j'adhère au cera

Idriss ABERKANE : « Vous êtes plus intelligent que les machines »

IDRISS ABERKANE

"Le triomphe de votre intelligence - Pourquoi vous ne serez jamais remplacé par des machines"

Intermèdes musicaux par Symphonie Mosaïque

17/11/2022

Cette conférence est toute nouvelle, j’en ai terminé l’écriture il y a trente minutes, just in time ! Je pourrais l'appeler "La conférence Mia", en référence à IAM que j'aime beaucoup, dont Akhénaton fait partie. C'est une musique créée par une Intelligence Artificielle qui ne porte qu’une seule et grande question à laquelle nous allons essayer de répondre : "Est-ce que l'Intelligence Artificielle pourra nous faire pleurer un jour en créant des compositions, des œuvres d'art, qui seront capables de nous arracher des émotions ? »

Je commence donc avec cette fameuse citation de Freddy Mercury "On est dans un âge d'or de la musique et il y aura un moment où la technologie deviendra tellement avancée que nous l'utiliserons pour faire de la musique de façon excessive, au détriment du talent. Alors la musique perdra son âme". Nous n'avons pas attendu l'intelligence artificielle pour le faire. Le formatage radio, la structure des refrains, le faible nombre des accords dans la musique pop s'accordent avec la prophétie de Freddy Mercury. Le caractère mécanique, orthodoxe, répétitif est en train de se substituer au talent. « Rapsodie » est le fruit d'un auteur, d'un compositeur et de plusieurs interprètes tandis que certaines chansons, prétexte au business, comptent huit auteurs et d’autres nombreux intervenants, uniquement pour répartir les droits d'auteur.

L'Intelligence Artificielle est arrivée et elle est créative. " L'intelligence artificielle peut-elle nous faire pleurer ?" La réponse est oui !

Je vous montre quelques réalisations que l'intelligence artificielle peut réaliser.

C'est une œuvre d'art qui a gagné un prix, devançant des peintres et des auteurs humains. L'artiste a donné quelques indications puis a fait un choix parmi les réalisations de l'IA.

     

 

Vous notez que l'IA est plutôt dans sa période surréaliste. La demande était "Dessine-moi un coucher de soleil violet et doré en mode aquarelle". Vous pourriez penser que cela a été peint par un humain ? Eh bien non ! C’est une machine qui l’a créé.

 

Nous pouvons aussi voir ce que fait l'IA dans la perspective émotionnelle. Pour savoir si l'IA peut nous faire pleurer, il faut se poser la question « Que sont nos émotions ? » Celles-ci sont représentées dans ce cône étalé.

Chaque case représente une émotion humaine. Par exemple, entre l'intérêt et la sérénité, vous avez l'optimisme. Les émotions sont des pensées « juteuses », une pensée va et vient tandis qu’une émotion reste. La pensée passe dans notre esprit tandis que l'émotion laisse des traces. Pour les yogis, elle est une pensée juteuse. Ainsi elle reste et peut être utilisée pour créer des effets artistiques puissants. La musique, d'ailleurs utilisée dans le cinéma, est formidable pour créer des émotions. D’ailleurs Sergio Léone sans Ennio Morricone, ça ne marche pas !

Demandons maintenant à deux experts de distinguer deux morceaux de musique joués par des humains, l'un est créé par une IA, l'autre par un compositeur. Les deux experts se sont faits avoir 09.45, le deuxième morceau leur a paru bizarre, "Il n'a pas pu être fait par une IA". En fait le premier composé par un réseau de neurones très puissant a créé quelque chose de seyant, qu'un humain peut confondre avec une composition baroque du 18ème siècle. L'IA va-t-elle pouvoir nous faire pleurer ? Nous pouvons nous poser la question de l'évolution de la composition. Bach est un pilier dans le réseau historique de la composition, il a fait la synthèse de toutes les formes de compositions de son temps. A partir de ce compositeur, nous voyons arriver le jazz qui devient son héritier culturel dans l’art du contre point. Sans Bach, le jazz n'aurait peut-être pas existé.

Comment crée-t-on quelque chose de triste ? En musique occidentale, il suffit de la passer en accord mineur. L'effet de tristesse est acquis, il n'est pas inné, il n'est pas mathématique, il relève d’une dimension de notre civilisation qu’en général on associe à des choses tristes. On croyait que la gamme diatonique, en Occident, était issue d'une harmonie mathématique absolue, en fait c'est beaucoup plus compliqué. Ce qui est une note discordante versus une note qui nous semble être juste est très largement acquis en neuroscience. Des spécialistes ont démontré que les harmonies sont acquises et que la musique stimule la mémoire. Dans les tribus et au sein de toutes les civilisations, la musique a toujours été utilisée pour créer une mémoire collective.

Parlons maintenant du baroque car il est très intéressant d'étudier le baroque du point de vue de l'Intelligence Artificielle. Baroque vient du portugais « baroco » qui signifie « perle difforme ». C'est un style artistique contraire aux règles classiques qui est jugé extravagant, voire de mauvais goût.

 

Cette perle est la plus grosse du monde, elle est estimée à plus de 90 millions de dollars. C'est une pure perle baroque, si gigantesque qu’elle n'aurait pas pu, avec une forme sphérique, entrer dans le bénitier qui l'a produite. Le pêcheur qui l'a pêchée n'avait pas idée de la valeur rangée sous son lit.

Le nom "baroque" a été donné à ce mouvement apparu après la réforme appelé « protestantisme aniconique » parce qu’il refuse les représentations divines du catholicisme ainsi que les icônes de l'église orthodoxe. Le baroque face à la réforme va se montrer excessif dans la représentation de Jésus, il faut que ce soit flamboyant. L'architecture baroque qui arrive après la peinture baroque, est contemporaine de Bach. La Fontaine de Trévise à Rome, de facture purement baroque, est de l'époque de Bach.

Elle est vivante, foisonnante, bouillonnante. Un autre exemple est la Fontaine des 4 Fleuves sur la place Navona : la symétrie occupe la partie haute, en bas ont lieu un foisonnement et une extraordinaire torsion des sujets, au point que les modèles obligés de prendre des positions impossibles souffraient de terribles crampes. A l'origine, l'obélisque égyptien, dressé, représentait l'éternité. A la Renaissance, l'éternité prendra la forme de la torsion et l'architecture baroque suivra cette voie.

 

Alors pourquoi, à propos de l'Intelligence Artificielle, je vous parle du baroque. Parce que la difformité est l'essence même du baroque. Si l’œuvre doit être générée par une machine, elle ne va pas être difforme, excentrique au sens mathématique du terme, c'est à dire éloigné du centre, et justement le baroque est excentrique. Par définition mathématique, il est éloigné du centre, il est une sphère déformée. Est-ce que l'IA peut produire ça ? La réponse est oui, nous le constatons avec des œuvres d'art.

L'opposé du baroque, c'est par exemple Le Colisée. Le Colisée offre un motif répété, c'est un bâtiment très modulaire, très symétrique aussi, c'est une ellipse, ultra fonctionnaliste, très mathématique.

Ici c’est la mosquée rose à Chiraz, l'art est islamique, c’est-à-dire sans représentation. Par contre les motifs se répètent. Ceci se retrouve de façon semblable dans l’œuvre de Bach, la répétition de motifs.

Le baroque est narratif, il raconte une histoire. Ce n'est pas une façade toute plate. A ce sujet, j'aime bien taper sur Le Corbusier. J’aime rappeler un projet qu'il avait pour Paris. Certains le prennent pour un génie, en fait c’était un grand malade, il voulait raser le centre de Paris pour y mettre quatorze tours cruciformes de 400m. Il n'y a pas d'émotion chez Le Corbusier, la façade ne doit dégager aucune émotion, les gens doivent se ranger dans des tiroirs. C'est l'anti baroque ! Quelles émotions vous évoque-t-il ? Ceci dit, ce n'est pas antinomique, une construction peut être fonctionnelle et dégager des émotions.

Dali a dit à propos du Corbusier "Ce sont les bâtiments les plus laids et les plus inacceptables du monde, la mort du Corbusier m'a rempli d'une joie immense, Le Corbusier était d'une nature pitoyable en travaillant le béton armé."

Nous pouvons faire une première synthèse de ce que nous avons vu.  Les laboratoires de recherche publics ont des budgets nettement inférieurs à ceux de Google, Facebook, etc. Le budget total du CNRS est de 6 milliards par an alors que celui de Google, rien que pour l'Intelligence Artificielle, est de 80 milliards par an, idem pour Facebook. Il y a dix ans, beaucoup de spécialistes vous auraient dit "Ce n'est pas possible". Aujourd'hui ça l'est dans les arts graphiques et demain ça le sera pour la musique. C'est le sujet de cette conférence.

Rappelons-nous que Bach aussi a perdu des prix dans des compétitions, en particulier avec les concertos brandebourgeois. Cela n’a pas empêché des gens qui avaient gagné de devenir des inconnus, seule l'Histoire avec un grand H tranche !

Le point commun de la musique et de l'IA est la mathématique ou la science de l'abstraction. Beaucoup de gens n'aiment pas la mathématique parce qu’elle est abstraite mais aussi parce qu'on a oublié de leur expliquer ce que l'on a abstrait au départ. Par exemple dans la topologie on a abstrait les cartes, en oubliant de montrer comment fonctionne une carte. L'abstraction est le chaînon manquant entre Bach et l'IA.

 

Le cas de l’actrice de cinéma Hedy Lamarr, est particulier. Inventrice géniale avec son ami le compositeur d'avant-garde George Antheil, elle a établi un principe de brouillage des signaux en décidant de créer des motifs qui ne se répètent pas ou des motifs imprévisibles, l'étalement de spectre par saut de fréquence pour mettre fin au torpillage des paquebots de passagers durant la guerre de 14/18. Une mesure est prévisible, elle est l'architecture de votre morceau. Le métronome ne change pas, lui aussi il est prévisible. Par contre quand il y a une syncopation, vous créez quelque chose d'imprévisible. De plus la syncopation favorise la mémorisation du morceau. Grâce à cela Hedy Lamarr a pu inventer sa technique de brouillage, par ailleurs à l'origine du Bluetooth et du Wifi.

Le cas de Joséphine Baker est tout aussi remarquable. Elle fut une grande résistance française aujourd'hui au Panthéon. Comme elle était célèbre, elle connaissait beaucoup de monde et avait facilement accès à des espaces confidentiels. C’est ainsi qu’elle a transmis l'emplacement de divisions allemandes dans le sud de la France.

 

Commençons notre deuxième partie. Au fond qu'est-ce que la musique ? D'où vient-elle ? A quoi sert-elle ?

Je montre ici une photo de Yann Arthus Bertrand, celle de flamants qui viennent d'arriver sur un site de ponte. Dans la nature, la musique a un côté clé - serrure. Parmi une telle quantité de flamants roses, il faut que les parents retrouvent leurs petits. Chaque chant a donc un caractère unique. C'est comme les gammes de fréquences dédiées à la radio, vous avez des ondes radio et chaque radio a sa propre fréquence. C'est la même chose chez les flamants roses, ils ont chacun leur fréquence.

Vous avez la même chose pour les baleines mais avec de très basses fréquences pour communiquer sur de très longues distances. Idem chez les éléphants via le sol. Les éléphants ont des « oreilles » dans les pattes, un organe acoustique avec des blocs de graisse en contact avec le sol. Ainsi ils communiquent à très longue distance, à basse fréquence. Dans la nature, la musique est la communication par le système clé - serrure.

La musique est la rencontre entre la biologie et les mathématiques. Mathématiques parce qu'il y a des fréquences, des codes, des motifs, des symétries. La biologie parce qu’il y a des émotions. La musique peut également évoluer pour des besoins de survie. Les oiseaux en sont un exemple. Les oiseaux chantent pour se reproduire, pour identifier un territoire. Les éléphants communiquent à longue distance pour éviter de se retrouver en même temps au même point d'eau. Les loups harmonisent leurs chants pour donner l'impression d'être plus nombreux. L'harmonie, au départ a une raison biologique, soit pour délimiter les fréquences des flamants roses, soit pour permettre aux loups de faire peur à une bande rivale.

Avec Bach, nous avons en général une harmonie. Nous aurons plus tard des symphonies qui utilisent leur opposé, la cacophonie (en grec, ce qui est moche).

La musique peut aussi être utilisée pour vous faire mal. La CIA a vraiment utilisé des musiques pour torturer des prisonniers comme à Guantanamo.

 

Je voulais vous montrer que nous pouvons représenter la beauté en étudiant son contraire qui peut être plus que la laideur, la douleur. La CIA et le FBI utilisent des cris de lapins qui se font égorger. La musique est le fruit de matières en vibration. Elles envoient un signal qui, dans la mesure où c'est une rencontre entre la biologie et la mathématique, peut être utilisé pour nuire à quelqu'un.

Le pire, le plus affreux de la musique, est l'utilisation de la musique comme arme. A l'armée, elle sert à donner du moral, du courage à quelqu’un. Sur un champ de bataille, les armées napoléoniennes ne pouvaient fonctionner sans musique. Celle-ci servait à transmettre des ordres pour charger ou pour battre en retraite. Prenons l’expression "Mon cœur bat la chamade". A l’origine, la chamade est le signal de la reddition d'une forteresse. Aujourd‘hui "Mon cœur bat la chamade" veut dire que je me rends à vous.

Blaise Pascal, qui s'intéressait considérablement à la musique, va laisser des influences avec Marin Marais, un musicien célèbre du grand siècle de Louis XIV, et avec Lully compositeur contemporain de Molière. En passant, rappelons-nous que Blaise Pascal a inventé la première machine à calculer, la Pascaline, pour aider son père comptable.

Revenons au motif. Le métier Jacquard et ses cartes perforées pouvait représenter n'importe quel motif sur un tissu.

Il était possible de créer des motifs très compliqués et de les automatiser. Ce fut une véritable révolution. L'homme se trouvait d'un coup remplacé par une machine. Il suffisait de confectionner la carte perforée qui est en fait l'ancêtre de l'informatique que nous connaissons aujourd'hui. Celle-ci utilise le langage numérique "0 ou 1", tandis que la carte perforée de Jacquard utilisait le principe "Trou ou pas de Trou".

Les motifs sont la mathématique de la musique mais c’est aussi valable dans la représentation en 2D de tissus. En Islam, les mosquées en faisaient grand usage puisque la représentation iconique est impossible, comme dans le premier protestantisme. Pour appeler le fidèle à l'élévation spirituelle, le baroque a pris le pas du mouvement de la représentation et d’autres écoles ont pris le pas de la fascination mathématique. En Turquie, le parchemin de Topkapi essaye de reprendre tous les motifs possibles.

 

C'est également très présent chez Bach qui a créé ce qu’on appellerait aujourd’hui des tutoriels ou des didacticiels. Le clavier de Bach est un objet d'études qui cherche à explorer tous les possibles. Nous avons déjà exploré tous les motifs du pavage du plan. Comment carreler un espace. En musique, nous l'avons aussi fait, nous l'appelons le "change rinding". Le but est de reproduire des motifs en créant toutes les combinaisons possibles, sachant qu'il faudrait 40 ans pour y arriver. Peut-être y-a-t-il des chaînes de gens qui se relaient pour créer tous les motifs possibles d'une composition musicale ? Ça fait beaucoup penser à Bach d’explorer tous les motifs possibles.

 

En mathématique, un compositeur s'est amusé à essayer de créer la musique des nombres premiers, c'est à dire un nombre qui n'est divisible que par lui-même ou par 1, comme 2, 3, 5, 7... Si l’on prenait un métronome qui bat toutes les 2 secondes, un deuxième qui bat toutes les 3 secondes, puis avec 5, puis avec 7, etc. A l'écoute cela devient chaotique, ce n'est pas harmonieux. Cela s'appelle la conjecture des nombres premiers jumeaux et la question est " Existe-t-il une infinité de nombres premiers arrivant l'un après l'autre ?" Comme 5 et 7 ou 11 et 13. La question n'est pas résolue aujourd'hui.   

 

Je vous ai montré le parchemin de Topkapi.  En fait, nous en avons découvert d’autres exemplaires au XXème siècle. Cela s'appelle un quasi-cristal. C'est un motif qui s’apparente à celui d’un papier peint. Le motif se répète et vous vous demandez où le motif commence et où il s'arrête. Si vous essayez de le faire avec un quasi-cristal, vous ne pourrez pas. Un quasi-cristal est un pavage, c’est-à-dire un carrelage qui ne se répète jamais.

Les nombres premiers sont organisés d'une façon très proche. Un grand physicien décédé récemment, Freeman J. Dyson a conjecturé que la combinaison des nombres premiers était entièrement codée par l’analyse de certains quasi-cristaux. Là vous voyez Roger Penrose qui a découvert des quasi-cristaux il a reçu le Prix Nobel de Physique. C’est lui qui a développé ce qu'on a appelé le Pavage de Penrose.

Les compositions de Bach et les compositions baroques cherchent à faire des pavages complexes, type parchemin de Topkapi. Bach va chercher l'entrelacs. S'il écoutait la musique d'aujourd'hui, il la trouverait très pauvre. La pop a très peu d'accords, contrairement au jazz qui crée énormément d'accords. Si vous entrelacez beaucoup d'accords, vous allez perdre votre audience. Ravel l'a très bien compris, il est capable d'une complexité incroyable, mais quand il fait le boléro, il n'y a qu'un motif qui se répète, se répète en montant en puissance.

Pendant des générations, les architectes intérieurs des mosquées ont essayé tous les pavages possibles. Quel est l'équivalence en musique ? Le mieux que je puisse vous donner, c'est le rythme des nombres premiers. La musique est la rencontre de la biologie et la mathématique. La biologie aime aussi la musique de combat, de guerre. L'idée de donner du moral à une armée, de transmettre des ordres, comme le joueur de cornemuse dans la première vague sur une plage de Normandie, tout droit sous le feu des mitrailleuses allemandes. Plus tard des prisonniers allemands ont dit "Nous n'avons pas tiré sur lui en pensant qu'il était devenu fou". Cela nous montre que la musique nous élève par les émotions, la spiritualité, l'adoration. Elle permet aussi de fédérer, de développer la mémoire et de nous donner du courage.

Je vous ai parlé d'Hedy Lamarr. Chronologiquement, elle suivait la découverte de Nikola Tesla, génie de la fin du XIX° siècle. Ce dernier aurait pu recevoir quatre prix Nobel et n'en n'a reçu aucun. Il est mort dans la misère alors qu'il a contribué à la propagation du courant alternatif et découvert les rayons X. Il disait de Marconi, prix Nobel "Laissez-le faire, il utilise quatorze de mes brevets".

Nikola Tesla avait fabriqué un petit bateau téléguidé. Il avait déjà réfléchi à la question du brouillage du signal qui lui permettait de guider son bateau. Il voyait ses inventions comme de la musique, comme des vibrations. Il avait des troubles obsessionnels compulsifs. Il était obsédé par trois chiffres 3, 6, 9, mais aussi par ce qui est divisible par 9. En base 10, un nombre est divisible par 9 si la somme de ses chiffres est divisible par 9. Par exemple, 27 soit 7+2=9, donc 27 est divisible par 9, 81 soit 8+1=9, donc 81 est divisible par 9. Il était obsédé par le 9, pour des raisons musicales, il disait "J'entends de la musique dans les compositions que je crée". Pourtant, ce n'était pas un compositeur.

Il y a eu la machine Enigma dont le décryptage par les alliés, en particulier par Alan Turing, a permis de réduire d'au moins un an, sinon deux, la seconde guerre mondiale. Là aussi il y a eu composition musicale. A propos du clavier, nous pouvons nous demander "Pourquoi les claviers sont comme ça ?" En fait c'est pour répartir la fréquence des lettres d'une langue sur tous vos doigts.

Ces questions de brouillage ont joué un rôle très important dans l'émergence de la Silicone Vallée. Elle s’est développée avec les Ham radio, c’est ainsi que l’on appelé les radios amateurs. Beaucoup de gens se sont installés en Californie pour ne pas être poursuivis par Thomas Edison. Évidemment celui-ci voulait protéger ses brevets, mais en cas de perquisition, les ingénieurs inventeurs pouvaient se retirer au Mexique, tout proche. La Silicone Vallée a beaucoup profité de ce mécanisme, en particulier pour toutes les questions liées à la radio. Les fréquences se faisaient avec des cristaux, il fallait utiliser le bon cristal pour avoir la bonne galène et la bonne fréquence.

Ici vous voyez deux étudiants de Stanford, trop brillants au goût de leurs profs "Vous êtes trop brillants pour rester à l'Université, vous devriez créer votre entreprise".

 

Ils s'appelait William Bill Hewlett et ‎David Packard et ont commencé avec des oscilloscopes dans un garage, maintenant considéré comme le berceau de la Silicone Vallée. Bien sûr, vous savez ce qu’est devenu HP !

Il y a la musique sous plein d'aspects, la dimension biologique que je vous ai montrée, le côté clé-serrure chez les flamants roses et le côté fréquences des guerres, la musique comme instrument de torture. Vient la grande question qui va nous amener au troisième volet de cette conférence. "Qu'est-ce qui se passera quand les machines auront la même compétence musicale que celles devenues expertes des motifs des tapisseries et des broderies ?" Dans quelle direction pourrons-nous aller ?

Vous venez d'entendre les Concertos Brandebourgeois, la candidature « foirée », rejetée et pourtant la plus belle artistiquement de l'histoire. Bach les a écrits pour obtenir un poste auprès du Margrave de Brandebourg, il a repris des compositions antérieures et les a ornées. Mais sa composition n'a jamais été ouverte. Ce que vous venez d'entendre est resté dans la bibliothèque du Margrave de Brandebourg pendant 120 ans et n'a jamais été joué. En 1850, une fois ouvert, cette œuvre est apparue géniale parce que c'était le summum du contre point chez Bach. On dit que ça swing, le swing est le contre point, l'after beat que Bach maîtrisait parfaitement. Le Margrave n'avait pas de musiciens pour jouer cela et a laissé de côté la composition. Peu de temps après, Bach devenait le Capper Master de Leipzig.

Ce concerto est maintenant dans l'espace. En 1977, les États-Unis ont lancé la sonde Voyager, l'objet humain aujourd’hui le plus éloigné de la Terre. A son bord il y a un disque en or avec des sons de la planète Terre comme un bébé qui crie, les concertos brandebourgeois… Cet échec professionnel de Bach s'est retrouvé dans l'espace tellement il est exceptionnel ! C'est là-dessus que je voulais terminer. L'IA, si nous l’utilisons bien, va être un véhicule pour explorer beaucoup plus de combinaisons. Au néolithique, un humain avec sa flûte en os ne pouvait pas explorer le contre point, ni des gammes complexes. Sa flûte n'avait que sept trous et le musicien n'avait pas trop de temps à consacrer à sa seule musique. De son vivant, son rayon d'action était très limité. Puis bien plus tard, est apparu le Piano forte avec son énorme diversité de sons et de combinaisons. Il a permis de voyager beaucoup plus dans le monde de la musique.

L'IA, si elle est correctement employée, va créer de nouveaux instruments. Elle pourra être programmée par des non informaticiens. Vous lui dites ce que vous voulez puis vous choisissez votre préférence. Hans Zimmer, le compositeur de la bande son du film Gladiator, dit "Sans Apple je n'aurais pas pu être le compositeur que je suis. La composition par ordinateur m'a aidé à comprendre car je m'ennuyais dans les cours de solfège classique".  C'est la présence de l'informatique qui lui a donné une nouvelle ergonomie. Cette nouvelle invitation lui a permis de composer et de dégager toutes sortes d’émotions pour créer les bandes originales de nombreux films.

L'IA va permettre à n'importe qui d'être compositeur, mais pas à n'importe qui d'être interprète. Elle permettra d’envisager un nouveau piano forte où chaque touche sera un motif, un motif évoluant, un motif improvisant, un motif s’harmonisant. Le motif qui se répète est mort. Mais l'IA qui comprend comment harmoniser, qui comprend comment improviser, pourra permettre demain avec une touche, de lancer un motif et c'est l'IA qui l'harmonisera avec le reste. Dans les concertos brandebourgeois c'est le génie de Bach qui produit cet effet canon parce qu'il a cette conception mathématique cristalline de la musique et une grande expérience.

Quand nait Bach, dans la même décennie, nait Barbe Noire. Ce n'est pas le fruit du hasard. L'aire de l'exploration commence avec Christophe Colomb, l'Europe redécouvre son passé. Les Vikings n'étaient pas conscients d'être allés en Amérique. Magellan a fait le tour du monde. Cet âge de l'exploration a créé toute une modernité. A proprement parler, il n'y avait pas de tradition instrumentale en Europe. Il y avait les troubadours dont le métier n'était pas valorisé au Moyen Age.

Cette aire de l'exploration va aussi amener une exploration intellectuelle. Bach est un explorateur des continents musicaux. Barbe Noire est l'âge d'or de la piraterie, c'est à dire la fin de l'âge de l'exploration. Les pirates ont essayé des utopies, des expériences démocratiques. L'exploration passe alors du géographique au politique. Ce n'est pas par hasard que l'on va droit à l'indépendance des États-Unis et à la Révolution française.

Si nous essayons de revenir aux origines de la musique instrumentale, nous pouvons considérer les lyres d'Ur en Mésopotamie faites en bois plaqué d'argent. Elles ont au moins 4500 ans. On en a retrouvé trois, entourées de onze femmes. Les circonstances de leur mort ne sont pas bien identifiées, l'une d'entre elles avaient ses mains sur une lyre. Les cordes sont faites en boyau, comme celle du luth-clavecin qu'utilisait Bach.

 

Voyons maintenant l'influence de Bach.

General Morton se présentait sur sa carte de visite comme l'inventeur du jazz. Il fut un compositeur ultra influent au XXème siècle. Quand les noirs ont commencé à produire d'excellentes compositions au piano, d'excellents right time, ils ont été reconnus par les vieilles familles blanches des États-Unis parce que le piano était un instrument intelligent. Contrairement au banjo, le piano était un instrument d'élite. Que les noirs puissent le maitriser servait l'idée d'égalité blancs-noirs. Il est sûr que sans le contre point de Bach, ce genre de musique n'aurait pas existé.

Ravel avait compris toute la diversité des motifs de Bach pour parler du chaos, en particulier dans la composition "Jeux d'eau" qui est l’une des plus difficiles à jouer. Peu de personnes connaissent ce morceau parce que sa fredonnabilité est très mauvaise contrairement à la musique pop. Celle-ci a peu d'accord comme d'ailleurs la musique de Sati.

Compte tenu de l'étendu de l'exploration faite par Bach, les compositeurs sont obligés d'aller encore plus loin, comme l'a fait Ravel par exemple. Il nous reste à explorer de nouveaux systèmes.

Quand l'IA aura exploré tout ce qui reste à explorer, bien qu’en fait c'est peut-être déjà fait… Des spécialistes de l'IA ont généré toutes les mélodies possibles, de taille plausible et ils les ont déposées dans le domaine public pour éviter les droits d'auteur. Des musiciens et programmeurs de l'Intelligence Artificielle ont essayé de générer algorithmiquement toutes les mélodies possibles. Cela nous amène à d'autres révolutions, une sorte de renaissance. Au début du XXème siècle, Karl Popper, grand philosophe des sciences, a dit "N'est scientifique que ce qui est réfutable". La théorie de la gravitation de Newton n’est scientifique que si un jour, un Einstein dit qu'elle n'est pas exacte dans certaines conditions. Elle n'est qu'une approximation, elle peut être rendue plus précise et peut être réfutée dans certains cas.

L'Intelligence Artificielle nous apporte peut-être une nouvelle définition de la science. "Serait scientifique, non pas ce qui serait contradictable, non pas ce qui serait testable expérimentalement, mais serait scientifique ce qui est absolument systématique, ce qui a exploré tous les possibles." Épuiser le champ des possibles, c'est ce que Bach a fait. L'IA va faire exploser tout ça, telle une Ferrari en comparaison à un vélo. L'IA peut générer des milliards de possibilités par seconde. Cela donne une petite idée de la fragilité de nos codes dits "secrets" pour protéger un accès sur notre ordinateur.

L'IA pourrait nous amener de nouveaux vaisseaux pour explorer tous les possibles dans tous les domaines. L'IA est un vaisseau combinatoire. Comme le bateau de Magellan, elle va explorer de nouveaux continents, mais beaucoup plus vite.

Ici vous voyez un pianocktail réalisé pour de vrai. C'est celui de Boris Vian qui était aussi musicien de jazz. Une entreprise en a fait une copie et avec les touches du clavier, plus quelques bouteilles, il est possible de confectionner des cocktails.

Il y a aussi des artistes qui ont piraté une machine à écrire pour faire du pointillisme. Chaque caractère est remplacé par une couleur. L'IA fait cela à la puissance un milliard, deux milliards, que sais-je, cela ne fait qu'évoluer. Soit elle le fera sans nous ou avec nous et nous aurons de nouveaux chefs d'orchestre qui dirigeront un philharmonique de deux milliards d'IA. Tout un chacun pourra être chef d'orchestre et faire de grandes compositions cosmiques. Encore faut-il que l'IA ne nous échappe pas. Nous devons rappeler que toujours, l'humain reste moralement, philosophiquement supérieur à toutes ses créations. L'humain fait de grandes choses mais l'humain n'a pas créé l'humain, il n'est pas une création humaine. Si nous considérons que l'IA est une espèce de chien surdoué, qui peut réaliser des tâches pour nous, un grand compositeur demain saura composer avec une meute d'IA.

 

Pour terminer, voici une photo des Noces de Cana de Véronèse, le plus grand tableau du Louvre, a été découpé, roulé, évacué pour échapper à la voracité nazie.

 

Les Noces de Cana comprend plusieurs autoportraits du peintre. Il est anachronique, la viole à bras n'existait pas du temps de Jésus. C'était fait exprès, Jésus est toujours là, il est immortel, il est toujours parmi nous, partageant notre époque. La viole à bras était le top de l'instrument de musique, le dernier cri des instruments de musique.

Nous sommes ensuite passés au luth-clavecin sur lequel les cordes sont pincées, puis au piano avec des cordes frappées par un marteau.

L'orgue avec ses différents claviers constituait un nouveau vaisseau pour la capitaine Bach. Les troubadours avec leur viole à roue ne savaient ni explorer, ni évoluer faute de moyen et de temps, faire des concertos était beaucoup trop difficile pour eux tandis que le capitaine Vivaldi, comme Bach, a su explorer de nouveaux continents. Vous donnez le piano-forte à Ravel, que Bach n’a pas connu, et vous voyez ce qu'il explore. Demain vous aurez une IA qui pourra être un vaisseau totalement différent.

 

Pour terminer je voudrais prendre ces vers de T.S Eliot, mon poète préféré, prix Nobel de littérature. Dépressif, il avait l’angoisse de la page blanche, n’arrivait pas à écrire. A un moment donné il a voulu se replonger dans la composition. C’est à lui que l’on doit la comédie musicale pour enfants « Cats ».

“Old men ought to be explorers

Here and there does not matter

We must be still and still moving

Into another intensity

For a further union, a deeper communion

Through the dark cold and empty desolation,

The wave cry, the wind cry, the vast waters

Of the petrel and the porpoise. In my end is my beginning”

 

« Tu sais les vieux hommes devraient être des explorateurs

Ici ou là, ça n’importe pas

Nous devons être fixe et fixe dans notre mouvement

Vers une autre intensité

Pour une union plus loin, une communion plus profonde

A travers l’obscurité et le froid et des désolations vides (c’est la peur de la plage blanche)

Le bruit de la vague, le bruit du vent, des vastes eaux

D’un coup le pétrel et le marsouin. Dans ma fin est mon début. »

 

Je revis la soirée (YouTube)

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière

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