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Vivre 200 ans en 2050 ? Comment la techno-médecine va bouleverser l’humanité ?

Compte rendu de la 59ème Rencontre du CERA du vendredi 24 mai 2013

Chirurgien et urologue de formation, Laurent Alexandre est aussi diplômé de Sciences Po, d’HEC et de l’ENA. Il a publié en 2011 chez JC Lattès « La mort de la mort ». D’après lui, les enfants qui naîtront en 2050 auront une espérance de vie de 200 ans ! Comment est-ce possible ? La puissance informatique, doublant tous les 18 mois, a permis le séquençage du génome et l’a surtout démocratisé. Chacun peut désormais avoir une carte complète de son ADN pour 800 euros, alors qu’il en coûtait 3 milliards en 1999 ! Grâce aux nanotechnologies appliquées au monde du vivant, nous pourrons réparer et fabriquer des organes. Nous guérirons à l’aide de nanomoteurs et nano-capteurs implantés au coeur de nos cellules. Bref, la science-fiction d’hier va devenir réalité et le bricolage du vivant est pour demain…

 

Présentation de Laurent ALEXANDRE par Jacques BRIEAU

Merci d’être venu de notre lointaine Belgique. Ce n’est pas une injure de dire que vous êtes un médecin iconoclaste. Chirurgien urologue durant 25 ans à l’Assistance Publique à Paris, il a fait également HEC, Science Po et l’ENA. Ce qui lui permet d’avoir une vision assez globale de la société dans laquelle nous évoluons. Le Dr ALEXANDRE s’est signalé par la création du site doctissimo. fr que beaucoup d’entre vous connaissent. Il va nous faire part de ses prévisions, que certains trouveront très optimistes, d’autres au contraire très pessimistes, concernant notamment cette longévité annoncée qui peut effrayer…

 

Laurent ALEXANDRE

On m’a demandé de vous parler non seulement de longévité mais des conséquences philosophiques, politiques, économiques des nouvelles technologies médicales. L’augmentation probable de la longévité n’est qu’une des facettes des répercussions de ces technologies. De l’ADN aux cellules souches en passant par les implants électroniques, la technologie va bouleverser la façon d’exercer la médecine mais va aussi modifier notre espèce, remodeler la société, ébranler certains repères philosophiques, notamment pour les croyants, globalement assez opposés à certaines transgressions biotechnologiques qui leur semblent en opposition avec le respect de la volonté du Créateur. C’est un vaste sujet. Je vais en sélectionner quelques facettes qui nous permettront d’alimenter les échanges dans un deuxième temps.

On dénombre 8 types de conséquences de ces nouvelles technologies médicales à l’échelle du siècle :
– Un déploiement exponentiel. Ce ne sont pas des tendances à croissance linéaire stable mais des courbes de changement à décollage vertical, ce qui induit une grande difficulté à prédire l’avenir. On mesure cette difficulté prédictive à l’explosion de la puissance des micro-processeurs. Ni internet, ni le téléphone portable, ni les réseaux sociaux n’avaient été envisagés à la vitesse avec laquelle ils se sont développés.
– Une partie de plus en plus importante de la recherche médicale va se poursuivre presque exclusivement sur informatique. Or les algorithmes qui permettent notamment d’analyser notre ADN proviennent de sociétés américaines installées tout près de chez Google. Ce qui signifie qu’une partie de la valeur économique du système de santé va partir en Californie, comme une partie de la valeur économique de nos médias part chez Yahoo, Google, Microsoft, etc. Le data mining, qui consiste à aller chercher des données dans des bases de données, va progressivement devenir plus important que le stéthoscope au cours du XXI° siècle. Ce qui va générer de nouveaux acteurs économiques.
– Nous allons connaître un bouleversement du cycle de connaissance des maladies. Avec l’analyse de notre génome, nous connaissons nos prédispositions aux maladies des dizaines d’années avant d’être malade. Les médecins peuvent intervenir bien avant que les personnes voient apparaître les premiers symptômes. Ce qui entraîne un accroissement des dépenses sur les sujets jeunes qui n’auraient pas été traités jadis puisqu’on ne connaissait pas ces prédispositions. L’exemple le plus célèbre est incarné par Serguei BRIN, cofondateur de Google, qui a fait séquencer son ADN par la filiale génétique de Google. Il a ainsi appris qu’il avait une mutation d’un gène identifié, ce qui signifie qu’il a 3 chances sur 4 de développer une maladie de Parkinson. Ce qu’il aurait appris en 2047 le jour des premiers tremblements, il l’a appris en 2010. Vous voyez bien que dans ce cas, la mise en place de soins n’est pas la même.
– Le pouvoir médical va être challengé. Des experts vont prendre une place de plus en plus importante. On risque d’assister à une marginalisation de la médecine traditionnelle au profit des acteurs industriels de la médecine de demain.
– Modifier nos gènes a pour conséquences des externalités. Il n’y a pas que le malade ou la personne traitée qui en subit les conséquences, mais toute l’humanité. Si l’on modifie nos gènes, parfois à long terme sur les générations suivantes, on modifie l’espèce humaine ! Vous conviendrez que l’homme génétiquement modifié est un enjeu autrement plus important que le maïs génétiquement modifié… C’est ce qui pourrait entraîner l’émergence de la biopolitique, c’est-à-dire la politique du vivant, à côté de la politique économique et sociale. Cette biopolitique est l’enjeu majeur du XXI° siècle. Allons-nous utiliser ces technologies pour nous augmenter ? Acceptera-t-on de passer un pacte à la Faust en acceptant de nous modifier pour vivre plus longtemps ? Tout ceci est vertigineux à l’aune du siècle qui commence. Avec des questions philosophiques majeures : avons-nous tous les droits sur l’espèce humaine ? Avons-nous tous les droits sur le futur ? Comment éviter que l’espèce humaine ne tombe dans une sorte de vertige nihiliste à cause des outils aux pouvoirs phénoménaux dont elle va disposer prochainement ?
– En dernier lieu, ces questions posent des problèmes de puissance. L’homme n’est pas fondamentalement pacifique. La guerre a toujours existé. Ces technologies, qui ont la possibilité d’augmenter l’homme, risquent d’être utilisées à des fins géopolitiques. La Chine a lancé un grand programme de séquençage des surdoués présentant un quotient intellectuel supérieur à 160. Ce repérage pourrait être utilisé à des fins géopolitiques. Un pays qui déciderait d’exercer la suprématie technologique pourrait décider de fabriquer des surdoués de façon industrielle. Il est clair qu’un pays humaniste comme le nôtre pourrait décider de conserver toutes ses classes sociales, du jardinier à l’ingénieur de haute technologie. Avec le risque d’être challengé par une puissance qui ferait un autre choix technologique.

Vous voyez que la médecine du XXI° siècle pourrait servir à autre chose qu’à soigner les gens. L’utilisation géopolitique des technologies n’est pas exclue car on ne peut pas être certains que les civilisations qui nous entourent seront débonnaires jusqu’à la fin des temps.
Réfléchir à ces incidences possibles à l’horizon d’un siècle, c’est essayer de séparer ce qui est utopiste, science fiction, et ce qui va devenir la médecine en réalité. Quelles sont les pistes de réflexion que nous pouvons avoir, et quelles sont, pour les 10 à 20 prochaines années, les pistes de déploiement de ces technologies ?

Ces technologies s’appuient sur la convergence des NBIC :
N pour Nanotechnologies, ce sont les technologies qui permettent de manipuler la matière à l’échelle du milliardième de mètre, ce que l’on appelle le nanomètre.
B pour Biologie et Biotechnologie,
I pour Informatique,
C pour Cognitique, ce sont les sciences du cerveau et l’intelligence artificielle.

Ces 4 éléments, très synergiques, sont en train de fusionner et vont avoir des conséquences majeures dans le domaine médical. Nanotechnologies pour modifier nos constituants cellulaires, biotechnologie, séquençage ADN, cellules souches etc., informatique pour mieux comprendre les maladies grâce à des puissances de calcul toujours plus importantes permettant de comprendre la complexité du vivant, cognitique pour mieux cerner le fonctionnement du cerveau, notamment la conscience, modulable, produite par nos neurones.

Le premier secteur dans lequel ces technologies ont été utilisées depuis quelques années, est le séquençage de l’ADN, c’est-à-dire l’analyse des messagers chimiques qui se trouvent sur nos chromosomes. Cette révolution NBIC est fondamentale, bien plus importante que l’avènement de l’aéronautique, la pétrochimie, le téléphone, la chimie, l’électricité et l’automobile. Ces révolutions industrielles des années 1890 qui ont construit le XX° siècle sont capitales mais elles ne s’appliquaient pas au vivant, à notre identité biologique. Les conséquences éthiques et philosophiques sont bien plus considérables que l’émergence du téléphone, de la chimie, etc.

3 vagues technologiques ont démarré :
– L’hybridation de nos organismes avec des prothèses électroniques. Celle-ci a démarré dans les années 90 avec les implants coqueléaires, qui consiste à brancher des minuscules circuits électroniques dans le cerveau des enfants sourds. A partir de 2008 sont arrivés les implants électroniques visant le traitement de la maladie de parkinson puis les troubles obsessionnels graves et les troubles alimentaires graves de type anorexie et boulimie. 2012 a vu les premières implantations de rétines artificielles. Il faut savoir qu’un tiers du public de cette salle sera atteint d’une dégénérescence maculaire due à l’âge ! Les organes artificiels vont progresser. Le premier coeur artificiel sera mis en place cette année.
– L’ingénierie du vivant vise à modifier nos cellules et nos tissus. Le premier degré agit au niveau de l’ADN, en changeant les séquences de nos chromosomes, le code génétique de notre organisme. Les premiers essais ont été menés en 2000. Le deuxième degré agit au niveau de la cellule, il s’agit de régénérer nos tissus à partir de cellules souches. On commence au niveau cérébral, au niveau cardiaque et au niveau de la rétine, à implanter des cellules souches. Le dernier degré de l’ingénierie du vivant vise à fabriquer des tissus entiers. En 2011, on a reconstitué pour un malade un larynx entier sur une base en polymère. Chaque semaine, on assiste à de nouvelles concrétisations de ces technologies.
– La nano médecine permet d’agir à des échelles de plus en plus petites au niveau de nos tissus, de nos cellules, en employant des nano robots. La première conférence de nano médecine s’est tenue en 2012. C’est une science jeune dont les applications vont se déployer d’ici 2050.

Cette capacité croissante à bricoler le vivant s’observe dans toutes sortes de domaines. On parvient par exemple à fabriquer des spermatozoïdes à partir de tissus de peau, on a pu greffer récemment un utérus, on sait créer des rétines, etc.
Vous vous demandez probablement pourquoi vous n’avez pas vu passer ces évolutions. Principalement pour deux raisons. D’abord parce qu’elles sont restées de manière un peu confidentielle dans les laboratoires. La démocratisation de ces sciences n’émergera que vers 2015. La seconde raison vient du fait que les scientifiques se sont souvent trompés sur la faculté qu’on avait de changer le vivant. En 1970, Jacques MONOD, père de la biologie moléculaire, disait dans son essai remarquable Le hasard et la nécessité, « La taille de l’ADN interdit sans doute à tout jamais que l’on puisse modifier notre génome ». 5 ans plus tard, les premières modifications génétiques démarraient sur la bactérie. Plus près de nous, en 1990, le consensus mondial des généticiens affirmait qu’il était impossible de séquencer la totalité de nos chromosomes. Certains iconoclastes déclaraient qu’il faudrait de 3 à 5 siècles pour y parvenir. La chose était réglée en 2003. Les choses vont tellement vite qu’il est probable que vous qui êtes dans cette salle serez tous séquencés dans moins de 10 ans. On a sous-estimé la rapidité de développement de ces technologies. Le vivant est d’une complexité absolument inouïe. Nous avons 100 000 milliards de cellules qui renferment chacune 2 mètres d’ADN. Parallèlement, notre capacité informatique à analyser le vivant est extrêmement rapide. Pour vous donner une idée, le flop correspondant à une opération par seconde :
– en 1950 apparaissait le premier ordinateur atteignant 1000 opérations par seconde (kiloflop)
– en 1964 on a atteint 1 million d’opérations par seconde (mégaflop)
– en 1986, 1 milliards d’opérations par seconde (gigaflop)
– en 1998, 1000 milliards d’opérations par seconde (teraflop)
– en 2007, 1 milliard de milliards d’opérations par secondes (petaflop)
– en 2018, on devrait atteindre 1000 milliards de milliards d’opérations à la seconde (exaflop)

Pour comprendre le fonctionnement de notre cerveau, nous avons besoin d’une puissance comprise entre un petaflop et un exaflop.
Pour rendre ces notions plus concrètes, le premier ordinateur teraflop voit le jour en 1997. C’est une sorte d’usine à lui tout seul, avec 9298 machines ! En 2011 sortait Night Corner, le dernier microprocesseur d’Intel qui fait 1 teraflop sur un seul circuit intégré qui pèse quelques grammes et tient dans le creux de la main.

 

Nous sommes en l’an 1 de la révolution NBIC. Le premier objet palpable de cette révolution technologique est le séquenceur ADN. Ses progrès ont été absolument spectaculaires. Il y a 20 ans, un généticien séquençait 1000 à 2000 bases de l’ADN en une vie entière de travail, c’est-àdire même pas un petit morceau de gène. Aujourd’hui, les derniers appareils séquencent 50 milliards de messagers chimiques de l’ADN par heure ! Le coût du séquençage est passé de 3 milliards de $ à 1000$ et il va tomber à moins de 100$. La quantité d’êtres humains séquencés croît de façon explosive. En 2003, le premier séquençage a coûté 3 milliards de $. Aujourd’hui, on fait ça en quelques heures pour 1000$.

Le séquençage sert à toutes sortes de choses. D’abord à comprendre notre histoire, comment la vie a émergé. On peut tout autant séquencer des êtres vivants que des êtres morts. On va pouvoir séquencer toutes les espèces d’hommes qui ont peuplé la terre. Ces études nous permettent de faire des progrès considérables dans l’étude du fonctionnement de la conscience. Comprendre comment le neurone crée l’âme est permis par l’analyse biologique et celle de l’ADN. C’est profondément choquant pour les croyants, mais il paraît indispensable qu’un dialogue s’instaure entre ces derniers et les scientifiques pour faire progresser tout doucement l’évolution des croyances.

Le séquençage permet de connaître précocement les maladies, de piloter les processus de soins, les traitements par cellules souches, de mettre au point des thérapies géniques et une médecine personnalisée, adaptée à chacun d’entre nous en fonction de nos caractéristiques génétiques propres.
Cette connaissance croissante de notre fonctionnement biologique a de multiples conséquences sociales, politiques, géopolitiques, économiques et bien sûr philosophiques. Pouvoir modifier l’espèce humaine est un bouleversement philosophique et un questionnement majeur sur notre droit sur le futur. L’idée de pouvoir nous extraire de la volonté initiale du Créateur est quelque chose de très choquant pour les croyants. Certains d’entre eux refuseront peut-être de recourir à ces technologies même si leur vie en dépend.

Le cancer est la maladie qui a, pour l’instant, le plus profité des progrès de la génétique. Le séquençage des tumeurs pour comprendre les modifications génétiques qui apparaissent dans les cellules tumorales est absolument extraordinaire. On s’est aperçu que le cancer était beaucoup plus complexe que ce que l’on pensait car il présente des milliers de mutations complexes. On a découvert, pour bien soigner les cancers, qu’il fallait séquencer les tumeurs, c’est-à-dire l’ADN des tumeurs. Ces technologies n’étant pas maîtrisées par l’ensemble du monde médical, toutes les personnes atteintes de cancer n’en bénéficient pas au même titre. La formation des médecins demande à être accélérée.

Ces découvertes vont forcément influer sur la démographie, sur le nombre que nous sommes et notre espérance de vie. Nous ne connaissons pas le futur, mais nous pouvons envisager des scénarios. Le recul de la mort date de 1750. A cette date, l’espérance de vie en France était de 25 ans. Elle n’a pas cessé de progresser pour tripler depuis 250 ans. D’abord grâce à l’hygiène, se laver les mains avant un accouchement ou ouvrir les fenêtres pour limiter la propagation de la tuberculose, etc. Nous avons déjà commencé à euthanasier la mort à petite dose. Comment cette courbe pourrait-elle évoluer dans le futur ?

L’avancée des technologies médicales nous conduit à penser que notre espérance de vie va beaucoup croître au cours du XXI° siècle. Ce qui aura des conséquences politiques majeures. Prenez par exemple le séquençage ADN qui peut être réalisé pour des gens qui sont déjà nés ainsi que pour des foetus. Jusqu’à présent, on ne savait faire que des amniocentèses, pour prélever des chromosomes permettant de déceler la trisomie 21. Cette technologie est aujourd’hui dépassée puisque nous sommes capables de séquencer le foetus par simple prise de sang de la mère. Les premiers tests ont l’accord du comité d’éthique en France et sont maintenant commercialisés. Ils permettent d’avoir accès à l’ensemble de l’ADN du foetus. Ce séquençage peut être fait lorsque le foetus est âgé de 5 semaines. Un avortement peut donc être envisagé entre 5 et 6 semaines, délai durant lequel l’acte, totalement libre, ne nécessite pas de recourir à l’autorisation d’un médecin ou d’un comité d’éthique. On a donc le droit d’avorter parce que son enfant n’a pas les yeux bleus ! Etre en mesure de séquencer l’ensemble du foetus sans conséquence pour la mère de façon très précoce est la porte ouvert à un eugénisme de nouvelle génération, un eugénisme individuel de confort. Il s’agit de questions éthiques et philosophiques majeures.

Nous allons éradiquer de nombreuses maladies, dont la trisomie 21. 97% des trisomiques 21 en France sont avortés. 1 sur 30 survit au dépistage. Regardez dans la rue. On croise des adolescents et des adultes trisomiques, pour ainsi dire plus de petits enfants trisomiques. Ils sont d’ailleurs plus isolés qu’avant. Avant, il y avait des centres pour les trisomiques, maintenant, il n’y en a plus. Ce n’est plus nécessaire. Demain, si on fait la même chose pour la myopathie, la mucoviscidose et autres handicaps, les maladies rares vont devenir ultra orphelines et les enfants touchés seront encore plus isolés qu’aujourd’hui. Il s’agit de questions éthiques relativement légères. En revanche, comment empêcher des parents de choisir leur bébé à la carte ? Si l’on parvient à découvrir les déterminants génétiques de l’intelligence, on pourra craindre que certains parents choisissent de ne pas garder un enfant peu pourvu pour retenter leur chance 2 mois plus tard. Il s’agit d’une bombe éthique !

J’ai moi-même été séquencé, je connais donc un certain nombre de facteurs de risques, sur lesquels je ne vous dirai rien. En effet, légalement, je ne dois rien dévoiler puisque je ne suis pas propriétaire de mon ADN mais copropriétaire avec ma famille. Révéler mes tares génétiques revient à révéler celles de mes enfants. Certains mettent leurs caractéristiques génétiques sur Face book ! Révélant que leurs descendants auront une chance sur deux d’être porteurs de tel ou tel gène. Parmi mes 3 variants génétiques, j’en ai 3 extrêmement graves mais qui ne se révèleront pas en tant que maladies atroces car je n’ai qu’un gène sur 2 touché. Si je suis ma logique, avant de concevoir un enfant, il faudrait que je séquence la femme avec laquelle je vais avoir cet enfant pour m’assurer qu’on n’a pas les mêmes gènes, pour se prémunir ensemble de maladies graves ! La biologisation de la maternité, l’utilisation de ces technologies NBIC dans le domaine de la procréation est une boîte de Pandore. Dans les 10 à 15 années qui viennent, des personnes de mêmes sexes pourront avoir des bébés génétiques à partir d’eux-mêmes. La question de l’adoption d’enfants par des couples gays va rapidement devenir technologiquement dérisoire.

Les technologies dont je vous parle, ces systèmes experts informatiques sont tous issus d’un cercle qui se situe entre la Chine, la Corée, la Californie et Boston. Une partie de nos dépenses de santé va partir là-bas. Des conséquences économiques importantes vont bien sûr en découler. Notre absence au coeur de ces technologies va entraîner une absence au sein de la prospérité économique du XXI° siècle. Le taux de croissance de l’économie mondiale est extrêmement fort, alors que la croissance française est nulle. Il suffit de voir que notre croissance industrielle est inférieure à ce qu’elle était en 2006.

Cette génomique représente beaucoup d’informatique. Nous allons vers une vraie tempête numérique. Le séquençage d’un individu, c’est 10 terabytes, soit 10 000 milliards d’informations. Or de nombreux médecins sont déjà effrayés devant un tableur excel ! Nous devons faire un immense effort de formation dans les domaines de l’informatique et du data mining. Les médecins de 2020 ne vont pas pouvoir continuer à exercer la médecine avec leurs compétences médicales et des dossiers papier. Ce déluge de données va redistribuer le pouvoir médical, l’équilibre économique de la médecine en dépend ! 4 conséquences économiques se profilent :
– la marginalisation et la paupérisation des médecins, ce qui est le scénario le plus vraisemblable,
– la fragmentation et balkanisation du corps médical complètement éclaté,
– le corps médical pourrait être contourné par Google qui se mettrait à pratiquer la médecine à la place des docteurs,
– et puis il y a le scénario rose où les médecins se formeraient à ces technologies et deviendraient des sortes d’écrivains publics de la génomique pour leurs patients

Compte-tenu de ce que je viens de vous décrire, on ne va pas pouvoir continuer à exercer la médecine sur des petites fiches bristol. Il va bien falloir passer à des systèmes experts.

Concernant l’évolution du risque. On va connaitre nos risques, on attendra la maladie sans savoir la traiter tout de suite dans de nombreux cas. Ce qui promet d’être inconfortable. On progresse plus vite sur notre connaissance du vivant que sur notre capacité à le corriger.

Nous allons connaître un bouleversement du monde de l’assurance et de la santé par ce data génétique. Les risques étant identifiables beaucoup plus tôt, on va dépenser de l’argent pour faire des recherches sur les embryons. Ce ne seront plus seulement les personnes âgées qui feront l’objet des principales dépenses de santé mais aussi les jeunes. Il en résultera une augmentation des dépenses. Le système des assurances va aussi évoluer. L’assurance décès va mourir ! Il existe d’autres conséquences de ce recul de l’aléa, il s’agit des risques psychologiques. Je sais que j’ai de fortes chances d’avoir cette maladie qu’on ne sait pas soigner, qu’est-ce que je fais à part me mettre sous Prozac ? J’attends qu’une thérapie génique arrive sans avoir aucune idée du délai… Connaître mes risques va provoquer des changements radicaux de comportements en termes de dépenses, d’épargne. On va bien sûr obliger les responsables des grandes institutions à déclarer leur génome avant de les nommer.

Il peut y avoir des effets paradoxaux. Imaginez que je vous fasse part de la réduction de votre risque de développer un cancer du poumon. Vous pourriez vous mettre à fumer encore plus et donc augmenter de nouveau votre risque.

Notre collectivité nationale n’éprouve aucun intérêt pour les technologies du futur, alors que nous étions en pointe en 1920 ! Rien ne va se décider ici, mais regardons vers la zone Asie Pacifique où tout va se passer. La question est qui va manager ces milliards de données ?

Nous allons avoir beaucoup de data. Les données génomiques vont représenter environ 98 ou 99% des dépenses de santé vers 2020. Le dossier électronique va être indispensable, de nouveaux acteurs vont sans doute apparaître pour aider les médecins. Ils vont prendre la place technique et économique des médecins si ces derniers ne réagissent pas. La médecine va progressivement se réorganiser pour évoluer vers « les 4 P » : médecine préventive, prédictive, personnalisée et participative. Participative car il va falloir demander aux patients leur avis pour savoir ce que l’on traite et ce que l’on ne traite pas d’ici 30 ans ! Il va falloir décider des gènes à surveiller, ce sur quoi on va agir. Si on ne le fait pas, on va passer sa vie à l’hôpital pour faire des examens ! Si on raisonne spécialité par spécialité sur un génome, on ne s’en sort pas ! Il va donc falloir organiser une médecine transversale, ce qui constitue un grand challenge pour les années à venir.

 

Les technologies dont nous avons parlé ne seront pas un long fleuve tranquille. Quand on observe la manière dont les innovations biologiques sont entrées dans le corps social depuis 50 ans, on se rend compte que tout ce qui était inacceptable est devenu la norme, comme la pilule, l’accouchement sans douleur, l’IVG, la transplantation d’organes, la FIV, les implants cochléaires, les implants rétiniens, les implants intra cérébraux. La GPA sera très certainement banalisée d’ici 5 ans. Les futures innovations seront évaluées comme étant normales, puis souhaitables, puis nécessaires.

La bio transgression va aller de plus en plus loin. D’abord parce que la technologie est là, et puis parce que dans le domaine des maladies du cerveau, on va constater une demande sociale grandissante pour éviter Alzheimer. Nous, la génération du baby-boom, sommes en train de devenir tout doucement la génération Alzheimer. La perspective que la médecine nous propose aujourd’hui est d’aller dans une MAPAD pas trop chère avec 3 changements de couches par jour, ou si on a davantage de moyens, dans une MAPAD de luxe avec 6 à 8 changements de couches par jour ! Notre génération va donc très certainement dire oui à toutes les technologies qui vont nous permettre de sauver notre cerveau. Parce que les conservateurs ont des postures intenables, que les lignes rouges que l’on pense intangibles seront abandonnées, que les comités d’éthique se positionnent toujours par rapport à des cas particuliers et que devant un enfant en train de mourir d’une maladie, on va toujours accepter la transgression biologique. Le toboggan de la bio transgression va être de plus en plus rapide.

Se dessine tout doucement un nouveau pouvoir. L’Etat providence du XXI° siècle aura peut-être pour devise Liberté, Egalité, NBIC… parce que la demande de chacun d’entre nous de moins souffrir, de moins vieillir, de moins mourir, va être forte. On va finalement accepter d’être transhumain comme disent les américains – plutôt transhumain que mort ! L’opinion va progressivement migrer pour être de plus en plus transhumaniste.

 

Je vais terminer par quelques réflexions qui alimenteront nos échanges à venir. Comment faire pour prévoir des tendances aussi explosives ? Comment éviter notre déclassement économique et géopolitique ? Comment influer sur ces technologies alors que ce n’est pas nous qui les créons ? Comment gérer ce tsunami ? Comment éviter les effets secondaires ? Comment éviter une dérive eugéniste ? Comment éviter un vertige nihiliste devant ces technologies explosives ? Comment définir une politique du cerveau ? Avons-nous le droit de modifier notre cerveau de façon illimitée ? Et comment éviter que ces modifications ne tombent un jour entre les mains d’un pouvoir totalitaire ? Que se serait-il passé si Staline, Hitler, Mao et Pol Pot avaient disposé des neurotechnologies dont nous parlons ? Nous aurions été dans une dictature sans fin, et heureux de l’être car neurologiquement conditionnés. Ces neurotechnologies seront sans doute le principal enjeu du XXI° siècle.

En conclusion, jusqu’ou peut aller l’espérance de vie des gens qui naissent aujourd’hui ? En 2100, on peut imaginer que les nanotechnologies auront une puissance inouïe. Quelqu’un qui vivra à cette époque-là en aura bénéficié et pourra peut-être avoir une espérance de vie de 150 à 200 ans. Ce qui lui permettra de tenir jusqu’en 2200, date à laquelle un nouveau bond sera sans doute envisageable. A ce titre, je n’exclus pas que la première personne qui vivra 1000 ans sur terre soit déjà née. Les médias américains commencent à émettre des hypothèses un peu fortes. Le Times évoque l’idée que la quasi immortalité pourrait être atteinte à la moitié du XXI° siècle ! Le XXI° siècle est celui du vertige. Nous n’avons encore rien vu ! Les outils principaux qui vont apparaître pour modifier notre nature biologique ne sont pas encore disponibles. On va pouvoir piloter notre cerveau, on va cohabiter avec l’intelligence artificielle, manager notre ADN, créer la vie artificielle, etc. Cela signifie-t-il que ces technologies ont définitivement gagné la partie à l’échelle mondiale ? Non, car le retour de l’obscurantisme est toujours possible, notamment l’obscurantisme religieux et politique.

 

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Extraits des questions-réponses :

Le jour où l’on aura pu décoder complètement le fonctionnement du cerveau, pourra-t-on conclure que nous ne sommes que des machines automatiques qui ne seront finalement plus responsables de rien ?

C’est une grande question et un débat aux Etats-Unis puisque des personnes coupables de meurtres ont invoqué leur irresponsabilité devant les tribunaux, arguant du fait qu’ils n’étaient pas responsables de leur câblage neuronal. La justice se positionne en disant que c’est peut-être vrai mais qu’il faut tout de même envoyer les criminels en prison, sinon, c’est l’anarchie. Cependant certains spécialistes de neurobiologie s’interroge, est-ce que la prison a du sens à l’ère de la neurobiologie ? Sommes-nous responsable du cerveau dont nous avons hérité ?…

 

Grâce à ces découvertes, mesure-t-on mieux la part de l’inné et de l’acquis ?

C’est variable selon le secteur. Prenons nos capacités intellectuelles. Il n’y a pas d’homogénéité dans la répartition de l’acquis et de l’inné. Pour les quotients intellectuels faibles, l’environnement joue un rôle très faible. Les meilleurs éducateurs et professeurs du monde et les parents les plus aimants ne gagneront que très peu sur le QI d’un enfant trisomique 21. Par contre pour les quotients intellectuels élevés, l’environnement joue un rôle déterminant. Selon que les parents ont bien accompagné leur enfant ou l’ont abandonné en forêt, il y aura un gros écart. La part de l’environnement est mineur pour les mauvais gènes et majeurs pour les bons gènes. Demain, nous aurons des réponses sur le plan neurologique mais à ce jour, on peut juste constater le moindre rôle de l’éducation sur les enfants handicapés. Dans nos pays, les handicaps mentaux sont d’origine presque exclusivement génétique et sont dépistables par le séquençage du foetus. On peut imaginer que le handicap mental va être éradiqué. L’expression est horrible mais je l’emploie pour signaler l’enjeu éthique. Implicitement, on peut considérer que la société estime illégitime de laisser vivre des gens dont le QI est inférieur à 65… Chez de grands intellectuels dont le QI est à 160, on estime qu’un QI de 100 est une infamie. Ces questions vont être très difficiles à piloter d’un point de vue social.

 

Ne pensez-vous pas que prédire la mort de la mort, c’est ne plus donner de sens à la vie ?

La mort de la mort arrivera forcément un jour. Peut-être pas au XXI° siècle. Elle accompagnera peut-être la mort de l’homme. C’est psychologiquement insupportable de ne pas avoir de limite. C’est la raison pour laquelle je parle de vertige nihiliste. Il n’y a pas de limite au bricolage du vivant et la terre doit disparaître dans 3,5 milliards d’années.

 

Mais alors que fait-on de tout ce monde ?

Vous commettez une erreur psychanalytique et économétrique en disant cela. Regardez à l’échelle mondiale l’écart qui existe entre le niveau de vie et le nombre d’enfants. 7 enfants par femme dans les pays pauvres, 1,2 enfant par femme dans les pays riches. Beaucoup de gens pensent que la perspective d’une vie longue conduirait à faire beaucoup moins d’enfants, car faire des enfants, c’est survivre à sa mort ! Par ailleurs, je vous rappelle que l’univers est assez grand, en faisant un peu de science fiction à très long terme, on va finir par explorer le cosmos et en habiter une partie.

 

Quels sont les freins à la recherche française en termes de génétique.

Le potentiel de recherche de la France n’est pas nul. Il reste de bonnes unités et des chercheurs de qualité, mais on rencontre plusieurs problèmes. D’abord en ce qui concerne le budget consacré à la recherche. La Corée du Sud arrive à 4% tandis que nous sommes à 2,1%. De plus, nous avons des chercheurs statutaires à vie, beaucoup d’entre eux ont été nommés après 1968. Les équipes sont donc vieillissantes. En recherche, on est bon jusqu’à 40 ans, après il faut faire autre chose, enseigner, faire du consulting ou monter une startup. Nos chercheurs sont payés au lancepierre alors qu’ailleurs, ils sont de plus en plus payés. Donc les bons chercheurs partent.
Par ailleurs, la science n’est plus valorisée en France. En 1900, elle l’était avec les exploits de BLERIOT, l’électricité, l’aviation, l’industrie automobile. L’opinion et les médias de l’époque s’enflammaient pour la technologie. L’épicentre idéologique de la France depuis 1975 est le principe de précaution et l’écologie politique. Aujourd’hui, personne n’est porteur d’un discours pro science. Nous sommes dans une ambiance politique défavorable qui ne pense qu’au passé. Il suffit de constater dans les journaux télévisés le temps consacré au passé et aux enjeux défensifs et celui consacré au futur. Si nous voulons reprendre une place, il faut former davantage de techniciens, d’ingénieurs, valoriser l’entreprise, mettre en place une fiscalité qui favorise les startups. Nous sommes dans une stratégie absolument suicidaire dans la compétition internationale. Nos hommes politiques sont des apparatchiks purs qui n’ont jamais mis les pieds dans le monde de l’entreprise.

 

Quels sont les domaines de formation que l’on doit prévoir ou renforcer pour nos enfants ?

Je crois qu’il faut donner une culture générale de ces champs technologiques aux enfants très tôt. Il faut renforcer la formation en biologie avec de bons enseignants qui sauront donner la passion. Il faut un enseignement plus pédagogique, plus positif, qui stigmatise moins les enfants, plus dynamique et plus incitatif. En France, l’enseignement est très rigide, on le voit notamment dans l’enseignement des langues. On ne sait pas passionner les enfants ! Dans les pays du Benelux, les enfants parlent un anglais parfait à 3 ans.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune médecin en termes de formation complémentaire ?

D’abord, il faudrait que la formation de base change. Aujourd’hui, le système de l’enseignement de la médecine reste extraordinairement dispersé. On passe plus de temps sur les maladies rares que sur les maladies fréquentes. Aux Etats-Unis, l’enseignement est beaucoup plus technologique, la France devrait prendre cette direction.
Le problème majeur concerne la formation continue car le renouvellement des médecins va prendre 40 ans. Celle-ci est très mal organisée en France. Elle était à 100% financée par l’industrie pharmaceutique. La majorité des médecins a entre 50 et 55 ans. Or c’est plus facile d’apprendre la génomique à 30 ans qu’à 59 ans, au moment où l’on compte les points de retraite.

 

Vous avez parlé d’allongement de la vie professionnelle, quand prendre-t-on sa retraite ?

François HOLLANDE en a parlé récemment en disant qu’il allait falloir reculer l’âge de la retraite. DSK l’avait déjà annoncé. Même à gauche aujourd’hui, il y a consensus autour de cette question. En 1980, quand on a fixé l’âge de la retraite à 60 ans, l’espérance de vie était inférieure de 10 ans à ce qu’elle est aujourd’hui. En Allemagne et dans les pays scandinaves, on arrive tout doucement à la retraite entre 67 et 70 ans… Ce recul ne touchera pas les professions extrêmement pénibles. On peut par exemple imaginer de changer de métier à partir de 60 ou 65 ans. On ne va tout de même pas passer 40 ans à la retraite !

 

Vous avez parlé d’une nouvelle profession qui ferait la médiation entre les patients et les médecins. Avez-vous déjà des exemples d’emplois de ce type ? Quel profil ont-ils ?

Ces types de professions n’existent pas encore mais vont sans doute se créer. Une bonne partie de la médecine ne sera plus gérée par les médecins. Des data miners, des spécialistes d’informatique vont prendre une part du gâteau économique parce que les médecins sont passés à côté. L’informatique de santé relevant du secteur industriel.

Il faut savoir que les médecins sont assez technophobes. Il y a dans le corps médical un nombre non négligeable d’handicapés du mulot !
Ces technologies sont extrêmement récentes, la deuxième personne séquencée dans le monde l’a été en 2007. Nous n’avons pas assez de recul pour savoir comment cette médecine va s’organiser d’un point de vue institutionnel.

 

Vous avez parlé de passion tout à l’heure. Il est certain que l’on est davantage mené par ses passions que par ses raisons. Qu’en est-il de la gestion des émotions ? Vous parlez d’intelligence, mais il ne s’agit que d’intelligence rationnelle. Si l’on doit vivre 1000 ans, combien de fois aura-t-on envie de tuer sa femme ou son voisin, combien de fois aura-t-on envie de faire la guerre ?

Avant, on restait avec la même femme jusqu’à sa mort. Vous avez noté que des gens divorcent de plus en plus couramment et mènent plusieurs vies affectives. Donc l’allongement de la vie s’est déjà traduit par une segmentation temporaire des relations affectives. On ne tue pas sa femme, on en change !

Nos émotions associent déterminisme génétique et la façon dont notre cerveau s’est câblé en réaction à notre environnement, notre éducation, etc. En permanence notre cerveau est modifié du fait de notre plasticité cérébrale en fonction du contexte dans lequel on se trouve. Connaître précisément l’origine génétique de tel ou tel trait de caractère est difficile, mais nous savons très bien que nous sommes le fruit de l’interaction entre l’environnement et les caractéristiques neurogénétiques dont nous sommes porteurs. Notre pensée, notre conscience sont produites par nos neurones et nos synapses au travers de processus très complexes. C’est uniquement par le cerveau que notre pensée est constructive. D’ailleurs quand on a un AVC ou une tumeur dans le cerveau, on offre des pathologies correspondant à ce que l’on sait du fonctionnement cérébral : la perte de la conscience de soi, la perte de la motricité, de la vision, etc. On sait parfaitement quelle zone du cerveau participe à telle fonction. Ces données sont difficilement audibles par des croyants qui pensent que l’âme relève d’autre chose, qu’elle est indépendante d’un substrat physique. Ils ont donc du mal à s’intéresser à la neurobiologie qui offre de ce point de vue là un constat assez triste et bien documenté. Gérard EDELMAN, prix Nobel de médecine, a formidablement communiqué à la fin des années 80 sur ce sujet.

Je suis de ceux qui pensent qu’après la mort de mes neurones, il ne restera rien, si ce n’est le bref souvenir de ce que j’étais. Une fois ce constat fait, on n’est pas plus malheureux que celui qui pense que l’âme monte au paradis. En tant que médecin, j’ai rencontré de nombreuses personnes très croyantes en phase terminale du cancer, qui faisaient état de sérieux doutes sur la réalité de la montée de l’âme au ciel. Je pense qu’il s’agit la plupart du temps d’une posture politico religieuse. Au fond d’eux-mêmes, je ne suis pas sûr que les croyants adhèrent à cette vision qui paraît un peu naïve aux yeux des neurobiologistes.

 

Compte-tenu de votre formation d’énarque et de vos propos par rapport à la politique, n’avez-vous jamais pensé à vous engager pour changer les choses ?

J’ai fait un peu de politique, non pas sur le plan local mais au sein de l’appareil politique parisien. Il s’agit d’un panier de crabes d’apparatchiks incapables d’exercer un métier en dehors de la politique. Je suis incapable de lutter dans cet univers de gens uniquement intéressés par leur carrière, pour ainsi dire jamais préoccupés de l’avenir de leur pays.

 

Peut-on évoquer ce qui peut se produire à l’avenir en termes de protection sociale ? Est-ce que le développement de ces nouvelles technologies ne risque pas de faire exploser notre système d’assurance et de protection sociale ?

Il existe deux scénarios. Dans le premier, ces technologies sont accessibles mais restent chères. Le système, inégalitaire, explose. Dans le second, le scénario rose, le coût de ces technologies s’effondre et deviennent abordables par tous, comme dans le cas du téléphone portable.

Il existe aussi des scénarios intermédiaires. Est-ce que les thérapies géniques vont voir leurs coûts s’effondrer autant que les microprocesseurs présents dans les téléphones ? Ce n’est pas sûr car les processus industriels sont de nature différente. Les cours vont baisser mais peut-être pas aussi rapidement. On pourrait donc rencontrer une difficulté de diffusion de ces produits, au moins pendant un certain temps. Aujourd’hui, on ne peut que faire des hypothèses sur l’évolution des coûts de ces technologies.

 

Comment explique-t-on la réduction phénoménale des composantes électroniques qui permettent les progrès dont vous nous parlez ?

C’est la miniaturisation qui a entraîné la réduction des coûts et le développement exponentiel des capacités. C’est grâce à elle que ce qui occupait l’espace d’une usine tient dans la main. La loi de Moore prévoyait cette progression. Gordon MOORE avait en effet affirmé dès 1965 que le nombre de transistors par circuit de même taille allait doubler, à prix constant, tous les ans. Il avait rectifié par la suite en portant à dix-huit mois le rythme de doublement. Il en avait déduit que la puissance des ordinateurs allait croître de manière exponentielle, et ce pour des années. Il avait raison. Sa loi, fondée sur un constat empirique, a été vérifiée jusqu’à aujourd’hui. Il a cependant déclaré en 1997 que cette croissance des performances des puces se heurterait aux environs de 2017 à une limite physique : celle de la taille des atomes. La loi de Moore s’est pourtant confirmée, mais pour une autre raison. Parce que le marché des microprocesseurs s’élève à des centaines de millions de $. On travaille donc à casser les obstacles des murs technologiques que l’on rencontre. Ces sommes permettent de faire des investissements de R&D absolument considérables. On travaille aujourd’hui à perfectionner cette capacité à miniaturiser en créant des circuits intégrés sur plusieurs couches successives. On rencontrera un problème quand la taille des circuits intégrés atteindra l’extrême finesse de 4 atomes en largeur.

 

On fait de plus en plus petit. Un jour, on rencontrera sans doute l’extrémité. Quelle sera la prochaine rupture technologique ?

La vraie rupture serait d’avoir des neurones en culture, disposer d’un ordinateur biologique. Il peut s’agit de neurones provenant d’animaux, pas forcément d’humains. On sait aujourd’hui faire circuler l’information entre un circuit intégré et un neurone, mais il reste beaucoup à faire pour que nous puissions faire des calculs et que ce soit efficient, rien n’est envisageable avant 2050.
D’autres ruptures peuvent provenir de l’ordinateur quantique ou de l’ordinateur hologrammique qui pourraient casser ces murs technologiques.
Mais rien qu’avec la loi de Moore actuelle, nous allons accéder à une puissance informatique qui nous amènera à une compréhension du fonctionnement biologique et cérébral extrêmement fine.

 

On parle d’inversion des courbes de vieillissement dans certains pays. Est-ce de l’intox ?

La progression d’espérance de vie n’a jamais été un processus continu en raison des épidémies, des guerres, des famines, etc. Aux Etats-Unis, on observe dans certains groupes une baisse de l’espérance de vie à cause de l’obésité. Le phénomène a heureusement tendance à diminuer. Une autre donnée provient du tabagisme féminin. En 1950, aucune femme ne déclarait de cancer du poumon. Elles se sont mises à fumer autant, voire plus que les hommes. Les hommes se sont arrêtés progressivement depuis les années 70. Aujourd’hui nous voyons les conséquences du tabagisme féminin. On a donc des explications conjoncturelles, mais on dispose également d’explications structurelles. Il y a moins d’innovations dans l’industrie pharmaceutique et le relais avec les technologies dont je vous vous parle ne s’est pas fait car ces dernières ne sont pas encore industrialisées. Nous constatons donc un plateau de l’espérance de vie, qui peut se prolonger jusqu’aux environs de 2020.

 

Dans votre livre, vous parlez de mini robots qui vont nous permettre de guérir ou d’améliorer notre santé. Pouvez-vous nous en parler ?

On a commencé à fabriquer des petits implants, de quelques centimètres, notamment à destination de la chirurgie vasculaire et oculaire. Le projet de la nano médecine est de passer à des micro robots dont la taille s’annoncerait en millionièmes de mètre pour atteindre dans quelques années des milliardièmes de mètre. Ces robots entreraient dans les cellules pour corriger le métabolisme cellulaire. Il y a un continuum entre la chirurgie mini invasive, comme la chirurgie célioscopique, endoscopique et l’utilisation de robots chirurgicaux qui vont se réduire de plus en plus.
Cette miniaturisation est rendue possible par le phénomène du rendement d’échelles. Quand on augmente les volumes, on parvient à des performances qui croissent de manière explosive. Ainsi, si vous construisez 10 fois plus de centrales nucléaires, le prix sera divisé par 10.

 

Quelles maladies seront traitées par ces nano technologies ?

Le planning selon lequel on va traiter les maladies est difficile à définir. Le séquençage ADN donne le diagnostic, guide le traitement, mais ne permet pas de traiter. La thérapie génique interviendra un peu après les cellules souches, les cellules réparatrices que l’on obtient soit à partir d’embryons soit en transformant notamment nos cellules de peau. L’utilisation de ces cellules souches va devenir un outil courant en médecine entre 2018 et 2020. La thérapie génique va se démocratiser entre 2025 et 2030. Les nano robots se répandront entre 2025 et 2050.
On ne va pas guérir toutes les maladies entre 2014 et 2016. Nous disposons de technologies extraordinaires dont le déploiement total va prendre tout le siècle. Elles vont bien sûr constituer une étape très importante dans le traitement des cancers, avec, entre autres, les thérapies ciblées.

 

Vous avez présenté le positionnement des personnes par rapport à ces NBIC, en faisant apparaître les écologistes sous un jour négatif. Existe-t-il une opposition entre écologie et sciences ?

L’écologie s’est construite par opposition à la société consumériste et industrielle, ou plutôt en réaction aux dégâts de la société industrielle. Petit à petit cette idéologie politique a considéré le progrès comme étant plutôt négatif, considérant que les OGM et l’ADN étaient dangereux. Je connais des écologistes persuadés que le téléphone portable donne le cancer. On est entrés dans une logique de peur qui est un très bon marché politique. Les positions écologistes sont de plus en plus rétrogrades d’un point de vue scientifique. Le parti socialiste, qui était très technophile dans les années 60, est devenu progressivement technophobe par contagion. Avec une incidence sur l’échiquier politique actuel.

 

Avec de telles technologies, ne pourra-t-on pas bientôt lire dans la pensée de son voisin ? Par ailleurs, pensez-vous que ces progrès vont être pris en considération pour la santé animalière ?

Probablement mais un peu plus tard parce que l’on est prêt à débourser davantage pour un enfant leucémique que pour une génisse leucémique.
Peut-on lire dans la pensée des autres ? Vous savez qu’un tétraplégique peut commander un moteur à l’aide d’une électrode placée dans le cerveau, on a réussi à reconstituer les images vues par des personnes en plaçant un casque muni de nombreuses électrodes sur leur cerveau, il est probable qu’on réussira assez bien à lire dans la pensée des gens d’ici 2 ou 3 décennies. La grande question est de savoir si l’on autorisera la justice à lire dans notre cerveau lors de procès.

 

La justice pourrait-elle forcer certaines personnes à se faire soigner malgré elles ?

C’est déjà un peu ce qui se passe, avec par exemple des injonctions thérapeutiques pour les pédophiles et les délinquants sexuels. La question est de savoir où l’on va s’arrêter. La justice pourra-t-elle contrôler préventivement les cerveaux ? Probablement un jour dans des pays un peu autoritaires. En cas de menace d’attentat terroriste, on pourra peut-être savoir où se trouve la bombe. Dans certains pays, on estime légitime de torturer quelqu’un pour déjouer un attentat terroriste, il n’y a donc pas de raison pour que l’on interdise à la justice américaine de regarder dans le cerveau de militants palestiniens. Imaginez que l’on soit confronté à des vagues d’attentats terroristes massives, à des attentats de type nucléaire ou bactériologique gravissimes, la société exigerait que l’on passe sous des portiques de détection de mauvaises intentions. Le développement de ces techniques dépendra en grande partie des contextes socio politiques.

 

Notre environnement peut-il modifier certaines choses dans notre ADN ?

L’environnement peut moduler l’action de l’ADN, des mutations peuvent se produire, et l’environnement peut apporter des modifications, c’est ce qu’on appelle l’épigénétique. Des protéines qui protègent l’ADN peuvent être modifiées par l’environnement, ce qui va moduler la façon dont les gènes vont être exprimés. Par exemple, vous avez deux personnes offrant la même mutation qui favorise le diabète de type 2. Le premier pèse 130 kilos, il se nourrit très mal et ne fait aucun sport, le second est un marathonien de 65 kilos qui mange très sainement. A votre avis, que va-t-il se passer ? Dans le deuxième cas, le gène de prédisposition au diabète va être contrebalancé par les effets environnementaux qui vont modifier les protéines qui entourent l’ADN. Nous sommes notre ADN régulé par notre environnement qui module les protéines qui entourent notre ADN. C’est pour cette raison que 2 vrais jumeaux, avec le temps, vont finir par présenter des caractéristiques physiques qui vont un peu diverger. Ils vont rester très proches, mais selon leur mode de vie, leur régime alimentaire, ils ne vont pas forcément développer les mêmes maladies.

 

La dernière liberté qui nous restera ne sera-t-elle pas de refuser ce monde du transhumain ? Le monde que vous décrivez est très déterministe.

Oui, au même titre que vous avez le droit de refuser le téléphone portable, la pilule, les lunettes. On est de plus en plus déterminé par la technologie. Aujourd’hui par exemple, je ne peux pas me passer de Goggle pour travailler. Je peux dire que ma liberté est de me passer de Goggle, mais en réalité, je ne peux pas ! Il existe juste quelques ermites très minoritaires qui résistent à la technique.

 

Ces changements technologiques risquent d’accompagner des valeurs morales qui ne nous correspondront peut-être plus.

Nous ne nous en rendrons pas compte. Ce que nous considérons comme intolérable nous paraîtra merveilleux. Anatole France disait « Ce qu’on appelle civilisation, c’est l’état actuel de notre monde, et ce qu’on appelle barbarie, c’est l’état antérieur. » Nous sommes dans un contexte où la technologie nous semble de plus en plus désirable. La question s’était déjà posée au sujet de l’électricité. Un courant de pensée existait contre l’électricité mais il n’a pas tenu car c’est tout de même très pratique.

 

Pour terminer sur un plan un peu économique, qui dispose des pelles et des pioches pour ouvrir l’avenir ?

Ce sont ceux qui disposent des algorithmes mathématiques pour étudier le génome. Ceux qui fabriquent les machines, dont les séquenceurs, et ont le monopole pour un temps sur ces technologies. Il y a également ceux qui arriveront à déterminer les facteurs de risques génétiques par rapport à certaines pathologies s’ils ont la possibilité de breveter ces variants. Ce qui n’est pas certain à terme pour la cour suprême des Etats-Unis. Le problème que l’on va rencontrer, c’est que plus personne ne travaillera sur ces variants si on ne peut pas les breveter.

 

Avez-vous un ou deux livres à nous conseiller ?

J’en vois un pas technique du tout et très politique. (Il s’agit du livre du Docteur ALEXANDRE lui-même « La mort de la mort – Comment la techno médecine va bouleverser l’humanité » Ed. J C LATTES). Je l’ai écrit de manière très compréhensible, en prenant soin de ne pas noyer les lecteurs dans des détails génétiques
La plupart des livres qui traitent de ces sujets sont très techniques, difficiles d’accès, écrits en anglais et non traduits.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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