Compte rendu de la 68ème rencontre du CERA du vendredi 27 mars 2015
Partager une somme d’argent c’est la diviser, partager une information c’est la multiplier. Partant de ce constat de bon sens, Idriss ABERKANE développe sa théorie d’un nouvel eldorado fondé sur une source inépuisable d’énergie : la connaissance. Chercheur à l’Université de Stanford en Californie et à l’Université de Paris-Saclay, il étudie l’interaction entre savoir et pouvoir, et entre savoir et paix. Noopolitik, biomimétique, neurosciences… des concepts savants qu’Idriss ABERKANE maîtrise parfaitement et met à notre portée. Il nous fait comprendre les enjeux et les impacts de la science du cerveau dans notre vie quotidienne, notamment par les jeux vidéo. Ses chroniques dans Le Point font référence.
À 29 ans, Idriss ABERKANE a déjà vécu de nombreuses vies si l’on en croit tous les domaines qui l’intéressent et qu’il aime à partager avec tous les publics de 0 à 99 ans. La biologie théorique, les neurosciences, le bio mimétisme, l’économie de la connaissance, les jeux vidéo, etc. Ses horizons n’ont pas de limite. Ecole Normale Supérieure à Paris, Cambridge en Angleterre depuis 2006, Stanford aux Etats-Unis depuis 2009, Idriss ABERKANE est aujourd’hui associé à l’Ecole Polytechnique de Paris en spécialité neuro technologie. Il est surtout connu pour privilégier la recherche appliquée. Il est ambassadeur numérique des systèmes complexes pour l’Unesco UniTwin, qui rassemble 650 centres de recherche dans 120 pays.
En 2014, Idriss Aberkane a déjà conquis la Vendée à l’Université des Entrepreneurs vendéens, le MEDEF de Vendée, ainsi que l’Institut Saint-Gabriel.
Chaque quinzaine, il livre un certain nombre de réflexions dans un éditorial du magazine Le Point. Il a même fait la une de cet hebdomadaire avec un dossier très riche consacré aux neurosciences. Nous y avons noté que méditer, jouer ou chanter permettent de muscler notre intelligence. Vous nous dites que nos méninges ont besoin d’exercices, alors nous sommes prêts ! Dites-nous Idriss, comment nous pouvons bénéficier en Vendée de cet eldorado que constitue l’économie de la connaissance.
Merci d’être venus aussi nombreux et de m’accueillir aujourd’hui.
Effectivement je suis spécialiste du cerveau. Je fais de la neuroergonomie qui est une science très simple. Certains d’entre vous ont peut-être vu sur TF1 l’émission présentée par Christophe Dechavanne « Les extraordinaires ». Il faisait intervenir des hypermnésiques, des athlètes de la mémorisation. Il y avait notamment un individu capable, lorsqu’on présentait un mur de 4 m x 4 de Rubik’s cubes, de désigner 2 couleurs interverties. C’est cela que j’étudie, les capacités complètement incroyables de notre cerveau.
Je travaille également avec des calculateurs prodiges. Le champion du monde étant Alexis Lemaire qui sait calculer la racine 13° d’un nombre à 100 chiffres, de tête, en 3 seconde 62. Il s’agit d’un homme tout à fait normal. La neuroergonomie nous permet de comprendre comment mieux répartir la charge sur notre cerveau. Alexis Lemaire a le même cerveau que nous. Simplement, il l’utilise différemment. Il spatialise le calcul. Il a recours à sa mémoire spatiale et sa mémoire épisodique dans ses calculs. Nous en disposons tous, pour savoir par exemple où nous nous sommes garés, ce que nous avons mangé le matin, où trouver des ciseaux chez nous. La principale différence, c’est que pratiquement personne ne l’utilise pour faire
des maths. Nous n’attrapons pas les données dont nous avons besoin de manière ergonomique. La neuroergonomie nous enseigne comment mieux attraper la connaissance avec notre cerveau. Nous commençons à découvrir comment notre cerveau apprend et par la même que nos façons d’enseigner sont très peu neuroergonomiques.
Avez-vous déjà vu ce bâtiment ?
Il s’agit du nouveau siège d’Apple dans la Silicon Valley, qui sera inauguré en 2016. L’occasion de fêter le 40° anniversaire de la compagnie. Cette construction illustre très bien cette seconde Renaissance dans laquelle nous entrons, qui est le sujet de cette conférence. Il illustre très bien le rapport entre technologie et nature, rapport qui est en train de changer complètement. Steve Jobs voulait que ce bâtiment évoque « The fruit bowl of America ». La corbeille de fruits de l’Amérique qui était le nom de la Californie, état agricole à l’origine, devenu un état à forte valeur ajoutée aujourd’hui. C’est encore ici que l’on trouve le meilleur vin d’Amérique du Nord. Ce bâtiment témoigne de nombreuses influences.
L’économie de la connaissance, c’est quelque chose de très concret. Quand Apple appelle sa banque pour connaître son état de trésorerie, la banque lui répond qu’il est créditeur de l’équivalent du PIB du Vietnam, soit 180 milliards de $, qu’Apple a accumulé en vendant de la connaissance, de la technologie, des innovations.
En 1976, à sa création, Apple ressemblait à ça :
un monument historique classé dans la Silicon Valley.
Un pavillon comme les autres dans une rue pavillonnaire sans histoire.
L’économie de la connaissance, c’est la seule économie qui permet de faire ce saut en 2 générations !
Maintenant, regardez cette photo :
Il s’agit de la ville de Bagdad au IX° siècle. Du temps de Charlemagne. Il s’agissait de la Silicon Valley de l’époque puisque c’est dans ces lieux que l’on fabriquait les meilleurs instruments astronomiques. Pour un caravanier parcourant la route de la soie, disposer d’un instrument astronomique de qualité revenait à pouvoir gagner plusieurs semaines. Ce matériel coûtait un an de salaire mais au fond, c’était comme
disposer d’un ordinateur.
Vous voyez la similitude avec le campus d’Apple ?
Le commanditaire de cette cité était musulman. Le premier architecte était zoroastrien, le second était juif, le maître d’oeuvre était bouddhiste et le financeur était chrétien. C’était une autre époque ! A ce sujet, de nombreuses méconnaissances circulent. L’alcool par exemple n’était absolument pas interdit aux musulmans à qui l’on demandait juste de ne pas entrer enivrés dans une mosquée. Autre exemple, les minarets se sont inspirés de l’architecture chrétienne. La mosquée des omeyyades à Damas, qui a été le premier modèle, était en réalité une église.
Dernier exemple pour finir car c’est important pour introduire le thème de la Renaissance, le pays avec lequel la France s’est allié le plus longtemps depuis Clovis était l’Empire Ottoman. En 1536, François 1° cherchait une alliance pour contrebalancer le pouvoir de Charles Quint. Le seul capable de tenir tête à ce dernier était Soliman le Magnifique. Sur le plan de l’équilibre des
pouvoirs, cette alliance était si parfaite qu’elle a duré 250 ans, bien qu’émanant de 2 cultures bien différentes. Elle a pris fin lors de la campagne d’Egypte de Napoléon.
Les Silicon Valley ont toujours été des hauts lieux de rencontres. Pas de choc de civilisations mais des échanges, des dialogues. La différence de points de vue créant un climat propice à l’innovation.
J’en viens à notre sujet. Aujourd’hui, en 2015, toutes les conditions sont réunies pour assister à une seconde Renaissance.
Revenons 500 ans plus tôt, précisément en 1515, date du couronnement de François 1°. On entre dans la haute Renaissance française. Cette étape est le fruit de la conjonction de la redécouverte de l’imprimerie (les Chinois l’avaient déjà inventée très longtemps auparavant), la découverte des Amériques et des découvertes médicales.
Ces 3 paramètres ont précisément leurs 3 équivalents aujourd’hui :
– internet en lieu et place de l’imprimerie
– équivalente aux grandes découvertes géographiques de l’époque que je viens de citer et de l’héliocentrisme du temps de Copernic, nous venons de découvrir la place de notre galaxie dans l’univers. Nous venons également de remarquer que des océans à l’état solide se trouvent sous les plaques continentales. N’importe quel professeur de SVT vous aurait traité de fou si vous lui aviez annoncé cela il y a 18 mois ! Evidemment la question est de savoir si la vie existe dans ces océans… L’engouement pour le nouveau monde il y a 500 ans de cela se retrouve dans celui qui se déploie à la conquête de Mars.
– les grandes découvertes relatives au cerveau sont bien sûr à mettre en parallèle avec les grandes découvertes médicales de cette époque.
L’objet de ma présentation est donc cette nouvelle Renaissance.
Je vais vous parler de 3 éléments, en allant du plus abstrait au plus concret :
– l’économie de la connaissance
– le biomimétisme qui est son application à l’environnement
– la Blue Economy qui est l’économie de la connaissance appliquée à l’entreprise
Imaginez une économie dont la ressource est infinie. Imaginez une économie où 1+1 font 3. Imaginez une économie où quand je vous donne quelque chose, il m’appartient encore. Imaginez une économie où le chômeur a plus de pouvoir d’achat que l’employé. Tout cela paraît pour le moins étrange…
Pourquoi faire de l’économie de la connaissance ? Pour une raison très simple, c’est que la connaissance, comme la connerie, est infinie ! Le pétrole, le poisson, le gaz naturel, les carcasses de porc, ce n’est pas infini. Même renouvelables, ce n’est pas infini. Si vous voulez une croissance infinie uniquement basée sur les matières premières, c’est mathématiquement impossible. Et l’on sait aujourd’hui que si notre croissance est uniquement indexée sur l’exploitation matérielle des ressources de la terre, on va aller dans le mur. Ce qui ne signifie absolument pas que nous devons entrer dans la décroissance mais qu’il faut changer la répartition de notre croissance.
La première bonne raison de pratiquer l’économie de la connaissance, c’est donc qu’elle est infinie. De nombreuses personnes ont déjà fait ce calcul avant moi. Comme Jimmy Carter qui disait en 1977 que ce serait bien que le dollar ne soit pas seulement la monnaie des matières premières mais aussi celle de de la connaissance. « Comme nous avons les meilleures universités, disait-il, notre croissance pourra êtreainsi illimitée. » Ce discours ne sera pas particulièrement suivi d’effets mais il va avoir un impact culturel très fort, en particulier sur la Silicon Valley.
En 1984, Apple lance le premier McIntosh. C’est une révolution discrète dans le sens où Apple n’a pas inventé l’ordinateur personnel. C’est Xerox qui l’avait inventé mais les patrons de cette firme n’y croyaient pas du tout. Quand la souris a été proposée, l’un des patrons de New-York a dit aux ingénieurs venus de Palo Alto « Vous n’allez tout de même pas croire que Xerox va investir dans un produit qui s’appelle la souris ! » Cette anecdote me permet de vous donner un message parmi les plus importants de cette présentation :
Toute révolution (scientifique, philosophique, morale, politique, technologique, managériale,…) passe nécessairement par 3 étapes :
– c’est ridicule
– c’est dangereux
– c’est évident
Prenez par exemple le droit de vote des femmes. 1789 : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ceux qui évoquent le droit des femmes sont moqués. 1889 : c’est dangereux, qui va garder les enfants et faire la vaisselle ? 1989 : les femmes votent, c’est évident pour tout le monde !
L’ordinateur personnel est passé par ces 3 étapes. Pour IBM et pour Xerox, c’était ridicule. Pour International Business Machines, il s’agissait d’un gadget alors qu’eux traitaient des affaires sérieuses.
L’Américain moyen lui-même disait qu’il ne voulait pas d’un ordinateur personnel. C’était pour les ingénieurs… Il fallait pour le faire accepter par tout le monde créer un design adapté. C’est ce qu’Apple a su faire grâce à son message visuel qui véhiculait « N’aie pas peur ! »
Steve Jobs, rencontrant François Mitterrand, lui avait demandé pourquoi les Français n’avaient pas de Silicon Valley en France. Il pensait que notre manque d’initiatives tenait de notre incapacité à supporter l’échec. Une psychologue américaine explique de la façon suivante nos deux types de réactions : lorsqu’un enfant tombe d’une échelle, la mère américaine lui dit « c’est très bien, tu as essayé », et la mère française « tu vois bien, je t’avais prévenu »… Aux Etats-Unis, vous mentionnez sur votre CV que vous avez créé une entreprise qui a échoué. En France, vous dites que vous avez pris une année sabbatique… Nous avons une aversion récente à l’échec, qui date des deux dernières guerres. Sans doute est-on devenu frileux vis-à-vis des risques au regard du taux de destruction qui a découlé de ces périodes. Cette aversion n’existait pas du tout du temps de Jules Verne. Il n’y a pas de secret, les boîtes innovantes progressent
grâce à l’essai/erreur.
L’autre message important, c’est que les logiciels sont le pétrole des années 80, 90. Ce qui était complètement inimaginable de la part des entreprises, même américaines. Mais au-delà des logiciels, la connaissance a toujours été le pétrole de toutes les époques. La révolution industrielle repose bien sur une connaissance qui était celle de la machine à vapeur.
Je vous livre une petite plaisanterie qui circule dans la Silicon Valley : Les Américains disent qu’ils ont Steve Jobs et que les Français ont Paul… Emploi…
Steven Chu, prix Nobel de physique, a été nommé par Obama secrétaire d’état à l’énergie. Lui qui n’y connaît rien en politique, encore moins en géopolitique, mais qui s’y connaît en connaissances, a un profil qui tranche avec ceux qui occupaient cette fonction auparavant. Tous les commentateurs ont qualifié cette nomination comme un tournant vers l’économie de la connaissance.
Nous sommes complètement plongés dans l’économie de la connaissance en Corée du Sud qui a un ministère de l’économie de la connaissance autonome, régalien, indépendant des finances et de l’industrie. C’est dire s’ils prennent cette question au sérieux. Aujourd’hui, la Corée du Sud exporte plus que la Fédération de Russie. 20%, soit 100 milliards de plus chaque année. Avec 3 fois moins d’habitants et 171% fois moins de territoires. La Russie a beaucoup de matières premières. Les Coréens n’ont rien sur le plan minier et très peu de ressources halieutiques, mais ils nous vendent des écrans LCD, des tablettes et des Smartphone Samsung, des voitures, des moteurs de bateau et des bateaux entiers. Ils sont passés d’un PIB par habitant qui était celui de la Somalie en 1957, à un PIB par habitant supérieur à celui de la France aujourd’hui. Le niveau de vie du Coréen a dépassé celui du Français, grâce à l’économie de la connaissance. Quand les Coréens veulent faire de la robotique une grande cause nationale, ils ne créent pas de nouveaux programmes scolaires mais un parc d’attractions : Robot Land. Dont vous voyez ici la mascotte, HUBO Einstein, qui dit « N’aie pas peur ! »
C’est une très bonne idée, les parents venant au parc se diront que c’est une filière d’avenir et les enfants se diront que c’est un amusant.
Pour faire de la technologie une cause nationale, il faut avant tout la rendre agréable à étudier.
Pourquoi Barack Obama nomme un secrétaire d’état aussi atypique est pourquoi l’économie de la connaissance est aussi centrale en Corée ? C’est en raison d’un certain nombre de propriétés de la connaissance :
– La connaissance est prolifique : la connaissance mondiale double en quantité tous les 9 ans depuis les années 80, l’époque de l’invention de l’informatique personnelle. La connaissance est passée à une phase exponentielle à partir de la révolution industrielle. Ce qui veut dire qu’en 9 ans, l’humanité a produit plus de connaissances qu’elle n’en a produit durant les 15 000 années précédentes ! Mais aujourd’hui, nous rencontrons un problème mondial, nous produisons beaucoup plus de connaissances que nous ne pouvons en livrer. Les gouvernements, les entreprises, les états, les universités, les écoles, cherchent à mieux transférer la connaissance.
– La connaissance est collégiale : la seconde propriété de la connaissance est très bien illustrée par un homme qui a produit l’un des 7 sites les plus visités au monde. Il s’agit de Jimmy Wales, l’inventeur de Wikipédia. A l’origine, il était entrepreneur du porno. A 45 ans, pour des raisons de santé, il cesse cette activité pour se tourner vers une autre idée : concurrencer l’Encyclopédie Universalis ! Il embauche donc des spécialistes pour écrire des pages mais ça ne marche pas. A côté de lui se trouve Bill Gates, l’homme le plus riche du monde, qui crée Encarta que plus personne n’utilise aujourd’hui. Encarta, c’est l’ancien monde puisque c’est une encyclopédie sur CD. Jimmy Wales, qui n’a plus d’argent, est obligé d’innover. Un ami vient le voir en lui parlant du Wiki, qui propose des pages collaboratives ouvertes à tout le monde, que les Prix Nobel peuvent relire. Au début, Jimmy Wales n’est pas très chaud. Forcément, rappelez-vous les 3 étapes de toute révolution. Il adopte cette idée à contrecoeur. Au bout de 6 mois, il a 25 000 pages. Ce n’est donc plus ridicule, c’est devenu dangereux. Les plus grands professeurs crient au scandale. A tort. On a démontré en 2007 que sur les articles scientifiques, Wikipédia est plus fiable que l’Encyclopaedia Britannica. Les encyclopédies contiennent toutes des erreurs, ce qui est normal puisqu’elles représentent l’esprit de leur époque. Prenez les neurosciences cognitives par exemple, c’est un sujet que je connais bien. La page qui lui est consacrée me convient parfaitement. 7 000 contributeurs ont participé à son élaboration ! Moralité : la connaissance est collégiale. La vérité est un miroir brisé, chacun en possède un petit morceau. Mais notre ego nous pousse à croire que notre petit morceau représente le tout. Et une fois que nous avons compris que nous détenions juste un petit morceau, nous ne voulons surtout pas le mettre en commun car nous avons peur de perdre notre différence. Cette collégialité est également bien illustrée par cet ordinateur qui est une double légende :
Cet ordinateur a été créé par Steve Jobs lorsqu’il a été licencié d’Apple. Cet homme a gagné 1 million de $ à 21 ans, 10 millions à 25, 100 millions à 28, et il a tout perdu à 29 ans ! Il a décidé de repartir en créant 2 entreprises. Il a racheté d’une part la branche effets spéciaux de Lucasfilm (Star wars) pour en faire une firme qui s’appellera Pixar et sera revendu à Disney.
Il a créé d’autre part NeXt, sous-entendu « le prochain ordinateur ». Il voulait tenter de battre ses propres performances en matière d’ordinateur. Apple le rachètera. Cette machine que vous voyez en photo a, la première, permis de saisir les 3 fameuses lettres www : world wide web, littéralement la « toile (d’araignée) mondiale », à l’origine de l’internet qu’on connaît. Elle se trouvait au CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire). C’est la raison pour laquelle le siège d’Apple lui ressemble. A l’instar de la connaissance, le CERN est partagé par plusieurs pays, la France, la Suisse et l’Italie. Ce système a été inventé par un ingénieur de recherche du CERN qui souhaitait créer un réseau pour accélérer les échanges de connaissances entre les membres du CERN. Tim Berners-Lee a d’abord fait les frais des 3 étapes rencontrées par chaque révolution, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que son système fonctionnait très bien. Il s’est ensuite dit que ce système pouvait aussi bien être mis au service des Prix Nobel que de tout le monde. Cette idée a dû de nouveau passer les 3 étapes ! Ridicule, dangereuse, évidente.
Cette histoire nous apprend d’une part que la connaissance est collégiale mais aussi que si nous n’apprenons pas en groupe, nous n’apprendrons plus du tout. La connaissance croît beaucoup
trop rapidement pour que l’expertise reste individuelle au XXI° siècle. Ce qui est dramatique car notre modèle scolaire a été tracé au XIX°, à l’ère de la Révolution industrielle… J’y reviendrai.
Il est essentiel d’apprendre à travailler en groupe. Vous savez bien qu’il arrive à des experts très intelligents de se conduire comme des imbéciles en groupe…
Les règles de l’économie de la connaissance sont d’une grande simplicité mais elles changent tout. Dans ces règles il y a 2 bonnes nouvelles et 1 mauvaise.
– Les échanges sont à sommes positives : si je vous donne 20€, ils ne sont plus à moi. C’est ce que l’on appelle un échange à somme nulle. Mais si je vous donne de la connaissance, elle est encore à moi, je ne la perds pas. Ma seule limite dans le partage de ma connaissance, c’est le temps. La règle est même plus générale que ça : quand on partage un bien matériel, on le divise, et quand on partage un bien immatériel, on le multiplie. Cette phrase est de Serge Soudoplatoff, grand expert français d’internet. La quasi-totalité des guerres depuis 15 000 ans repose sur ce principe. Que vous partagiez un mammouth, un champ de blé ou une nappe de pétrole, ça en fera moins pour vous !
– La deuxième règle est une mauvaise nouvelle. Les échanges ne sont pas instantanés. Un échange de propriété, c’est instantané. 20€ ou 20 millions d’€, c’est une signature sur un chèque qui prend le même temps. Alors que le partage de la connaissance prend toujours du temps.
– 2° bonne nouvelle : les échanges ne sont pas linéaires. Les combinaisons ne sont pas linéaires. Je vous explique : si vous prenez 20€ + 20€, vous aurez 40€. Si vous prenez 1kg de connaissances + 1kg de connaissances, ça fait 3 kg de connaissances ! Parce qu’à chaque fois que vous associez 2 connaissances, vous en créez une troisième, au pire triviale, au mieux, révolutionnaire. Ce qui est résumé dans une équation d’une grande simplicité : K(a∧b) > K(a) ∧ K(b) – qui se traduit de la manière suivante : savoir a et b
ensemble vaut plus que savoir a et b séparément. Si vous remplacez « savoir » par « posséder », ce n’est plus vrai. Posséder a et b ensemble, ce n’est pas posséder plus que
posséder a et posséder b. C’est précisément pour cette raison que la connaissance explose.
Pour moi, la plus belle structure de l’économie de la connaissance s’avère être la structure de son pouvoir d’achat. Je prends un exemple. En ce moment, je vous donne de la connaissance, et en échange, vous m’offrez deux très choses précieuses : du temps et de l’attention. La monnaie de l’économie de la connaissance, c’est de l’attention multipliée par du temps. Résumée par ces symboles : (k) At – qui signifie : Le flux de connaissance est proportionnel à l’attention multipliée par le temps. Votre pouvoir d’achat est donc de l’attention multipliée par du temps. Quelles en sont les conséquences :
– Si vous ne le dépensez pas, il se dépense tout seul
– Le chômeur a plus de pouvoir d’achat que le travailleur
– Le pouvoir d’achat est garanti à la naissance
– Le pouvoir d’achat dépend de chacun
Vous constatez que l’obstacle, dans l’économie de la connaissance, n’est pas le pouvoir d’achat mais l’envie. Alors que dans l’économie des biens et des services, c’est l’argent qui détermine ce que l’on peut acheter. C’est la raison pour laquelle il faut absolument donner envie avant d’enseigner quelque chose.
Dans quelles circonstances maximisez-vous votre pouvoir d’achat ? Dans quelles circonstances donnez-vous toute votre attention et tout votre temps pour une personne ?
Lorsque vous éprouvez de l’amour. C’est la même chose pour la connaissance. Lorsque vous êtes amoureux d’une connaissance, votre flux d’apprentissage est beaucoup plus rapide. Lorsque vous souhaitez transférer une connaissance, faites en sorte de l’aimer d’abord. On dit dans la Silicon Valley que le knowledge flow précède le cash flow, ce qui s’étend aujourd’hui au monde entier, tous secteurs confondus.
Parlons un peu de l’école, de l’attention et du temps. A l’école, la connaissance est obligatoire, or celle-ci a très peu évolué pour être capable de capter l’attention. Nous constatons aujourd’hui un monde de divertissement de plus en plus immersif et une école de plus en plus laborieuse en comparaison. En 1905, l’école était super attractive. Ce n’est plus le cas.
Je vais utiliser une métaphore pour parler de la connaissance à l’école. Imaginez que vous vous trouvez dans un hôtel 5 étoiles, devant un buffet exceptionnel à volonté. C’est le paradis ! Imaginez maintenant que le maître d’hôtel vous intime l’ordre de tout manger en 1 heure. Chaque assiette laissée pleine sera portée sur l’addition. Vous entrez en enfer ! Le buffet n’a pas changé, le contenu n’a pas changé, ce sont les règles du jeu qui ont changé. Transformer le travail en jeu est également une question de changement de règles. Vous pensez que cette histoire de buffet ne vous est évidemment pas arrivée… et bien vous vous trompez… vous avez connu ces circonstances 1 700 jours minimum dans votre vie. A l’école, vous êtes noté sur ce que vous avez laissé. Si vous avez tout mangé, vous avez 20, ce que vous avez laissé a diminué vos notes. A l’école, vous disposez d’un magnifique buffet de connaissances mais on se moque
de votre appétit. Ce qui évidemment dessert les enfants qui ont moins d’appétit. Ceux-ci ont immédiatement une crise de foie et sont dégoûté pour longtemps.
Le modèle de l’école existe parce qu’il est industriel. Tous les pays qui se sont rapidement industrialisés ont un système éducatif violent. La France, le Japon, la Corée, la Chine. On y enseigne en vue du PIB, pour disposer d’une main d’oeuvre formée. L’enseignement des humanistes était complètement opposé à ce modèle-là. Prenez par exemple Léonard de Vinci et François I° qui était un véritable cancre. Comme il était roi de France, il devait absolument réussir, par n’importe quel moyen. Léonard de Vinci a tout fait pour donner envie à l’enfant avant de lui apprendre quoi que ce soit. A tel point que François 1er a créé le Collège de France en 1536. Cet enseignement a une force énorme, il est ergonomique, taillé sur mesure,
basé sur le mentorat. En revanche, il est très cher et pas démocratique. Peu de personnes peuvent se l’offrir. C’est le contraire de l’enseignement industriel parfaitement démocratique, parfaitement pas ergonomique. L’enseignement du XXI° siècle réussi sera celui qui sera parvenu à fusionner les 2. Il existe des technologies qui savent très bien capter l’attention. Ce sont les jeux vidéo. Entre 2004 et 2014, l’humanité a accumulé 7 millions d’années en hommes / heures à jouer avec World of WarCraft qui un jeu massivement multijoueurs en ligne… Aujourd’hui, on ne connaît pas d’outil plus performant que les jeux vidéo pour transmettre de la connaissance.
Je vais juste vous donner un exemple intéressant. On s’est rendu compte, dans le cadre d’interventions chirurgicales par voie laparoscopique (forme de cœlioscopie), que les médecins qui jouent régulièrement aux jeux vidéo d‘action sont 35% plus performants que ceux qui n’y jouent pas !
On a fait trop longtemps un lien évident entre pénibilité et travail. Ce qui est faux. A tel point que j’ai vu des représentants de l’éducation nationale s’inquiéter de voir mes élèves s’amuser… Il y a du travail pénible certes, mais cela ne signifie pas que tout travail est pénible.
Nous allons maintenant aborder la capacité d’apprentissage en situation amoureuse, c’est-à-dire partant du principe que votre attention est maximum puisque le sujet vous passionne :
– en 5 heures, vous entrez dans n’importe quelle connaissance, le chinois, le macramé, la physique quantique, le piano, etc.
– en 50 heures, vous êtes autonome. Vous pouvez compléter votre base en commençant à pratiquer ce que vous avez acquis
– en 500 heures, vous pouvez enseigner
– à 5 000 heures apparaissent les premiers Prix Nobel
– entre 5 000 et 50 000 heures apparaissent tous les Prix Nobel
– au-delà de 50 000 heures (soit 17 années) se trouvent ce que les Japonais appellent des « trésors nationaux vivants », l’équivalent de nos meilleurs ouvriers de France. A ce niveau, les personnes concernées se moquent totalement des récompenses
Tous les pays devraient faire en sorte que leur population trouve le moyen d’identifier la connaissance sur laquelle elle a envie de passer 50 000 heures. C’est là qu’on crée le plus de valeur économique et de compétitivité. On ne peut pas être compétitif si on n’aime pas son job. Il faut être très clair.
Je vous ai parlé de l’économie de la connaissance, nous allons maintenant aborder le biomimétisme.
Imaginons maintenant que nous ayons vécu dans une pièce pendant des générations. S’y trouvaient des étagères avec des objets qui brûlaient très bien. En hiver, on les brûlait pour se chauffer. Un jour, on se rend compte que ces objets étaient des livres. On sort les derniers du feu à la hâte pour essayer de les sauver. On y voit des schémas, des technologies, des médicaments, plein de connaissances tellement high-tech qu’on ne savait pas les lire avant. Imaginons donc que nous ayons vécu sans le savoir dans une bibliothèque dont nous aurions peu à peu brûlé tous les livres. Cette bibliothèque est la nature. La nature est incroyablement high-tech.
En témoigne cette diatomée vue au microscope. C’est du phytoplancton. Son squelette est en silicium. Je parlais de la Silicon Valley tout à l’heure, qui fabrique notamment des puces électroniques. La distance entre les branches de cette diatomée est de 10 nanomètres. A la même échelle, je vous propose de regarder des puces fabriquées par Intel, l’un des meilleurs fabricants de semi conducteurs au monde :
Quand Intel doit passer de 32 à 22 nanomètres, c’est une aventure à 10 milliards de $. L’usine coûterait au bas mot 900 millions… La diatomée n’a pas besoin de salle blanche, elle. Dans l’eau de mer et depuis 60 millions d’années, des puces électroniques flottent. La nature est high-tech. Elle fait mieux que nous avec un moindre processus industriel et en bien plus grande quantité.
Un autre exemple. Il s’agit de la surface d’un poisson mais ce ne sont pas des écailles que vous voyez sur la photo. Ce sont les minuscules dents dont les requins sont recouverts.
Il s’agit du meilleur revêtement anti-turbulences au monde. Meilleur que le revêtement des sous-marins nucléaires fabriqués par l’armée pendant la guerre froide. Meilleur aussi que le revêtement produit par les meilleurs avionneurs. Airbus s’est inspiré de la peau des requins pour fabriquer l’A380 et l’A350, ce qui permet d’économiser 5% de carburant. On s’en est également servi pour fabriquer des maillots de bain
qui ont fini par être interdits aux JO de Pékin. Il s’agit également du meilleur revêtement antifouling pour des bateaux produits par une entreprise allemande. Imaginez un bigorneau collé à un requin. Ça n’existe pas !
Nouvelle illustration : un matériau constitué de nombreuses petites feuilles empilées. On sait en science des matériaux que cette structure a la propriété d’être très résistante aux déchirements. Il suffit d’essayer de déchirer une ramette de papier pour s’en rendre compte. 500 pages arrêtent une balle de fusil d’assaut ! La structure que vous voyez sur cette photo est capable de blinder un char d’assaut ! Elle constitue la matière des ormeaux, tout simplement.
J’attire votre attention sur le fait que non seulement la nature fabrique de meilleurs produits que nous, mais elle ne pollue pas, son process industriel est meilleur que le nôtre mais nous l’avions oublié. Je vous parle bien de Renaissance, car le biomimétisme n’est pas nouveau. Socrate ou Léonard de Vinci s’inspiraient continuellement de la nature.
Voici maintenant un petit sépiolide étudié par Samsung car c’est le meilleur écran du monde. Meilleure résolution, meilleur taux de rafraîchissement, meilleure diversité de couleurs, consommation d’énergie extrêmement basse et possible changement de texture. En plus il est flexible et il s’auto-répare sans cicatrices. Dans la technologie des écrans plats, on a eu le plasma, le LCD, puis le LED, puis l’AMOLED. On se dirige vers les méta-matériaux optiques. Vous avez sous les yeux le meilleur méta-matériau optique au monde connu de l’homme aujourd’hui. Donc on le copie.
Voici un autre coquillage, en voie de disparition, vendu 3$ sur les marchés. Il s’agit d’un cône du Pacifique.
C’est un coquillage très toxique en raison de son petit dard empoisonné mais facile à récolter avec des gants. La toxine de ce petit coquillage sert dans les neurotechnologies. Elle coûte 800 millions de $ au kg, soit 800$ le milligramme. En comparaison, l’or coûte 30 000€ le kg… Le niveau 0 du biomimétisme, c’est d’extraire la substance. Le niveau 1, c’est de la fabriquer nous-mêmes sans faire exactement comme la nature. Le niveau 2, c’est de la fabriquer exactement comme elle, avec le même process industriel. Le niveau 3, qui n’a encore jamais été atteint, c’est de reproduire tout l’écosystème. C’est-à-dire intégrer l’usine de production de la toxine avec le récif de corail de sorte que toutes les usines se parlent entre elles et ne produisent plus de déchets. C’est un cap intéressant à se fixer.
L’arénicole maintenant, qui vit dans le sable, propose une hémoglobine universellement transfusable. C’est du O négatif dont la demande est aujourd’hui très supérieure à l’offre.
Les Américains lorsqu’ils ont débarqué en Normandie, cherchaient désespérément un substitut d’hémoglobine. La réponse était sous leurs pieds ! L’hémoglobine d’arénicole est 50 fois plus puissante que le sang humain. L’objectif est de l’utiliser dans le cadre de la transplantation d’organes. Dans ces circonstances, le greffon doit rester bien oxygéné. Aujourd’hui, nous parvenons à le conserver 24 heures. Avec le sang d’arénicole, nous pourrions le garder 8 jours. C’est un français, Franck Zal, dont vous voyez ici la photo, qui a fait cette découverte et a créé une start-up basée sur ce principe à Roscoff.
L’exemple de la moule maintenant.
Vous ne pouvez pas coller une moule à un rocher avec de la super glue ou du néoprène. On peut en déduire que la colle de la moule, qu’on appelle le byssus, est plus performante que toutes les colles de qualité militaire ou de la NASA. Elle fonctionne à toute température, résiste aux UV, aux forces de torsions des vagues et aux turbulences. Elle est par ailleurs imputrescible tout en étant biodégradable. Ce qui lui permet d’être le meilleur fil suturant du monde. La seule manière de le récolter aujourd’hui est d’élever des moules. Ce produit est donc réservé aux starlettes d’Hollywood qui veulent des césariennes parfaites sans aucune cicatrice ou en chirurgie esthétique.
Et enfin, j’ai gardé le meilleur pour la fin : la crevette mante religieuse, plus simplement appelée « Super crevette » ! Pour vous donner une idée, elle a la taille d’une langoustine et elle peut vous casser un bras…
Les 2 petits marteaux que vous apercevez sous ses mandibules lui permettent de casser la carapace des crabes pour les manger. Et elle donne à ses marteaux l’accélération d’une balle de fusil d’assaut… Quand elle envoie ses marteaux, il se forme une onde de choc qui tue tous les poissons à 80 cm à la ronde. Vous comprenez pourquoi c’est « Super crevette », elle pêche à la dynamite ! A tel point qu’elle produit des étincelles sous l’eau, qui ont été mesurées à 22 000 kelvins avec un spectromètre, c’est la température qui règne à la surface du soleil ! L’eau se met à bouillir autour d’elle, formant une bulle de vapeur qu’on appelle une bulle de supercavitation. Cette technique a été découverte par les Russes pendant la guerre froide et utilisée pour fabriquer des torpilles qu’on appelait de snippers de porte-avions : 300 km/h sous l’eau en avançant dans une bulle d’air. Les Chinois prétendent qu’ils ont découvert grâce à ce procédé de supercavitation la manière de propulser des sous-marins à 500 noeuds sous l’eau. Cette crevette sait le faire depuis des millions d’années. Aujourd’hui le meilleur modèle d’études au monde pour la
supercavitation est la crevette mante religieuse.
Comme la nature est une bibliothèque, chaque être est un livre complet. Chaque partie de l’animal est un chapitre. Je vous ai parlé des marteaux, mais j’aurais très bien pu parler des yeux. Pour voir les couleurs, les êtres humains ont 3 types de cônes différents. Les chiens n’en ont que 2. « Super crevette » en a 16 ! On n’a aucune idée de la façon dont elle voit le monde évidemment. Par contre les Américains ont breveté une caméra inspirée de ses yeux qui sert à faire des biopsies rapides pour identifier les cancers. Pour terminer, ses yeux possèdent aussi le meilleur écran solaire du monde.
En conclusion, je vais vous parler du radeau des cimes dont voici la photo :
Il s’agit d’un projet français des années 80, répété plusieurs fois. C’est une grande plate-forme que l’on peut poser à la cime des arbres et qui permet d’étudier la canopée, la couche supérieure des arbres de la forêt, qui est un écosystème très peu exploré.
On peut donc faire un lien avec l’économie de la connaissance. Quand on partage un bien matériel on le divise, quand on partage un bien immatériel, on le multiplie. Si l’on voit la nature
comme une source de matières premières, tout ce que l’on exploite est perdu pour la nature. Ce n’est pas mal de le faire, à condition de respecter un bon équilibre.
Pendant des années, on a pensé que la seule solution était la décroissance. C’est faux. La décroissance n’est pas du développement durable. C’est durable, mais ce n’est pas du développement. J’apprécie beaucoup Pierre Rabhi mais il part comme beaucoup d’autres du principe que le seul moyen de faire de la croissance économique avec la nature est d’utiliser ses matières premières. C’est faux. Si l’on exploite la nature comme une source de connaissances, il y a beaucoup plus de croissance à faire. Le biomimétisme est la science qui dit simplement que la nature est une source de connaissances plutôt que de matières premières.
Reprenons notre équation. « La connaissance est notre nouveau pétrole » a dit Steve Jobs. Si c’est vrai, et que la nature est pleine de connaissances, les zones inexplorées sont les nappes de pétroles du XXI° siècle.
Imaginez que la génération des enfants nés en 2100 crée une machine à remonter le temps et que nous puissions parler un peu avec eux. Ils pourraient nous dire « Vous saviez qu’il y avait dans la nature des modèles extraordinaires et vous avez continué à extraire du pétrole ! »
Voyez ici le projet Seaorbiter de l’architecte français Jacques Rougerie.
C’est un projet de station océanique international. A ce jour, on sait mettre une station spatiale en orbite, mais on n’a jamais installé une station océanique non arrimée. On connaît mieux la surface de Mars que les fonds marins. C’est pour cette raison que nous n’avons découvert que l’été dernier qu’il se trouvait des océans sous les plaques continentales. Cette station resterait en mer toute l’année et récolterait des connaissances. Ce modèle est inspiré de l’hippocampe pour assurer la stabilité verticale.
Pourquoi n’exploite-t-on pas encore la nature comme une nappe pétrolière ? C’est parce que les débouchés sont beaucoup moins prévisibles que ceux du pétrole. Quand on trouve du pétrole, tout le monde sait comment on peut gagner de l’argent avec. C’est pour cette raison que nous favorisons le pétrole sur la toxine du cône du Pacifique. L’écart entre les 50$ le baril de pétrole et les 800 millions le kg de toxine du cône du Pacifique, c’est le confort mental, la prédictibilité.
Aujourd’hui on a les raffineries de la connaissance, elles commencent à apparaître. Vous pouvez par exemple consulter le site asknature.org, mise en place par la mère du biomimétisme moderne qui s’appelle Janine Benyus. Vous pouvez poser des questions industrielles et vous disposez de toutes les réponses existantes déjà connues sur ces sujets.
La nature est une bibliothèque, lisons-là au lieu de la brûler !
Imaginons maintenant un monde sans déchet, croissant sur le plan économique !
Un déchet, c’est quelque chose dont personne ne veut. Nous produisons des déchets car nous produisons en ligne. Ligne qui se termine par un cul-de-sac. Nous sommes la seule espèce à produire des choses dont personne ne veut. Dans la nature, il n’y a pas de déchets. Enfin presque pas car elle en a produit une seule fois, mais massivement. Si aujourd’hui, on faisait exploser tout le stock thermonucléaire militaire et toutes les centrales nucléaires ainsi que toutes les centrales chimiques en même temps, on ne causerait pas une extinction de biodiversité aussi grande que celle qui a été causée par l’apparition de ce déchet. Il s’agit de l’oxygène. Lorsque que celui-ci est apparu sur terre, il s’est produit ce que l’on a appelé « la grande oxygénation », un phénomène marquant en géologie puisque des couches de strates d’oxyde de fer sont apparues dans les strates géologiques. L’oxygène était un déchet produit pas les cyanobactéries, les premiers organismes photosynthétiques. Il s’agissait littéralement d’un excrément soluble dans l’eau et dans l’air. On l’a retrouvé jusque dans les fonds marins et dans la haute atmosphère. Ce déchet a détruit 99,99% de toute la diversité biologique sur terre lorsqu’il est apparu. 600 millions d’années d’évolution ont été rayées de la carte ! Il ne restait que 0,01% de la biodiversité. C’est pourtant grâce à l’oxygène que la terre, seul oasis de vie que l’on connaisse, est bleue et verte.
Entre 100 et 400 milliards d’étoiles peuplent la galaxie. Un nombre plus élevé que le nombre d’êtres humains sur terre depuis l’apparition de l’homo sapiens sapiens… La disparition d’une étoile est plus fréquente que la disparition d’un homme ! Et maintenant, avez-vous une idée du nombre de galaxies présentes dans l’univers ? Vraisemblablement le même nombre que d’étoiles dans la voie lactée. Entre 100 et 400 millions… Et on continue à se battre pour un arpent de terrain ! Nous ne savons pas aujourd’hui exploiter toute l’énergie des étoiles et de la matière noire, mais vous voyez bien que des enjeux immenses sont liés à des questions de connaissances. De même dans les premiers temps, on ne se servait du pétrole que pour s’éclairer…
Je reviens à la question de l’oxygène, pire polluant naturel de l’histoire. Si nous avons réussi à faire quelque chose de ce déchet, nous devrions parvenir à faire de même avec nos déchets, même nucléaires.
La blue economy, c’est l’idée de se dire que l’abolition des déchets pourrait être très rentable, le déchet enrichissant le business model. La blue economy a été créée par l’entrepreneur Gunter Pauli, le Steve Jobs du développement durable. C’est lui qui a fait circuler le message « n’aie pas peur du développement durable ». Il avait construit la première usine entièrement biodégradable en Belgique. Il s’est rendu compte qu’on pouvait très bien être vert et détruire la planète. Il produisait la marque Ecover à l’époque sans connaître la chaîne de valeur de l’huile de palme, sans se rendre compte des dégâts occasionnés par son exploitation. Il s’est également rendu compte que le vert coûtait plus cher. Il a alors réfléchi à la manière de baisser les coûts du bio, partant du principe que la diatomée fait mieux qu’Intel et moins cher ! Une phrase le résume : « Ce n’est pas à la nature de produire comme nos usines. C’est à nos usines
de produire comme la nature. » En matière d’agriculture par exemple, nous nous sommes fixés comme objectif que la terre produise comme nos usines, avec un rendement déterminé et prévisible. Il fallait faire le contraire.
Connaissez-vous l’origine de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis ?
Le nord et le sud se sont entretués. L’abolition de l’esclavage avait d’une certaine façon déjà été résolue à ce moment-là puisque le nord l’avait aboli depuis plus de 15 ans. En fait, la cause profonde de cette guerre vient du fait qu’après avoir aboli l’esclavage, le nord est devenu beaucoup plus productif et compétitif que le sud. A tel point que les exports du sud étaient devenus non compétitifs et que la guerre était inévitable. L’économie du sud a été asphyxiée parce que le nord avait aboli l’esclavage. Pourquoi devient-on plus compétitif en abolissant le travail gratuit à vie ? Grâce à la machine à vapeur. Personne ne voulait bien sûr l’adopter au départ, mais petit à petit, elle s’est imposée car on n’avait pas le choix. Il fallait produire avec des machines puisqu’on n’avait plus de main-d’oeuvre gratuite. L’abolition de l’esclavage, en accélérant l’industrialisation du nord à une vitesse phénoménale, a rendu le nord bien plus compétitif.
L’abolition de la pollution au XXI° siècle est exactement à cette nouvelle Renaissance ce que l’abolition de l’esclavage a été au XIX°. C’est complètement ridicule, puis ça deviendra dangereux car on se dit que c’est forcément de la décroissance. Puis viendra une époque où elle deviendra évidente puisque c’est déjà évident dans la nature. Il existe toujours dans la nature une espèce qui accepte les déchets des autres espèces. Les études de cas de la bio économie reposent sur l’idée que prendre un déchet, c’est ce qui permet d’être plus compétitif que celui qui ne le prend pas. On retire le côté corvée du déchet pour ne regarder que son opportunité.
A ce titre, je vous recommande la lecture du livre de Gunter Pauli : « L’économie bleue, 10 ans, 100 innovations, 100 millions d’emplois ». Il prouve qu’en prenant 100 industries différentes, on peut polluer 0 et gagner beaucoup plus.
Prenons un exemple. Une centrale à charbon pollue énormément au Brésil en émettant des déchets soufrés et du dioxyde de carbone. On en est au clash : la seule façon de ne pas polluer la nature est de désindustrialiser. On n’a pas réussi à transcender le débat pour l’instant. Gunter Pauli s’est adressé aux décideurs en leur disant « Vous dites que le CO2 est mauvais, mais c’est parce que vous ne savez pas quoi en faire. C’est donc vous qui êtes mauvais. Voyons ce que nous pouvons faire avec. » La majorité des personnes confrontées à ce problème le voit comme une corvée. On pourrait fixer le CO2 avec une algue verte, mais alors l’algue verte deviendrait un déchet. Il faut donc réfléchir autrement, ce qui est possible avec la blue economy. On prend quelque chose dont personne ne veut et on en fait quelque chose que tout le monde veut. Ce que la nature fait tous les jours.
Quelle est l’algue la plus chère du monde ?
La spiruline. Au lieu de choisir une algue verte dont personne ne voudra, on va fixer le CO2 avec de la spiruline. La spiruline est le seul aliment dont l’homme peut se nourrir uniquement avec de l’eau durant une année. La pilule de spiruline est vendue 1$ aux starlettes d’Hollywood qui veulent perdre du poids. Le côté le plus obscène de cette première étude de cas, c’est que le pot de spiruline est GAP, c’est-à-dire Gratuit A Produire, parce que tout l’outil industriel a été amorti par les crédits carbone. On paye les fournisseurs de spiruline pour utiliser des déchets. Je précise également que la spiruline peut pousser jusqu’à 3 fois plus vite si elle est plantée près d’une usine de charbon… Gunter Pauli pense que la même chose pourrait se faire sans aucune subvention. De toute façon, l’opération resterait plus rentable.
Un autre aspect de la Blue Economy est ce qu’on appelle les chaînes de valeur en cascades, selon le principe des fontaines de champagne. La première coupe serait l’association du CO2 et de la spiruline. Aves les déchets de la spiruline non industrielle, on va faire autre chose. Par exemple des phosphoesters de qualité cosmétique, que l’on retrouve dans des crèmes de beauté haut de gamme. Avec les phosphoesters qui ne sont pas de qualité cosmétique, on fait du biodiesel.
C’est au fond une approche ancienne. «Tout est bon dans le cochon » disait-on. Tous les pays qui ont une gastronomie élaborée ont connu un jour ou l’autre la famine. Ils ont dû utiliser l’ensemble des ingrédients possibles dont ils disposaient, les pieds et oreilles de cochon, les pattes de poules, etc. C’est le cas de la chine, l’Iran, la France.
Prenons un autre exemple avec le carton. Certes, c’est recyclable mais en grosse quantité, personne n’en veut. Quel lien existe entre le carton gratuit et le caviar ? Pour bien nourrir un esturgeon, il faut des lombrics qui coûtent très cher. Un kilo de lombrics vaut plus cher qu’un kilo de veau. Tous les éleveurs savent que la conversion de la biomasse quand on élève une espèce tourne autour de 10%, autrement dit quand on donne 100 grammes à manger à un animal, il doit former 10 gr de matière. Concernant l’esturgeon dont on ne vend pas la chair mais les oeufs, on est nettement en-dessous. Il faut entre 10 et 15 kg de lombrics pour produire 1 kg de caviar. Si vous disposez gratuitement de cartons, vous avez les
lombrics gratuits. Voici la chaîne de valeur du carton au caviar :
On donne le carton à des écuries ou des haras. Celui-ci constitue du padding pour les chevaux, pour qu’ils ne s’esquintent pas les sabots dans leurs boxes. On le récupère quelques temps après avec du crottin. Les lombrics sont garantis. L’opération est doublement positive car en plus des lombrics, on vous a payé pour nettoyer les boxes. Vous devenez alors très compétitif dans la filière caviar. Avec les excréments du lombric extrêmement riches en phosphates, on fait des engrais de très bonne qualité pour les fleuristes de luxe.
Ce projet avait été conçu à l’origine au profit d’un centre de toxicomanes au Pays de Galle. L’idée était de leur trouver une activité pour les distraire du sevrage. Au terme d’un partenariat raté avec une boutique de pêche, l’équipe s’est retrouvée avec une énorme quantité de lombrics dont elle ne savait pas quoi faire. La Blue Economy, qui ne voit pas ce type de situation comme un problème mais comme une opportunité, s’est penchée sur la question jusqu’à trouver cette idée de caviar.
Je vous présente Chido Govero, une jeune Zimbabwéenne qui a mené l’application industrielle d’une grande découverte à base de marc de café :
On ne savait pas quoi faire de ce déchet. On ne peut pas nourrir de bétail avec, on ne peut pas non plus en faire du compost pur. En revanche, on a découvert que le marc de café est un formidable champicompost. Plusieurs espèces de champignons apprécient beaucoup ce terrain. Certains poussent jusqu’à 3 fois plus vite que sur un compost habituellement utilisé pour la culture des champignons. Le terroir de caféine leur donne en plus un goût délicieux. Cette jeune fille a fait fortune en partant de rien, en vendant simplement des champignons qu’elle a fait pousser sur du marc de café.
– Une fois que le marc a été utilisé, il devient un fourrage de haute qualité, très riche en lysine, un acide aminé difficile à se procurer, dont on nourrit des boeufs de Kobé.
– Les racines du champignon, le mycélium, est par ailleurs un matériau. Deux jeunes Américains ont créé une nouvelle matière, un bioplastique qui ressemble à du polystyrène, à base de racines de champignons. Ce bioplastique a des propriétés très intéressantes. C’est un très bon isolant thermique et acoustique. En plus, il est biodégradable et enrichit les sols. Ce qui signifie que si vous ne voulez pas les jeter dans votre jardin, il y aura quelqu’un pour vous les acheter.
– Le marc de café a encore d’autres vertus. On utilise ses propriétés pour fabriquer le textile S Café qui respire très bien, résiste aux UV et désodorise. Eider l’a adopté pour le ski et le trekking, Timberland pour fabriquer des semelles de chaussures désodorisantes.
– La plus forte marge est réalisée par Sorella, fabricant de lingerie à Singapour
Pour conclure, je vous présente La nature de Mucha, visible à Bruxelles. Elle témoigne de la beauté de la nature. Ce que la statue ne dit pas, c’est qu’elle est également intelligente. Elle a un MBA, un Master of Brilliant Adaptation. C’est également un bon manager.
En adaptant le biomimétisme à l’entreprise, on observe que la Renaissance 2.0 questionne notre identité. Les êtres humains se sont autobaptisés homo sapiens sapiens, l’homme 2 fois sage ! Pendant les 200 000 dernières années, nous avons surtout été homo sapiens materialensis, n’envisageant la nature que comme une source de matières premières.
L’économie de la connaissance ne pose qu’une question : quel homo sapiens sommes-nous ?
Homo sapiens materialensis ou homo sapiens sapiensis ?
Les meilleurs supports seront des jeux vidéo éducatifs. Harvard dit qu’un jour le recrutement se fera notamment sur un score de jeu vidéo. Récemment, le fondateur d’une société de design de jeux vidéo a été recruté par l’armée américaine pour former des généraux. On entre dans l’économie de la connaissance par ubiquité. Les choses ne se passeront plus seulement sur le campus mais il faudra compter avec les MOOC (Massive Open Online Course), les cours massivement ouverts en ligne. On peut dès aujourd’hui accéder à la connaissance n’importe où. Notre réussite ne sera plus déterminée par notre géographie.
Pour répondre à votre question, je vais prendre un exemple très simple. Prenons par exemple le curare, un poison avec lequel les Indiens d’Amazonie enduisent leurs flèches. C’est aussi un décontractant musculaire utilisé dans les interventions chirurgicales sous anesthésie générale. Les Indiens savent lire la nature depuis longtemps. Ce n’est qu’en 1947 que l’Institut Pasteur a
sorti la première version générique du curare. Avant le curare, on ne pouvait pas opérer plus de 20 mn. Au-delà de ce temps, le patient convulsait. Il fallait un décontractant non toxique, qui ne détruisait aucune cellule. C’est le cas du curare. Le curare tue par arrêt respiratoire, parce qu’on ne peut plus contracter son diaphragme. Dès qu’on a recours parallèlement à la respiration artificielle, le curare n’est pas toxique. Son utilisation a sauvé au moins un milliard de vies depuis 1947. Aujourd’hui, l’économie de la connaissance fait faire des progrès à la médecine. Le problème, c’est qu’on produit plus de connaissances qu’on ne peut en faire circuler. Il existe peut-être des solutions ignorées dans cette masse de connaissances inexploitée, des solutions pour soigner des cancers incurables, le virus Ebola ou le VIH.
Pouvez-vous nous parler de la Khan Academy, l’Académie de la connaissance ? Et quand pensez-vous que nous allons parvenir à donner un grand coup de pied dans le mammouth pour parvenir enfin à généraliser l’économie de la connaissance ?
La Khan Academy est un des MOOC de référence dans le monde, où l’on peut se former à n’importe quel sujet universitaire avec des cours de petit format, par tranches de 20 mn. Le Collège de France y participe. Malheureusement, l’esprit français règne en ce qui concerne les cours donnés dans cette langue. Puisque cette filière n’est pas sélective, ce mode d’apprentissage n’est pas diplômant. En regard, l’Ecole Polytechnique de Zurich, le lieu même où Einstein a étudié, de très grande renommée, n’est pas sélective à l’entrée. Il suffit d’être Suisse pour l’intégrer. La sélection qui se fait est naturelle : tout le monde n’a pas envie d’être ingénieur.
Les MOOC n’ont pu exister que par ces jeux qu’on appelle MMORPG (qui désigne des jeux de rôles massivement multi joueurs en ligne). L’avenir des MOOC dépend des lois dont je vous parlais tout à l’heure. Un MOOC qui ne capte pas l’attention est mort. Ces cours doivent donc être plus excitants qu’un jeu vidéo. Sachant qu’un jeu qui apprend les maths doit être plus addictif qu’un jeu qui n’apprend rien. Absorber de la connaissance est un plaisir, ne l’oublions pas. D’ailleurs, tous les mammifères jouent pour apprendre.
C’est ce qu’on pourrait croire parce que pendant très longtemps, on a pensé que de nombreuses connaissances étaient inatteignables pour certains. Cette théorie n’avait rien de scientifique.
Par exemple, prenez le mandarin. Cette langue porte ce nom parce qu’elle était réservée aux mandarins. Elle a été complexifiée volontairement pour que seule l’élite administrative de l’empereur puisse la manipuler. En 1905 le fondateur du Kuomintang, Sun Yat-sen, a paru complètement ridicule en disant qu’un jour, tout le monde pourrait parler mandarin…
Je me méfie des gens qui pensent qu’il y a des impossibilités structurelles à comprendre. Je pense qu’il s’agit à chaque fois d’une question d’ergonomie. C’est parce que les choses ont été mal présentées. C’est ce que disait Einstein, « Si vous ne pouvez pas expliquer un concept à un enfant de 6 ans, c’est que vous ne l’avez pas compris. » Nous sommes confrontés à un vrai problème. Comme la connaissance est associée à un statut social, il y a des gens qui veulent la complexifier à dessein pour justifier et défendre leur statut d’expert.
La capacité à comprendre est plus importante que ce que l’on croyait. La question reste ouverte car on ne connaît pas les limites de compétences du cerveau mais je pense que tout ce que l’être humain est capable de produire comme connaissances, il est capable de l’assimiler. Les calculateurs prodiges ne sont pas nés avec le talent, ils sont nés avec l’amour de l’acquérir. Alexis
Lemaire a 50 000 heures de vol d’apprentissage !
Vous avez dit à plusieurs reprise que le problème de l’économie de la connaissance, c’est qu’on en produit beaucoup mais qu’on ne peut pas la délivrer. Pourquoi ne parvient-on pas à la délivrer ?
C’est une question d’ergonomie mentale. Il faut plus d’attention et plus de temps. Ecouter plus pour apprendre plus. Et puis nos moyens de transmettre ont très peu évolué, beaucoup plus lentement que nos moyens de produire. Il y a deux façons d’apprendre plus vite. La neuro ergonomie invasive et la neuro ergonomie non invasive. La première a été inventée par l’armée américaine. On envoie des impulsions électriques dans le cerveau d’un pilote de chasse en train d’apprendre sur simulateur et on constate qu’il apprend plus vite. Cet apprentissage pose des questions éthiques. Je m’intéresse pour ma part à la neuroergonomie non invasive, par les voies naturelles. Les méthodes s’apparentent alors à des apprentissages de type multijoueurs en ligne, dans lesquels tout le monde échange.
C’est une question très intéressante. Il existe en neurosciences un syndrome extrêmement rare que l’on appelle la « Syndrome acquis du savant ». Après un traumatisme grave, certaines personnes savent parler 2 nouvelles langues couramment, ou jouer remarquablement du piano, ou faire des maths à un très haut niveau, etc. On ne sait absolument pas expliquer ce phénomène.
Il existe quelques hypothèses dont une sur laquelle je travaille actuellement. Quand on voit quelqu’un travailler sur quelque chose, il y a une population de neurones dans notre cerveau qui instantanément, sait le faire. Mais le cortex frontal ne lui donne pas la parole. Ce système exécutif central, qui est la partie désinhibée quand on consomme de l’alcool par exemple, fait barrage. Certaines drogues, comme le LSD donne la parole à cette population de neurones. La question qui se pose est de savoir comment nous pourrions nous y prendre pour favoriser l’activité de la population de neurones qui sait et lui donner la parole au moment opportun pour acquérir rapidement des connaissances. Pour l’instant, l’expertise, c’est disposer du réseau entre cette population de neurones et le cortex frontal. C’est le tissage de ce réseau qui prend des années.
Voilà une autre question très intéressante. Un grand poète soufi du XII° siècle a dit « « L’humanité tisse la toile où elle se prend. » C’est tout le problème du développement durable. On a adapté la société pour augmenter l’espérance de vie, le bien-être, etc. Et on constate paradoxalement un taux de dépression qui ne fait qu’augmenter. Plus le niveau de vie augmente, plus le taux de dépression augmente. Les principales conditions de la dépression sont les suivantes :
– Mauvaise image de soi. Quand on récolte une mauvaise note à l’école, c’est la connaissance qui est évaluée, mais pour le cerveau, c’est l’individu qui est mal noté. Les grilles de salaires s’en font l’écho dans la vie professionnelle.
– Perte de la créativité. Illustrée par le film « Les temps modernes » de Chaplin. Dans de nombreux métiers, les tâches sont répétitives, parce que dans la révolution industrielle, l’homme est un assistant de la machine.
– Désocialisation. Le Bonheur National Brut des Bhoutanais tient compte du nombre de personnes sur lesquelles on peut compter dans l’hypothèse où l’on perdait tous ses biens matériels. Dans les pays très pauvres, leur nombre est important, dans les pays très riches, il y en a très peu.
Pour compléter ma réponse à votre question, j’aimerais aussi parler des fourmilières. On observe qu’il y a toujours autour de 10% de fourmis qui ne font rien et font même obstacle aux fourmis qui travaillent. Puisque ce fonctionnement dure depuis des millions d’années et compte-tenu que la nature est très optimisée, on a voulu comprendre les raisons de ce fonctionnement. On a retiré toutes ces sortes de « cas sociaux » des fourmis et on a constaté que la fourmilière s’effondrait. En fait, ces individus entraînent la fourmilière de l’intérieur. C’est ce qu’on appelle un critère de robustesse interne ou d’anti-fragilité. Les structures vivantes sont anti-fragiles. C’est ce qu’on a vu avec Wikipédia. Son créateur Jimmy Wales a réussi parce qu’il n’avait plus d’argent. C’est le choc d’être à 2 doigts de la faillite qui l’a rendu plus fort. On a compris que ces 10% de fourmis entraînent les ouvrières en leur apprenant à gérer des obstacles.
Pour conclure sur cette question de la place de la société dans cette Renaissance 2.0, on se met à mieux comprendre notre société et ses maladies. Or une société malade ne peut pas rendre un individu heureux.
C’est ce qu’avait dit Gandhi. Il y a assez de ressources dans le monde pour nourrir tout le monde, mais pas l’ego de tout le monde. Maintenant, il ne faut pas chercher l’homo sapiens sapiens dans quelques individus en particulier, mais en nous. Nous avons tous un pourcentage de materialensis et un pourcentage de sapiens et nous avons tous à apprendre les uns des autres.
L’humanité est encore aujourd’hui profondément suicidaire. En particulier l’Europe qui a apporté des choses extraordinaires comme les droits de l’homme mais aussi le plus de guerres mondiales. Et quand on regarde bien, on s’aperçoit que toutes les guerres peuvent être rapprochées de cette matérialité. La colonne vertébrale des guerres dans le monde a été la Route de la soie qui a capturé 80% des conflits depuis que l’humanité est civilisée. Cette Route de la soie est devenue la Route des hydrocarbures mais rien n’a changé foncièrement sur le fond depuis Alexandre le Grand.
Je ne suis pas Madame Soleil ! Nous sommes de toute évidence à la croisée des chemins. Pour moi, la meilleure réponse est celle qui a été donnée par Martin Luther King, « On est condamnés à vivre ensemble comme des sages ou à mourir ensemble comme des idiots. » Quel choix souhaitons-nous faire, vivre ensemble comme des sapiens ou mourir comme des materialensis ?
Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE