Compte rendu de la 62ème Rencontre du CERA du vendredi 7 février 2014
Bernard PETRE est sociologue, après avoir fait des études de philosophie et d’économie. Il fait partie des chercheurs trouveurs, pour paraphraser la formule du Général de GAULLE, notamment grâce à son travail sur le terrain, les nombreuses enquêtes qu’il mène auprès des jeunes et de leurs familles. En tant qu’expert APM (Association pour le Progrès de Management), il intervient sur le thème de « La famille, les jeunes et le monde économique ».
Myriam LEVAIN a fait Sciences Po Paris, puis l’Ecole de journalisme de Lille. Son parcours de journaliste l’a d’abord mené à La Voix du Nord, puis au Parisien, à Elle, au mensuel Be.
Après un parcours de droit à la Sorbonne, Julia TISSIER a démarré une carrière de journaliste d’abord à Libération, puis au journal Be. C’est là qu’elles se sont rencontrées. Elles ont pris ensemble l’initiative de créer Cheek Magazine, un média impertinent et effronté qui parle de faits de société, de culture et de nouvelles technologies, uniquement visible sur internet, à destination des jeunes femmes, consulté par plus de 70 000 visiteurs par mois !
Myriam LEVAIN et Julia TISSIER sont co-auteurs de « La génération Y par elle-même – Quand les 18/30 ans réinventent la vie » qui rassemble une cinquantaine de témoignages en vue de démonter nos a priori négatifs par rapport à la génération Y.
(NDLR : La génération Y recouvre approximativement les personnes nées entre 1980 et 2000, la génération X celles nées entre 1964 et 1980. Les baby-boomers sont pour leur part nés entre 1946 and 1964.)
Julia TISSIER
Merci de nous avoir présentées de manière aussi précise et sympathique. On travaillait donc pour Be, un magazine féminin, sur des sujets qui concernaient les jeunes, et on trouvait que les « vieux » disaient des choses pas très sympathiques et souvent fausses sur les jeunes. On a donc démonté une dizaine de clichés, les plus courants, un par un. Parmi ces clichés, on est incultes, on est insolents, on est instables au boulot, on est individualistes, on boit, on se drogue, on regarde des films pornos et on brûle parfois des voitures. La génération Y est un terme inventé par des sociologues américains qui désigne les jeunes nés dans les années 80. On est né sans internet mais on a grandi avec. C’est l’une de nos caractéristiques premières. Quand cette génération est arrivée dans le monde du travail, ça a été le choc des cultures ! Les managers plus âgés avaient du mal à les cerner, et donc à les motiver. Ils se sont notamment heurtés à leur insolence. Tenez par exemple, quand je suis arrivée dans mon premier CDI, on m’a dit que je venais du monde des Bisounours. J’ai répondu oui et que j’avais bien l’intention d’y rester.
Notre génération a commencé par des stages à gogo, on a été largement exploités, on n’avait pas de prénom, on était « la stagiaire ». Il fallait faire des études sans être certains qu’elles nous mènent quelque part. Nous entendons souvent que nous sommes très exigeants. C’est vrai, nous attendons effectivement beaucoup du monde du travail. Ce que nous souhaitons, c’est nous épanouir et prendre du plaisir à travailler. Avant, on cherchait à bâtir une carrière, gagner de l’argent. Aujourd’hui, c’est compliqué de faire carrière lorsque l’on aligne difficilement des CDD. Je vais certainement un peu vous choquer mais je le fais volontairement pour que vous ne soyez pas d’accord… On peut être très exigeants car on préfère être au chômage plutôt que de se lever tôt le matin pour aller au boulot à reculons. Contrairement à nos parents, la précarité et le chômage ne nous terrorisent pas. Nous savons que nous passerons par Pôle Emploi plusieurs fois dans notre vie. Une autre caractéristique réside dans notre grande défiance à l’égard de l’entreprise. En effet, nous rentrons généralement par la petite porte, et nous ressortons de même… La loyauté n’est plus de mise comme elle l’était autrefois. On veut du donnant/donnant. On veut bien donner si l’entreprise nous donne. Nous sommes méfiants et n’hésitons pas à claquer la porte du jour au lendemain au même titre que l’entreprise n’hésite pas à nous mettre à la porte !
Cette défiance vis-à-vis de l’institution et cette précarité engendrent une troisième caractéristique : on essaye de compenser par une dimension affective. La bonne ambiance au boulot, c’est important pour nous. On préfère un chef sympa, pas trop autoritaire, quitte à ce qu’il ne soit pas très bon. Le potentiel sympathie des managers est très important. C’est sans doute parce qu’il existe une cloison extrêmement mince entre vie professionnelle et vie privée. On bosse partout et tout le temps, enfin, on est susceptibles de bosser tout le temps. Ca nous paraît normal. Certes, on est toutes les deux journalistes mais par exemple on reçoit des messages de nos chefs tard le soir et on est un peu obligées d’y répondre. On est au boulot en regardant Facebook et on regarde nos mails professionnels chez nous. La frontière est beaucoup plus floue qu’avant.
Autre caractéristique, on a du mal à accepter l’autorité sans poser de questions parce qu’on a besoin de trouver un sens à ce qu’on fait. On nous appelle d’ailleurs « la génération why » parce qu’on ne veut pas faire les choses sans comprendre. Ce qui peut-être perçu, à juste titre, comme une remise en cause de l’autorité.
Avec le web, le grand internet, on s’est habitués à des relations horizontales. Du coup, on a un peu de mal avec la hiérarchie. La compétence du manager prime sur son grade hiérarchique. On respecte davantage les gens compétents que les ceux qui sont haut placés.
Nous avons essayé de comprendre les raisons de cet état d’esprit avec Myriam et proposons une thèse dans notre livre. Nous avons été élevés différemment de la génération précédente, par des parents baby-boomers qui ont commencé à divorcer en masse dans les années 90. On a vite compris l’avantage que cette situation présentait en termes de négociation permanente. Nos parents ont lu Françoise DOLTO et l’ont pris au pied de la lettre en nous plaçant au centre de la famille. On a donc été des enfants rois qui donnaient constamment leur avis sur tout et sur rien. Comme on passait une semaine chez maman, une semaine chez papa, on s’est vite rendu compte qu’on pouvait faire jouer les 2 parties. Le « non » était toujours négociable. Dans l’entreprise, on est amenés à reproduire ce modèle. Mais comme les managers ne sont pas nos parents, il peut se produire quelques incompréhensions.
Myriam LEVAIN
L’insolence et l’instabilité sont d’autres reproches qui nous sont faits. Je vais donc commencer par vous parler de la génération de zappeurs que nous sommes censés être. Il y a un fond de vérité dans cette idée que l’on peut en partie expliquer par les stages à répétition que nous avons faits à partir des années 2000 en guise de démarrage de carrière. Dans les années 2010, le stage est devenu un job à part entière ! Notre premier contact avec l’entreprise se fait par le biais des stages. Nous savons pertinemment que nous avons très peu de chance de rester et sommes indemnisés 300 ou 400€ par mois. Ce qui explique que nous développions une forme de défiance à l’égard de l’entreprise et que nous soyons à l’affût des opportunités. C’est important de comprendre que les jeunes de la génération Y ne sont pas considérés comme des collaborateurs classiques. Nous devons être un peu débrouillards pour trouver sans cesse de nouveaux jobs… Et nous avons pris l’habitude de penser à court terme. Il faut se faire à l’idée qu’en début de carrière, on a beau être très motivé, on constitue une main d’oeuvre pas chère. Les CDI n’arrivent que vers 28 ans en moyenne.
La plupart des managers ne comprennent pas cette mobilité qui est à nos yeux plutôt une richesse pour l’entreprise. Nous sommes la génération Erasmus qui voyage beaucoup. Nous pensons qu’il s’agit d’un atout à exploiter plutôt qu’une propension à zapper systématiquement. Au terme péjoratif de zappeur, nous préférons ceux plus positifs d’adaptables, flexibles. On apprend vite toutes sortes de tâches. Nous n’avons aucune réticence à nous déplacer. Notre aisance avec l’informatique et les nouvelles technologies est un atout. Notre flexibilité nous incite également à diversifier les modes de travail. Les jeunes sont assez demandeurs pour travailler depuis leur domicile, ce qui rime avec des périodes de travail en freelance quand c’est possible, où l’on invente son espace de travail. Ces organisations sont rendues possibles grâce à des systèmes de coworking qui offrent un espace de travail partagé mais aussi un réseau de travailleurs qui favorisent l’échange et l’ouverture. C’est sûrement intéressant d’exploiter ces remises en cause du principe traditionnel de l’entreprise plutôt que de les craindre. On préfère largement travailler chez nous, connectés avec nos employeurs grâce aux nouvelles technologies, plutôt que de participer à de multiples réunions.
Nous sommes une génération d’entrepreneurs : en 2013, un quart des créations d’entreprises émanait de personnes âgées de moins de 30 ans ! Là encore, nous n’avions pas forcément imaginé cette carrière quand on était gamins ou ados, mais quitte à se retrouver au chômage et galérer, on préfère galérer pour soi, devenir son propre patron. C’est ce que nous avons fait avec Julia. Nous avons quitté le groupe LAGARDERE pour créer notre propre entreprise. On rêve beaucoup plus de devenir un Mark ZUCKERBERG qui a lancé Facebook plutôt qu’un patron du CAC 40.
J’aimerais vous parler d’un autre point sur lequel on commence à avoir un petit retour, c’est de la manière dont vont s’y prendre les jeunes de la génération Y pour passer du statut d’employé à celui de manager. Il n’est pas certain qu’ils seront de bons managers. Ils vont probablement dynamiter les codes du management en fonctionnant beaucoup à l’affect.
Dans notre livre, nous expliquons que la génération Y peut être un atout pour l’entreprise, y compris sur le plan de l’intergénérationnel. Chacun peut bien sûr apporter et recevoir beaucoup de la part des autres dans une vision complémentaire.
Bernard PETRE
Je vais pour commencer poser une petite question : que s’est-il passé en 1492 ? Christophe COLOMB a découvert l’Amérique. Dans le même temps mais on en n’a pas parlé dans les livres d’histoire, les indiens d’Amérique ont découvert Christophe COLOMB !
Nous, les baby-boomers, nous sommes des Christophe COLOMB. Ce qui nous intéresse, c’est de découvrir l’Amérique, c’est d’avoir des plans et des stratégies, c’est d’envisager ce qu’on va faire aux autres. On vit comme Christophe COLOMB avec l’idée qu’il existe des terres inconnues qui n’appartiennent à personne, qui s’appellent parfois des stagiaires, et qu’on va y apporter la civilisation pour produire. La trace importante, c’est la trace que nous allons laisser chez eux. La chose qu’on oublie, c’est que les indiens ont un avis sur nous et que cet avis est aussi important que le nôtre. La question n’est pas de savoir qui a tort et qui a raison. Aujourd’hui, si vous ne savez pas ce que votre stagiaire pense de l’entreprise et de vous, c’est mal barré !
Et aujourd’hui, les indiens ont Google… Avant même que Christophe COLOMB ne débarque, ils savent qu’il couche avec Julie GAYET ! Avant même que vous ouvriez la bouche, ils savent qui vous êtes. Nous devons arriver à savoir ce que les jeunes pensent de nous. Le drame, ce n’est pas qu’ils vous prennent pour un sale capitaliste, ça, ce n’est pas grave. Le drame serait qu’ils vous prennent pour un sale capitaliste, ne disent rien et vous accueillent comme un sauveur. Ne pensez pas quand ils s’en vont au bout de 6 mois qu’ils sont irrationnels, c’est vous qui êtes stupides !
Comment peut-on faire pour sortir de cette impasse ?
– Sortir de l’idée traditionnelle que les vieux ont toujours dit du mal des jeunes et que ça peut continuer.
– Eviter de penser que tous les jeunes sont pareils. A ce titre, l’idée même de génération Y est un peu gênante.
– Ne pas se dire que la crise va les calmer. Au contraire cette situation va les rendre encore plus mobiles, va leur donner encore plus de raisons de ne pas venir vous manger dans la main si vous ne les intéressez pas.
– Penser qu’on peut faire sans eux, comme ont pensé les australiens dans les années 2000. Ils ont engagé des collaborateurs de plus de 35 ans. Les secteurs qui s’y sont pris de cette manière ne sont pas les plus dynamiques…
– Surtout ne pas utiliser la pire boussole qui soit du genre « moi aussi j’ai été jeune ». Ils n’ont plus rien à voir avec ce que nous étions. Ils sont un mystère pour nous, mais bien évidemment nous sommes un mystère pour eux.
– Penser que les jeunes doivent respecter les règles alors que nous avons le droit de les enfreindre… A ce propos, je vais vous raconter un témoignage que j’ai entendu de la part d’un petit garçon que j’interviewais au cours de l’une de mes enquêtes. Lorsque je lui ai posé la question « A ton avis, qu’est ce qui est le plus grave pour tes parents ? » Il me répond « Mes parents, et surtout mon papa, trouvent qu’il ne faut pas dire de gros mots. » Et à ce moment il est pris d’un fou rire. Une fois remis, il m’explique les raisons de son hilarité « Mon papa trouve que c’est très grave de dire des gros mots sauf quand on a un enculé devant nous dans les bouchons ! » C’est vous dire la crédibilité de la plupart des parents…
– Arrêter de penser et de dire que « mes jeunes à moi, ils sont biens ».
– Comprendre que l’officieux est plus important que l’officiel : ce que j’ai appris par internet sur la personne qui se trouve en face de moi est plus important et fiable que ce qu’on m’en dit.
– Admettre une énorme différence entre les baby-boomers horrifiés à l’idée de dévoiler des instants de leur vie intime et la génération Y qui aspirent à être regardée le plus possible. Pour les uns, la catastrophe, ce serait que tout le monde les voit. Pour les autres, la catastrophe serait de se sentir transparents, que personne ne les regarde.
Avant de passer la parole à Myriam, je vous rapporte une interrogation entendue de la part d’une soixantaine d’enfants que j’ai interrogés. La plupart sont inquiets d’entendre les adultes dire « Si on continue comme ça, la planète va être fichue. » Ce qu’ils trouvent bizarre, c’est que les adultes ne changent rien pour résoudre cette situation qu’ils semblent pourtant craindre. Quand on dit aux jeunes que ce qui compte le plus pour les entreprises, c’est le capital humain, ils ont Google pour vérifier…
Nos 3 invités s’étant exprimés, nous leur proposons maintenant d’engager la discussion entre eux avant de répondre aux questions posées par le public.
M L : Je souhaite rebondir sur cette conclusion qui met en exergue un vrai problème, celui que court la planète sans que rien ne soit fait. Je le mets en rapport avec ce qui se joue notamment au sein de l’entreprise. On assiste à un choc des cultures général à la société : nous atteignons la fin d’un cycle mais nous ne sommes pas inquiets, contrairement à la génération précédente. Notre responsabilité, notre rôle, consiste à inventer un nouveau modèle, or nous avons l’impression qu’on ne nous écoute pas. Alors que la génération de nos parents va partir avec une super retraite, nous allons devoir faire face.
B P : J’ai envie de profiter de votre présence pour vous poser des questions. Quand je me balade sur le terrain, je vois à peu près partout la même chose. A la marge des systèmes, il y a des individus qui inventent des choses extraordinaires et d’autres qui bloquent les changements au coeur des systèmes. Regardez l’école, il s’y trouve des professeurs super créatifs dans leur manière d’enseigner et un système qui ne bouge pas. Comment va-t-on faire pour mettre davantage en valeur ce qu’on invente et ne pas déprimer sur ce que l’on est en train de perdre ?
J T : Ce sont effectivement les personnes qui se trouvent à la marge qui font le plus preuve de créativité. Si j’avais été assurée d’un salaire sur 15 ans avec 5000€ à la fin du moi, je ne me serais pas donné tant de mal pour créer mon entreprise. La précarité rend inventif. Se trouver dans ces situations conduit à prendre des risques. Ceux qui n’aiment pas que les choses changent, c’est justement ceux qui se trouvent au coeur du système. Or nous arrivons au bout d’un système et nous n’avons pas le choix, il faut repenser notre modèle économique car nous allons finir pas crever de notre immobilisme. Nous devons repenser notamment le travail. Le contexte socio-économique évolue, il faut s’y adapter et progresser avec lui.
M L : On entend souvent qu’en France, c’est l’enfer, que c’est mieux ailleurs et qu’il faut partir. Cette petite musique m’avait tout d’abord séduite mais en réalité, nous devons agir ici et maintenant. Nous avons un pays riche et dynamique, c’est faux de dire que tout est mieux ailleurs. On est certes le pays le plus dépressif du monde, très angoissé sur son avenir mais il y a aussi beaucoup de potentiel, des jeunes qui créent des entreprises. Malheureusement, on ne les voit pas beaucoup. Nous avons le sentiment désagréable qu’avant 30 ans, on n’existe pas. Nous pensons qu’il faut faire confiance aux jeunes, leur confier des responsabilités, leur proposer un peu plus de lisibilité. Des gens intelligents et brillants de moins de 30 ans, ça existe !
Nous sommes très heureuses de venir vous parler de notre génération aujourd’hui. Malheureusement cette occasion est assez rare en France. Est-ce différent en Belgique ?
B P : C’est à peu près la même chose en Belgique francophone. Il existe des jeunes sages mais on ne les voit pas beaucoup. Les autres sont souvent classés selon deux catégories : les fragiles et les dangereux. C’est assez curieux d’un point de vue sociologique. En principe on devrait se projeter dans sa jeunesse qui est l’avenir du groupe et on le fait assez peu.
Au cours d’un événement organisé par le MEDEF, je me souviens avoir été frappé par une grande différence entre ceux qui venaient de la planète française et ceux qui venaient de la planète anglosaxonne. On parlait tous de la même chose mais à chaque fois que celui qui venait de la planète française prenait la parole, on entendait en filigrane apparaître un aspect terrifiant, et à chaque fois que celui qui venait de la planète anglo-saxonne s’exprimait, on entendait en filigrane apparaître un aspect excitant. Ce manque de place de la jeunesse est peut-être le reflet du manque de confiance en soi des générations précédentes. Peut-être que le meilleur cadeau que nous puissions faire aux jeunes, c’est d’avoir un peu plus confiance en nous-mêmes, ce qui nous permettrait de leur laisser un peu plus de place.
J T : En France, si on a moins de 30 ans et que l’on est une femme, c’est la double peine ! Au quotidien, on voit l’écart des salaires et la chute des postes à responsabilités. Dans le milieu des médias, c’est absolument criant. Les inégalités se creusent de plus en plus pour les femmes quand elles arrivent dans le milieu professionnel. Il faut revaloriser la jeunesse, lui donner la possibilité de créer, de proposer, d’agir. C’est extrêmement déprimant de vivre dans un pays qui ne croit pas en sa jeunesse, car c’est elle qui sera aux commandes demain.
M L : Concernant le décalage entre les générations, je voudrais parler d’Anne MUXEL. Il s’agit d’une politologue que nous avons interviewée sur les rapports que les jeunes entretiennent avec la politique. Elle dit que ce n’est pas notre génération qui est désenchantée mais celle de nos parents et il nous revient de gérer cet état d’esprit et de vivre dans ce climat ambiant. A 30 ans, nous avons l’énergie de la jeunesse, et à cause de la crise, nous sommes pragmatiques.
B P : Les jeunes sont pessimistes par rapport au système qui à leur avis ne tiendra pas, et optimistes sur eux-mêmes. Par ailleurs, il me semble que les incompréhensions viennent d’un malentendu. Aujourd’hui, quand on n’est pas d’accord, on se retire, on va ailleurs, contrairement aux babyMyriam boomers qui se confrontent, manifestent leur désaccord, se battent pour imposer leur idée comme ils l’ont fait en mai 68. Les professeurs des écoles rencontrent d’ailleurs ce problème, ce ne sont plus les enfants qui chahutent mais ceux qui dorment qu’ils ont du mal à gérer. Paradoxalement, on dit aux enfants que l’école est le lieu de leur émancipation, le lieu où ils vont élargir leur univers. En fait, pour élargir leur univers, ils doivent fermer les yeux, se déconnecter de l’école et s’endormir pour rêver !
J’aimerais vous entendre réagir sur l’attitude que je viens de décrire, quand on n’est pas d’accord, on va voir ailleurs.
J T : Nous sommes surtout optimistes et pragmatiques. On ne demande pas l’impossible, on ne se dit pas qu’on va changer le monde mais on essaye de faire bouger les choses à notre échelle. Cette posture a été vue comme de l’individualisme mais au fond, ces multiples petites initiatives vont certainement faire bouger les lignes. Les envies révolutionnaires de nos parents les ont conduits à se construire des piscines dans le sud. Ils ont baissé les bras lorsqu’ils ont commencé à gagner de l’argent. Nous avons d’autres objectifs.
M L : On travaille pour nous, c’est vrai, mais contrairement à ce qui se dit, nous ne sommes pas individualistes mais au contraire assez solidaires en nous mettant au service d’une petite communauté. Confrontés à la question de nos retraites et de notre sécu, il nous faut être inventif car personne n’ose s’attaquer à ces gros problèmes. Nous nous serrons les coudes car le tapis rouge ne se déroule pas. Notre individualisme s’explique par la nécessité de recourir au système D mais ne rime pas forcément avec égoïsme.
B P : La question ne se pose pas dans ces termes : est-ce que je suis individualiste ou pas ? Il n’y a pas 2 cases mais 4 : individualiste ou pas individualiste, égoïste ou pas égoïste.
Le roi de l’individualisme du XX° siècle est Nelson MANDELA. Il a commencé par ne pas respecter la loi de son pays, puis de son parti, c’est ça l’individualisme. Il a commencé à ériger sa propre loi qu’il a maintenue durant 27 ans en prison. Vous êtes bien d’accord qu’il ne s’agit pas d’égoïsme.
On connaît tous des gens qui ne sont absolument pas individualistes, qui respectent toutes les traditions religieuses, locales, folkloriques, culturelles et sportives, et qui n’ont jamais bougé le petit doigt pour qui que ce soit. Vous voyez bien qu’individualisme et égoïsme peuvent rimer mais ce n’est pas du tout obligatoire.
Cette remarque m’amène à vous parler d’autre chose. Quelle que soit notre génération, nous allons devoir prendre soin du poète car nous n’avons pas de mots pour désigner la plupart de ce que nous vivons. Prenez par exemple toutes les relations familiales qui sont aujourd’hui possibles. Je rencontre des enfants qui me disent « mon véritable frère est celui qui n’est pas mon frère ». Il s’agit souvent de l’enfant de la compagne ou du compagnon du parent avec qui je vis, avec qui je n’ai pas le moindre lien biologique. Nous n’avons pas de mots pour parler de ces choses-là.
Hier soir, j’ai été un peu surpris quand on m’a annoncé qu’on pouvait se détendre en mettant notre corps à table car pendant la journée, on avait fait travailler le cerveau. C’est absurde. Quand je travaille, je ne dissocie pas mon corps et mon cerveau. Et je peux très bien travailler – différemment – pendant des instants dits de détente. La preuve en est qu’il y a plus d’échanges intéressants durant les pauses café que pendant les plénières ! C’est pour vous dire qu’on a vraiment besoin de regarder autrement ce que l’on vit. Avant de vous faire une opinion, choisissez bien quel regard vous allez poser sur les choses.
M L : Le succès de notre livre, auquel nous ne nous attendions pas, est à rapprocher des mots que nous avons trouvés pour décrire la réalité. Des lecteurs nous ont dit à quel point ils avaient été sensibles au fait que nous décrivions leur vie, leur quotidien. Des parents nous ont dit qu’ils comprenaient mieux leurs enfants. La difficulté, c’est de synthétiser et de mettre des mots sur ce qui se passe mais c’est aussi un exercice extrêmement intéressant.
J T : J’aimerais terminer par un message optimiste en soulignant que nous avons dédié ce livre à nos parents qui « ont pris cher », cités dans un certain nombre d’exemples. Nous les avons un peu taclés mais on a quand même tissé beaucoup de liens et de références culturelles communes. Nous partageons certainement plus de choses avec eux qu’ils ne l’ont fait avec leurs propres parents. C’est une grande richesse. Nous avons fait ensemble les frais d’une nouvelle éducation. Nous sommes de grands enfants incapables par exemple de remplir seul notre feuille d’impôts mais on essaye de devenir des adultes, d’une manière un peu différente que le modèle de nos parents.
J T : D’abord je voudrais rappeler que l’on a cette double culture de l’ancien et du nouveau monde puisqu’on a connu le monde sans et avec internet. On peut donc se débrouiller. En revanche, la génération X a beaucoup plus souffert que nous. Les quadras sont un peu perdus avec ces nouvelles technologies.
Comment va-t-on manager ? On va se diriger vers des relations horizontales, vers plus de transparence, on cherchera des réponses avec ceux qui se posent des questions. Aujourd’hui, nous sommes en apprentissage à cet égard.
M L : C’est possible que l’on se fasse avoir à notre propre jeu qui consiste à être sympa et transparent. J’ai rencontré beaucoup de mauvais managers. Je les ai observés. Je comprends qu’il nous faudra composer en tant que managers.
B P : La génération Y a été inventée dans les années 2000, on la voit donc maintenant à l’oeuvre. Traditionnellement le manager est celui qui a la bonne réponse. On accepte qu’il soit un peu arbitraire, on passe sur ses défauts personnels parce que c’est lui qui nous sauve. Le bon professeur est celui qui connaît très bien sa matière avant tout. Cette vision change radicalement, car les réponses sont sur internet et qu’il n’existe plus UNE seule bonne réponse. Avant, il suffisait de rassembler la bonne documentation et on partait du principe qu’elle était fiable. Le nombre d’informations qu’on trouve sur internet témoigne de la variété des réponses possibles.
Le nouveau manager n’est pas celui qui sait mais celui qui veille à un contexte, à un climat, à une qualité de relation où chacun va donner le meilleur de lui-même en synergie avec les autres, à l’aide de ce qu’il sait. C’est pour cette raison que l’on travaille beaucoup durant les pauses puisque c’est le moment par excellence où s’établissent les bases du climat de travail, où chacun donne le meilleur de lui-même pour s’informer et donner des informations. Avec les MOOC (massive open online course), on a inventé l’école à l’envers où l’élève n’a pas besoin du professeur pour apprendre la matière. Les grandes universités américaines offrent des cours gratuitement sur internet, car au fond la vraie valeur ajoutée, ce ne sont pas les cours mais le climat d’échanges entre les élèves et les professeurs pour qu’ensemble, on tire le meilleur parti du cours. C’est à ce palier que les universités demandant que l’on s’inscrive. On va maintenant penser au management à l’envers. Je pense que la fonction du manager va se transformer. Nous jugeons la génération Y à l’aune de ce que nous avons fait et vécu, mais finalement, ces jeunes sont peut-être beaucoup mieux équipés que nous pour faire face à cette évolution. Les Y et l’entreprise devraient s’adorer puisque cette dernière cherche avant tout de la flexibilité, de l’adaptabilité, de l’innovation, mais la relation est encore difficile.
M L : Ce sera peut-être une merveilleuse histoire d’amour si les entreprises s’adaptent… Quand on échange avec des X, certains nous disent qu’ils ont eu tort, qu’ils auraient dû se rebeller plutôt que d’accepter passivement ce que la génération précédente leur proposait.
J T : Quand on a commencé ce livre, on était de jeunes journalistes pleines d’énergie bien décidées à faire autrement que les vieux journalistes qui interrogent toujours les mêmes personnes qui habitent le XI° arrondissement à Paris. Myriam est parisienne, moi, je suis rochelaise, ce qui faisait un bon mixte. Donc on a interviewé toutes sortes de profils. Une cinquantaine de personnes, une trentaine de jeunes.
M L : Il y a beaucoup de parisiens qui quittent Paris pour notamment Nantes, Bordeaux, Marseille, Lille, leur mode de vie essaime dans toute la France. Au fond, on a parlé d’une jeunesse très urbaine.
B P : A l’occasion d’une enquête qu’une grande enseigne de l’ameublement m’avait demandée, j’ai eu l’occasion de poser 3 questions à un échantillon important de personnes : Que signifie « vivre en famille », « manger » et « décorer l’habitation » ? Des groupes de discussion ont été établis dans 10 pays. Dans ces 10 pays émerge la même idée que l’individu a droit à un espace de liberté autour de lui, espace qu’il a le droit d’organiser comme il le souhaite. Selon les pays, l’organisation de cet espace peut bien sûr varier. Sociologiquement, à chaque fois qu’une société laisse de la place à la subjectivité de l’individu, par rapport à des sociétés qui n’en laissent pas, ce dernier y vit bien. Une marge de manoeuvre assez grande est une tendance qui se révèle partout. Les variations que l’on peut observer d’un pays à l’autre reposent sur les jugements moraux portés sur ces marges.
Un certain nombre de personnes se demandent si ces nouveaux modes de vie conduisent à de nouvelles méthodes managériales ou si nous cherchons à conserver les organisations anciennes à tout prix. Par exemple l’école à l’envers a été inventée en Inde pour des raisons économiques, car il était absolument impossible de financer une école à l’endroit. J’imagine mal certains pays d’Europe adopter ce type de fonctionnement qui pourtant fait ses preuves.
Le baby-boomer se dit qu’il est à quelques stations de métro plus loin que les pays émergents. Il doit se méfier car dans certains cas, ces derniers ont une longueur d’avance sur nous. Nous devons nous méfier, un certain de nombre d’organisations ont été nos atouts mais risquent de devenir nos inconvénients.
De ce point de vue, avoir une génération qui demande tout le temps pourquoi, c’est une aubaine et nous devrions la remercier.
M L : Tout à l’heure, j’ai bien dit « pour le pire et le meilleur ». Cette forme entrepreneuriat un peu individualiste où l’on prend des risques que je vous ai décrit, c’est très américain comme philosophie. Avec un côté marche ou crève sans savoir à l’avance de quel côté on va pencher. On en a bien conscience. Et par rapport à des questions de solidarité, c’est un peu à double tranchant. La génération Y connaît parfois la loi de jungle. C’est une réalité ! Nous n’avons plus la même réalité matérielle que nos parents. Mais je voudrais dire aussi que nous avons une immense chance de vivre en France où la solidarité veut dire quelque chose. Peut-être que dans 50 ans, nous n’aurons plus de sécu et plus de retraite, ce serait dommage mais pas exclu. Sans être pessimiste, nous devons faire le constat que nous allons vers un système anglo-saxon plus individualiste. La génération Y l’a bien compris.
B P : Albert CAMUS a dit « Je dois dire merci à l’étranger qui fait de moi un étranger ». Tout à l’heure, lorsque j’ai parlé de l’état d’esprit anglo-saxon ou français, mon propos n’était pas de juger mais de dire qu’en entrant dans le point de vue de l’autre, je peux avoir un regard plus intéressant sur moi-même. On pourrait imaginer le modèle français qui garderait la plupart de ses caractéristiques en devenant optimiste.
J T : Notre première expérience n’a pas été très bonne. On arrive avec nos gros sabots, en voulant aller droit au but, ce qui ne donne pas forcément envie aux gens de nous suivre. En revanche, dès qu’un dialogue s’instaure, il est tout à fait possible de trouver un terrain d’entente.
M L : Une des grandes qualités de la génération Y, c’est qu’elle s’adapte. C’est toujours ennuyeux d’être confronté à un vieux con [sic] mais on peut s’y prendre de multiples manières pour trouver des aménagements. Nous ne sommes pas complètement des goujats, on respecte nos aînés et leur expérience.
B P : Je rends ici hommage à Hervé SEYRIEX qui au travers de ses recherches sur le monde animal a étudié ce qui favorisait la survie de l’espèce. Au fond dans l’évolution, on constate que les organismes vivants qui entretiennent en eux-mêmes des logiques contradictoires ont beaucoup plus de chances que les autres de survivre. On peut appliquer cette observation aux énergies souvent contradictoires qui émanent des représentants des diverses générations au sein de l’entreprise.
J T : Un jeune de 30 ans pourrait dire des choses très différentes de nous. Nous décrivons des phénomènes de société tout en sachant que la génération Y est loin d’être homogène. Nous sommes tous uniques et différents mais nous avons vécu des événements similaires en grandissant à la même époque. Par exemple, nous avons en commun d’associer la sexualité à la mort à cause du sida. On a toujours entendu parler du chômage à la télé, on a tous vécu le 11 septembre qui a donné une tonalité particulière à notre vision du terrorisme. Ca ne fait pas de nous des personnes identiques mais ça forge des caractéristiques et des envies communes. On ne peut évidemment pas tirer des généralités sur la façon dont nous souhaitons être managés à partir de ces constats.
B P : Le problème de votre génération, c’est le retrait, c’est le nombre important de gens qui disent qu’ils ne jouent pas. Ce n’est pas la révolution qui constitue le principal risque, mais le retrait. De ce fait la principale question du manager est la suivante : de quelle manière je mobilise les motivations et je libère les énergies ? C’est une problématique nouvelle qui n’a pas encore de réponse. On bricole pour essayer d’y répondre. 3 mots me viennent toutefois à l’esprit : on mobilise les énergies :
– quand on est cohérent, c’est-à-dire quand on fait système, qu’on ne dit pas une chose et son contraire,
– quand la légitimité est basée sur la réciprocité : par exemple il n’est pas correct que je sois puni lorsque j’arrive en retard à l’école alors que mon prof ne l’est pas,
– quand on a en tête l’idée qu’il faut une maîtrise des rythmes du changement. On ne peut pas changer de cap à chaque fois que quelqu’un a une bonne idée. Il faut trouver le bon rythme.
B P : Le meilleur résumé que j’ai trouvé des générations, c’est une comparaison entre Astérix et Obélix. Obélix, c’est la génération Y avec la liberté de choisir avec ma subjectivité. Il ne connaît rien d’autre que les effets de la potion magique dans laquelle il est tombé quand il était petit. Le babyboomer, qui donc selon les classifications aurait plus de 54 ans aujourd’hui, c’est Astérix qui vit sans potion magique. Il vit dans le monde d’avant mais il a accès à la potion magique. Il en prend juste un petit coup de temps en temps. C’est sa résidence secondaire, c’est sa Harley-Davidson, c’est sa maîtresse, c’est la seconde activité qu’il a lancée parce que la première commençait à l’ennuyer. Il peut donc se mettre ponctuellement en mode subjectif mais ce n’est pas son mode naturel.
J’aimerais saluer les X pour qui j’ai beaucoup de respect et de sympathie. Ils sont les centurions du camp romain : ils savent que la potion magique existe mais ils n’y ont pas accès, parce que c’est sur eux que reposent les contraintes et les obligations pour faire tourner l’entreprise. Le flux tendu, le zéro stock, la qualité totale, le reporting sur tableaux excel, etc. c’est eux qui en ont fait les frais sans pouvoir bénéficier du principe de plaisir de la potion magique ! On connaît tous des gens de 70, 75 ans, qui sont de parfaits Y ! Les Y ont souvent moins de problèmes que les X parce qu’ils acceptent leur condition, sinon, ils ne seraient pas là !
M L : Le Y sera peut-être demain dans la même situation que le X aujourd’hui. Pour les X, les choses ont été difficiles parce qu’on leur avait dit que leur avenir serait formidable. Nous, on nous avait dit que ce serait dur. Au moins, on était préparés ! Nous avons l’enthousiasme et l’énergie de la jeunesse, mais rien ne dit que dans 10 ans, nous ne serons pas essorés comme tout le monde…
Le web est un bouleversement et une révolution technologique énorme, digne de l’apparition de l’imprimerie. Nous nous trouvons à une époque de changements immenses qui peuvent être inquiétants ou excitants.
J T : On peut tous être connectés avec nos Smartphones. La différence, c’est qu’on ne fait pas la même chose avec !
J T : Mon rêve est d’être heureuse et de prendre du plaisir où je peux. Pour mes parents, réussir sa vie, c’était faire une belle carrière, acheter une maison, une voiture, avoir des enfants. Pour moi, ce n’est pas un rêve. Ne serait-ce que parce qu’il est difficile de s’acheter une maison avec le fruit de son travail.
M L : Notre rêve, c’est d’exiger le possible, contrairement au rêve de nos parents qui visait l’impossible. Beaucoup de choses deviennent possibles grâce aux technologies. En cela, notre époque est intéressante. Etre heureux, c’est trouver du sens et du plaisir à ce qu’on fait. Ce n’était pas l’objectif de mes grands-parents pour qui se présentaient moins de choix. Ma grand-mère de 85 ans me dit qu’elle ne nous envie pas car sa génération se posait moins de questions, c’était donc plus simple.
M L : On assiste de toute évidence à une désaffection de la question politique et une défiance énorme vis-à-vis de son appareil. Concernant notre engagement dans ce domaine, nous pensons qu’il va falloir réformer les partis. Ceux qui plaisent aux jeunes essayent de s’affranchir de la culture des années 50. Ce sont le Front National et les écologistes.
J T : C’est difficile de dire aux jeunes de s’intéresser à la politique quand elle est si peu représentée dans les différentes instances. L’âge moyen des membres de l’Assemblée Nationale est de 59 ans. Fabius a été ministre à 37 ans, c’était extraordinaire mais devenu inenvisageable.
B P : Il existe des bibliothèques entières de sociologie qui traitent de la question de ce qui réunit les rêves de la génération X et ceux de la génération Y.
Vit-on encore à l’époque des Lumières ou connaissons-nous la suite des Lumières? Certains disent que nous cherchons à aller au bout de l’émancipation de l’individu. D’autres parlent de postmodernité.
Quand on aborde le système politique, on se rend compte qu’on en encore à l’époque des Lumières. La démocratie représentative, c’est d’abord dire qu’en tant que personne, on a un seul allié. Alors que quand vous interrogez des Français dans la rue, ils vous disent qu’HOLLANDE est pas mal sur certains plans, nul sur d’autres. Ils disent la même chose de COPE, de FILLON et ainsi de suite. Ils n’ont pas un avis mais 4 ou 5. La seconde chose, c’est que votre avis, vous n’allez pas en changer pendant 5 ans. Un représentant va représenter votre avis pendant 5 ans. C’est un présupposé absurde ! Heureusement que les gens changent d’avis, mais notre système actuel ne le permet pas. Comment va-t-on inventer un nouveau système politique ? C’est ici que se trouve le défi.
M L : Nous n’estimons pas que nous sommes mieux que les autres. Nous avons juste besoin d’être reconnus avant 35 ans. On a toujours entendu nos parents dire qu’ils étaient partis de chez leurs parents à 20 ans, qu’ils avaient trouvé des jobs comme ils voulaient. On trouve qu’ils ont eu de la chance et que nous aussi, on a envie d’exister.
B P : A propos de l’ego. En sociologie, on dit que les maladies à la mode sont les reflets de l’époque en cours. C’est ainsi qu’on a parlé de la névrose chrétienne : « A chaque fois que je suis seul, Dieu me regarde à travers son image». Je ne résiste pas à la tentation de vous raconter une petite histoire dont l’une de mes tantes a fait l’objet il y a bien des années de cela. C’est elle-même qui me l’avait racontée. La scène se déroule un dimanche, dans une petite commune de Belgique « bien comme il faut » où il n’est pas question de manquer la messe. Ma tante, âgée d’environ 7 ans, enfourche son vélo pour aller à la messe, à jeun bien sûr. Tout à coup, en haut d’une côte, elle gobe une mouche… Cruel dilemme… Il lui fallait choisir entre l’abstinence, ne pas aller communier et exposer sa famille dans ce cas à une véritable vindicte sociale durant toute la semaine, ou communier sans être à jeun. Elle a choisi cette dernière solution, par respect pour le code social, mais a payé cher cette décision en faisant de terribles cauchemars !
La maladie à la mode aujourd’hui, c’est la psychose. Rien ne me touche car la bulle que j’ai construite est formidablement solide.
J’aimerais vous donner un témoignage très concret en vous racontant deux verbatim des plus saisissants que j’ai entendus dans le cadre d’un rassemblement APM. A la fin des réunions, une fois que tout le monde était parti, j’ai demandé à un jeune ce qui l’avait le plus surpris. Il m’a répondu « C’est incroyable, je me suis aperçu qu’il y avait des patrons qui ne pensaient pas qu’au fric ! » et puis « Je suis soufflé que nous les jeunes, on soit un sujet de préoccupation pour des patrons qui prennent une journée pour essayer de nous comprendre. » Ces réflexions nous obligent décidément à trouver de nouveaux moyens de communiquer.
J T : Ce magazine est le résultat de toutes nos envies et de toutes nos frustrations. On a créé le support dont on rêvait : un média féminin plutôt ouvert aux femmes de la génération Y. La presse traditionnelle féminine réduit la plupart du temps ses sujets à la consommation, au maquillage, constitue une injonction à la perfection, la plupart du temps physique. On a voulu faire la part belle à la culture et à la société.
Il faut repenser notre métier. On aime beaucoup la presse papier quotidienne mais on pense que celle-ci va probablement s’éteindre. Du coup notre média qui veut renouer avec la presse d’opinion est présent exclusivement sur le web.
M L : On ne se reconnaissait plus dans la presse féminine si différente de notre vie quotidienne. Nous sentant un peu exclues, nous avons voulu reprendre la parole pour occuper notre place en étant fidèles à ce que nous sommes et à ce que nous vivons. Puisque nous ne nous sentons pas représentées, ce n’est pas grave, nous allons créer, inventer.
Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
www.semaphore.fr