j'adhère au cera

La liberté d’expression est-elle soluble dans la religion ou la démocratie ?

Compte rendu de la 58ème Rencontre du CERA du vendredi 15 mars 2013

Il s’est fait connaître du monde entier en perturbant le parcours de la flamme olympique des J.O. de Pékin en 2008. Protester contres les violations des droits de l’homme en Chine, c’était son dernier coup d’éclat à la tête de Reporters sans frontières, association qu’il a fondée en 1985 et qui marquera son combat pour « Ces journalistes que l’on veut faire taire » (Éditions Albin Michel, 2001). Robert MENARD ne transige pas avec la liberté d’expression ? Il en use, et diront certains en abuse, dans ses chroniques, sur RTL ou i>TELE, ou encore avec les titres provocateurs de ses deux derniers livres : « Vive Le Pen ! » et « Vive l’Algérie française ! » (Éditions Mordicus, 2011, 2012). Robert MENARD est un « empêcheur de penser en rond », comme le résume bien le site internet qu’il vient de créer www.bvoltaire.fr C’est donc son regard décapant et inclassable qui nous intéresse pour nous aider à décrypter le présent et anticiper l’avenir… Face au renouveau des intégrismes, peut-on limiter la liberté d’expression au nom de la démocratie ou de la religion ?

 

Présentation de Robert MÉNARD par Thierry ROLANDO

La première image qui vient à l’esprit en évoquant Robert, c’est Reporters sans frontières qu’il a créé. Mais auparavant, il a été l’homme des radios libres, amorce de la liberté d’expression et de la liberté des journalistes. C’est aussi « l’abominable homme du paysage médiatique », qui ne tourne pas dans le même sens que les autres. Pour cette raison, il a été évacué d’un certain nombre de grands médias télévisuels. Impertinent avec les puissants, il a commis des ouvrages qui ont fait polémiques, à commencer par « Vive Le Pen ! » et « Vive l’Algérie française ! » qui font le point sur le dogme admis et les vérités toutes faites. Il a une grande expérience des médias et de la presse, sait comment elles fonctionnent, peut donc nous parler en connaissance de cause du paysage audiovisuel et télévisuel français.

 

Robert MÉNARD

Merci d’avoir pris sur votre temps pour venir écouter quelqu’un vous parler des médias.

Ce matin, je discutais avec Dominique JAMET pour savoir quoi mettre à la une de demain sur Boulevard Voltaire, le site qu’on vient de lancer. On lisait aujourd’hui dans la plupart des éditoriaux que le pape était un réactionnaire, un conservateur qui s’interroge sur l’avortement, qu’il n’est pas trop favorable au mariage gay. On s’amusait de constater avec Dominique que ce qu’on finit par reprocher au pape, c’est d’être catholique ! Les éditorialistes voudraient un pape qui soit comme eux. Il y a un décalage monstrueux entre une caste politico-médiatique et les gens. 74% des gens pensent que la France telle qu’elle est décrite par la presse n’est pas celle qu’ils connaissent. Les journalistes ne parlent pas de ce que les gens vivent au quotidien. Finalement, on attend des médias qu’ils soient ce que les gens pensent.

Pour quelle raison entend-t-on cette attitude tellement critique ? Il existe toutes sortes d’explications.

La première, c’est que la presse française est souvent de mauvaise qualité. Si elle se vend mal, ce n’est pas seulement parce qu’il y a Internet, c’est parce qu’on mesure les approximations et les partis pris qui y règnent. Nous avons des débuts de réponses par rapport à ces partis pris. On accuse volontiers les propriétaires des médias. Pourtant, quand le soir, je regarde la télévision en passant d’une chaîne à l’autre comme font bon nombre de téléspectateurs, je n’ai pas le sentiment que les journaux soient si différents, que les menus proposés, les angles d’attaque et les présentateurs soient vraiment différents. Les variations sont dans la forme, dans l’ordre de traitement des sujets, sachant que les gens changent de chaîne lorsqu’ils entendant parler d’international par exemple. Les journalistes pourraient se dire que ce sont leurs patrons qui les obligent à dire ceci ou cela. Si ce n’est que TF1 appartient à Bouygues et qu’Antenne 2 appartient au service public et qu’on y voit la même chose. Ca ne suffit donc pas comme justification.
Deuxième explication, la pub ! En réalité, ses effets ne sont pas significatifs. Certains publicitaires peuvent demander qu’une page de pub ne passe pas après telle ou telle information mais c’est d’une portée marginale dans l’information politique, économique ou sociale. Cet argument ne fait que dédouaner les journalistes de leur responsabilité.

Troisième argument avancé pour expliquer cette désaffection à l’égard des journalistes et de la presse : on serait sous la pression des hommes politiques. Il m’est effectivement arrivé ce genre de mésaventure, comme le jour où Eric BESSON a téléphoné à Canal+ pour dire qu’il ne comprenait pas que je sois encore en poste après un interview qui ne s’était pas très bien passé. Mais ces circonstances restent marginales. Aujourd’hui, ce sont des rapports de séduction qui existent entre la presse et les médias. Aujourd’hui, un homme politique ne me menace pas, il m’invite à déjeuner. Le rapport de force n’existe pas dans le sens imaginé par la plupart des gens. Les journalistes ont plus de poids qu’un certain nombre d’hommes politiques. L’agenda politique est largement dépendant de l’agenda des médias auquel les politiques se raccrochent. La parution du Canard enchaîné, du Monde, du Figaro, du Parisien, etc. constitue une bonne partie de leur tranquillité ou de leurs angoisses. C’est se moquer du monde de dire que les journalistes sont contraints par les politiques.

Le problème que nous rencontrons est ailleurs. Les ennemis de la presse, les ennemis de la liberté d’expression, ce sont les journalistes. La théorie du complot qui dit que des forces manipulent les uns et les autres n’a rien à voir avec notre sujet. Ce serait tellement simple dans ce cas de couper les fils de la marionnette, on serait débarrassé une bonne fois pour toutes du problème. Le souci, c’est ce que les journalistes ont dans la tête. Ce qui me sautait aux yeux dans les rédactions où j’ai travaillé, c’est de voir à quel point tout le monde pense la même chose ! Et je ne vous parle pas seulement de politique mais de tout ce qui fait notre quotidien. Entre le flic et le voyou, on a le même coup de coeur pour le voyou, jamais pour le flic ! Entre le mauvais élève et l’institutrice qui gueule, on choisit le mauvais élève parce qu’il a mille raisons d’expliquer qu’il n’en fout pas une rame ! Systématiquement, l’immense majorité de la profession a les mêmes réponses aux questions. C’est même pire que ça. On n’interroge jamais un certain nombre de choses. Il va de soi que le mariage homosexuel va dans le sens de la modernité, et il va de soi que ce qui est moderne est mieux que ce qui se faisait avant. Je ne fais que des émissions de polémique, donc quand j’arrive dans les rédactions, je discute cinq minutes avec les uns et les autres sans participer vraiment, et je me souviens d’un jour où il était question de Luc CHATEL, qui était alors ministre de l’éducation nationale. Il voulait mettre en place des tests en grande section de maternelle. Levée de bouclier dans la rédaction contre ce projet insupportable de sélection ! Une ravissante journaliste me dit « j’espère que tu vas dénoncer tout ça ! » Je me tourne vers elle en lui disant que cette étape existe déjà pour les enfants de la classe supérieure. Et j’ajoute à l’attention de cette jeune femme qui a choisi de faire carrière « c’est vrai qu’avec les nombreux enfants que tu as, tu as une grande expérience de ces questions. Et sans avoir lu quoi que ce soit sur le sujet, en deux minutes, tu es en mesure de te faire une opinion sur le sujet et dire que ce projet est absolument scandaleux ! » Je tente de lui expliquer que ce n’est pas forcément une mauvaise chose de tenter de mettre en place des moyens d’identifier ceux qui ont des difficultés pour mettre en place des moyens de les aider. C’est sans doute plus constructif que cette posture idéologique qui consiste à ne jamais rien dire de personne, ce qui évite de se poser des questions. C’est ça le problème de la presse ! Je vais vous en donner une autre illustration. Il ne vous a pas échappé que nous avons élu il y a quelques mois un nouveau président, de gauche. A cette occasion, la célèbre et prestigieuse école de journalisme de la Rue du Louvre à Paris a organisé un vote à l’intention des étudiants. Pas une voix pour Nicolas Dupont-Aignan, ni pour Marine LE PEN, ni pour Nicolas SARKOZY. Que des gens de gauche… sur le papier… Personne ne vote à droite dans l’école qui forme les cadres de nos rédactions. Cà révèle un problème. Je dirais exactement la même chose si tout le monde avait voté à droite bien sûr. J’en parle au directeur de l’école qui me dit « il y en a qui votent à droite mais ils n’osent pas le dire ! » Vous vous rendez compte, ces futurs journalistes n’osent pas mettre un nom de droite de façon anonyme dans une urne. Ils sortent d’école où on leur dit qu’il est de bon ton de penser comme ci ou comme ça.

J’ai fait passer de nombreux oraux dans ces écoles. A chaque, fois, j’étais stupéfait d’entendre ce qu’ils aimaient comme films. Parce que Libé, Le Monde, Télérama aiment, ca doit être un bon film ! Moi, dès que Libé, Le Monde, Télérama aiment un film, je n’y vais plus ! Ce que je dis est également vrai pour les livres. Le problème de la presse, de son conformisme, de son esprit moutonnier, de ses haines successives, de ses exclusives, de sa capacité à chasser en meutes, assassiner puis réhabiliter tout le monde au même moment, c’est de la faute des journalistes, et pas seulement des éditorialistes. C’est un milieu qui vit en osmose avec les élites françaises. Ils finissent d’ailleurs dans les mêmes lits! Ce n’est pas anecdotique que notre chef de l’Etat vive avec une journaliste. Ca dit quelque chose et les gens le sentent. L’aversion des gens à l’égard des politiciens s’est étendue à l’égard des journalistes parce que c’est le même monde. Ils viennent des mêmes milieux sociaux, des mêmes horizons culturels. C’est ça qui pose problème.

Au sujet de la religion. Bouffer du curé dans les rédactions, c’est le minimum syndical. Si vous faites le carême aujourd’hui, c’est que vous êtes une bonne soeur ratée ! Personne ne se permettrait de tenir ce même propos sur le judaïsme ou l’islam ! On bouffe du curé mais pas d’imam ou de rabbin. Imaginez les femens, ces femmes aux seins nus qui sont allées mettre la pagaille à Notre-Dame, imaginez-vous qu’elles puissent se rendre à la Grande Mosquée de Paris ou à la synagogue de la rue Copernic ! Elles n’auraient pas fait 5 secondes. Ce que je veux vous dire, c’est que les indignations de la presse vont toujours dans le même sens. On défend toujours les mêmes personnes. En écrivant « Vive Le Pen », il ne s’agissait évidemment pas de faire une apologie. J’ai été lynché dans les rédactions. Cette réaction faisant la preuve de ce que je voulais démontrer. Certains sujets ne sont pas audibles. Le réflexe des journalistes a été pavlovien, Le Pen est un salaud. Karl Marx disait que l’idéologie dominante, ce sont les affirmations qui ne soulèvent pas de questions. C’est le cas dans les médias. Il y a un tas de sujets qu’on ne peut plus aborder. Je me suis fait virer de RTL du jour au lendemain parce que j’avais, au cours de l’émission polémiste « On refait le monde » animée par Christophe HONDELATTE, dit que j’approuvais un certain nombre de propositions du Front National, bousculant ainsi le ronron habituel. Il y a eu brusquement un grand silence, j’avais juste dit ce que l’on ne peut pas entendre. Sidéré par ma réponse, Christophe HONDELATTE me demande sur quelle proposition je suis en accord. Je lui réponds en avançant par exemple que je trouvais anormal, en récoltant 15 à 17% des voix, que ce parti ne compte pas un député, ni un sénateur. Et j’ajoute que c’est exactement la même chose pour les trotskistes qui font 7 ou 8%. Mes propos étaient donc hautement subversifs… Le lendemain de l’émission, la Société des journalistes de RTL et non les syndicats qui défendent les droits de la profession. (J’en profite pour pointer les avantages fiscaux des journalistes auxquels pas un parti, de droite comme de gauche, n’a jamais osé s’attaquer). La Société des journalistes de RTL donc, va voir la direction pour lui demander comment il est possible qu’elle fasse travailler quelqu’un qui ose dire ça ! Me concernant, ce n’était pas très grave, je me suis relevé, mais imaginez ce que ce genre d’attaque peut représenter pour des jeunes journalistes qui auraient la volonté de penser par eux-mêmes ou de penser en dehors des clous. Ils ne peuvent pas le faire parce que tout est piégé, les mots sont piégés.

Dans notre métier, il y a un sujet récurrent qui concerne le prénom des protagonistes dans les cas de faits divers ? Comme il y a beaucoup de Mohammed et d’Ali, ça peut poser des problèmes. Dans les rédactions, on ne donne pas les noms. Ce qui amène les gens à se dire qu’on leur cache des choses. Ils pensent ainsi volontiers que les auteurs de faits divers sont nés au Maghreb ou en Afrique. Sous prétexte de ne pas dire les choses telles qu’elles sont, on stigmatise tout le monde et on en arrive à des absurdités ! Et c’est impossible d’en discuter avec la plupart des journalistes qui pensent qu’ils incarnent la vérité et le bien. Un jour, j’ai croisé Audrey PULVAR au cours de l’interview de je ne sais plus quelle personnalité venue parler des droits de l’homme. J’avais parlé des noirs et des arabes. Audrey PULVAR, avec qui j’entretenais des rapports corrects, me tombe dessus en régie en me disant « Comment peux-tu dire noirs et arabes ? » « Que veux-tu que je dise à la place ? » lui rétorque-je. « Tu dis maghrébins. » me dit-elle, et à mon tour « C’est un problème, car si je dis maghrébins de Syrie, ce sera un peu étonnant… » Vous avez compris ce que je cherche à vous dire. On finit par ne plus parler des sujets qui touchent les gens au quotidien, et on utilise des mots que les gens n’utilisent pas. C’est comme le terme de « fillemère », on l’a remplacé par « famille monoparentale », est-ce que ça a changé quelque chose ? C’est en cela que les mots sont piégés. On va retirer le mot « race » de l’article premier de la Constitution, pensez-vous que ça va changer quelque chose au racisme ? Le réel finit toujours par vous exploser au visage ! En France, on a les lois les plus drastiques en ce qui concerne les mesures antiracistes, mais dans les faits, ça ne change pas grand-chose. On est dans un pays voltairien essentiellement le jour de l’épreuve de français du bac. Vous avez de fortes chances de vous retrouver avec le sujet « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » Tout le monde est évidemment pour la liberté d’expression, oui… avec un mais… Notre monde médiatique a intégré ces règles. On aime le débat mais entre gens convenables. On aime la liberté d’expression de ses amis.

Un jour, j’enregistre pour Canal+ une émission avec Bernard LUGAN au sujet de la Libye. Le directeur des programmes me convoque le jour précédant la diffusion de l’interview pour me dire que mon émission ne passera pas. Je l’interroge alors pour savoir s’il a lu des livres de Bernard LUGAN. Ce qu’il n’avait jamais fait. Il n’avait même pas vu l’émission, m’assénant « Je sais ce qu’il est capable de dire ! » J’ai eu beau monter dans la hiérarchie, l’émission n’est pas passée. Ca va de soi que Bernard LUGAN n’a pas sa place dans les médias.

Autre anecdote. Vous vous souvenez de l’épisode de Charlie Hebdo passé en correctionnelle pour avoir publié des caricatures de Mahomet. Le jour du procès, j’étais présent, évidemment convaincu du droit de Charlie Hebdo à publier ces caricatures. C’était le lieu le plus mondain de Paris. Toutes les grandes consciences étaient là, scandalisées et bien décidées à défendre la liberté de la presse ! Quelques temps plus tard eut lieu de procès du camarade ZEYMOUR. Eric m’appelle et me demande si je peux être son témoin de moralité. J’accepte. Le jour venu, je constate que nous avons perdu la moitié des troupes. Toute la gauche était partie. L’ambiance restait mondaine mais tendance UMP avec quelques intellectuels de droite – même si pour être intellectuel, il est préférable d’être de gauche… Un peu plus tard se déroule le procès de DIEUDONNE. Même chose, il me demande d’être son témoin de moralité. J’accepte et me rends au tribunal. Seul ! Il y avait l’avocat qui défendait DIEUDONNE, l’avocat qui le poursuivait, et moi. Vous comprenez ce que je trouve désolant dans cette histoire. Je ne partage pas les opinions de Charlie Hebdo, je ne partage pas un certain nombre d’opinions d’Eric ZEYMOUR, je ne partage pas les opinions de DIEUDONNE mais je me bats depuis 25 ans pour que tout le monde puisse s’exprimer, pour préserver la liberté d’expression.

Chacun en France a son petit espace de choses qui ne doivent, ne peuvent pas être dites. En réalité, nous sommes dans un pays qui dit aimer la liberté, mais qui ne l’autorise pas. Il y a aux Etats-Unis une organisation un peu semblable à la Ligue des Droits de l’Homme, l’UCLA. Cette organisation avait manifesté à Détroit parce que la mairie de la ville avait décidé d’interdire une manifestation du Klu Klux Khlan. Aux Etats-Unis, personne n’était choqué que ces fous furieux puissent s’exprimer. Ils devaient pouvoir s’exprimer et ensuite, on combattrait éventuellement ce qu’ils avaient à dire. Interdire des propos tels qu’ils soient est stupide. Surtout à l’ère d’Internet. C’est le meilleur moyen de susciter la curiosité et de mettre ces sujets en exergue. Aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant de révisionnistes et de négationnistes que depuis la loi GAYSSOT qui qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité. Cette situation atteint des proportions stupides. Quand on voit par exemple François HOLLANDE se rendre dans la maison de l’esclavage située sur l’île de Gorée lors de son déplacement à Dakar, dans un endroit où précisément, il n’y a jamais eu d’esclavage. Quand on est Chef de l’Etat, on ne raconte pas des choses fausses. Il n’y a pas eu un journaliste pour remarquer ça.

« Vive l’Algérie française », c’est pareil. Ni Thierry ROLANDO ni moi-même ne pensons que nous allons rétablir la France en Algérie bien sûr, mais nous voulions pointer la façon hémiplégique dont l’Histoire est racontée. Je ne demande pas aux gens d’adhérer à mes idées, je veux qu’on comprenne que nous sommes dans un pays dans lequel on ne peut plus faire entendre un point de vue. Quel que soit le sujet. On est dans une société où l’on ne peut pas faire état de ce que l’on pense sous peine d’être menacé ou banni.

Ce ne sont pas les affreux politiques ou les patrons de presse, ou le grand capital ou les agences de publicité qui vous obligent à penser comme ça. Quand j’étais patron de Reporters sans frontières, Daniel PEARL avait été égorgé par des fous furieux au Pakistan parce qu’il était américain, journaliste et juif. Il y a eu un très bon film tourné sur ce drame avec Angélina JOLY. Comme je me suis battu pour dénoncer ces faits, j’ai été invité à New-York pour la sortie du film. Marianne PEARL, la femme de Daniel PEARL était présente. Toute une campagne était menée à ce moment-là contre le film car dans une scène, on voit la police pakistanaise torturer un certain nombre de gens qui appartenaient à la famille des ravisseurs, pour leur faire avouer où ce dernier se trouvait. Evidemment ce ne sont pas de bonnes méthodes. Et l’on voyait la CIA assister à ces événements sans s’y opposer. Il y a donc eu une levée de bouclier contre ce film qui faisait soidisant l’apologie de la torture. Angelina JOLY, qui incarnait Marianne PEARL, ne dit rien dans le film alors qu’elle est au courant de ces tortures. Il se trouve que Marianne PEARL, très éprouvée, était enceinte lors des faits. Qui peut lui reprocher son silence ? Qui pouvait lui faire une leçon de morale ? J’ai expliqué sur les ondes que je comprenais son silence. Le lendemain dans la presse, on lisait : « Le patron de Reporters sans frontières justifie la torture ! » On regrette le temps où l’on réglait ce genre d’affaires en duel ! C’est cette certitude qu’ont les journalistes d’incarner le bien qui est insupportable. Car lorsque vous n’êtes pas d’accord avec eux, vous êtes du côté des salauds, forcément ! Les médias ont besoin de deux camps, et les journalistes sont dans celui du bien. J’en suis exaspéré parce que le monde est un peu plus compliqué que ça.

 

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Extraits des questions-réponses :

Poursuivant votre propos, je voudrais citer le cas du pape François qui est jésuite. Apparemment pour les journalistes, qui de disposent pas, pour la plupart, d’une grande culture religieuse, cette particularité semble suspecte.

Vous avez raison, cette propension à parler sans savoir, cette grande ignorance des choses me pèse terriblement. On tombe à la renverse en entendant les clichés employés. Concernant le pape, vous avez entendu comme moi le nombre de pronostics avancés sans savoir avant son élection. Ils se sont plantés sur toute la ligne !

 

J’aurais souhaité vous entendre sur le bon usage de la présomption d’innocence.

Le journalisme d’investigation, qui fait souvent fi de la présomption d’innocence, s’appuie en réalité, non pas sur des enquêtes mais sur les sources fournies par tel juge d’instruction ou tel avocat de la défense ou telle partie civile qui donnent des informations à des journalistes parce qu’ils ont intérêt à les donner, pour alimenter leur notoriété personnelle. Les infos tombent au cul du camion judiciaire.
Concernant la présomption d’innocence, les journalistes oublient qu’elle existe. Je pense que les médias n’ont aucune morale et que la concurrence a des effets terrifiants. L’obsession de i>TELE que je connais bien, c’est d’espionner ce que fait BFM ou LCI. Les nouvelles sont faites par les infos données par les autres. Je ne vois pas comment on peut combattre le viol de la présomption d’innocence. Dès que vous accuserez un média de ne pas la respecter, il y aura un tollé de part et d’autres parce qu’on dira que vous menacez la liberté de la presse !

 

Le constat que vous faites est-il spécifique à la France ?

La presse française, à la différence de la presse allemande ou anglo-saxonne, n’est pas née de l’industrie. En France, la presse est née à l’ombre du pouvoir politique. L’éditorialiste est le roi. En Allemagne par exemple, c’est différent, on vend de l’information, on produit un journal comme on construit des routes ou des bâtiments.
Par ailleurs, la presse en France dans la seconde moitié du XIX° siècle, est une presse d’intellectuels. C’est ZOLA qui mène l’Affaire DREYFUS, c’est Victor HUGO qui se dresse contre Napoléon III. Là encore, on est très loin du modèle anglo-saxon ou allemand.
Puis au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour punir ceux qui avaient collaboré, on donne la presse à des mouvements de libération qui découlent de tel ou tel mouvement politique. La presse est alors hyper politisée et ça reste. Les anglo-saxons ne fonctionnent pas de cette manière. La presse est colorée politiquement certes mais différemment.
Enfin, la presse française est une presse pauvre qui favorise l’éditorial plutôt que l’enquête, parce que ça coûte beaucoup moins cher. Il suffit de voir que Le Monde emploie 200 journalistes alors que le Times aux Etats-Unis en emploie 2000 !

 

On a bien compris que vous n’aimiez pas la propagande, les idées reçues, le matraquage intellectuel, la pensée unique, etc. Vous incriminez une intention qui serait celles des instances dominantes du moment, le pouvoir. On constate donc une intention infantilisante de la part de ce pouvoir. Pensez-vous qu’il puisse exister une société dans lequel n’apparaîtrait pas une instance dominante de ce type ? Si c’était le cas, n’assisterait-on pas à une forme d’anarchie ?

Comprenez-moi bien, je ne pense pas qu’il y ait de marionnettistes ou d’intentions cachées. Il y a un fonctionnement naturel de consensus dans les médias, une hégémonie culturelle d’un certain nombre d’idées qu’on retrouve à l’intérieur des médias. Globalement, la droite française a perdu sur le terrain des idées. Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET donne l’impression de s’excuser d’être de droite. Il faut aujourd’hui s’excuser de penser un certain nombre de choses, de poser certaines questions, de ne pas penser immédiatement comme les autres, de ne pas être toujours du côté du manche !
J’ai beaucoup de mal à imaginer une sortie de cette situation. Mon constat est très pessimiste, ne laisse guère de place à une alternative. L’alternative ne peut pas être Internet qui ne suffit pas à contrebalancer ce que je vous décris. Ce soir à 20h, il va y avoir comme d’habitude entre 8 et 12 millions de téléspectateurs qui vont regarder les deux principaux journaux télévisés.

Ce n’est pas les pouvoirs politiques qui sont à l’origine de ce que sont les médias en France. Ce sont les journalistes qui en sont les principaux responsables. Tout le reste, ce sont des arguties pour éviter cette terrible question de savoir comment on en est venu là. Dans notre pays, les journalistes bénéficient de quelque chose de formidable. Il s’agit de la clause de conscience qui nous permet de démissionner sans les conséquences que toutes les autres professions connaissent. Or presque aucun journaliste ne démissionne des médias. Combien de journalistes passent de médias dits de gauches à des médias dits de droite sans aucun problème !

 

On a entendu tout le bien que vous pensez des écoles de journalistes. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de notre Ecole Nationale d’Administration ?

Dans le site d’informations que nous venons de créer avec Dominique JAMET, il y a une centaine d’éditorialistes d’horizons très différents. Cinq sont énarques. Ils écrivent sous des pseudos, et ils ont raison mais c’est tout de même le symptôme d’un problème.
L’ENA, ce n’est pas un problème en soi, ce qui nous intéresse, ce sont les gens qui y sont, pourquoi ils y sont et la façon qu’ils ont d’entrer dans le moule. Les cinq énarques qui travaillent pour moi pensent « à côté ». Je ne fais pas l’éloge de penser à côté, je demande juste ce droit. Il me paraît plus constructif de débattre avec ceux dont on ne partage pas l’opinion plutôt que de les menacer de diffamation.

 

Peut-on imaginer qu’un jour on puisse revenir à une presse d’opinion comme à l’époque de Clémenceau ? Quel serait aujourd’hui le sort réservé à une affaire similaire à l’affaire DREYFUS dans notre environnement médiatique ? Par ailleurs, que pensez-vous des acquisitions de Bernard TAPIE et comment vont réagir les journalistes ?

Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’aller dans la rédaction de Bernard TAPIE ! Mais je ne sais pas s’il est pire d’aller travailler pour ce groupe plutôt que pour le groupe HERSANT ou celui de DEFFERRE. Je ne sais pas comment vont réagir les journalistes aux postures de Bernard TAPIE, mais ce que je sais, c’est qu’en ce moment, il fait froid dehors pour tout le monde. De la même manière que les gens de Goodyear ont peur de perdre leur emploi, la crise de la presse est telle que les journalistes sont dans une situation de grande vulnérabilité. En plus, la presse est squattée par le Syndicat du Livre qui fait la loi de manière absolue et sidérante. Pour vous donner un exemple, dans les imprimeries, on ne peut pas employer quelqu’un qui n’a pas été présenté par le Syndicat CGT du Livre ! C’est la sidérurgie des années 70 ramenée au niveau de la presse. On a peut-être une carte à jouer avec Internet puisqu’on évolue dans un monde différent.
Lancer un quotidien aujourd’hui, c’est absolument inenvisageable. Vous ne trouverez déjà pas une banque qui vous prêtera de l’argent ! Mais on a Internet qui permet de s’adresser à tout le monde. Il y a entre 300 et 500 000 personnes qui lisent Boulevard Voltaire chaque mois, alors que nous existons depuis 4 mois. Ce n’est pas rien ! Mais la presse écrite pour moi est morte.

 

Concernant l’AFP, qui est une institution en France, le fait que la source d’informations soit la même pour tout le monde n’est-il pas aussi à l’origine de cette pensée unique ?

Non, ce n’est pas vrai. Je vais vous donner un chiffre. 90% des dépêches de l’AFP ne sont reprises par personne. Les journalistes n’utilisent que 10% des informations de l’AFP, et ceci à l’échelle mondiale ! Ce qui traduit un manque terrible de curiosité.
La faute repose aussi sur les consommateurs de médias. Beaucoup de gens se plaignent de la piètre qualité des médias mais ARTE fait moins de 0,5 points d’audience au journal de 20 heures. On vendu plus d’hebdos people que d’hebdos sérieux en France. Ca dit quelque chose ! Mon pire censeur quand je suis à la télé ou à la radio, c’est le public. Lorsque l’on choisit les thèmes traités sur Boulevard Voltaire, je sais d’avance ce qui va intéresser et ce qui ne va pas intéresser les gens. Dès qu’il y a les mots Islam, musulmans et homosexuel, on fait un carton ! On a écrit des pages et des pages sur l’élection du pape François, chef spirituel d’un milliard, deux cents millions de chrétiens, il ne paraît pratiquement rien sur la désignation du président chinois, à la tête d’un milliard trois cents millions de personnes ! Soit vous êtes complètement suicidaire, soit vous fournissez ce qui plaît. Une entreprise de presse, c’est une entreprise avant tout.

 

J’aimerais que l’on parle du pouvoir des journalistes sur les politiques. Il y a déjà 200 ans, Napoléon disait « Je crains plus 10 journalistes que 100 000 baïonnettes ».

Après avoir dit ça, Napoléon a imposé une censure terrifiante, réglant ainsi le problème définitivement. Les rapports entre les médias et les hommes politiques sont en train de changer. Le rapport de force n’étant pas forcément au profit des politiques. Vous avez sans doute vu les 25,5% de voix en faveur de Beppe GRILLO en Italie. Il a interdit à toutes les télévisions de venir à ses meetings. Ici, nos hommes politiques se damneraient pour que ces mêmes télévisions viennent. Il n’y a pas eu une déclaration ou une image de lui pendant toute la campagne et il a fait un score étonnant. Ce qui prouve que les gens en ont assez de ces jeux médiatiques. Ils ont bien compris que ce sont les mêmes qui se cooptent, qui sortent des mêmes milieux, dînent ensemble, passent leurs vacances ensemble. Beppe GRILLO a parié et gagné là-dessus. On a vu BAYROU, MELANCHON, DUPONT-AIGNAN menacer les journalistes. Rien n’est plus populaire pour un homme politique que d’envoyer balader des journalistes à l’antenne. Peut-être que les choses bougent. La peur qu’inspirait la presse aux patrons et aux hommes politiques est peut-être en train de voler en éclats. La montée en puissance d’Internet, l’exaspération, la montée du populisme que notre univers politico-médiatique vomit tous les matins fait peut-être bouger les lignes. J’espère ne pas être trop optimiste.

 

Charlie Hebdo a le droit de publier des caricatures, cela va de soi. Votre propos est d’interroger ce qui va de soi. Quand la provocation est gratuite et volontairement offensante, a-t-elle encore un intérêt ? Une liberté d’expression sans limite ne devient-elle pas oppressive, un extrémisme de la liberté ?

Quand il y a eu des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, on m’a posé exactement la même question à trois reprises. Charlie avait le droit de le faire. Est-ce que je l’aurais fait ? Non. Il faut laisser le droit de le faire, mais il faut avoir la jugeote de ne pas le faire. Je comprends que l’on soit sincèrement troublé voire choqué par la parution de ces caricatures blessantes qui n’apportent rien et en même temps, je veux pouvoir dire que l’Islam est une religion qui me pose un certain nombre de questions parce que cette religion est incapable de faire la différence entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public. Certaines de ces caricatures étaient horribles et portaient des messages totalement faux. Comme si l’Islam rimait avec terrorisme. C’est stupide. Mais je comprends la peur d’un certain nombre de gens par rapport à un certain visage de l’Islam et notre incapacité à intégrer un certain nombre de musulmans.
Il y a des limites que je m’impose, mais je ne peux pas admettre que ce soit l’Etat qui décide de ce que je peux dire et de ce que je ne peux pas dire. Où se situe la frontière de ce qui est acceptable ? C’est très difficile à dire. J’ai publié certains textes, je n’aurais peut-être pas dû. Je ne sais pas.

 

Toujours au sujet de la peur que les journalistes font peser sur les politiques, j’ai le sentiment que la gente féminine journaliste s’acoquine de plus en plus avec les politiques. Ce mélange des genres n’aurait-il pas une incidence sur la qualité journalistique française ?

Ce n’est pas la seule explication mais ça dit quelque chose de la proximité et de la fascination des femmes pour le pouvoir, qui est très aphrodisiaque. Je connais des journalistes qui me disent « Moi je couche utile » ! La promotion canapé, ça existe. On voit régulièrement dans les rédactions des stagiaires qui se posent la question de savoir avec qui coucher pour être embauchées. Quand Audrey PULVAR disait qu’elle était la maîtresse d’Arnaud MONTEBOURG, ça posait un problème. Ce qui m’exaspérait, c’était surtout qu’elle affirmait avoir un regard distancié sur les choses. Cette proximité, ces rapports incestueux, ont fait des ravages dans l’opinion publique. Valérie TRIERWEILER couvrait l’actualité politique pour Paris Match, la plus grosse vente d’hebdomadaires en France, et elle couchait avec le patron du parti socialiste ! Aux Etats-Unis, cette situation serait inenvisageable.

 

Le pouvoir de la presse est inversement proportionnel à notre capacité de tout absorber comme des éponges et de ne rien dire. Il y a quelques années, François MITTERAND avait une compagne qui vivait sur le budget de l’Etat, la presse s’était tue. Concernant François HOLLANDE, il s’agit à peu près de la même affaire. On n’a pas tardé à tailler un costume à Nicolas SARKOZY lorsqu’il a aidé son fils à monter dans la société. On continue de parler de la Première dame de France alors qu’il s’agit, comme l’ont dit les Américains, de la Première girl friend. Je pense que nous acceptons les choses sans rien dire.

Absolument ! L’histoire de Mazarine, ce n’était pas une affaire privée. Quand vous êtes chef de l’Etat, le fait d’avoir un « deuxième bureau » comme on dit en Afrique, qui vit aux frais du contribuable, est contestable. La presse, en ne le disant pas, faisait le contraire de son travail. Les journalistes étaient au courant, ils ne le disaient pas au nom du sacro-saint respect de la vie privée, notion assez élastique dans la presse… Le respect de la vie privée est une hypocrisie monstrueuse. En même temps, je comprends qu’elle doit être respectée, mais il est évident que quand vous êtes un personnage public, votre sphère privée diminue, vous n’êtes plus une personne ordinaire. Ces informations pouvant être utilisées par des personnes malveillantes, issues notamment des puissances étrangères.

Une plainte vient d’être déposée contre Valérie TRIERWEILER qui bénéficie de toutes sortes d’avantages sans avoir aucun lien juridique avec François HOLLANDE. Ils ne sont même pas pacsés. Le lien sentimental ne suffit pas. Dans ce cas, on pourrait imaginer qu’un chef de l’Etat entretienne un jour 3 maîtresses. C’est évidemment une provocation mais là encore, ça veut dire quelque chose.

 

Vous nous avez parlé de Charlie Hebdo, que pensez-vous de Médiapart ?

C’est désolant de voir ce qu’est devenu le journalisme d’investigation ! Il s’y trouve de bons journalistes mais le ton en est tellement haineux, cette presse est dans le complot permanent. Edwy PLENEL n’a pas un bon comportement. Cette inquisition me fait peur. Je n’ai pas envie que tout soit soupçonnable, qu’on voit toujours le côté le plus sordide des choses. Il a le droit de faire ce qu’il fait mais ce n’est pas ce que j’ai envie de faire.

 

La langue de bois est-elle une langue française ? Comment apprendre à la reconnaître et quels ouvrages nous conseillez-vous à ce sujet ?

C’est un sujet orwellien ! Le vocabulaire que vous ne pouvez pas employer ou les mots qui permettent de ne jamais dire les choses telles qu’elles sont…
J’avais lancé une revue trimestrielle qui s’appelait « Médias ». On y publiait régulièrement la langue de bois de l’année, parce qu’elle change, il y a des modes ! Il y a des mots qu’on ne peut plus employer, comme arabe ou noir, c’est devenu moins politiquement correct que des grossièretés. Employer le terme « technicienne de surface » à la place de « femme de ménage », qu’est ce que ça change à son statut ? Rien. Les mots sont piégés. Dans les médias, vous tournez toujours autour du pot pour parler !

Je ne sais pas si c’est une spécialité française.

 

Que fait-on ? Comment attaque-t-on le problème ? Un moyen ne serait-il pas de ressusciter des COLUCHE ou des Thierry LE LURON ?

Non, je pense qu’il n’est pas question de laisser l’impertinence aux humoristes. Elle doit rester dans les rédactions. Et elle ne doit pas occuper la place des « 5 mn d’impertinence » de telle ou telle station. L’impertinence doit trouver sa place dans chaque interview quand votre interlocuteur ne répond pas à votre question par exemple. A la Maison Blanche, j’ai entendu un journaliste poser 17 fois la même question ! En France, ce n’est malheureusement pas possible.
Il faudrait peut-être créer une nouvelle école de journalisme. On y songe. Mais il ne faudrait pas que ces journalistes soient privés de carrières sous prétexte qu’ils viennent de cette école.
Une autre réponse, c’est Internet. C’est là que se situe un espace de liberté. Le problème, c’est qu’il y a n’importe quoi. Des informations totalement farfelues ou carrément fausses 9 fois sur 10.
Il faudrait en réalité un grand coup de balai parce qu’on n’en peut plus de voir les gens malheureux, le chômage augmenter. Les entreprises ont le sentiment que le pouvoir ne les aime pas, etc. Et les médias sont un frein à ces changements politiques au sens large.

 

Existe-t-il un journal, une rédaction qui échappe un tant soit peu à cette analyse ?

Il faut lire toutes sortes de presses, mais c’est mon métier de lire beaucoup, pas le vôtre. Il y a des choses intéressantes. « Causeur » par exemple, animé par Elisabeth LEVY est certainement le mensuel intellectuel le plus intelligent en France aujourd’hui. Le plus inattendu. La plupart des politiques, vous pouvez terminer leurs phrases tellement on connaît leurs discours. Vous avez compris que ce que j’aime, ce sont les gens inattendus qui m’incitent à penser, c’est-à-dire à penser contre moi-même, à me remettre en question. Je n’ai pas envie de lire un miroir. Je me régale d’interviewer des gens qui me choquent, qui me poussent à m’interroger. La fonction de la presse, c’est aussi de mettre le lecteur mal à l’aise. La bonne presse, c’est celle qui me trouble. La plupart du temps, quand je lis Libération, rien ne me surprend. J’ai envie de quelque chose de moins manichéen.

 

Stéphane HESSEL proposait de s’indigner. On a toutes les raisons de le faire. Je pense que la presse est responsable d’un certain nombre de choses. Hormis sur les chaînes parlementaires, on n’a pas entendu parler des faits suivants. Il y a un mois au Parlement européen, deux députés, dont un anglais, ont apostrophé François HOLLANDE sur la politique française vis-à-vis de l’Europe. Tout ce qu’elle réclame pour elle et tout ce qu’elle ne respecte pas. C’était vraiment important de relayer cette information !
Il y a quelques jours, un nouveau pape a été appelé à régner. La presse, presque à l’unanimité, à honoré le pape, le sourire aux lèvres. Le lendemain, les présentateurs ont parlé de ce même événement à l’inverse. C’est à nous de nous indigner, on doit dire ce que cette presse a de choquant dans cette façon de nous imposer sa façon de voir les choses !

Vous avez raison, on doit le dire. C’est une vraie piste. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point les médias sont sensibles à ce que vous dites. Il y a déjà très peu de gens qui se manifestent, qui écrivent. Et ces témoignages pèsent au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer ! On reçoit beaucoup de courriers relevant d’actions de lobbying. 300 lettres d’Arméniens qui trouvent par exemple que vous n’avez pas assez parlé de la loi qui proposait de criminaliser les gens qui niaient le génocide arménien de 1915. Mais des gens qui prennent leur plume pour se plaindre de telle ou telle chose, ça a un vrai effet dans les rédactions. Ca monte souvent jusqu’au PDG !

 

Qui influence qui entre médias et opinions ? Qui fait l’oeuf, qui fait la poule ? Je pense par exemple au thème du mariage gay ces temps ci.

Je ne sais pas si la question se pose en ces termes. Les médias rêvent bien sûr de peser sur les opinions.
Globalement dans les rédactions, sur le sujet que vous venez d’évoquer, le premier mot critique sur le mariage gay vous vaut l’étiquette infâmante d’homophobe, évidemment. Mais en même temps, les médias sont faits par des gens qui sont le produit de cette société. Ils sont issus de nos familles. Les jeunes journalistes sont nos enfants. Alors je ne sais pas quoi vous répondre ? Faut-il casser l’oeuf ou tordre le cou de la poule ? Je ne sais pas.

 

Vous nous avez beaucoup parlé des mots, assez peu des images. Pour ce qui est des journaux télévisés, il me semble que le décalage apparaît souvent entre les mots et les images. L’image est un moyen très subtile et majeur d’influencer la réflexion de celui qui écoute et qui regarde. Qu’en pensez-vous ?

C’est parce que nous n’avons pas eu l’occasion d’en parler mais c’est un sujet important. A la télévision, votre commentaire pèse tellement sur la perception de l’image que vous pouvez lui faire dire absolument n’importe quoi. C’est pour cette raison que je préfère la radio. L’image parasite tout, l’écoute n’est pas la même.

 

Aimez-vous certaines émissions de radio ou de télé ?

Oui bien sûr. J’aime beaucoup Frédéric TADDEÏ par exemple. Alain FINKIELKRAUT m’exaspère mais je le trouve excellent. J’ai du mal à vous répondre parce que je regarde très peu la télé et j’écoute peu la radio car je n’y apprends pas grand-chose. Je lis en revanche beaucoup pour trouver de la matière à polémique. Je vous rappelle qu’un journal de 20 heures couvre moins d’une page du Monde ! Si on veut être bien informé, c’est possible. Le problème, c’est que ça prend du temps. Ce n’est même plus une histoire d’argent, Internet vous donne accès à toute l’information.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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