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Nourrir l’humanité demain

Compte rendu de la Rencontre du CERA du vendredi 29 janvier 2010

 

Présentation de Bruno PARMENTIER par Luc GUYAU

Bruno PARMENTIER est ingénieur de l’Ecole des Mines de Paris. Principalement homme de médias et de communication, il est aujourd’hui directeur de l’E.S.A. (École Supérieure d’Agriculture d’Angers), auteur du livre Nourrir l’humanité aux éditions « La Découverte ». Son itinéraire inattendu s’explique sans doute en partie par une spécificité familiale. En effet, son grand-père présidait la Chambre d’Agriculture du Maine et Loire.

Aujourd’hui, Bruno PARMENTIER est venu nous entretenir d’un thème qui lui tient à cœur. D’un côté la surabondance, la « malbouffe », l’obésité, les allergies, les diabètes, les cancers. De l’autre 850 millions d’hommes qui ne mangent pas à leur faim… Dès demain, ce ne sont pas 6 milliards, mais 9 milliards d’humains qu’il faudra nourrir : est-ce une mission impossible sur notre terre qui va manquer d’eau et d’énergie ?

 

Bruno PARMENTIER

La première question pressante est la suivante : va-t-on manger demain ? Oui, en Vendée. Partout dans le monde, non.

On trouve que s’occuper de la question de l’alimentation, c’est très primaire. Peut-être, mais c’est indispensable. Il faut bien que l’on trouve du pain à la boulangerie demain !

Nous allons traiter de ce vaste sujet aujourd’hui. D’abord, je tiens à saluer le travail des agriculteurs, mais il reste encore beaucoup à faire parce que les problèmes sont devant nous. Nos solutions du XX° siècle ne marchant plus, quelles sont nos armes pour demain ?

 

En 1945, les 8 millions d’agriculteurs français avaient du mal à alimenter 45 millions de Français. Les campagnes se nourrissaient. Les villes plus difficilement. C’est la raison pour laquelle « les villes » ont décidé de s’occuper de l’agriculture. On a alors drastiquement réduit notre population d’agriculteurs. En 2007, ils n’étaient plus que 600 000 à nourrir 65 millions de Français et on a décidé de les payer pour qu’ils arrêtent de produire !

Une autre remarque préalable me paraît importante, concernant le fait que l’on n’accepte plus de consacrer les mêmes budgets qu’autrefois à l’alimentation. En 1960, 23,2% du budget d’une famille était consacré à cette dépense ; en 2003, cette part ne représentait plus que 11,4%.

Par ailleurs, les Français vivent de plus en plus âgés. L’âge moyen des décès était de 60 ans au sortir de la Première Guerre Mondiale, il était de 69 ans dans les années 50. Ce qui signifie que l’on demande aux agriculteurs de nous permettre de nous nourrir mieux et plus longtemps.

Depuis la Deuxième Guerre Mondiale, on parvenait à équilibrer entre années excédentaires et déficitaires. En 2007, la situation s’est aiguisée. Les silos étaient au plus bas. Il est arrivé qu’il ne reste plus qu’un mois ½ de stock. Les prix ont donc grimpé.

Depuis 40 ans, la P.A.C. (Politique Agricole Commune) a mis en place un système de prix bas qui permet à tous les niveaux de salaire d’avoir accès à la nourriture. En fait, il ne faut pas se leurrer. Ces tarifs ne correspondent pas à la réalité. Ce sont nos impôts qui règlent la différence.

Manger va coûter de plus en plus cher, et ce sont les pays pauvres qui vont en pâtir les premiers.

 

Les principaux problèmes auxquels nous devons faire face sont les suivants :
– La sécheresse et le réchauffement de la planète,
– La diminution de la surface des terres cultivables,
– La raréfaction de l’eau au profit de l’irrigation,
– La croissance de la population mondiale,
– La consommation de la viande en hausse,
– Un gâchis scandaleux,
– La production de céréales à destination des biocarburants,
– La consommation mondiale supérieure à sa production.

 

Le réchauffement pose d’énormes problèmes à l’agriculture

2007 a été l’année d’une prise de conscience planétaire généralisée de la réalité du réchauffement climatique et des immenses menaces que cela représente dorénavant pour l’humanité, avec comme point d’orgue l’attribution du prix Nobel de la paix conjointement à Al Gore et au GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat).

Avec le réchauffement de la terre, nous aurons la chance de revenir bronzés de Bretagne, mais nous en reviendrons également avec les inconvénients des pays chauds, dont les maladies et les épidémies.

Malheureusement, ce réchauffement ne promet presque rien de bon pour l’agriculture (même s’il pourra permettre de cultiver quelques terres nouvelles en Sibérie, en Terre de Feu et dans le nord du Canada). On ne verra guère se généraliser les petites pluies bienfaitrices, mais bien plutôt s’accentuer les phénomènes extrêmes : avancée des déserts, assèchement des rivières et nappes phréatiques, d’un coté ; inondations, tempêtes et ouragans de forte puissance, de l’autre. La quantité totale d’eau qui tombera du ciel sera légèrement supérieure, compte tenu de la plus forte évaporation, mais encore moins bien répartie. Sans oublier l’avancée de la mer sur les terres très fertiles des grands deltas et la remontée de l’eau salée dans les nappes phréatiques.

Les experts prévoient que les changements climatiques vont engendrer au moins 150 millions de réfugiés climatiques dans les prochaines années. Où iront-ils, ces réfugiés ? Dans les pays vides, comme la Russie ? Dans ceux qui ont particulièrement contribué au réchauffement climatique, comme les Etats-Unis ? Ou, plus probablement, dans les pays voisins, pauvres eux aussi, entraînant des déstabilisations et des famines en chaîne, en particulier dans la péninsule indo-pakistanaise, en Asie tropicale et en Afrique sahélienne ?

 

La superficie de terres cultivées ne cesse de diminuer

Les bonnes terres cultivables, ni trop chaudes ni trop froides, ni trop en pente, ni urbanisées, ni érodées, ni polluées et sur lesquelles il pleut régulièrement, sont une denrée très rare sur la planète. En fait on ne cultive (hors prairies et forêts) qu’environ 1,5 milliards d’hectares, soit 12 % des 13,1 milliards d’hectares immergés.

Sur le plan mondial il existe encore des réserves disponibles, mais elles sont pour l’essentiel situées dans les forêts tropicales des bassins de l’Amazonie, du Congo et du Sud-est asiatique, particulièrement en Indonésie et en Malaisie. Les mettre en culture présente un vrai risque d’aggravation du réchauffement de la planète et de désertification relativement rapide de ces régions écologiquement sensibles (n’oublions pas qu’un jour le Sahara a été, lui aussi, une forêt vierge). C’est pourtant ce que nous faisons, à raison de 140 000 km² chaque année et sachant que l’on ne replante que la moitié en forêt.

C’est ainsi qu’en 1960, chaque habitant de la planète disposait potentiellement de 0,43 ha de terres cultivables. Aujourd’hui, il n’en a plus que 0,25 ha. A ce rythme, les terriens de 2050 ne disposeront plus que de 0,15 ha. Sur un hectare cultivé, au lieu d’être 4 à nous nourrir, nous devrons nous débrouiller pour le faire à 6.

 

L’eau pour l’irrigation va manquer

L’eau est tout simplement indispensable pour faire pousser les plantes. Elle constitue en quelque sorte le carburant de leur croissance. En effet, si la plante ne transpire pas en permanence, ce qui provoque un assèchement de ses extrémités, la sève ne peut pas y monter par capillarité. Il faut donc des quantités très importantes d’eau pour l’agriculture : en moyenne 1 tonne d’eau pour produire un kilo de céréales.

De tout temps, les hommes ont donc tenté de s’affranchir des aléas pluviométriques de la nature. Au XXe siècle, on a ainsi largement investi dans l’irrigation, pour compenser les irrégularités de la pluie. La planète compte actuellement 200 millions d’hectares irrigués, soit approximativement un champ sur sept. On sait d’ores et déjà que l’on ne peut pas doubler cette surface ; les 44 000 barrages qui ont déjà été construits ont tous besoin d’entretien (ils s’ensablent, se fissurent, etc.). Les nouveaux ouvrages vont coûter beaucoup plus cher puisqu’ils seront situés dans des endroits plus difficiles d’accès ou moins favorables au stockage de l’eau (forte évaporation, par exemple), et on n’est plus sûrs d’avoir durablement de l’eau à mettre dedans.

Autre frein à l’irrigation : la baisse des nappes phréatiques. C’est un problème considérable sur l’ensemble de la planète car on pompe souvent l’eau beaucoup plus vite qu’elle ne se régénère.

Les rivières, actuellement très chargées en été grâce à la fonte accélérée des glaciers – ce qui permet de pomper largement pour l’irrigation – commencent à s’assécher l’été les unes après les autres, sur tous les continents.

Inévitablement, on sera conduit à faire de gros efforts pour économiser l’eau (les pertes en ligne des systèmes d’irrigation et d’eau potable sont affligeantes), et pour trouver le moyen de se nourrir avec des plantes qui en consomment moins.

Prenons l’exemple des U.S.A., sur 1/3 du pays, il ne pleut jamais. Pourtant, la plupart des paysages sont assez verts. C’est grâce à l’irrigation. On prend de l’eau à Chicago pour l’amener à Dallas. D’où les grandes étendues verdoyantes, condamnées à plus ou moins court terme à redevenir des zones désertiques en raison de l’assèchement des nappes phréatiques.

 

La croissance de la population continue

La population mondiale augmente de plus de 200 000 personnes par jour, et donc près de 80 millions par an (il s’agit bien d’excédent des naissances sur les décès). Autant de consommateurs en plus.

Depuis le XIX° siècle, la médecine a considérablement progressé, l’agriculture aussi. La population du monde s’est vue multipliée par 10 entre 1800 et 1900. On devrait stabiliser la population mondiale autour de 9 milliards en 2050. Cela représente 1,1 milliards d’asiatiques, 800 millions d’africains et 400 millions de latino américains de plus. Cette seule hausse oblige à augmenter régulièrement de 1,2 % par an la production agricole mondiale.

L’Inde est le pays le plus mal loti du monde, celui qui offre la plus grande différence entre sa production et sa population à nourrir. La Chine vient en seconde position.

 

Beaucoup plus de gens mangent de la viande

Il faut également compter avec le changement de régime alimentaire. Sous toutes les latitudes et dans toutes les cultures, on observe un phénomène absolument universel : quand des populations qui ont manqué de nourriture pendant de nombreuses générations accèdent à un peu d’aisance matérielle, elles se précipitent pour acheter et consommer des sucres, des graisses et d’une manière générale des produits animaux (viande, lait, œufs). C’est ce qui s’est passé en France au XXe siècle. Depuis 1950, on est passé de 44 à 85 kilos de viande par habitant et par an, de 5 à 18 kilos de fromage, de 10 à 25 kilos de poissons, de 5 à 14 kilos d’huile. En revanche on a diminué de plus de moitié la consommation de pain et de pommes de terre. On observe désormais ce phénomène dans les classes moyennes des pays émergents, en particulier en Chine (pour la viande) et en Inde (pour le lait). On parle là de centaines de millions de personnes. Et encore on n’a pas vu le pire : imaginons que les ouvriers chinois, qui peuvent maintenant mettre une aile de poulet dans leur riz, se mettent en plus à consommer du fromage, et que les employés indiens, qui boivent davantage de lait, arrêtent de croire à la réincarnation et se mettent à manger aussi de la viande…

Il faut en moyenne 4 kilos de protéines végétales pour produire un kilo de poulet. Ce rapport est de 6 pour 1 pour le porc et de 12 pour 1 pour le bœuf ! Les populations qui jadis étaient bien obligées d’être végétariennes et deviennent carnivores augmentent donc très fortement leurs ponctions sur les ressources de la planète, en particulier tout ce qui va manquer : la terre, l’eau et l’énergie.

Si la surpopulation dans le monde est un phénomène inquiétant, n’oublions pas un autre fait : la vraie surpopulation, c’est celle du bétail. 80 % de l’alimentation animale provient de cultures qui conviendraient également à la consommation humaine : maïs, blé, sorgho, soja, etc. Les animaux d’élevage accaparent à eux seuls 44 % de la production mondiale de céréales. Un végétarien consomme en moyenne 180 kilos de grains / an et un consommateur de viandes 930 kilos / an (puisqu’il consomme également les céréales qui ont nourri les animaux qu’il mange).

Depuis une génération, nous avons doublé notre consommation de viande. Nous en sommes aujourd’hui à 85 kg / Européen / an. Les habitudes alimentaires sont résistantes… Il suffit de nous souvenir de ce que nous entendions petits : « on mange du steak pour être solide, de la cervelle pour en avoir ! » Il est fort peu probable qu’on empêchera les classes moyennes du monde d’acheter davantage de produits d’origine animale. La politique la plus réaliste consiste donc à accélérer autant que possible l’évolution naturelle, qui fait qu’après plusieurs générations d’abondance, de gâchis et d’obésité, les gens deviennent plus raisonnables et finissent par manger moins de viande et plus de fruits et légumes, pour mincir à nouveau. On pourrait alors partiellement compenser l’augmentation de la consommation des classes moyennes dans le tiers-monde par une diminution de celle des classes aisées du monde occidental. Mais on ne voit pas très bien quelles politiques mettre en place pour accélérer le processus à part de l’information et de la formation à la consommation alimentaire « responsable ».

 

Présentation d’un diaporama montrant des photos de familles issues des régions les plus pauvres jusqu’aux plus riches de la planète. Familles photographiées au complet (parents et enfants), derrière la quantité de nourriture qui leur est nécessaire pour une semaine.

Ce que nous pouvons retenir de ces images :
– Au Darfour, un individu se nourrit pour ¼ de $ par semaine, en Allemagne, il faut 120 $. Ce qui signifie qu’un Allemand se nourrit comme 500 réfugiés du Darfour, mais aussi que la planète peut nourrir de nombreux milliards de réfugiés du Darfour, ou 1,5 milliard de personnes sur-alimentées…
– Plus un pays progresse, plus ses individus s’enrichissent, moins ils ont d’enfants,
– Plus l’individu s’enrichit, plus il mange des aliments gras et sucrés, jusqu’à l’obésité qui s’avère dans certains pays comme les U.S.A. un vrai problème de société.

 

Un gâchis proprement scandaleux

Entre 10 % et 15 % des récoltes mondiales sont perdues, avec des pointes allant jusqu’à 50 % dans certaines zones. Dans le cas des céréales, les causes sont multiples : perte de grains avant ou pendant la récolte, chute des tiges, pourrissement lors du stockage, attaque des oiseaux, des insectes ou des moisissures, envol pendant le transport ou le battage, etc. Il y a là un énorme gisement à exploiter au XXIe siècle, sur le modèle de ce qu’ont par exemple réalisé les pays européens ; des investissements importants dans le stockage sont notamment indispensables dans de nombreux pays du Sud.

Mais les pays riches occidentaux et en transition ont également leurs propres problèmes de gâchis, qui se sont déplacés de la production vers la consommation. Les quantités de nourriture jetées la poubelle, à tous les stades, sont phénoménales. Depuis les supermarchés dont les salariés disent souvent que « leur plus gros client, c’est la benne à ordure », jusqu’aux restaurants et cantines dont les normes sanitaires empêchent de resservir les restes de nourriture, en passant par les particuliers. Depuis les récentes crises sanitaires, il devient même de plus en plus difficile de récupérer les restes des restaurants et des boulangeries pour approvisionner les porcheries.

Sans oublier le poids considérable des emballages alimentaires (la plupart du temps non consignables et peu recyclables), les kilomètres effectués en voiture pour aller faire ses courses au supermarché, et la fâcheuse habitude prise par les occidentaux de consommer de tout 12 mois par an. Manger des tomates ou des fraises en février, c’est d’abord manger du pétrole, soit celui qui a fait fonctionner l’avion qui les a livré depuis un pays du Sud, soit celui qui a chauffé la serre près de chez nous. Tout cela représente un gaspillage qui va bientôt apparaître « d’un autre siècle ». Manger ou conduire, il faut choisir ! On ne peut pas faire les deux…

 

La production de céréales à destination des biocarburants

Tant qu’on n’a pas trouvé de moyens efficaces de stocker l’énergie ni d’énergie alternative au pétrole, transportable et bon marché, la voracité du milliard de véhicules (+ 60 millions par an), dont les propriétaires sont tous solvables, représentent une menace considérable d’augmentation de la demande de produits agricoles. Si elle se concrétise, elle provoquera immanquablement des conflits majeurs entre l’assiette des pauvres et le réservoir d’essence des riches. Dans l’état actuel des techniques des agro-carburants de première génération, 1 hectare de colza permet à une voiture diesel de rouler 25 000 km et 1 ha de betteraves à sucre permet à une voiture à essence de rouler le double. Sans compter qu’il faut actuellement plus d’une 1 tonne d’équivalent pétrole pour arriver à produire 3 t d’équivalent diester (et le bilan est nettement plus médiocre pour l’éthanol de blé ou de betterave) ! Pour arriver à faire rouler toutes les voitures françaises aux agro carburants avec les technologies actuelles, il faudrait y consacrer la totalité des surfaces agricoles du pays. Mais alors que mangerions-nous ?

La feuille de route est simple en la matière : il faut trouver, un peu sur le modèle de ce qui se passe au Brésil avec la canne à sucre, des plantes qui fournissent beaucoup de biomasse en nécessitant peu d’énergie (donc probablement des plantes pérennes), qui consomment le moins possible d’eau (puisqu’elle va manquer), et qui poussent ailleurs que dans les champs déjà utilisés pour produire de la nourriture (puisqu’il n’y en a pas assez). C’est le défi des agro carburants de deuxième génération, et on doit s’y investir rapidement et efficacement pour diminuer les délais annoncés de dix ans pour leur mise au point.

La chimie constitue la seule solution pour multiplier la production de denrées agricoles. Elle permet de produire les fongicides pour soigner les plantes, les herbicides qui nous permettent de décider de la nature et du lieu d’une culture, et les insecticides. Aujourd’hui, tous les rendements ont augmenté dans le monde, c’est ce que l’on a appelé « la révolution verte ». On en a atteint la limite.

Puisqu’il nous faut trouver de nouvelles solutions, bienvenue dans le siècle de la biotechnologie !

Avec l’agriculture biologiquement intensive, on trouve un compromis entre l’agriculture bio et l’agriculture intensive. On peut par exemple associer certaines espèces de plantes pour éviter les insecticides ou pour qu’elles ne nourrissent mutuellement. Ce qui permettrait de doubler les rendements. On peut aussi développer les vers de terre qui s’avèrent être les meilleurs et les moins chers des laboureurs. Ils drainent la terre, permettent à l’eau de pénétrer dans la terre grâces à leurs galeries, percent les pré-trous dans lesquels se développent aisément les racines.

La recherche sur les O.G.M. a été marquée par les conditions de son démarrage au sein d’une grande société privée américaine (Monsanto) à laquelle les pouvoirs publics américains ont tout passé : laxisme juridique avec la privatisation du vivant et des homologations sur la foi d’essais non indépendants et non contradictoires, protection de la justice contre toute velléité d’action indépendante des agriculteurs et même yeux fermés sur les premières bavures, etc. Les américains continuent sur le modèle qui avait été théorisé il y a quelques décennies par le slogan « ce qui est bon pour la General Motors est bon pour les USA » (et, sous-entendu, pour le reste du monde) ; ils n’ont fait que remplacer General Motors, un peu démodé, par Monsanto, plus moderne !

L’autre grand pays agricole mondial, la Chine, s’est aussi lancé dans cette course à la connaissance, avec ses propres valeurs et ses propres habitudes juridiques, sociales et économiques du type « parti communiste », sans grande transparence non plus.

L’Europe a donc son mot à dire sur ce dossier, en marquant sa différence par rapport aux USA et à la Chine, avec ses valeurs, ses priorités, sa manière de faire, et son environnement juridico-socio-économique ; il est temps qu’elle le fasse, au lieu de se contenter de réagir à l’action des autres. En particulier en lançant des grands programmes de recherche publics ou financés par le public, sur des priorités débattues démocratiquement, avec son propre équilibre entre innovation et précaution.

 

En conclusion, la nécessité absolue, c’est se nourrir bien et tous ! Nos outils ne marchent plus. La situation est grave mais pas désespérée. Nous disposons de plusieurs moyens pour progresser :
– Ne plus rien gâcher. TOUT est susceptible de servir de matière première.
– Inventer à l’échelle européenne une agriculture à haute intensité environnementale, qui « fasse plus et mieux avec moins ». Ce ne sont plus les chercheurs mais les agriculteurs qui vont trouver des solutions. Les chercheurs les expliqueront après.
– Chercher des O.G.M. à notre manière.
– Promouvoir l’agriculture vivrière dans le tiers-monde.
– Protéger les frontières et soutenir les agriculteurs. Le mot d’ordre n’est pas de nourrir ceux qui ont faim. Il s’agit de soutenir les paysans qui ont faim partout dans le monde pour qu’ils puissent se nourrir eux-mêmes.
– Compter sur l’énergie la plus répandue au monde, qui ne coûte rien et ne s’éteindra jamais, le génie humain !
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Extraits des questions-réponses :

Vous avez parlé du génie des hommes. Mais il y a des bons et des mauvais génies. Comment les reconnaître ?

Le temps est plus au collectif qu’aux anathèmes. Quand c’est mûr, les changements arrivent très vite et l’on a besoin de toutes les volontés. Les gouvernements n’y arrivent pas. L’an dernier, aucun politique ne s’est rendu à la réunion de la F.A.O. J’espère que nous allons avancer mais il ne faut pas compter que sur les gouvernements. On a tous quelque chose à faire. Chaque entreprise, chaque ville et chaque individu peut participer.

 

Pour parvenir aux différents objectifs que vous avez mentionnés, ne faudrait-il pas envisager de nouvelles formations pour les agriculteurs ? Et porter plus d’attention à ce que nous gâchons ?

Les gens des villes ont toujours méprisé les gens de la campagne. Pourtant, ils sont bien contents d’être nourris ! Il faudra peut-être de nouvelles crises dans ce monde d’incertitudes pour que l’on s’en rende compte.

On a fait beaucoup de progrès pour moins gâcher. Dans ce sens, le tri des déchets passe maintenant très bien auprès de la population. On assiste également à une émergence évidente du vélo et des tramways. Pas un maire ne peut se passer de la politique cycliste s’il veut rester populaire. L’opinion publique change et ça peut aller très vite !

En ce qui concerne la formation des agriculteurs, on réfléchit beaucoup au développement durable. J’ai d’ailleurs embauché une députée verte comme professeur dernièrement. C’est un signe.

Nous étions préoccupés de produire le plus possible. Les jeunes sont eux très conscients de la nécessité de protéger la planète.

Malheureusement, ce sont les chercheurs séniors qui décident de ce que l’on cherche. Avec les juniors qui montent, j’espère que ça va évoluer.

Au lendemain de la guerre, la société demandait de ne plus jamais avoir besoin de tickets de rationnement. Aujourd’hui, la demande, c’est de développer la capacité à nourrir la planète. On va le faire. Les jeunes agriculteurs sont très motivés pour relever ce défi.

Autrefois, on quittait la campagne. Aujourd’hui, on quitte la ville pour retrouver les valeurs des gens de la campagne. On prend le meilleur de la société moderne dont l’essentiel vient de la campagne. Etre paysan, c’est le parangon du post-modernisme du XXI° siècle ! On comptera sur les agriculteurs pour trouver toutes sortes d’améliorations à nos vies.

 

Je voudrais parler de notre région, constituée de prairies et de bocages. On parle peu de l’effet bénéfique de l’élevage. Ce qui fait vivre nos prairies, ce sont les bovins et les équins, ce sont eux qui broutent l’herbe qui perdure.

Les bovins font l’objet d’attaques importantes car leur nombre ne doit pas augmenter sur la planète. Il existe de nombreux endroits sur la planète ou l’excès de ruminants conduit à la désertification, comme en Mongolie. On ne peut plus augmenter le nombre de bovins sur la planète, or la population mondiale croît, la cohabitation devient à la limite risquée pour la planète. La consommation qu’il convient de privilégier, c’est le poulet et la carpe car celle-ci ne consomme pas de protéines végétales.

 

Ma question a trait à l’augmentation de la population mondiale, comment la stabiliser ?

J’ai 4 garçons. Quand je vais en Chine, j’ai honte ! Au nom de quoi peut-on dire aux autres « J’ai eu beaucoup d’enfants mais vous, il ne faut pas que vous en ayez autant ! »

Il est urgent d’arrêter de faire des enfants dans des zones où ils consomment « trop ». Ce ne sont pas les enfants du Burkina Faso qui mangent trop !

 

Existe-t-il un point de désaccord entre Luc GUYAU et vous ?

Luc GUYAU
Je partage la globalité de ce que vient de dire Bruno Parmentier. C’est sur une longue durée que nous devons travailler, il nous faut donc commencer tout de suite.

Bruno n’est pas agronome. C’est ce qui le rend d’autant plus crédible. On écoute plus et mieux ceux qui sont hors du sérail.

Il existe de grosses failles par rapport à l’économie dans le système actuel. Les agriculteurs doivent absolument gagner leur vie là où ils se trouvent.

En 2009, pour la première fois, le revenu global des agriculteurs était inférieur aux subventions qui leur étaient accordées. Cette absurdité me confirme dans l’idée que nous devons accepter de payer les produits que nous consommons.

A chaque fois que l’on a remis une valeur ajoutée aux agriculteurs, c’est passé dans la filière de distribution. L’administration autour de ces questions est devenue beaucoup trop lourde.

Par ailleurs, nous avons besoin de toutes les formes d’agricultures dans le monde. Mais toute ont besoin de régulation car personne n’est à l’abri d’événements qui mettent en péril telle ou telle forme d’agriculture.

Bruno PARMENTIER
85% de la nourriture du monde est produite chez soi. Un des problèmes de l’ouverture du marché tient au fait que ce sont les 15% échangés qui fixent l’intégralité des prix du marché !

On veut s’aligner sur le prix des moins disants mondiaux. Pour autant, on veut suivre les normes environnementales européennes, selon les normes sociales européennes. Il n’y a pas de mystère, il nous faut « casquer » ! D’où la P.A.C. Et pourtant on ne veut pas payer. Cà ne peut pas marcher !

Sans la P.A.C., on sera en pénurie. Il faut que le système existe sur chaque continent. Une majorité de gouvernements de pays européens pensent souhaitable que des éleveurs de Nouvelle Zélande nous fournissent en viande. C’est à mon avis une grave erreur. On ne peut pas continuer comme ça !

 

Jean Yole a écrit au sujet de la Vendée et des Vendéens « pied mère et greffon ». J’aimerais que vous nous parliez un peu plus des O.G.M.

Le proverbe que vous avez cité m’en rappelle un autre « bon sang ne saurait mentir ». On veut garder les gènes de sa bonne vache pour la pérenniser.

Les chercheurs ont compris ces mécanismes, mais ça fait peur !

Monsieur MONSANTO a inventé les O.G.M. (insecticides et herbicides). Si les chercheurs trouvaient des O.G.M. pour développer les céréales sans eau et qu’ils pouvaient vendre cette découverte, ils travailleraient dessus tout de suite. Si les chercheurs trouvaient des O.G.M. qui permettent à des plantes de se développer dans de la terre salée, ils le feraient bien sûr – toujours à condition de vendre le fruit de cette recherche.

Ce n’est pas parce que les deux premiers O.G.M. qui ont été trouvés et commercialisés sont nocifs que tous les O.G.M. le sont. Les Chinois fabriquent leur coton avec des O.G.M.

En Europe, on aime la recherche publique. Or l’entreprise MONSANTO est privée. On n’aime pas ça ! Peut-être que dans quelques années, nous pourrons mettre en concurrence MONSANTO et le Parti Communiste Chinois !

 

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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