chaque être est capable de faire des choix qu’il assume et qui le construisent dans la durée… Le fondement de l’économie de marché, c’est la confiance en chaque personne humaine.

C’est pour cette raison que l’on perd peu de collaborateurs chez Essilor. Après leurs erreurs, on redonne leur chance aux personnes. Faire confiance, c’est à la fois simple et très engageant.

Avec l’égalité, on tue le moteur ! Je vais vous donner un exemple. Imaginez deux élèves. Le premier a fait un très bon devoir, le professeur lui met 20/20. Le second l’a complètement raté, il a 0/20. A l’occasion du devoir suivant, le professeur décide de mettre 10/10 à chacun pour inciter le premier à faire preuve de solidarité et encourager le second. Résultat : ni l’un ni l’autre ne seront stimulés, le premier trouvera sa note injuste et le second pensera qu’il n’est pas nécessaire de produire des efforts.

 

Je reviens sur le thème de la confiance. Vous avez dit que le Français avait besoin de comprendre pour être en confiance. Que diriez-vous des Chinois ? Je travaille pour ma part beaucoup avec des intermédiaires Chinois et je n’ai pas confiance !

Il faut avant tout voir d’où viennent les Chinois. J’ai eu la chance d’y aller 3 ou 4 fois par an depuis 20 ans. Vous ne pouvez pas savoir d’où ils viennent ! Ils sont encore dans une période de début d’économie de marché. Il faut que les choses se mettent en place. Mais il y a beaucoup de Chinois avec qui nous avons tissé des liens de confiance. C’est une question de temps. Nous avons recruté le président actuel d’Essilor Chine, YI HE, il y a 18 ans. Il ne nous a jamais quittés. Et je peux vous dire qu’il a eu un grand nombre d’offres. Certains sont encore un peu roublards mais il y en a de plus en plus en qui nous pouvons faire confiance. Parler « des Chinois » est une expression dangereuse. Il y a de tout, y compris des personnes extrêmement fiables. Ils ont tellement souffert, y compris de famine pour les plus de 40 ans, qu’on peut comprendre que certains nous en veulent. Quand on casse la glace, qu’on prend du temps, on ne dit plus « les Chinois » mais Monsieur ou Madame X ou Y.

Pour tisser la confiance, rappelez-vous, il faut comprendre les autres, se mettre dans leur peau, qu’ils soient Chinois ou autres, et ne pas porter de jugement.

 

Pouvez-vous nous dire quel est le projet d’Essilor aujourd’hui ?

Je ne peux évidemment pas vous répondre, je n’en ai pas le droit. Ce serait à Hubert SAGNIERES de vous en parler. Je suis bien sûr extrêmement solidaire de ce qui va se passer mais je ne veux pas instrumentaliser mon successeur. Ce que je peux dire quand même au sujet de l’avenir, c’est que, dans les pays occidentaux, la classe moyenne dispose d’environ 200,00€ d’épargne nette par mois au profit d’autre chose que de sa consommation quotidienne. La classe moyenne indienne, chinoise ou d’Amérique du sud est en pleine concurrence avec notre classe moyenne. Sans parler de la question de la parité des monnaies, d’un pays à l’autre, les prix de production sont tellement variables que c’est très difficile à gérer. L’Europe est en train de se faire balayer en raison de cette sensibilité aux prix. D’où l’intérêt d’avoir des usines partout, de manière à rester concurrent par rapport aux Chinois et aux Américains notamment. Il faut bien dire aux jeunes que le monde n’a jamais été aussi ouvert et qu’il y a toutes sortes de choses à entreprendre.

 

Vous nous avez parlé de confiance. Dans ce cadre, comment savoir si la stratégie qu’on a choisie est la bonne ?

Ca c’est compliqué car on ne sait jamais si une stratégie est bonne. Si l’on veut vivre dans un monde de liberté, il faut admettre que la liberté est indissociable de la concurrence et de l’incertitude et donc il faut les supporter.

Dans un deuxième temps, je dirais qu’il faut passer beaucoup de temps à organiser le travail, choisir des collaborateurs intelligents, s’entourer de gens forts, plus forts que soi, bien s’en occuper, bien les payer parce qu’on attire pas les mouches avec du vinaigre, et soigneusement organiser les conseils. Il y a débat entre l’option d’un directeur général et d’un président ou bien le choix d’une direction à deux têtes. J’ai envie de dire peu importe, ce sont les bons qui gagneront. Dans un système concurrentiel, l’organisation d’un conseil d’administration bien organisé est primordial. Il convient également de largement communiquer avec les troupes, avoir des vraies discussions de fond. C’est là que les syndicats sont importants. De 2000 à 2005, quand on a réduit l’effectif d’Essilor, j’allais très régulièrement en comité central d’entreprise. Par la suite, j’ai continué à m’y rendre mais de manière moins fréquente. Il y a quelque chose qui a très bien marché, ce sont les syndicats européens qui ont permis de beaucoup échanger et de se confronter.

 

La mondialisation est-elle à la portée de toutes les PME. Pensez-vous qu’il y a une taille minimale à atteindre avant de songer à passer les frontières ? Par ailleurs, la mondialisation est-elle compatible avec tous les secteurs d’activité ?

C’est un thème extrêmement intéressant. Je suis justement en train d’écrire un livre sur ce sujet.

D’abord, il faut allonger les horizons de temps. 20 ans, c’est le minimum pour commencer à penser à un projet de mondialisation.

Deuxièmement, il y a une réflexion à mener sur les métiers. Il existe environ 2,5 millions d’entreprises en France, dont 1,5 millions de PME. Je vous conseille de lire le livre de Friedrich HAYEK intitulé « Droit, législation et liberté » réédité en 1995, qui démontre qu’une économie n’est pas monolithique. Pour ce philosophe et économiste, une économie n’est en aucune façon monolithique mais constituée de multitudes d’économies. C’est à lui que l’on doit l’idée de la catallaxia, ou ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché. On sait l’énorme segmentation des entreprises. Une entreprise ne peut pas tout faire, elle a besoin de multiples partenaires, depuis l’entreprise individuelle jusqu’aux grands groupes. On compte environ 5 concurrents par métier. Parmi ceux-là, il y a ceux qui gagnent de l’argent et il y a ceux qui en perdent. Il y a des métiers qui montent, comme la téléphonie, d’autres qui descendent, prenez le morse par exemple ! C’est toujours comme ça.

Il faut déjà segmenter les industries de service, comme la plomberie pour laquelle la concurrence géographique est limitée, compte-tenu qu’il faut compter environ 20 ans avant qu’une entreprise de ce type devienne pérenne. Plus vous faites du service, plus vous êtes local. Quand on est sur des produits, c’est différent car le coût de production est énorme (80%) et le coût de commerce moindre (20%), donc plus il importe d’être présent sur le plan mondial. Pour s’étendre, on peut le faire chez le voisin, dans la ville d’à côté, ou plus loin. Essilor a réussi notamment parce qu’on a pris de vitesse la concurrence. Mais pour cela, nous devions expliquer aux syndicats que pour renforcer l’activité française, il fallait conquérir la Chine. Ce qui a eu du mal à passer auprès des équipes de production françaises. Ce qu’il fallait comprendre, c’est qu’en empêchant les Chinois ou les Américains d’arriver sur le marché français, on a tonifié notre activité. Les études de marché font parfois oublier les concurrents. Il faut envisager les marchés par l’observation des concurrents. Le bon réflexe stratégique, c’est de ne pas s’occuper des marchés mais des concurrents. Quelle est l’entreprise dont les mouvements vont freiner ou altérer notre activité ? Qui risque de nous faire le plus de mal ? Si on doit aller se battre, où doit-on le faire ? La stratégie, c’est aussi comprendre par quel pays commencer car on n’a jamais assez d’argent et d’hommes pour attaquer simultanément plusieurs fronts. On risque de fragiliser sa base. C’est l’erreur commise par Hitler, il a ouvert le front russe trop tôt, il aurait dû d’abord stabiliser ses positions en Europe. Pour conquérir le monde, il faut avoir la paix en France, y être leader. Quand on reste en équilibre concurrentiel avec les autres, on n’avance pas, il faut faire bouger les équilibres.

 

Qu’est-ce qui explique le miracle du succès de la République de Corée depuis 1950 jusqu’à nos jours?

Et d’autre part, quand vous prendrez la suite de votre père à l’Education nationale, que comptez-vous faire pour que la jeunesse française puisse vraiment être capable de relever les défis des 20 ans qui viennent ?

Pour vous répondre, je vais commencer par mentionner un projet que nous avions eu avec Yves GONNORD de mettre des ordinateurs dans les écoles. C’était à l’époque très innovant !

Le lien que je peux faire entre l’éducation et mon intervention de ce jour concerne la concurrence qui existe entre l’enseignement public et l’enseignement privé, qui booste l’un comme l’autre. C’est par l’essai, la comparaison et donc la concurrence que l’on a une chance de tendre vers la vérité. C’est ainsi que Jean-Pierre CHEVENEMENT lui-même m’a dit un jour « Monsieur FONTANET, ne le dites pas, mais j’ai besoin de la concurrence du privé pour gérer le public ».

La Corée maintenant. Figurez-vous que les parents déménagent en fonction des écoles de leurs enfants parce que celles-ci sont dans un système de concurrence incroyable. Les professeurs sont évalués en permanence, maintenus ou remerciés en fonction de leurs résultats.

Le miracle coréen, c’est compliqué. Le peuple coréen est rigoureux et décide très vite. Les Japonais ont beaucoup de qualités mais ils mettent beaucoup de temps à décider. Les Coréens sont des producteurs depuis toujours. Il y a un savoir-faire séculaire en Corée, notamment en artisanat. Ils ont là une longueur d’avance évidente. S’ils sont moins forts que nous en commerce, ils sont bien meilleurs en production.

Autre chose, le président de la République de Corée est un ancien businessman qui met le paquet pour aider les entreprises. Le taux de chômage est à 7%. L’accompagnement social est moins bon mais les Coréens bossent ! En 2004, on a fermé une usine en Corée. Les 280 personnes licenciées ont été prévenues 15 jours avant la fermeture. Ils partaient avec 2 mois d’indemnités. Toutes les boîtes du coin se sont précipitées pour les prendre !  En Europe, on est d’ailleurs en train de se rendre compte que le social tue l’économie.

 

Vous avez dit que vous étiez leader mondial en Europe, puis en Asie et aux Etats-Unis, qu’en est-il de l’Afrique dont vous n’avez pas parlé ?

On prend les sujets les uns après les autres. Le marché africain étant très petit, on s’est d’abord attaqués à d’autres zones du monde. Je n’ai pas parlé de l’Inde. On a racheté 14 entreprises en Inde pour y devenir leader. Nos principaux prescripteurs sont les ophtalmos, il faut donc qu’ils soient suffisamment nombreux pour que notre présence soit justifiée.

Je préfère la diversification géographique à la diversification produits. Pour moi, un produit est avant tout un process de production. C’est donc sur les process qu’il faut travailler. Nos équipes de recherche et développement ont donc travaillé sur des machines outils performantes que nous installons chez les opticiens pour améliorer les services. Les montures seront disponibles sur Internet et on choisit de travailler sur les process. Les lunette étant un produit unique car adapté à chaque personne, on doit travailler sur la technologie pour  continuer à progresser. La distribution de lunettes ne peut pas être industrialisée.

 

Pourrait-on revenir sur votre démonstration concernant le développement des entreprises, en évoquant notamment l’Allemagne où il y a des entreprises de taille intermédiaire bien plus nombreuses qu’en France, intermédiaire entre PME et grands groupes internationaux. Pourrait-on vous entendre sur ce sujet ?

Je pense que la question de la confiance est encore ici au cœur de ma réponse. Je suis affolé par l’émigration du capital. C’est un sujet tabou, on ne connaît pas le nombre de personnes qui quittent la France chaque année mais je pense que les chiffres sont gigantesques.

La deuxième chose dont je voudrais parler, c’est du CAC 40. Sous la présidence de POMPIDOU, Le CAC 40 était très largement français. L’une des principales raisons qui expliquent la baisse de l’activité en France est la fuite des capitaux, 15% du capital environ, notamment en raison de l’ISF.

La sphère publique coûte trop cher. L’ISF et les déficits publics depuis 15 ans expliquent beaucoup de choses.

 

Notre balance commerciale est déficitaire. Quelles en sont pour vous les causes et les remèdes ?

Ça fait 20 ans que j’estime qu’il faut passer à des systèmes de TVA, sans être tout à fait en accord avec le terme TVA sociale mais peu importe. Il est évident que dans un contexte de mondialisation, il faut que les impôts soient neutres par rapport à l’importation et l’exportation, il faudrait idéalement que tous les impôts soient sous forme de TVA, supprimer les impôts sur les revenus et les bénéfices, et mettre une seule TVA au taux qui correspond au coût de l’Etat en économie. Les prix de certains produits augmenteraient un peu certes mais ça allégerait les charges des entreprises qui pourraient ainsi exporter et embaucher du monde. Ce qui représenterait pour le coup une vraie mesure sociale.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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