Éric Julien
« Le choix du vivant »
Bonjour à tous,
Pour commencer, je pars volontiers d'une petite phrase de Michel Serre que j'appréciais comme philosophe parce qu'il n'était pas moralisateur et assez facétieux. "Nous sommes le monde, nous sommes la vie, nous sommes le vivant, nous fonctionnons comme le monde mais nous ne le savons plus. Il faudrait remettre le monde et la vie dans nos pensées."
Deux questions. Comment se fait-il que nous les ayons perdus ? Comment fait-on ? Quand on relit l'histoire de la Genèse dans la Bible, il y a deux chapitres. Je ne peux pas citer les termes exacts mais ça dit à peu près "Tu vas aller dans le jardin d’Eden. Tout ce qui vole, tout ce qui marche et qui rampe sera à ta disposition, tu pourras t'en servir et le dominer. » Le second chapitre dit "Tu vas aller dans le jardin d'Eden et tu vas soigner et protéger". Pourquoi a-t-on perdu le second chapitre ? Et n'y aurait-il pas un dialogue à réintroduire entre les deux ?
Qu'est-ce qu'on a oublié ? Quelles sont les conséquences de cet oubli et comment remettre le contenu dans nos pensées ?
On parle souvent de progrès. Il est vrai que nos sociétés modernes ont mis une énergie folle et beaucoup de talent au profit de ce qu'on appelle le progrès de la matière, la transformation de la matière. C'est linéaire. Une transformation permet d'en faire une deuxième. Le processus est cumulatif. En revanche, il y a deux sujets auxquels aucune école, aucune université ne s'intéresse. Le premier, c'est comment apprendre à vivre ensemble sans se taper dessus. Le second, c'est le fait que nous sommes des êtres vivant. On n'en parle jamais ! Cette notion ne nous vient jamais à l'esprit sauf quand on est à l'hôpital ou qu'un de nos proches est malade. On voit bien que ces deux champs constitutifs de notre histoire sont zappés.
Il existe quelques sociétés qu'on peut appeler archaïques, racines, primitives, autochtones, qui ont fait le choix inverse. La technique ne les intéresse pas trop. En revanche les deux autres sujets les préoccupent beaucoup. Vivre ensemble à peu près tranquilles, et puis vivre avec et non sur ou contre. Il ne s'agit pas de dire les bons sauvages et les vilains civilisés. On n'est pas dans ce registre-là mais dans celui de deux mondes qui ont leur chemin. Si seulement on pouvait se parler autour de notre bien commun qui est l'air qu'on respire, l'eau que nous buvons, les aliments que nous mangeons. Nous avons la nature en commun, et posons deux regards différents dessus. Si on se parlait tout simplement ! Je ne vais pas devenir Kogi, c'est trop compliqué et ce n'est pas ma culture. Et jamais ils vont devenir docteurs en biologie, c'est trop compliqué et ce n'est pas leur culture. Mais l'eau, qu'est-ce qu'on peut faire ensemble au sujet de l'eau ? Ça veut dire un changement de regard total entre sous-développés et différents (l'autre!) Ce n'est pas évident. Dans les années 70-80, nous regarder sans nous juger n'était pas gagné.
Il y a 25 ans, j'ai eu un œdème pulmonaire dans leur montagne, au nord de la Colombie. La plus haute montagne du monde en bordure de mer. J'ai eu la chance de rencontrer ces "sauvages", primitifs, archaïques, sous-développés. On leur pourrit la vie depuis 5 siècles ! La violence prend des formes diverses et variées. On le voit aujourd'hui avec le Hamas. Malgré la violence qu'on leur fait endurer, ce jour-là ils me disent "Tu as besoin d'aide ?" Et là je me retrouve dans une drôle de situation parce que dans nos grandes écoles, on n'apprend pas la solidarité de la vulnérabilité. Tout à coup, tu es fragile, tu ne ressembles plus à rien, et quelqu'un te dit "Je peux t’aider ?" A ce moment-là, on découvre quelque chose de la relation fraternelle. Ils me ramassent, me soignent, me descendent en altitude, ce qui est la première chose à faire quand on a un œdème. Je me retrouve dans une hutte. Ça va de mieux en mieux. J'explore un peu le territoire autour de la hutte et j'avise des petites tomates cerises. Comme elles touchent le sol, elles pourrissent. Comme j'ai fait les grandes écoles, je me dis qu'ils ne savent pas cultiver les tomates. Je vais dans la forêt chercher des tuteurs et je redresse les 30 plants de tomates de manière à créer un très joli jardin à la française. Le soir, les Kogis rentrent de leurs champs. J'essaye de leur expliquer sans les vexer que j'ai sauvé leur récolte. Et là l'un d'entre eux me dit "Si on a mis ces plants de tomates là, c'est parce que ça génère un tanin très fort, une sorte d'insecticide naturel qui empêche les insectes de rentrer. Donc si ça ne t'ennuie pas, tu vas tout remettre comme c'était avant, ça nous arrangerait." Je touche du doigt une question essentielle qui est de s'intéresser à l'autre, lui poser des questions. Quand on se rend compte qu'on forme des jeunes dans des grandes écoles qui vont occuper des postes à responsabilités, qui ne savent ni écouter, ni poser des questions !
Je leur demande ce que je peux faire pour les remercier de m'avoir sauvé la vie. Ils me parlent alors de la mafia paramilitaire, la guérilla, le narcotrafic, l’exploitation du bois, les pilleurs de tombes, etc. On leur a pris 80% de leurs terres.
Ils me disent "Si tu veux vraiment nous remercier de t'avoir sauvé la vie, aide-nous à récupérer nos terres ancestrales." J'étais jeune, 25 ans, je leur ai dit "Bien sûr je m'en occupe. C'est simple..." En 1997, on a créé l'association qui aujourd'hui est parvenu à acheter et restituer 2586 hectares de terres. C'est comme un travail de couture. Une couture aussi bien territoriale que relationnelle. Comment, en avançant ensemble sur un sujet qui fait du bien, on va recoudre nos liens, on va recréer de la confiance. La confiance, c'est la mère des valeurs, c'est celle qui est au cœur du vivant. Sans confiance, pas de vie.
Un jour, je leur dis que ce n'est pas simple de trouver des sous pour les aider. Ils me répondent qu'ils vont venir nous aider ! Quelque temps après, ils arrivent à Roissy. Il est 17h. Je ne vous fais pas de dessin sur l'état des lieux de la circulation parisienne... Ils me demandent gentiment, sans jugement "Ça va ? Ça se passe bien de vivre comme ça, sans nature ? "
Très rapidement, ils me demandent s'ils peuvent voir des sages. Question perturbante. Il doit y en avoir parce qu'il y en a dans toute société. Mais ils sont discrets. Nous prenons le train jusqu'à Lyon et puis la voiture jusqu'à Chambéry. Nous empruntons donc des tunnels. Les Kogis sont assis derrière moi. Lorsque nous approchons du premier tunnel, un grand trou noir, je sens que ce moment n'est pas top pour eux. Quand on en ressort, j'entends une petite voix qui me demande "Pourquoi vous faites des trous dans le terre ?"
"C'est pour aller plus vite, pour gagner du temps, ça évite de faire le tour".
"Vous voulez aller jusqu'où plus vite ?"
Et là, le sens apparaît. On dit souvent que le sens guérit parce qu'il permet à la vérité de converger vers quelque chose. Dans le corps humain, il existe un principe, qu'on va appeler l'homéostasie, qui permet aux différents organes de converger pour maintenir un bon état de santé. C'est un principe de vie. Si on ne remet pas ce principe dans le corps social pour lui permettre de ne pas aller trop mal, on favorise l'aggravation. Il faudrait un récit, surtout pour les jeunes, pour leur épargner le désespoir.
En arrivant, nous sommes reçus par des membres du comité d'entreprise d'une entreprise qui avaient gentiment pris en charge une partie des billets d'avion. Nous avons un temps d'échange intéressant. A la fin, en sortant de la salle, un Kogi me tire par la manche et me dit "Comment ils font pour décider, il n'y avait pas de femme ? " Il n'émet pas un jugement moral, il s'étonne. Heureusement que nous ne sommes pas identiques, autrement ce serait très rasoir de faire l'expérience de l'autre. Et l'autre par nature, n'est pas moi. Donc s'il n'y a pas ces deux regards, masculin et féminin, qui abordent une question, on ne peut pas prendre de bonnes décisions.
La différence entre nos deux mondes, c'est la loi. Chez nous, on élit des représentants qui sont censés définir des lois pour le bien commun, lois qui redescendent sur nos territoires. Avec la couleur des engagements politiques, la NUPES plutôt que le RN, plutôt que les socialistes, etc. qui entraînent des choix différents. Il y a peut-être un tout petit peu de lobbying dans tout ça. En fait, les hommes font des lois qui changent quand ça les arrange, en fonction de critères pas clairs du tout. Et on dit qu'on va appliquer ces lois à la nature. Comme attendre 10 ans pour le glyphosate alors qu'on sait que ce n'est pas très cool.
Ça ne marche pas du tout comme ça chez eux. Ils s'interrogent, quelles sont les lois et les principes intangibles qui fondent la vie ? C'est très intéressant comme question et on n'en sait rien. On met des avocats, des juristes, l'armée, des sommes folles pour protéger des lois parfois utiles, parfois bizarres. Et on ignore les lois qui permettent la vie ou l’on n’en tient pas compte. C'est très curieux. Imaginez par exemple un marin qui ne tiendrait pas compte des lois de la mer. Il aurait peu de chance d'arriver à bon port. C'est pourtant ce qu'on fait. Quelles sont ces lois qui fondent la vie. Comment s'incarnent-elles dans un territoire ? Ça devient très difficile de trouver des endroits naturels où ces lois s'expriment. On a beaucoup aménagé, transformé, etc. Et comment peuvent-elles être inspirantes pour rester une société vivante en termes d'organisation.
J'ai un peu travaillé sur 9 principes. Avec cette phrase "Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les hommes. Si tu arrives à trouver en toi ces principes, alors tu comprends comment fonctionne le monde." Un monsieur, qui s’appelait René Guénon, a écrit vers 1924 un livre qui s'appelle La crise du monde moderne. Un siècle plus tard, ça n'a pas bougé. Il disait en substance, si on perd ces principes divins qui ordonnent le monde, on s'égarera dans nos délires pour rester poli.
Je propose donc 9 principes :
En voici quelques-uns :
- la polarité et l'altérité, c'est ce que vous êtes en train de faire depuis que vous êtes sur terre. L'inspire et l'expire. Ça ne s'arrête jamais, même quand vous dormez. Si on poursuit le principe du deux, comme dans le Tao, vous avez bien deux jambes pour marcher. Deux yeux. Cette notion de la complémentarité des mouvements est un principe fondamental. Le masculin et le féminin. Dans le temps de la conception d'un enfant se trouve un espace fécond qui permet à la vie d'émerger. C'est incroyable ! Il faut un espace vide. La terre a dû fonctionner de la même manière. Un espace fécond protégé par 9 couches, face aux météorites, aux UV, à pleins de rayons. Tout à coup une météorite vient féconder la terre.
Je vais prendre un petit exemple. Connaissez-vous l’apoptose ? Il s'agit d'un système naturel qui élimine les cellules qui ne répondent plus aux besoins d'une fonction du corps. Système de suicide cellulaire lorsqu'une cellule ne reçoit plus l'information sur son utilité. Je suis juste en train de vous dire que se regarder, se dire bonjour, se dire je t'aime, ce n'est pas poli, c'est normal. On a tous besoin de cette énergie du regard de l'autre.
J'aime bien aussi parler de l'endosymbiose. Cette petite fleur qui pousse à 3000 mètres d'altitude, ou bien en zone arctique, fait partie de la famille des silènes. Elle pousse dans un coussinet qui peut offrir entre 8 et 10° de température de plus que ce qui se trouve autour de lui. Il existe à l'intérieur de ce coussinet toutes sortes de petites bactéries, une sorte d'univers microscopique qui vit en solidarité, en coopération. Et comme cette fleur a besoin de 2 ans pour se reproduire, tout ce petit monde doit survivre dans le froid et dans la neige. Bien sûr il y a de la compétition, mais il y a aussi beaucoup de coopération qui permet à la vie de poursuivre son chemin de convergence. C'est la vie !
Hannah Arendt disait "Les valeurs sont comme les feuilles mortes, elles ne s'agitent que quand le vent se lève." Combien de temps allons-nous attendre ? Quel degré de tempête faut-il dans nos comportements pour retrouver ce qui fonde la vie ?
Un autre phrase dit "Les temps changent mais les comportements demeurent." Oui, revenir à l'origine de la nature mais dans un contexte différent, ce qui va donner une forme différente.
Il y a des chamans dans cette société, qui passent 18 ans dans le noir. Hommes et femmes. Ils dorment le jour et travaillent la nuit, parce que c'est durant la nuit qu'on peut observer la réalité des formes à la lumière. Pourquoi cette tradition ? Parce qu'ils partent du principe que dans le ventre de la mère, le bébé est nourri notamment par le liquide amniotique. La maman construit son bébé avec tout ce qui la traverse. Les Kogis vont jusqu'au bout du raisonnement en disant au nouveau-né qu'ils envoient vivre dans un ventre / grotte / hutte "Tu vas être maintenant traversé non plus par ce que vit ta mère / maman mais ta mère / terre". Donc quand ces êtres sortent, ils disent "Nous sommes les voix de la terre". Ça peut sembler manquer de modestie mais j'aime mieux vous dire que quand vous sortez de 18 ans dans le noir, l'ego est minuscule! Je pense qu'effectivement ils sont en mesure de nous dire ce que la terre traverse. Vraiment !
Aujourd'hui, nous avons deux choix.
Le premier choix. Les petits frères, ceux qui ne se sentent pas responsables de la vie, c’est nous. Eh bien oui ! Le problème de la transition se résume à un point : l'agenda. Si dans notre agenda, on ne consacre pas un peu de temps à l'autre, à la vie, rien ne bouge.
Nous sommes les petits frères parce que nous appartenons à la grande famille humaine, et petits parce que nous ne nous occupons absolument pas de la nature. On est comme des gamins qui n'ont rien compris. Il faudrait qu'on se réveille ! Eux ce sont les grands frères qui passent du temps à essayer de comprendre la nature pour s'y adapter. On va arriver à la phase finale de la conquête de la planète et puis quand il n'y aura plus de nature, on va mourir. On a d'ailleurs déjà commencé.
Une alternative existe. On se parle. Les deux mondes - celui de la nature qui garde encore des traces - et notre monde et notre science, qui a aussi des qualités - se parlent pour chercher ensemble des réponses. On a l'audace du dialogue. Parce que, comme disait notre chaman Einstein, ce n'est pas en faisant plus ou mieux la même chose qu'on aura des résultats différents. Nous devons trouver autre chose. Et c'est le dialogue qui le permettra. Quand il y a un peu de respect de l'autre, ça ouvre des portes incroyables !
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Temps d’échange :
Que proposes-tu dans cette école de la nature ? Parviens-tu à transposer cette intelligence dans notre vie contemporaine ? Comme celle-ci peut être un moyen de transformation pour nous ?
J'ai choisi de suivre les 9 principes. Dans la Drôme, on a ouvert une école primaire avec 32 enfants. La baseline de l'école, c'est comment donner envie aux enfants de ne pas aller en vacances. Un challenge ! S'ils oublient les vacances, s'ils oublient qu'à 5 heure, l'école est finie, c'est qu'ils sont bien. C'est vrai pour tous les collectifs. Comment réveiller le désir ? Déjà en proposant de réaliser des projets et des actions qui contribuent au collectif - à leur mesure bien sûr. C'est donc une école primaire qui fonctionne par projets. Dès qu'ils rentrent, les élèves bénéficient d'une forme de mentorat. Celui qui est en CP va être accompagné par celui qui est en CM2.
On leur demande "De quoi aurais-tu besoin pour que la journée soit exceptionnelle ?" Imaginez ce que ça donnerait aujourd'hui si on demandait à des collégiens "De quoi aurais-tu besoin pour que le collège soit génial ?"
Bien sûr les enseignants gardent le cadre de la sécurité et les fondamentaux qui doivent être enseignés, mais ça n'empêche pas les enfants de dire ce dont ils ont besoin. Ils progressent donc en autonomie, en coopération, en joie, en capacité de prendre soin les uns des autres. Ce n'est pas parfait, il y a des disputes, mais les résultats sont incroyables.
Donc passer à l'action, redescendre dans le corps. Les Kogis nous disent "Le problème du réchauffement climatique se situe dans notre état de surchauffe. 90% de nos pensées sont de la rumination. Les enfants du CP au CM2 sont capables de passer 20 minutes tout seul dans la forêt, sans être accompagnés par un adulte. Ils sont contents de le faire et contents de recommencer. Ça les pose, ça les calme, ça les ancre.
Et pour les adultes, c'est très simple, travailler sur les 4 dimensions corps / âme / esprit / spiritualité. Dormir dans la forêt sans tente par exemple permet de retrouver la fragilité, la vulnérabilité, notre nature vivante, le froid, la faim. On va chercher ensemble comment passer un bon moment. On va ouvrir des cercles de parole sincère et profonde "Qu'est ce qui se passe pour toi ?" On accède à notre vrai être profond. En 4 jours, il se passe des choses incroyables ! La nature guérit tout. Il s'agit de pratiquer. Nous sommes malades de la tête. Quand vous mettez des enfants en mouvement, ça crée de l'enthousiasme, qui peut être habité par le divin. Comme le divin peut être connoté, on peut dire tout simplement habité par la vie.
Vous avez dit à plusieurs reprises "retrouver nos valeurs". Pourquoi chez nous les choses se désalignent régulièrement ? Pourquoi ça ne se passe pas de cette manière chez eux ?
Les réponses que je vais vous faire m'appartiennent. Je ne sais pas si elles sont bonnes ou pas. Pour survivre dans des zones difficiles, on n'y arrive pas tout seul. Si on regarde l'Histoire, on s'aperçoit que 3 modalités invitent les humains à se rapprocher les uns des autres.
- La guerre et la violence, parce que face à la mort, la fraternité se renoue, parce qu'on peut mourir à tout moment.
- Dans leurs galeries, les mineurs, qui ne savaient ni lire ni écrire, ont inventé quelque chose dont nous sommes tous bénéficiaires aujourd’hui. Ce sont les mutuelles. Ils ont eu le courage de mettre quelques sous pour enterrer dignement le camarade, soutenir la maman, les enfants. Ils n'avaient pas de compétence ni de temps pour créer des structures qui mutualiseraient le risque. La seule issue que je vois, ce sont des individus intelligents qui auraient le courage de créer une mutuelle pour notre futur. Imaginez qu'on soit en Vendée 3000 ou 4000 personnes à accepter de nourrir notre futur en reprenant le pouvoir d'agir. Chacun mettrait 5 ou 10 euros et les jeunes se sentiraient soutenus. On ferait quelque chose ensemble. Attend-t-on la contrainte maximum qui sera peut-être trop tard, ou est-ce qu'on profite d'avoir encore un tout petit peu de temps pour y aller de façon pragmatique et joyeuse ?
Les Kogis sont très pragmatiques. Nous, on fait du développement spirituel, eux font la vaisselle dans la joie.
-La troisième modalité, c'est le territoire. Vivre ensemble en forêt, qui est un espace complexe, demande de la solidarité. Nous ne nous rendons plus compte de cette contrainte. On va faire nos courses dans des supermarchés, indépendamment les uns des autres. On ne consacre plus aucun temps à l'autre. On n'a plus de commun. Enfin, beaucoup moins qu'eux. Si les adultes que nous sommes ne montrent pas aux jeunes l'éducation du commun, on n'y arrivera pas. Sur le fronton des écoles on lit "Liberté, égalité, fraternité", arrêtons de leur raconter des craques et changeons notre façon d'être.
Comment les Kogis vivent leur gouvernance ? Ce qui me semble être un point central de la transition, aussi bien intérieure que collective.
Toute société humaine a les mêmes particularités. Les lois qui vont régir leur système, dont la gouvernance, ne sont pas des lois qu'on élabore et qu'on construit comme on le fait avec nos républiques successives. Elles sont inhérentes au corps humain et à la vie, donc elles ne peuvent pas ne pas être respectées. Les sanctions sont assez lourdes si elles ne sont pas respectées, parce que c'est toute la communauté qui est mise en danger. C'est comme si quelqu'un faisait un trou dans la coque d'un sous-marin. Quand il y a de l'enjeu, on ne peut pas se permettre de faire des bêtises. Chez nous, on a l'illusion de choisir notre chemin de vie. Chez eux, la montagne choisit pour eux. Par exemple, une sorte de gouverneur les représente politiquement auprès du gouvernement. Celui-ci a une petite pierre rose autour du cou, qu'il porte depuis sa naissance. Elle désigne celui qui va exercer un pouvoir de leadership. Un mélange de divination et de constellation va permettre d'identifier celui qui sera choisi. Le gouvernement d'une certaine manière, c'est le territoire où toutes les lois de la nature s’expriment. Les animaux qui n'ont pas de mental réagissent spontanément aux cycles et aux lois du vivant. Les autorités politiques vont donc être celles qui seront capables de dialoguer avec les animaux. Par notre gouvernance, nous imposons nos lois à la nature. Chez eux, c'est le contraire. Ils vont chercher les modalités de gouvernance à la source. Pourquoi un chevreuil vient-il boire ici à telle heure ? Quels sont les espaces vraiment naturels où nous pourrions aller chercher ce que le territoire à nous dire ? Chez les Kogis, le chamane va dire, à travers l'eau, si les décisions humaines collent aux lois de la nature. Ça se fait avec un système de divination qui utilise l'eau et les pierres.
Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel
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