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Le sport : école de la vie ou spectacle business ?

Compte rendu de la Rencontre du CERA du vendredi 21 novembre 2008

 

Le sport est partout dans notre vie, l’économie, les médias, les conversations… Qui est le sportif le plus populaire ? Zinedine ZIDANE ! Le modèle dont nos entreprises s’inspirent ? Le sport ! Sans parler des programmes sportifs à la télé qui peuvent occuper tout un dimanche !

Quelle place occupe réellement le sport dans nos vies, est-ce une histoire de passion ou d’argent ?

Nos invités sont bien placés pour en parler :

 

Roger LEGEAY, coureur cycliste

« J’ai fait à peu près toute ma carrière dans le sport. 7 tours de France. Je me suis retrouvé après 10 ans de métier de l’autre côté de la barrière avec Roland BERLAND pour animer une équipe puis diriger l’équipe de Peugeot Cycle. J’ai dû par la suite chercher des sponsors. J’ai suivi ainsi 36 tours de France en tant que directeur sportif. Aujourd’hui, nous sommes complètement autonomes, avec 50 salariés. Ce qui me conduit à m’occuper de business, de social et d’organisation – un peu moins du recrutement des jeunes coureurs. Ce qui me paraît particulièrement important à dire aujourd’hui, c’est que l’on vit une vraie histoire avec nos sponsors. »

 

Gilbert AVANZINI, psychologue du sport

« Je ne suis pas un psychologue du sport mais avant tout un universitaire détaché pour essayer d’apporter de l’aide aux équipes olympiques qui ont des objectifs à atteindre. Mon métier : trouver des moyens pour aller plus loin dans la performance. Je suis en relation avec des caractères souvent énigmatiques, il faut donc chercher des solutions qui conviennent à chacun. J’ai accompagné un certain nombre de sportifs dont quelques uns ont accédé au titre de champion du monde. L’accompagnement se fait sur le plan mental. Il s’agit de trouver des systèmes qui sortent le sportif de sa représentation du sport. »

 

Jean-Luc VAN DEN HEEDE, navigateur

« J’ai abordé les océans lointains par des lectures de jeunesse et pas mal de voile en compétition. Comme j’étais professeur de maths, j’ai demandé de plus en plus de disponibilités jusqu’à ce je quitte l’enseignement en 1989, à l’occasion du premier Vendée Globe. Je suis arrivé 3ème. Ce type de compétition n’avait été tenté qu’une fois en Grande-Bretagne, avec 9 participants au départ et un seul à l’arrivée !

On me demande souvent à quoi attribuer le succès du Vendée Globe. C’est parce que ça fait rêver tout le monde ! La course au large est un sport très spécial car aucun témoin n’assiste à ce qui se déroule sur les bateaux.

J’ai aussi fait le tour du monde à l’envers, c’est-à-dire contre les vents dominants et les courants. Nous sommes 5 au monde à l’avoir fait mais c’est toujours moi qui détiens le record depuis 2004.

Commentaires de film présenté par Jean-Luc Van Den Heede : « Nous sommes en 2001, mon bateau s’appelait Adrien, du nom de l’entreprise qui me sponsorisait. Ce bateau de 26 mètres était spécialement conçu pour ce tour du monde à l’envers. J’ai connu pas mal de problèmes, démâté en Australie. Après 3 tentatives, je suis reparti pour enfin parvenir à boucler mon tour. C’est le mental plus que le physique qui nous pousse à réussir. D’ailleurs, il n’existe pas de différence entre le classement féminin et masculin. Il faut être tenace, avide d’entreprendre, aimer le risque tout en le mesurant. La voile est une école de volonté. Même si on ne réussit pas du premier coup, à force de ténacité, on y arrive. Imaginez quand il faut se lever la nuit de son duvet chaud pour réduire la voilure par exemple ! C’est même une école de volonté individuelle car personne n’est là pour vous encourager ».

 

Robert REDEKER, philosophe, chercheur au C.N.R.S.

« Une de mes spécialités est la religion, ou plus exactement, l’anthropologie des religions. Je fais partie de la Rédaction de la revue « Les temps modernes » créée par Jean-Paul SARTRE.

Le sport s’inscrit dans mon questionnement. Selon Kant, toute la philosophie se retrouve autour de la question « qui est l’homme ? » En quoi le sport intervient-il dans l’évolution de l’homme ? J’aborde un certain nombre de thèmes qui ne font pas l’unanimité. La meilleure preuve en est que je suis sous protection policière, menacé par une fatwa suite à un article publié dans le Figaro ».

 

Débat animé par Philippe RAIMBAUD

Philippe RAIMBAUD : Alors, le sport, école de vie ou business ? Roger LEGEAY, pouvez-vous nous parler des valeurs du cyclisme et en quoi le sport appartient-il à l’école de la vie ?

Roger LEGEAY 
Les garçons qui font du cyclisme ont déjà autour de 19 ans lorsqu’ils passent professionnels. On est là pour les accompagner dans leur épanouissement avec des règles, du travail, une vraie confiance en leur potentiel. On leur propose une éthique. En cela, nous avons un vrai rôle de dirigeant et d’éducateur. Le cyclisme est un sport individuel qui se pratique en équipe. C’est une véritable discipline d’équipe car nous vivons 200 jours par an ensemble. Chaque tour de France est une aventure individuelle et collective.

 

Philippe RAIMBAUD : Comment résumer les valeurs de la voile par rapport aux valeurs de la vie ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
Il existe deux types de valeurs et deux types de courses. Les courses en solitaire font rêver mais la majorité des compétitions se court en équipage. On parle beaucoup moins de ces dernières. Et pourtant, les gens vivent 24h/24 sur une toute petite surface. Il existe entre eux une synchronisation extraordinaire. Les valeurs ne sont donc pas du tout les mêmes. En solitaire, aucune aide électrique n’est autorisée en dehors du pilote automatique. C’est le seul sport où quand on dort, on continue à faire du sport !

Une seule nécessité absolue : la volonté. On ne revient pas tout à fait le même après une course autour du monde. On est plus à l’écoute de la nature, notamment de la météo. On apprend à accepter ce que l’on ne peut pas maîtriser. Si je ne gagne pas une course, je ne m’en veux pas.

 

Philippe RAIMBAUD : Existe-t-il de grandes qualités pour être champion ?

Gilbert AVANZINI
Pour détecter de nouveaux champions, il existe des grilles de tests qui s’apparentent à celles inventées par Binet. Je ne les utilise pas pour ma part.

Certains acteurs placés dans telle situation donnent des résultats extraordinaires. Il y a toujours des systèmes singuliers qui permettent à des personnalités de réaliser des performances formidables. Ma mission est de trouver ces systèmes.

 

Philippe RAIMBAUD : Des qualités qui apparaissent dans un contexte particulier peuvent-elles servir de modèles ?

Gilbert AVANZINI 
Voilà une question difficile à laquelle on ne sait pas vraiment répondre. Celui qui fait 10 km tous les jours n’est pas un champion. Pour nous, un champion est celui qui s’engage dans un cadre institutionnel à pratiquer du sport de haut niveau. La recherche de l’excellence est permanente dans ce cadre qui demande un dépassement perpétuel.

Robert REDEKER
Dans l’antiquité grecque, le sport représentait l’accomplissement de la personne humaine. Aujourd’hui, c’est la quête constante de la performance. Il me semble que le sport est l’école de la vie dans le sens de l’apprentissage à être. Quand j’étais étudiant en philosophie, je faisais 1 000 km à vélo par semaine. C’était pour moi une façon d’apprendre et d’apprendre à être. Le courage et la ténacité sont deux valeurs capitales.

Roger LEGEAY 
J’ajouterais également le sérieux.

 

Philippe RAIMBAUD : Vous voulez dire se consacrer sérieusement au travail ?

Gilbert AVANZINI 
Il faut les deux. Travail et obstination. Les principales problématiques sont liées au fait que le talent se retourne parfois contre les valeurs d’abnégation et de ténacité. Nous avons des grands sportifs qui utilisent leurs talents sans pression particulière. Ils sont doués mais ne deviennent pas des champions.

 

Philippe RAIMBAUD : Est-ce qu’un champion est un exemple qui peut servir à la société ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
Oui, sans doute. On nous regarde beaucoup mais attention, on est tous des hommes ! J’ai reçu des courriers me disant « Vous êtes ce que j’ai toujours rêvé d’être ». Ca me paraît un peu triste, plein de désillusion.

Des gens comme MOITESSIER étaient des aventuriers, pas des champions, mais ils pouvaient autant servir de modèles. Lorsqu’on pratique le sport comme je le fais, on se fixe toujours l’étape supérieure, comme si l’on se posait ses propres défis. Le sportif, comme le champion, a toujours envie d’en faire plus. Alors, jusqu’où va le sportif et où commence le champion ? Je pense que le sport s’arrête quand on se dit du concurrent « il va trop vite, je n’ai plus envie d’essayer de le rattraper. »

Gilbert AVANZINI 
Au sujet des valeurs. Dans l’antiquité, les sportifs étaient payés. Aujourd’hui, il existe des classements. Les sportifs qui gagnent sont exceptionnels. On les envie dans leur globalité et on néglige souvent les valeurs de partage collectif, d’abnégation, de volonté quotidienne, qui caractérisent ceux qui ne sont pas les meilleurs.

Robert REDEKER
L’athlète antique accomplissait la perfection humaine. Aujourd’hui, c’est la perfection qui est valorisée, ce qui nous fait sortir du champ du possible.

Le public métamorphose le champion en icône alors qu’il est avant tout homme. Il suffit de se souvenir de l’épisode de Zidane, exaspéré par les paroles déshonorantes d’un joueur. Ces icônes représentent des symboles nationaux (rappelons-nous Poulidor représentant la France conservatrice tandis qu’Anquetil évoquait une vision plus moderne).

Le business aujourd’hui est différent de celui qui s’opérait durant l’antiquité. L’économie était autrefois agraire, elle est aujourd’hui dominée par le capitalisme.

 

Philippe RAIMBAUD : Pouvez-vous nous parler de l’influence du capitalisme sur l’évolution du sport ?

Robert REDEKER
Oui, bien sûr. Le capitalisme est une forme d’économie née en Italie au XII° siècle, qui s’est mondialisée au XIX°. Le sport est le miroir du capitalisme dans ce qu’il a de meilleur et de pire. Il y a de nos jours quelque chose de démesuré dans le monde du sport. Il faut viser toujours plus loin, courir toujours plus vite, être toujours plus fort. Or l’antiquité avait horreur de la démesure.

 

Philippe RAIMBAUD : Le classement à l’arrivée est largement conditionné par le classement de départ. Est-ce une bonne chose ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
On traite là de la qualité du matériel. Aujourd’hui, il faut arriver à faire une mécanique qui marche aussi bien que les autres. Quand on n’a pas de sponsor, on ne peut pas lutter à armes égales. Mes premiers bateaux faisaient 6,50 mètres, celui d’Alain COLAS, Club Méditerranée, faisait 72 mètres. Un vrai petit pétrolier! Dans tous les sports mécaniques, il faut des financements toujours plus importants.

 

Philippe RAIMBAUD : C’est différent du foot ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
La différence entre voile et foot, c’est que les footballeurs professionnels peuvent changer de club et gagnent beaucoup d’argent. Pour vous donner une idée, pour s’inscrire au premier Vendée Globe, on payait 50 000 frs – en gagnant la 3° place, j’ai touché 20 000 frs ! Il n’y a pas un seul voileux qui parte pour l’argent, mais c’est vrai, il faut beaucoup d’argent pour concourir. Les bateaux valent de plus en plus cher. Actuellement en dessous de 2 millions d’€, on n’a aucune chance de gagner.

Le sponsoring, comment ça marche ?

On est d’abord les gérants de nos propres sociétés. On dépense l’argent au fur et à mesure des rentrées – on amortit les coûts (sur 5 ans pour un bateau de course) – on doit faire un business plan. Même s’il existe un lien affectif entre les skippers et les sponsors, les entreprises cherchent ce qu’ils vont gagner.

 

Philippe RAIMBAUD : Jean-Luc et Roger, vous faites le même métier ?

Roger LEGEAY 
Oui, exactement. Il existe une relation entre budgets et résultats dans presque tous les sports.

En cyclisme, chaque membre d’une équipe a le même train de vie. C’est le salaire des coureurs qui changent. Les meilleurs sont les mieux payés. Il y a toutefois aujourd’hui une vraie réflexion menée sur l’idée d’équilibrer les frais des équipes, pour ménager l’incertitude du sport.

Robert REDEKER
L’argent peut booster ou tuer le sport. Les plus riches comme les plus endettés finissent toujours par tuer l’incertitude du sport et lasser le public. On assiste à une « catchisation » du sport.

Roger LEGEAY 
C’est aux dirigeants de chaque sport de faire un sport éthique. Le business marche très bien, c’est évident, mais le Tour de France doit tourner autour du sport et non autour du business. Ceci est vrai dans tous les sports. Prenez par exemple la natation de haut niveau. Autrefois, tout le monde avait un maillot, aujourd’hui les champions utilisent des combinaisons toujours plus sophistiquées et coûteuses.

Robert REDEKER
Aujourd’hui, le Tour de France ressemble à une grande kermesse. Le public suit ce grand événement sans se préoccuper des résultats. Je souhaite longue vie à cette formidable compétition sans être malheureusement certain de sa pérennité.

Roger LEGEAY 
J’espère que tout ce qui sera mis en place va redonner de la crédibilité au Tour de France. En 1903 avait lieu le premier Tour de France, créé pour lancer le magazine « Auto ». On avait choisi juillet pour que les Français soient en vacances et profitent ainsi du Tour dans la convivialité. La couleur jaune du maillot vainqueur était celle du journal.

Gilbert AVANZINI 
Le business n’est pas mon domaine.

Une des valeurs importantes du sport est l’équité. Tout le monde doit avoir le même accès aux sports. Or mon travail consiste à faire triompher l’iniquité : comment faire pour battre d’autres sportifs ? Mon métier justifie que je contourne l’équité pour permettre à ceux que j’accompagne de gagner. Nous cherchons tout le temps comment nous dépasser pour être plus fort que les autres. On pirate du coaching, on observe les autres équipes pour viser leurs faiblesses et espionner leurs points forts et on s’attache à les battre sur ces plans. C’est une réalité, aucun règlement ne l’interdit. Des micros sont installés depuis 10 ans par des Japonais pour espionner les coachs des champions français et inversement. Grâce à ces techniques, nous obtenons globalement de bons résultats. Ce travail d’analyse respecte les règles éthiques, même s’il n’est pas très élégant.

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
L’espionnage existe aussi en voile. Les hélicoptères ont interdiction de survoler les bateaux de trop près lors de la Coupe de l’America. Lors du premier Vendée Globe, chacun construisait son bateau dans son coin et on les comparait le jour du départ. Maintenant, ça ne se passe plus du tout de cette manière. On s’entraîne toujours par deux. Il y a une école à Port-la-Forêt, près de Quimper, qui forme des compétiteurs. Ces gens qui travaillent ensemble ont une avance considérable sur ceux qui travaillent seuls. La synergie en voile aussi est une grande valeur ajoutée.

Gilbert AVANZINI 
Rassembler des connaissances nous paraît indispensable. Diététiciens, psychologues, préparateurs physiques, etc. étaient au service de l’entraîneur mais de façon cloisonnée. Aujourd’hui, on travaille en réseau pour privilégier l’idée de système. Ce n’est plus l’entraîneur ou le sportif qui se trouve au centre de ce système mais la performance. On parle donc de réseaux de performances.

 

Philippe RAIMBAUD : Robert REDEKER, ce soir je vous trouve très soft par rapport au discours de votre livre !

Robert REDEKER
Je décris un danger tout à fait menaçant de ce que le sport pourrait devenir si nous n’y prenons pas garde.

A-t-on affaire avec le sportif à un mutant ? Assiste-t-on à une véritable crise du sport ?

Il y a encore quelques dizaines d’années, il n’existait pas de sport codifié. Cette idée est apparue en Grande Bretagne au XIX° siècle. Les masses populaires ont été concernées dans la seconde moitié du XX° siècle, parallèlement au succès grandissant des grands spectacles médiatisés.

Quelle est la nature de la crise actuelle ? Il s’agit d’une crise de légitimité et d’une crise éthique car l’une repose sur l’autre. Elle n’est en aucune façon superficielle. La plupart des gens ont placé leur sincérité et leur confiance dans le sport, faisant de cette discipline une véritable référence morale. Si cet attachement est trahi, le sport ne s’en relèvera probablement pas.

Roger LEGEAY 
J’adhère totalement à cette analyse. Le sport sera éthique ou ne sera pas. Les deux moteurs sont l’ego et l’argent. Ces deux éléments valent-ils qu’on joue avec sa santé en prenant le risque de se doper à 19 ans ?

Robert REDEKER
Il y a la question centrale du sport et de sa connexion avec la santé. L’espérance de vie des grands sportifs est plus courte que celle de la moyenne des gens. Ce n’est donc pas une publicité pour la santé de faire du sport !

 

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Extraits des questions-réponses :

Il y a confusion entre recherche de la performance sportive et économique me semble-t-il. Un peu comme si on parlait du poisson versus surimi !

Roger LEGEAY : Ce sont les fédérations nationales qui négocient de fortes sommes pour les droits de télévision. Sont-elles dans leur rôle ? Vous abordez là une question importante qui est celle de l’organisation des compétitions. Si l’argent devient central, ça ne peut plus continuer.

Gilbert AVANZINI 
Je ne suis pas tout à fait d’accord dans le sens où je pense qu’une fédération est une entreprise.

 

J’ai l’impression que pratiquant du sport le dimanche et proposant à mes enfant de jouer au tennis en club le mercredi, je suis exclue des thèmes que vous abordez ce soir. En réalité, c’est quoi le sport pour vous ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
Le sport de haut niveau implique du business. On en arrive très vite à être sur le fil. La voile a encore une image un peu éthique, c’est pour cette raison qu’on y trouve encore des sponsors, mais la dérive est très rapide. Le nombre de concurrents augmente, le nombre de sponsors également. Plus il y a d’argent, plus le risque de dérive existe.

Le sport de base tel que vous le pratiquez existera toujours, mais c’est un autre champ.

Gilbert AVANZINI 
Je suis désolé d’avoir semblé vous exclure du sport, mais le point de vue d’un entraîneur sportif qui souhaite rendre l’enfant heureux grâce à ses performances de haut niveau n’a rien à voir avec votre vœu de voir votre enfant exceller dans son sport du mercredi.

 

Si la médiatisation du sport ne devient qu’une question d’argent, c’est bien triste. Mais on peut tout de même se poser la question, quel est le but du sport médiatisé ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
Construire un bateau capable d’accomplir une prouesse difficile. Enfant, je voulais atteindre l’ile d’en face ; puis j’ai visé la Grande Bretagne ; et après le monde !

C’est également un objectif pour une entreprise qui souhaite sponsoriser un projet d’envergure. Il convient dans ce cas que l’objectif du sportif soit en adéquation avec celui du financeur. Je voulais dire à ce sujet que je n’ai jamais été contraint dans mes choix par mes sponsors. Par contre, j’ai toujours respecté les contrats signés.

Roger LEGEAY 
Le public regarde le spectacle lorsque celui-ci est intéressant et beau. C’est à nous de présenter nos sports de manière à ce qu’ils plaisent.

Je n’ai jamais eu de pression de mes sponsors pour gagner. Ca ne se passe pas comme ça. Il existe une confiance mutuelle. On peut faire quelque chose d’éthique, d’intéressant et de valorisant lorsque l’on se trouve dans un sport qui donne des règles.

Robert REDEKER
Le sportif ressent une nécessité intérieure de gagner coûte que coûte. La gloire et l’argent viennent après. Le public est là dans un rapport purgatif (Aristote). Il se purifie par projection de certaines passions dans ce plaisir esthétique.

Le rugby est aujourd’hui sur une pente dangereuse. C’était un sport universel. Chacun y trouvait sa place, pouvait s’y projeter en s’identifiant aux joueurs, y trouvait son double grâce à la variété des gabarits qui se trouvaient sur le terrain. Aujourd’hui, cet attrait risque de chuter rapidement en raison de l’uniformisation des gabarits que l’on trouve dans le rugby spectacle. Dieu merci, ce sport conserve ses qualités dans les petits clubs !

 

Le sport paraît se diviser en deux mondes étanches : d’une part, le sport de haut niveau, et d’autre part le sport du dimanche. Pour autant, on entend parfois parler de cas pathétiques de parents qui dopent leurs enfants. Les dérives du sport business ne déteignent-elles pas sur le sport classique ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE : Ces deux mondes ne sont pas si étanches que vous le croyez. Lorsque j’ai fait quelques compétitions de tennis, il m’est arrivé de gagner un peu d’argent. Petit à petit, si l’on veut progresser, on rejoint des milieux de haut niveau.

Roger LEGEAY 
Il n’existe pas de clivage non plus dans le cyclisme. On passe facilement du petit au gros club. C’est inhérent à nos sociétés qu’il y ait des dérives.

Gilbert AVANZINI 
Le terme de clivage me paraît un peu fort. On a par exemple les mêmes couleurs d’habits sportifs (kimonos blancs des judokas), mais il est juste que les objectifs sont différents.

Robert REDEKER
La totalité de nos existences tournant autour de nos performances, pourquoi le sport en serait-il exclu ? Lorsque l’on pratique un sport, on s’identifie évidemment aux icônes. Quant aux dérives, elles sont humaines.

Gilbert AVANZINI 
Nous essayons de faire en sorte que nos athlètes mènent à terme leurs projets de performances. On parle de projets de vie d’activités de haut vol. Mener à bien sa vie personnelle et viser la performance constitue notre objectif actuel.

 

Projet de vie. Que se passe-t-il après l’école ? Après le spectacle ? Où et comment apprend-t-on à ne plus gagner ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
Mon avenir est derrière moi. J’ai 63 ans. Je fais encore un peu de régate mais je ne ferai plus de tour du monde. Je fais des conférences et suis très heureux de vivre de cette manière.

Roger LEGEAY 
C’est aux dirigeants d’accompagner tout le monde, y compris ceux qui ne seront pas les meilleurs. Comme nous avons une grosse masse salariale, nous proposons beaucoup de formations. Nous aidons les sportifs par des conseils et des financements. Je regrette qu’ils arrêtent souvent leur carrière parce que leur directeur sportif leur demande d’arrêter et non parce qu’ils sont motivés par un projet professionnel.

Gilbert AVANZINI 
C’est une question de S.A.V. L’Etat s’en occupe en proposant de nombreux programmes. On contraint les responsables d’équipes à maintenir une formation pour que les sportifs puissent s’insérer dans la vie civile. A ce titre, des rencontres entre sportifs et entreprises sont fréquentes.

 

Quand on regarde certains sports olympiques, on est frappé de voir que certains pays forcent des enfants, dès deux ans parfois, à se consacrer à un sport. Le CIO ne dispose apparemment pas de moyens pour lutter contre ce genre de pratiques ?

Robert REDEKER
Au-delà de la dimension totalitaire, il y a des parents qui veulent faire de leurs enfants des champions – pour eux-mêmes en réalité. Cette mauvaise ambition peut passer du plan familial au plan national.

 

Comment accompagner les sportifs ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE
Je n’ai jamais été accompagné par qui que ce soit. Certains font de la sophrologie, du yoga. Je pense pour ma part que celui qui a envie de faire de la voile en fait, et puis voilà tout.

Gilbert AVANZINI 
L’accompagnement sur le plan psychologique est à mon sens obligatoire. Nous préconisons deux consultations minimum par an pour les mineurs, une pour les majeurs. Quant au témoignage de Jean-Luc, no comment, c’est un formidable témoignage d’autonomie.

 

Vous avez parlé de volonté et de courage, pas de confiance. Quand Helen MAC ARTHUR a été au bord de l’abandon, elle a tenu grâce à la parole de son père « aie confiance en toi ! »

Jean-Luc VAN DEN HEEDE 
Ceux qui n’ont pas confiance en eux ne peuvent pas partir en mer en solitaire. Certains skippers pensent qu’on pourra toujours les aider en mer. Moi, je suis toujours parti du principe qu’il faut se débrouiller seul.

Robert REDEKER
On aborde ici la dialectique entre confiance et désespoir. Chez le sportif de haut niveau, le va-et-vient est permanent entre doute désespéré et confiance chevillée au corps. On peut mettre en place des dispositifs d’aide sans rendre le sportif dépendant.

 

« J’aurais aimé être comme vous » est un message que vous avez cité tout à l’heure Jean-Luc, avez-vous un conseil à donner pour devenir « qui tu es » ?

Jean-Luc VAN DEN HEEDE 
J’ai un optimisme farouche qui me permet de tourner toutes les situations afin qu’elles me deviennent favorables. J’ai une petite histoire à vous raconter pour illustrer cela. Quand j’étais enfant, je me souviens que mon père avait construit 3 bateaux de sable pour mes deux sœurs et moi-même. La marée est montée, recouvrant les bateaux. Mes deux sœurs se sont mises à pleurer. Moi, j’étais content car mon bateau s’était transformé en sous-marin !

Seuls ceux qui pensent qu’ils vont s’en sortir s’en sortent. Seuls ceux qui pensent qu’ils vont gagner gagnent ! C’est pour cette raison qu’il faut choisir ses combats.

Le seul conseil que je donnerais, c’est d’être optimiste. On est diablement heureux quand on a cette chance et l’on peut dire tous les jours merci à la vie !

 

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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