Professeur Didier PITTET
20 septembre 2022
Service Prévention et Contrôle de l’Infection, Centre Collaborateur OMS pour la Sécurité des Patients, Hôpitaux Universitaires et Faculté de Médecine, Genève, Suisse
Bonjour à tous,
C'est avec plaisir que je viens m'entretenir avec vous des épidémies et des gestes qui sauvent. "Vaincre les épidémies" est un livre écrit à deux mains avec Thierry Crouzet. Thierry est un peu mon
biographe, il a su, en venant me rendre visite à Genève et à Paris, se mettre dans ma peau au moment où Emmanuel Macron m'a confié la mission de présider la Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise du Covid et sur l'anticipation des risques pandémiques. "Les gestes qui sauvent" raconte l'histoire du gel hydroalcoolique. En 2020, les deux livres ont été réunis.
Voici le plan que nous allons suivre :
Pandémie silencieuse : le geste qui sauve
Les pandémies dans l’Histoire
Certaines pandémies sont évidentes, d'autres le sont un peu moins. Il y a toujours plusieurs façons de raconter leur histoire. Avec le Covid, nous avons dû faire face à un flux continu d’informations qui est devenu insupportable, ingérable.
Remontons dans le temps :
1720 La Grande Peste (partie de la région de Wuhan en Chine)
1820 | Le Cholera (Asie, Russie, Europe) |
1920 | La Grippe espagnole (qui n’est pas espagnole… |
2020 | Le Coronavirus (partie de la région de Wuhan en Chine) |
On remarque qu’une pandémie a lieu tous les 100 ans ! De là, il n’y a plus qu’un pas vers le complotisme… Mais il y a aussi :
Hong Kong 1968/69 H3N2
« Porcine mexicaine » 2009 H1N1
Revoyons certaines pandémies un peu plus en détails :
Les Pestes, en réalité fièvre typhoïde, variole, peste, qui sont des pandémies extrêmement ravageuses :
Probablement une fièvre typhoïde, 1ère pandémie documentée de l’histoire qui a sévi en Ethiopie, puis en Lybie et en Egypte, à Athènes (siège de Sparte). On a dénombré environ 200 000 décès, 30% de la population d’Athènes, à l’origine peut-être de son déclin
Il s’agissait en réalité de la variole, qui a sévi sous la dynastie des Antonins. Marc-Aurèle en aurait fait les frais. Elle s’est étendue de la Mésopotamie (165) à Rome (166) en générant 10 millions de décès, 25 à 35% de la population de l’Europe.
On compte environ 20 vagues qui ont provoqué 25 à 100 millions de décès en 200 ans.
Partie de de Wuhan en Chine en 1346, elle a ravagé l’Asie centrale, la Mongolie, la Mer Noire, les ports d’Italie, Marseille (1347) en provoquant 25 à 50 millions de décès, soit 1/3 de la population de l’Europe – 30 à 60% de morts selon le pays.
- Le Choléra
Les symptômes en sont la fatigue, des vomissements, des diarrhées, une déshydratation, des pertes de connaissance. Le Vibrio cholerae s’accompagne d’une très forte contagiosité, la transmission par voie oro-fécale est liée aux conditions hygiéniques. 5 pandémies ont eu lieu au XIXème siècle, en Russie, Pologne et Finlande, puis à Berlin, au Royaume-Uni, en France et en Amérique du Nord. Il
provoque environ 100 000 décès chaque année dans le monde. Il a commis des ravages très importants en 2010 à Haïti, aggravés par les inégalités sociales.
Certaines de ces maladies responsables de pandémies dans le passé sont toujours capables aujourd’hui de faire des ravages extrêmement importants, d’autant plus chez des personnes qui vivent dans de tristes conditions.
Sur les chaines de radio et de télé, on parlait beaucoup du Covid 19 et je disais « Bien sûr on s’en souviendra parce que ce fut une catastrophe pour nos sociétés, mais ce sera du passé. Les grippes en revanche, si nous ne trouvons pas de solutions, elles continueront à faire des dégâts chaque année. »
D’origine asiatique comme la plupart des grippes, exceptée la grippe mexicaine. Elle a été Importée en Europe par les troupes américaines durant la 1ère Guerre. On a dénombré 3 vagues, dont la 2ème fût la plus mortelle, environ 20 à 30 millions de décès en Europe / 50 millions dans le Monde. 50% de la population mondiale a été touchée.
Souvenons-nous que le nombre de décès liés à la 1ère Guerre - « La Grand Boucherie » - s’élève à environ 8-10 millions. Les décès liés à la grippe ont généré environ 20 à 30 millions de morts, soit 3 à 4 fois plus.
Cette grippe a provoqué environ 2 à 3 millions de décès dans le monde.
Cette grippe a provoqué environ 1 million de décès dans le monde. Période marquée par le début des vaccins
On l’attendait venant de l’Est, par les oiseaux migrateurs, elle est arrivée finalement par le Mexique.
Il s’agit d’une maladie hémorragique virale - Flavirivus (ARN) - liée à une piqûre de moustique infecté – moustiques du genre Aedes, notamment Aedes aegypti. Les symptômes : fièvre, céphalées, ictère, myalgies, nausées, vomissements, fatigue. Il peut se produire des atteintes d’organes graves comme le cœur, le foie, les reins, le cerveau. Il sévit en Amérique : Mexique, Yucatan (1648), en Afrique de l’Ouest (liée au commerce des esclaves : Europe) : 30 000 à 60 000 décès par an en Afrique/Amérique du Sud. Le vaccin est obligatoire pour entrer dans les pays endémiques. Aujourd’hui personne ne discute ce vaccin, pourtant c’est celui qui a le plus d’effets secondaires (atteinte cérébrale possible). La règle est de le renouveler tous les 10 ans. L’acceptation de ce vaccin « dangereux » est à souligner face à l’opposition de certains concernant le vaccin contre le Covid 19.
Il s’est propagé en Afrique de 1920 à 1950. En 1981, on a dénombré 5 cas de pneumonie de type pneumocystose à Los Angeles. La population était très exclusive au départ (IVDA/highly active HS/hémophiles). En 1983, le virus est identifié à l’Institut Pasteur.
Il s’agit d’une maladie virale lié à la transmission par liquides biologiques
De 1981 à 2006 environ, on a dénombré 25 millions de décès dans le monde (2 à 3 millions de décès par an). Le SIDA engendre toujours des problèmes très importants en Afrique. Il n’existe toujours pas de vaccin mais des médicaments pour juguler la maladie. On n’en est jamais guéri à vie.
Ci-dessous, quelques images d’époques :
Une pandémie commence toujours par une épidémie. La pandémie est en fait une épidémie qui touche plusieurs continents.
Comment voit-on les épidémies qui ont évolué avec le temps :
C'est-à-dire entre HYGIENE et ISOLEMENT. Nous avons connu cette situation avec le Covid et ses quarantaines. Louis Pasteur et Robert Koch découvrent qu’il existe des organismes que l’on voit au microscope. On les appelle des microbes.
On comprend petit à petit la transmission et le phénomène de l’épidémie que l’on corrige alors par des mesures de quarantaine ou d’isolement comme celles qu’on a utilisées contre le Covid 19.
Des miasmes à l’écologie médicale, voici l’explication du jour concernant la genèse de ces épidémies et pandémies. Il y a d’abord un hôte sensible. Concernant le Covid 19, c’est d’abord un virus animal qui s’est humanisé, contre lequel nous n’avions aucune immunité. Certains hôtes, notamment les malades âgés, avaient moins de chance de survivre au Covid 19. Et puis il y a l’agent pathogène qui a une capacité de transmission appelée la transmissibilité. Celle-ci peut être transformée par une mutation. La transmissibilité doit être virulente pour être capable de vous rendre malade, mais sans pour autant vous tuer trop rapidement afin que la transmission de la maladie ait pu s’opérer, comme le virus Ebola. Dans le cas de ce dernier, les risques d’épidémie sont faibles, faute de temps pour transmettre la maladie.
L’agent pathogène peut aussi développer une résistance aux antibiotiques, aux vaccins. C’est l’exemple du virus du Sida qui n’est pas résistant aux vaccins, mais qui mute sans arrêt. De ce fait, il échappe au processus de vaccination ainsi qu’aux médicaments.
D’autre part l’environnement peut être favorable : la proximité de l’homme et des animaux sauvages, éventuellement domestiqués, favorisent l’humanisation des virus. Le changement du climat peut constituer un autre accélérateur, un climat devenant plus chaud permet la venue du moustique tigre porteur de maladies telles que chikungunya, la dengue.
Comment organiser la lutte contre les pandémies ?
Marseille 1720 (choléra) : quarantaines non respectées pour des raisons économiques
Nous avons constaté que ce Règlement International a de gros défauts. Il va falloir le réviser, il n’a pas été suffisamment efficace lors du Covid.
Endo-épidémie de tuberculose (de résistante à extrêmement résistante), Malaria, Hépatites, …
Infections nosocomiales ou liées aux soins, résistances aux agents anti-infectieux (Antibiotiques, antiviraux, antifungiques, antiparasitaires…)
Cette pandémie a bouleversé nos vies dans des proportions encore non mesurables. Les décès se comptent par millions, ainsi que des handicaps résiduels, des pertes de chances incomplètement mesurées, des divorces, des violences, du chômage, une baisse de qualité de certaines formations/diplômes, une incertitude quant à l’avenir des jeunes, des problèmes de santé mentale : dépression, angoisse, vagues de suicides. Elle a remis en question des modes de vie, l’équilibre travail/famille, nos habitudes de consommation, l’impact de l’homme sur la nature, et elle a démontré la nécessité d’interventions étatiques.
Dans son article du 26 Sept 2020 « Covid-19 is not a pandemic » dans The Lancet, R. Horton souligne quelques points importants : dans cette pandémie, deux catégories de maladies interagissent, une maladie infectieuse transmissible et transmise d’homme à homme et un monde malade de ses inégalités systémiques, économiques et sociales. On assiste à l’exacerbation des effets de l’une et des autres.
« Aborder le Covid-19 comme une syndémie invite à une vision plus générale qui prenne en compte l’éducation, l’emploi, le logement, l’alimentation et l’environnement »
« Le Covid-19 n’est pas une pandémie, c’est une syndémie » - la syndémie est caractérisée par un phénomène biologique et social qui va affecter certaines populations plus que d’autres et leur faire plus de mal qu’à d’autres. (Merill Singer, medical anthropologist, 1990)
En conséquence, l’approche de prise en charge de ces deux maladies est fort complexe. C’est ce que nous avons vécu avec le Covid 19.
Un autre auteur, Rudolf Virchow, disait « Une épidémie est un phénomène social qui comporte certains aspects médicaux » -
Il est très important de bien comprendre ce qui s’est passé avec le Covid 19. Cette pandémie a jeté un coup de projecteur sur notre société en soulignant les inégalités sociales et en montrant que nos sociétés n’étaient pas faites pour résister à un tel choc. Nous avons mal résisté !
Avons-nous réussi ou raté ? Pour moi nous avons raté en constatant que nos sociétés avaient atteint leurs limites.
Prenons un exemple tiré du rapport que nous avons rendu au Président Macron. Cf. le tableau ci-dessous. Nous voyons que, quel que soit le pays d’origine, l’évolution du nombre de décès entre mars-avril 2019 et mars-avril 2020 de personnes résidant en Ile de France (en rose) est beaucoup plus importante que dans la totalité de la France (en vert). Tout se passe moins bien en Ile-de-France quelle que soit votre origine. Il y a bien une iniquité fondamentale entre les habitants de l’Ile-de-France et ceux de l’ensemble du pays. Nous devons maintenant travailler pour améliorer cette situation.
Cette inégalité n’apparaît pas qu’en Seine Saint Denis. La mortalité est beaucoup plus élevée dans les quartiers défavorisés. Seine-Saint-Denis vs les autres quartiers de Paris (20ème vs 8ème arrondissements.) Aux Etats-Unis, on observe des disparités ethno-socio-culturelles / différences politiques, davantage de décès dans les états républicains que démocrates liés à l’effet Donald Trump et sa politique Covid quant à l’accès aux soins. En Allemagne, on peut faire un focus sur les facteurs liés à l’éducation, le revenu, l’emploi. De façon générale, on pointe des inégalités territoriales relatives à l’accès aux soins (éloignement, campagnes, ...), des maladies préexistantes, des comorbidités, de l’illettrisme, du stress (les personnes pauvres vivent en moyenne 10 ans de moins), les conséquences négatives liées à l’éloignement géographique, économique, social, les mauvaises décisions politiques.
Voici d’autres exemples qui mettent en lumière les carences latentes révélées par la crise du Covid 19 :
- Pénurie d’accès aux soins, de lits, d’oxygène, de respirateurs…
- Chiffon rouge à la fenêtre de la maison pour signaler la peine à nourrir sa famille
- Caravanes humaines d’individus qui quittent Lima où il n’y a plus de travail
- Economie effondrée - 40% des enfants souffrent de malnutrition
- Habitudes de vie / Attitudes des ultra-orthodoxes responsables en grande partie des très grosses difficultés rencontrées dans la gestion de crise
- Tricheries sur la définition des cas en ne comptant que les pneumonies prouvées en lien avec le Covid, c’est-à-dire 10% des cas et mensonges sur les chiffres
Mensonges, erreurs de décision, absence de transparence, fierté, avec un Xi Jinping qui croit toujours au Covid zéro qui ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais. Ce qui brouille l’économie mondiale et tue beaucoup de monde
Dès le début de la pandémie, nous avons découvert le manque, voire l’absence d’anticipation et l’impréparation des pays du monde entier. Sur ce plan, les sciences et les politiques ont failli. Mieux coordonnés, scientifiques et politiques auraient pu planifier et ainsi éviter les problèmes liés à la globalisation. Sur un plan logistique par exemple, plus de 90% des masques médicaux sont produits en Chine, uniquement parce qu’ils sont moins chers. Anticiper la réponse pandémique implique une production délocalisée afin de couvrir les besoins universels - les plans pandémiques nationaux existaient depuis 2009 mais n’ont pas été appliqués. La confiance faite à l’économie globalisée, aux flux tendus, était une erreur. La pandémie a affecté l’implémentation de la science compliquée par le fréquent manque de coordination entre scientifiques et politiques.
La science a certainement été discréditée auprès du grand public. Le consensus scientifique par les preuves prend du temps, le temps de la science. Apporter une réponse scientifique prend du temps, alors que le journaliste ou le politicien demande une réponse immédiate. Le scientifique honnête doit parfois expliquer le cheminement de la réflexion, évoquer les hypothèses alternatives, convaincre en considérant le principe de réfutation. Ni le journaliste, ni le politicien, ni bien entendu le grand public ne sont préparés à ce type de réponse. Il est urgent d’imaginer une science de la communication de l’intelligence collective. Cela a manqué dans la gestion du Covid.
La pandémie Covid-19 (SARS-CoV-2) a mis en lumière un grand nombre de questions relatives à la recherche scientifique et demeurées latentes :
Problématiques de gouvernance (locale/étatique/OMS/UN/mondiale) :
Gestion de crise par l’OMS : de nombreuses lacunes ont été mises en évidence (communication - mode de déclaration - réticence des Etats aux inspections indépendantes, voire la Chine toujours close - …)
Le rôle de l’OMS est normatif (conseils techniques scientifiques, mais incapacité à contraindre un Etat). La gestion sanitaire, économique, sociale et sociétale est plus complexe. Les Etats (re)prennent la main, d’où un retour à la souveraineté des Etats qui a eu parfois pour conséquences des résultats déplorables.
Propositions :
Le Covid a été un test pour nos sociétés. Les scientifiques et les politiques ont appris à travailler ensemble, il faut continuer. Il est urgent de tirer les multiples leçons de la crise par l’intermédiaire de missions indépendantes et multi disciplinaires telles que celles que nous a confiées Emmanuel Macron englobant le sanitaire, l’économique, le sociétal. Il faut promouvoir l’intelligence collective, fédérer, revoir les principes de gouvernance adaptés à la gestion de crise.
Par pandémies silencieuses, on désigne des infections nosocomiales ou liées aux soins, des résistances aux agents anti-infectieux : antibiotiques, antiviraux, antifungiques, antiparasitaires…
Quelle est la dimension du problème ? Dans le monde, au moins un demi-million de patients s’infectent, seulement dans les hôpitaux. En fait, nous n’avons pas les statistiques pour les EHPADs, les soins à domicile, les cabinets privés, chez votre dentiste… Il convient probablement de doubler ce chiffre. Au total, dans le monde, ce sont 16 millions de personnes qui décèdent chaque année d’infections liées aux soins.
C'est plus que le Sida, la tuberculose et la malaria réunis, à eux trois cela fait 10 millions de morts, et pourtant personne n'en parle. Ça représente chaque jour l'équivalent d'un Boeing 747 qui s'écraserait. Nous n'en entendons pas parler. Si chaque jour un avion tombait en tuant toutes les personnes à son bord, plus personne ne prendrait l'avion. Pourtant c'est ce qui se passe avec les maladies nosocomiales. C'est pour cette raison que depuis 40 ans, je parle de pandémie silencieuse. Une pandémie dont personne ne parle. Quand j'ai commencé à travailler, il ne fallait pas en parler et aujourd'hui dans certains pays c'est encore le cas. Un médecin qui en parle risque de perdre son job. Il faut donc trouver les moyens de travailler sur cette question, c'est une réalité dans tous les hôpitaux du monde, les plus modernes et… tous les autres. Aucun hôpital, aucun pays, aucun système de santé ne peut prétendre avoir réglé la problématique des infections liées aux soins.
Pourtant, il existe une méthode capable d'en prévenir la majorité, le lavage des mains. Au début de ma carrière, en charge de la prévention du risque infectieux dans les hôpitaux à Genève, l'observance des pratiques était de moins de 40%. Ce qui veut dire que si je voyais 10 malades, j’allais peut-être me laver les mains trois fois, pour les trois premiers, ensuite fini, je ne me lavais plus les mains. Jeune chef de service en 1992, je me demandais « Pourquoi a-t-on autant de problèmes à pratiquer l'hygiène des mains ? » Avec mon équipe constituée de quatre infirmières, nous sommes allés observer les pratiques de l'hygiène des mains dans tous les services de l'hôpital de Genève, le jour, la nuit, le week-end, et ce pendant trois semaines. Nous notions quand les personnels médicaux, quelles que soient leur spécialité et leur qualification, se lavaient les mains et quand ils ne le faisaient pas alors qu'ils auraient dû le faire.
Rapidement nous avons trouvé que la pratique du lavage des mains est très faible, de l'ordre de 40%. Nous nous sommes rendu compte qu'il est difficile de pratiquer ce geste parce qu'il est très récurrent. Par exemple, une infirmière en réanimation doit, en moyenne, pratiquer ce geste 22 fois par heure. Chaque fois qu’elle se rend au lavabo, elle ouvre le robinet, se met du savon sur les mains, se les frotte pendant 30 à 45 secondes, se rince les mains, puis les sèche pour enfin retourner à son patient. Tout cela lui prend entre 1mn à 1,5mn, à multiplier par 22 fois par heure. Elle va donc consacrer plus d'une demi-heure, chaque heure de soin, à se laver uniquement les mains. Ce n'est pas possible. Il y a bien plus qu'une demi-heure de travail au pied du malade. Dans les autres services, c'est la même chose. De plus, pour un même malade, elle doit se laver les mains entre la réalisation d'un acte (pose d'une sonde urinaire par exemple) et l'acte suivant, un examen du blanc de l’œil.
Sur l'axe horizontal, vous avez les opportunités de se laver les mains en nombre par heure. Sur l'axe vertical, l'observance des pratiques en pédiatrie, en gynécologie-obstétrique, en médecine, en chirurgie, en soins intensifs. En conclusion, plus vous avez d'opportunités, moins vous pratiquez les gestes d'hygiène des mains.
Il fallait absolument trouver une solution, s'assurer de pouvoir se nettoyer les mains différemment. Nous avons alors pensé à utiliser la solution hydroalcoolique avec laquelle, en 20 à 30 secondes, vos mains sont propres.
En plus, vos mains sont plus propres qu'avec le savon, tout en étant protégées de l'agressivité du savon. Le passage du savon à la solution hydroalcoolique est une véritable innovation de rupture qui va complètement transformer les pratiques de soins. Nous avons donné un flacon de solution hydroalcoolique à chacun des soignants de l'hôpital, à mettre dans sa poche, avec des instructions simples pour son utilisation adéquate. Est-ce que ça allait fonctionner ? En fait non, parce qu'il fallait changer le comportement des soignants. Nous avons alors appliqué une stratégie multi modale du comportement, une stratégie en plusieurs éléments.
Des dessins simples, sous la forme de posters apposés sur les murs de l’hôpital, en remplacement des consignes écrites que personne ne lit, ont touché l'esprit des soignants. Visibles dans les couloirs, les visiteurs et les patients ont été sensibilisés et séduits. Le lendemain, nous faisions la une des journaux.
Cette pratique touche à la culture de l'entreprise. Pour que ça fonctionne, il faut que la direction de l'hôpital soit convaincue de la démarche et donne son appui pour sa mise en œuvre. C'est un élément fondamental pour montrer que toute l'institution suit l'action entreprise.
Tous les six mois, nous avons reproduit les observations des pratiques. En parallèle nous avons mesuré la consommation de solution hydroalcoolique et la consommation d'eau. Nous avons restitué ces résultats aux personnels de chacun des services, en fonction de leurs jobs. Petit à petit, nous avons vu la consommation de gel hydroalcoolique augmenter. Pendant ce temps, les taux d'infection ont chuté de moitié et les taux de transmission des germes multirésistants ont chuté de 80%. Après huit ans, on a regardé le coût de cette opération. Pour 1FCH investi, il y a un retour sur investissement de 25FCH pour l'institution. Cela veut dire que le principe d'investir dans la prévention est extrêmement payant et que l'on sauve des centaines de lit dans les hôpitaux de Genève.
Nous avons publié ce qui a été appelé "le modèle genevois de la promotion de l'hygiène des mains" dans le fameux journal The Lancet. Nous avons été depuis visités par de nombreux médecins du monde entier qui essaient de comprendre ce que l'on fait. Ils répètent ce que nous faisons, ils veulent tous nos posters. Je les leur donne tout en leur en disant que ce n’est pas ça qui va faire la différence. Il faut les adapter, créer ses propres posters, ce doit être la campagne de chaque équipe.
En 2005, l'Organisation Mondiale de la Santé m’a demandé si nous pouvions imaginer que cette campagne devienne universelle. Il a donc fallu transformer les outils, les traduire. Bien sûr nous étions d’accord, mais en fait, ce qui a été important pour moi, ce fut de convaincre le directeur de mon hôpital de mettre des posters sur les murs, d’accepter de mesurer les pratiques et de les restituer.
On a ensuite décidé de demander à tous les ministres de la santé du monde d'accepter de signer une charte dans laquelle ils disaient être d'accord pour parler, dire que l'infection existe, utiliser des outils que nous avions développés, échanger les résultats de l'intervention. Ce qui s’avèrera un peu compliqué pour certains pays, comme la Chine par exemple, qui aura beaucoup de difficultés à accepter ce troisième point.
Nous nous sommes déplacés pour recevoir chaque charte signée par les ministres de la santé et nous en avons fait un évènement public pour qu’on en parle.
Aujourd’hui présents dans 200 pays, nous développons des outils d'implémentation. Nous universalisons les outils genevois, c'est-à-dire que nous réunissons des groupes d'experts qui synthétisent les points de vue, les données et développent des outils utilisables dans le monde entier. Nous retrouvons la stratégie multimodale, l'innovation de rupture, l'éducation, l'évaluation.
Nous avons développé le principe « Adapt to Adopt », c’est-à-dire « Adapter pour Adopter » qui s’applique dans le monde entier. Si vous voulez que quelqu'un adhère à votre stratégie, il faut lui laisser l'adapter, c'est fondamental. Ce fut la garantie de l’élargissement de notre méthode au monde entier.
Nos deux outils principaux ont été les 5 moments pour l’hygiène des mains et comment se frictionner les mains :
Dans certains pays, pour des raisons religieuses, culturelles ou financières, nous avons dû procéder à quelques aménagements :
Nous avons formé les hôpitaux à s’auto évaluer eux-mêmes et nous suivons les scores qui continuent de s'améliorer. Environ 12 000 hôpitaux, chapeautés par l'OMS, sont dans cette démarche dans le monde.
Des concours entre hôpitaux sont organisés pour les challenger. Des experts internationaux les visitent. Les personnels sont invités à des congrès locaux pour montrer ce qu'ils ont fait, comment ils ont réussi avec, à la clé, des prix d'excellence.
Nous avons développé le programme "Train the trainers" dans lequel nous prenons les meilleurs de chaque pays. Une autre démarche vise à placer le patient au centre de nos stratégies. Nos patients apprennent à réclamer aux soignants la pratique de l'hygiène des mains.
Nous avons rédigé le livre "Le geste qui sauve" largement diffusé, traduit en 26 langues et soutenu par de nombreux supporters renommés.
On m’a souvent posé la question « Pourquoi et comment ça marche ? » Voici ce que nous avons utilisé :
Nous avons appliqué les principes de :
Chaque année nous organisons la journée mondiale de l’hygiène des mains qui mobilise des centaines de millions de soignants à travers le monde mais aussi des patients. Ce sont à chaque fois des mobilisations générales, plus de 500 millions de personnes et l’hygiène des mains continue à s’améliorer.
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Temps d’échange :
Merci pour votre partage et cette créativité au service d'une noble cause. Par rapport à la gestion de l'épidémie de Covid, y a-t-il eu des bêtises qui ont trouvé grâce à vos yeux ? Que peut-on en tirer ?
Aucun pays n'a géré parfaitement la situation. Tous les pays ont été exposés de manière différente. En Europe, l'Italie a été frappée la première et de plein fouet. La France a eu la malchance d'avoir plusieurs foyers d'épidémie. L'Espagne et le Portugal ont été très touchés. L'Angleterre, au début, n'a pas fait ce qu'il fallait malgré l’intervention d'excellents conseillers, nous avons maintenant les preuves que l’Angleterre a mis plus de deux semaines pour faire de bons choix.
Certains pays ont parfois fait bien, parfois fait mal. La Suisse n'a pas eu beaucoup de pression lors de la première vague, par contre il y a eu des réponses très hétérogènes et nous avons mal géré la seconde partie. Nous avons eu - en proportion - plus de décès dans les EHPADs qu'en France.
C'est probablement le Danemark qui a fait le mieux en Europe. En revanche, la Belgique a vécu un cauchemar. Pourquoi ? Parce que le gouvernement belge ne fonctionne pas.
En France il y a eu beaucoup de râleurs, la gestion de la crise s'est toutefois améliorée avec le temps, alors qu'en Allemagne, Angela Merkel a eu de grosses difficultés à mobiliser les landers pendant la deuxième et troisième vagues. Les règles du port du masque variaient selon les landers. La Suède a fait une erreur stratégique en laissant monter l'épidémie. Elle a eu huit fois plus de décès que les trois autres pays scandinaves.
Je fais partie des épidémiologistes qui n'auraient pas fermé les écoles, je l'ai dit dès le début. Nous aurions pu faire des économies, éviter des soucis, des divorces et permis à l'éducation de continuer. La France et la Suisse font partie des pays qui ont le moins fermé les écoles. En Italie, des enfants ne sont pas allés à l'école
pendant deux ans, en Indonésie pendant deux ans et demi, aux États-Unis pendant dix-huit mois. Nous allons le payer très cher dans dix ans.
Concernant Taïwan, c'est une île, donc beaucoup plus facile de contrôler. La discipline y est de fer, vous êtes tracés en permanence. Ce qui n'est pas tout à fait notre philosophie. Le Vietnam, choqué par le SRAS en 2002, a vite et bien réagi en 2019. Dans ce pays, c'est le parti qui décide.
Clairement, quand le politicien du pays a commis des erreurs, cela a coûté très cher. Donald Trump, Bolsonaro et Boris Johnson ont créé des confusions qui n'ont pas aidé les populations à suivre les consignes. Emmanuel Macron nous a demandé de comparer le management du Covid par la France avec ce qui avait été fait à l'international. Nous l'avons fait pour toute l'Europe, les États-Unis, les meilleurs en Asie tels que Singapour, la Corée, le Vietnam, l'Australie, le Japon.
Singapour a été cité en exemple parmi les pays qui ont fait du "zéro Covid". Mais parlez aux gens qui n'ont pas pu quitter ce pays pendant deux ans… Comme quelques banquiers genevois qui avaient un bureau à Singapour et qui n'ont pas pu rentrer chez eux voir leur famille en Suisse pendant deux ans !
Cette pandémie a donné un éclairage sur notre société, le monde n'était pas prêt. Nous avons échoué en partie, oui bien sûr. Heureusement que ce virus n'a pas été si méchant.
Pensez-vous que le vaccin ARN soit un vrai vaccin comme ceux que vous avez cités en Afrique par exemple? Oui, le vaccin par ARN est un vrai vaccin ! La technique ARN est connue depuis très longtemps, depuis plus de 10 ans. Ce vaccin a été développé pour traiter des cancers en visant précisément les gènes perturbés. Cette technique ARN est la meilleure pour développer un vaccin mais il n'y a jamais eu assez d'argent pour en développer un contre la polio par exemple. L'argent est arrivé d'un coup et cela a précipité la réussite de la recherche. Le laboratoire était prêt pour réussir.
C'est un excellent vaccin mais nous ne savons pas exactement quelle sera la durée de son immunité. Nous n'avons pas suffisamment de recul. Nous avons rapidement vu que nous sauvions des vies. Toutefois nous ne pouvons pas demander à un vaccin à la fois de sauver des vies et de prévenir la transmission. Très peu de vaccins fonctionnent comme ça.
Bien sûr il y a d'autres excellents vaccins, des vaccins développés de façon conventionnelle, un peu moins efficace proportionnellement que le vaccin ARN mais développant peut-être des immunités plus complexes. Nous ne le savons pas encore aujourd'hui. Il aurait fallu vacciner la moitié de la population et comparer. Bien sûr nous ne le faisons pas, c'est éthiquement impossible.
J’aimerais savoir si l'expérience que nous avons acquise nous permettra d'avoir des réactions plus rapides et plus justes s'il nous arrivait une autre pandémie.
C'est une excellente question. La vraie question est "Apprenons-nous du passé et surtout apprenons-nous de nos erreurs ?"
Les vaccins ont été développés parce que nous étions dans l’urgence et donc les Etats ont mis de l'argent sur la table. Je me suis alors largement exprimé pour demander que ces vaccins soient considérés comme un bien commun puisque la moitié, voire plus, de leur développement, a été réalisé grâce à des fonds
publics. Ce n'était pas un modèle économique habituel. Pourtant nous avons pris un modèle économique classique avec lequel les compagnies ont gagné énormément d'argent.
La prochaine fois, nous demanderons sûrement de l'argent aux Etats et nous imposerons aux compagnies de faire des bénéfices jusqu'à tant, au-delà, elles donneront les vaccins à l'Afrique, à l'Asie... Regardez le cas de l'Inde où les médicaments contre le Sida fabriqués à bas coût sont distribués en Afrique. Aujourd'hui l'Inde finit par ne plus en avoir assez pour elle.
Suite à la mission réalisée pour Emmanuel Macron, nous avons fait 40 recommandations. Une trentaine ont été mises en place pour mieux anticiper la prochaine fois. Nous ferons mieux mais est-ce que tous les pays font cet effort de tirer des leçons de la crise. Ma réponse est non !
J'ai participé à de nombreux ateliers que vous avez décrits, je me retrouve très bien dans ce que vous avez dit. Si je fais un parallèle entre les SHA, Solution Hydro Alcoolique, et le Covid, comment analysez-vous la pédagogie qui a été faite pour convaincre la population de recourir à la vaccination ? N’aurions-nous pas pu mieux faire ?
En France, l'utilisation des solutions hydroalcooliques a démarré lentement, puis a progressé fortement. Elle est devenue un indice de qualité de la prise en charge du risque d'infection.
La diffusion des SHA a été importante, sa distribution était même faite dans les gares. Toutefois aurait-on pu faire mieux ? Bien sûr que oui. Dans mon pays en Suisse, la vaccination n'est que de 65%. Nous n'avons pas été bons. Pour ce qui est de l'hygiène des mains, la mobilisation générale lors de la première vague a été fantastique, des parfumeurs ont arrêté leurs chaines de parfums pour faire du SHA, des distillateurs de vins ont produit du SHA...
L'argent a manqué pour faire des campagnes de promotion. Pourtant, à chaque fois que nous avons mis l'accent sur le lavage des mains par exemple, nous avons vu baisser les diarrhées.
En France, vous avez mis en place des distributeurs de SHA à commande par le pied. Beaucoup de pays n’en ont jamais vus chez eux. Vous avez été le seul pays à fabriquer des masques aux normes AFNOR.
Y-a-t-il une raison pour laquelle, à plusieurs siècles d'écart, l'épidémie est partie de Wuhan ?
Ce n'est pas tout à fait un hasard. Dans ces régions-là, les animaux en principe sauvages mais domestiqués sont très proches des activités humaines dans des zones à haute densité où le respect des consignes d'hygiène est moyen. Les facteurs de risque se cumulent.
Concernant grippe H1N1 apparu au Mexique, nous avons été surpris de voir les conditions d'élevage intensif des porcs, la façon dont vivent les poulets, les oiseaux.
Vous nous avez dit que des animaux sauvages s'humanisent. La connaissance mondiale que nous avons maintenant ne peut-elle pas impulser une dynamique de progrès aux pays réticents à l'amélioration de l'écologie, notamment de la biodiversité ?
Concernant le problème du Covid 19 et de la biodiversité, le réservoir principal des corona virus est la chauve-souris. Cet animal contient dans sa gorge 500 espèces de corona virus. A la suite d'une diminution de la biodiversité ou d'un changement climatique, il se pourrait qu'il ne reste dans sa gorge que 100 familles
de corona virus, il serait alors plus facile qu'une famille se développe au détriment des autres et devienne dominante. Quand une famille prend le dessus, elle prend de la place, mange toute la nourriture. Il ne restera plus qu'une trentaine de ces familles et l’une d’entre elles va prendre des gènes des autres et l'avantage sur celles-ci. Ainsi se développent des variants qui, à chaque fois, sont plus contaminant que les autres.
Il suffit d'une déforestation pour que les chauves-souris se regroupent et deviennent plus proches d'hôtes intermédiaires. Le virus se transforme x fois et finit par devenir un virus humain. L'humanisation du virus est liée aux conditions climatiques, aux biodiversités, à la proximité et densité des populations, à la présence d'animaux semi sauvages, au braconnage. Le maintien de la biodiversité est bien un élément fondamental, aujourd'hui nous parlons de "One health" alors que jusqu’alors nous parlions de santé humaine et de santé animale. Ce nouveau concept doit être présenté et développé dans tous les pays.
Voyez la biodiversité dans votre jardin. Elle sera d'autant plus riche que votre jardin sera naturel. De ce point de vue la déforestation en Amazonie est un désastre. Il en est de même du réchauffement climatique. Nos sociétés sont en train de mal comprendre ces phénomènes. Nous le paierons comme nous l'avons payé avec le Covid, même si la note aurait pu être plus chère. Soyons réalistes.
Il paraît qu'il va bientôt se passer des évènements pour toi. Tu as acquis une expertise dans beaucoup de domaines. Que vas-tu faire dans ta nouvelle vie et qu’auras-tu envie d'encourager ? Et nous, individuellement que pouvons-nous faire pour aller dans les directions que tu as tracées ?
Je vais prendre ma retraite des hôpitaux universitaires de Genève, c'est la règle à 65 ans. D’ici quelques jours, mon bras droit reprendra la direction du service et j'en suis ravi. Je vais donc consacrer plus de temps à la fondation "www.cleanhandsavelive.org" que j'ai créée pour soutenir des projets humanitaires en vue d’éduquer et développer la production de solution hydroalcoolique dans de nouveaux pays, créer et implanter des usines de production et de conditionnement avec les bonnes personnes localement.
Je vais probablement accepter quelques mandats pour rester en contact avec les domaines de la santé, développer le projet de l'hygiène des hôpitaux, mettre en place des partenariats public / privé pour faire avancer ces projets-là.
Ce qui me tient le plus à cœur est de mettre en œuvre des projets humanitaires pérennes avec des gens qui partagent mes valeurs.
Vous dites que durant ces deux ans vous avez combattu aussi bien la désinformation que le corona virus. Pouvez-vous nous en parler ?
C'était compliqué, on avait tellement besoin d'informations et il y avait tant de fausses infos sur les réseaux sociaux. Il y avait aussi tout ce mouvement complotiste. Le moment était idéal pour les complotistes car il y avait de l'insécurité, de la peur, des sachants qui ne savaient pas ou des sachants qui pensaient savoir mais ne savaient pas. Nous avons connu ce que nous avons appelé une infodémie, c'est à dire une épidémie d'informations. L'OMS a d’ailleurs créé un nouveau département pour lutter contre les infodémies.
Nous avons vu tellement d'erreurs et de niaiseries que nous avons décidé de répondre aux questions. Trois fois par semaine, lors de le première vague, nous participions à une émission de télé pour informer le public
et lutter contre les fakes news colportées y compris par des gens "biens". Il y a des réseaux complotistes extrêmement bien organisés, les réseaux antivax les plus importants sont américains. Le leader dans cette mouvance est un médecin, radié par ses pairs pour avoir fait circuler une étude scientifique totalement biaisée et fallacieuse qui liait le vaccin contre la rougeole à l'autisme. Il est maintenant à la tête du réseau antivax le plus puissant au monde. Accessoirement il a soutenu Donald Trump pour que celui-ci devienne Président des États-Unis.
Les chaines télé d'info en continue vont chercher les gens qui répondent à leurs invitations. Parmi ceux -là il y a des experts, des vrais experts et des faux, ou alors des experts dans d'autres domaines, mais qui ne connaissent pas le sujet en question. Il y a des invités qui, parce qu'ils sont professeurs ou parce qu'ils ont été une célébrité, laissent penser qu'ils sont compétents alors que souvent, ils ne le sont pas. Nous devrions contrôler ce que disent ces chaînes car au fond, elles ne nous rendent pas service.
Pouvez-vous expliquer le rôle de l'Institut Pasteur et ses liens avec des labos en Ukraine ?
Je ne le peux pas parce que je ne suis pas au courant.
Comment expliquer que cet institut si célèbre n'ait pas réussi à faire de vaccin ?
Il y a eu deux écoles à Pasteur. Soit développer un vaccin conventionnel, global, soit recourir à une stratégie très intelligente basée sur les nouvelles technologies en utilisant un double virus, un double vecteur. Ces deux voies étaient portées par deux personnes qui n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la stratégie à adopter. Finalement ils ont pris du retard et ont échoué à développer un vaccin.
Quant à Sanofi, très bon dans le vaccin contre la grippe, l’entreprise a adopté une stratégie un peu différente. Malheureusement ils ont rencontré des problèmes de contamination des cultures qui ont entraîné des retards. Ils continuent leurs recherches et nous aurons peut-être des vaccins contre la grippe et contre le Covid.
AstraZeneca n'était pas une société qui développait ou fabriquait des vaccins. A un moment donné, un hasard a fait qu'ils ont trouvé ce vaccin. Ils ont été bien soutenus par le gouvernement anglais, puis par l'Europe. Vous connaissez la suite de leur succès. Nous n'avions jamais développé de vaccin contre un corona virus. Certaines compagnies ont pris des options qui ont marché, elles ont eu plus de chance que d'autres. L’Institut Pasteur a été victime de ses désaccords internes.
On a entendu ces derniers jours le directeur de L'OMS dire que l'on est tout proche de la fin de la pandémie. Qu'en dites-vous ?
C'est une note encourageante mais il y a des pays, comme la Chine, où il y a encore de sérieux problèmes. Confiner des millions de personnes avec pour conséquence une chute de l’économie, ça veut bien dire que vous êtes encore dans les problèmes.
Techniquement nous serons sortis de l'épidémie quand l'immunité des populations sera suffisante pour que le virus n’engendre plus que des petits rhumes en hiver.
Toutefois il est vrai que cet automne sera plus simple que l'automne précédent et que la situation globalement s'arrange. La prochaine vague sera sûrement moins importante que les précédentes, avec
moins d'impact. Les doses successives de vaccination font leur effet mais cela n'empêchera pas d'avoir une surcharge dans les hôpitaux et le virus continue de tuer des malades.
Quel est le risque actuel de développer la variole du singe ?
Il y a bien une épidémie de la variole du singe, c'est même une pandémie puisqu'elle est présente sur plusieurs continents. Nous pouvons parfaitement maitriser ce risque-là avec le comportement. Le mode de transmission de la variole du singe est très clair, 99,9% des cas concernent des hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes. Le contrôle est donc simple, le problème est qu'au départ, nous avons voulu être politiquement correct et donc pas suffisamment clair.
Nous avons un vaccin, pas parfait mais il existe. Un point positif, les populations à risque demandent à se protéger et à être vaccinées. Nous allons donc pouvoir contrôler cette maladie sauf si le virus commence à nous réserver des surprises, s'il change son mode de transmission ou s'il acquiert une capacité semblable à celle de la variole humaine, virus de la même famille. C'est pour cela qu'il nous embête et que nous aimerions le contrôler. La variole humaine est une maladie catastrophique, heureusement quasiment éradiquée.
Aujourd'hui nous avons bien raison de considérer cette maladie comme un problème de santé publique mais avec des cibles restreintes et connues. Nous devons fournir des vaccins, donner des mesures de prévention et rappeler comment la maladie se transmet mais nous ne sommes pas inquiets comme nous l'avons été pour le Covid.
On a beaucoup entendu que le Covid se transmet principalement par voie aérienne. Que nous diriez-vous de l'hygiène de l'air ?
Il faut s'entendre sur les termes. Si le Covid se transmettait vraiment dans l'air, par les aérosols, nous n'aurions jamais pu prendre le métro. Le Covid se transmet essentiellement par les gouttelettes, celles-ci n'allant pas au-delà de quelques mètres.
Nous avons donc recommandé la distance sociale et l'hygiène des mains et dans ces conditions le port du masque n'est même pas obligatoire.
Je vous remercie de votre attention et j'espère que vous retiendrez de tout cela l'importance de la médecine préventive. Nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie et certaines maladies mettent en lumière des inégalités sociales. Pour que cela disparaisse, il faut faire disparaître les inégalités sociales, c'est comme ça que nous ferons des progrès. Bien sûr il y aura toujours à mettre en œuvre les moyens de prévention, l'hygiène des mains, les vaccins... Le plus important est de rester en bonne santé et de faire en sorte que tout le monde ait accès à la meilleure des santés possibles.
Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière