Compte rendu de la 51ème Rencontre du CERA du vendredi 18 novembre 2011
« La fin de l’euro est-elle inéluctable ? » s’interrogeait Christian SAINT-ETIENNE dans un livre paru en 2009… La question est aujourd’hui au centre de l’actualité et du débat. Aussi bien chez nos élus politiques que dans nos conversations de tous les jours. Faut-il sortir de l’euro ? Si oui, quelles en seraient les conséquences ? Si non, qu’allons-nous devoir nous imposer ? L’Euro nous protège-t-il de la mondialisation ou en accélère-t-il les effets ? La guerre des monnaies fait rage et remplace les conflits militaires. Dans un autre livre paru en 2010, « Guerre et paix au XXIème siècle : comprendre le monde de demain », Christian SAINT-ETIENNE nous livre sa vision d’économiste. Il nous la fait partager lors de notre 51ème Rencontre du CERA, 10 ans après avoir été notre premier expert en 2001. Nous mesurerons ce qui a changé depuis 10 ans et pourrons évaluer la pertinence de ses prévisions…
Christian SAINT ETIENNE, je vais commencer par un reproche, vous avez deux jours de retard, il y a exactement 10 ans et 2 jours, vous veniez au CERA pour parler d’économie déjà. On vous pardonne !
Vous êtes Docteur d’Etat en économie, Professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers, membre du Conseil d’Analyse Economique auprès du Premier ministre. Ces diverses occupations montrent à quel point vous vous intéressez à cette discipline. Vous avez reçu de nombreux prix pour la bonne douzaine d’ouvrages que vous avez publiés. Certains, par leur franc parlé, ont un peu secoué le microcosme économico politique. Je pense notamment à « Guerre et paix au XXI° siècle », « La France est-elle en faillite ? » et enfin « La fin de l’euro ? » M. SAINT ETIENNE, nous avons hâte de vous entendre !
Aujourd’hui, je vous propose de vous présenter la situation de la zone euro ainsi que la situation des finances publiques françaises. Je répondrai à vos questions dans un second temps.
En préambule, je ne suis ni optimiste ni pessimiste mais simplement lucide, ce qui m’amène à faire des constats que je pense justes. Si certains estiment mes propos pessimistes, c’est en raison de la façon dont ils les reçoivent. Si nous voulons agir, nous devons partir des réalités que je vais décrire cet après-midi. Je vais parler de choses un peu désagréables certes mais, rassurez-vous, la Vendée ne va pas disparaître, notre pays non plus, à condition que le peuple de France prenne conscience d’un certain nombre de réalités. Rien n’est irrémédiable ni définitif, mais la situation est difficile, je ne vous le cache pas.
Je vais être très direct en abordant la question de la zone euro, en traitant de la monnaie et de la situation de l’Europe telle qu’elle se présente aujourd’hui. Sachez déjà que, quoique vous entendiez de mes propos, je ne suis ni contre l’euro, ni contre l’Europe, je suis même favorable à des Etats-Unis d’Europe.
Nous allons d’abord parler de la croissance économique. Voici un tableau tout à fait à jour de la situation économique en Europe et dans le monde. Comme vous pouvez le constater, les perspectives ne sont pas vraiment réjouissantes.
Commençons par regarder les deux premières colonnes. En 2006 / 2007, la croissance mondiale a été de 5% par an. Il s’agit d’une croissance extrêmement rapide, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, après une période 2003 / 2004 / 2005 mauvaise pour la zone euro puisque la croissance y était de l’ordre de 1,5% par an.
Concernant cette croissance importante, nous allons nous pencher sur sa dimension historique. Nous avons complètement oublié que l’économie mondiale a stagné de l’origine des temps jusqu’au XVIII° siècle. Il y a eu des évolutions significatives avec l’invention du feu, de la roue, de l’urbanisme et de l’agriculture, qui ont permis l’essor de l’espèce humaine. Mais, à partir du moment où ces évolutions ont été réalisées, et jusqu’à la révolution industrielle, c’est-à-dire du V° siècle av. JC jusqu’au XVIII°, l’économie mondiale a stagné. Le niveau de vie en 1750 était très proche de celui de la Grèce ou de Rome au V° siècle av. JC. On a oublié que pendant toute cette période, l’espérance de vie des hommes n’était que de 25 ans. L’espérance de vie en France en 1900 était de 40 ans. Ce qui avait un impact sur la façon dont les gens voyaient le monde et sur les décisions qu’ils étaient amenés à prendre. A partir de 1780 et pendant 2 siècles, jusqu’à la globalisation (1980), le niveau de vie dans les pays dits industriels a été multiplié par 20 et l’espérance de vie par 3, l’essentiel du monde développé étant concentré sur l’Europe de l’Ouest, le Japon et les Etats-Unis. Cette formidable progression a été rendue possible grâce à la révolution industrielle. J’insiste sur ce point, aujourd’hui où le terme d’industriel est presque devenu un gros mot, synonyme de pollution, de problèmes que ça peut poser, etc. C’est dans la profondeur historique que l’on puise des ressources pour expliquer et faire face à des situations de crise, et non en s’appuyant sur des informations données par Internet ou sur le résultat des derniers sondages. Ceux-ci ne permettent pas de réfléchir sur des décisions très graves comme celles que l’on va devoir prendre sur l’avenir de l’euro et de l’Europe.
Alors quand vous voyez 5% de croissance pour l’ensemble de la planète, vous comprenez qu’il s’agit d’un phénomène assez extraordinaire. C’est dans ce contexte qu’intervient la crise de 2008, qui frappe le 15 septembre 2008 lorsque la faillite d’une banque aux Etats-Unis provoque un gel de toutes les décisions de la finance. Ceux qui ont accepté cette faillite, le pouvoir américain, ont témoigné de leur volonté de faire un exemple. Lehman Brothers, qui n’était pas une grosse banque, avait néanmoins de nombreux correspondants à travers le monde. A ce titre, elle a envoyé un signal à l’ensemble des opérateurs. D’un seul coup, tout le monde s’est mis à se méfier de son voisin. D’où le gel extraordinaire de l’ensemble des opérations de la planète Finance. L’explication est simple : nous sommes dans des économies monétaires de marché. Tout est interdépendant. Cette crise de 2008 conduit à un effondrement de l’activité industrielle au 4° trimestre. Celui-ci ne se remarque pas trop dans les chiffres de l’année 2008. La chute, extrêmement violente et sans équivalent depuis la dernière guerre mondiale, apparaît dans les chiffres de 2009 puisque l’on passe d’une croissance mondiale de +5% par an en 2007 à -0,5% en 2009.
Si les pays industriels ont été violemment atteints par la crise de 2008 / 2009, vous voyez grâce aux chiffres que les pays émergents l’ont traversé sans grosses égratignures : le taux de croissance aux alentours de 8% par an tombe à 3% en 2009 et revient à 7% en 2010. L’arrogance chinoise post-crise 2008 / 2009 s’explique notamment par le fait que ce pays, qui était sur un rythme de croissance de 10%, est passé à 7% avant de rebondir tout de suite à 9,5%. Cet événement a complètement modifié la vision que les Chinois et les Indiens avaient du reste du monde. Ils se sont rendus compte qu’ils avaient réussi à passer cette crise sans grosse difficulté, alors que les pays qui avaient fait la révolution industrielle avaient terriblement souffert. Je fais ici une petite parenthèse : la révolution industrielle s’est effectuée dans la pointe ouest de l’Europe, en Angleterre, en France et en Allemagne. Si l’on avait demandé aux experts, dans les années 1750, où devait se passer la révolution industrielle, ils auraient tous répondu qu’elle devait se passer en Chine puisque c’était ce pays qui dominait le monde avec 30% du PIB mondial, muni d’une science et d’une technique très développées. Mais la Chine n’a pas été capable d’inventer le concept d’entreprise, le principe de l’Etat de droit, ni les systèmes de financement qui ont permis l’essor des techniques et l’accumulation des savoirs, à l’origine de la révolution industrielle. Il est intéressant de s’interroger sur l’environnement des révolutions scientifiques. Si celui-ci est mal construit, les bons déclics n’ont pas lieu. Ce qui nous enseigne de réfléchir avant de jouer les apprentis mécanos pour transformer les institutions, en appliquant aveuglément des principes bureaucratiques, du genre des 35 heures en 1998. Il n’était pas stupide du tout d’appliquer les 35 heures à la seule industrie en 1998. Les appliquer à toute l’économie française, en sachant que la France était le seul pays à l’appliquer, s’est révélé un désastre. Les 35 heures étaient destinées à faire disparaître le chômage, 10 ans après, c’est l’inverse qui s’est produit, et on n’en tire aucun enseignement ! En tant qu’analyste, ce qui m’intéresse, c’est autant les 35 heures, c’est-à-dire la mesure technique, que la manière dont elle a été mise en place. Je parle de l’application aveugle et immédiate d’une décision à tout un pays sans prendre en compte des conséquences. Ce qui me paraît encore plus intéressant, c’est l’incapacité à tirer des leçons de cette expérience. Pour les peuples comme pour les individus, l’urgence quand on s’est trompé est de se rendre compte qu’on a pris une mauvaise décision et de mettre en œuvre des changements qui permettront de sortir des difficultés. En France, nous avons perdu cette capacité à analyser une situation, identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Autre exemple, aujourd’hui, il y a peut-être un problème avec le nucléaire, mais décider comme l’Allemagne de sortir du nucléaire est aberrant. En Allemagne, il s’agit d’un élément mineur de production d’énergie et malgré cela, on s’aperçoit qu’à peine prise, cette décision y a provoqué une hausse de 10% du prix de l’électricité. Personne ne parle de cette augmentation en France. Il faut peut-être sortir du nucléaire mais il convient de réfléchir à la manière de procéder, aux délais que l’on se donne, aux énergies qui vont le remplacer. Nous devons tenir compte de l’ensemble de l’environnement institutionnel et comportemental.
Revenons à notre tableau, les chiffres publics que vous avez sous les yeux sont parfois stupéfiants. La crise de la finance est née au Etats-Unis, regardez la ligne correspondant à ce pays en 2009 : – 2,6%, qui traduit un choc très important. A cette époque-là, nous sommes dans la zone euro, les grands responsables européens, y compris le ministre des finances allemand, disent qu’ils seront protégés par cette zone euro qui constitue un véritable bouclier. Résultat : – 4,1% pour la zone euro. Personne n’a tiré de conséquences de ces chiffres, ne s’est même posé de questions ! Or clairement, on assistait à une déficience du processus de décision de la zone euro.
Regardons ensuite comment ces deux protagonistes ont rebondi en 2010. Après – 2,6%, les Etats-Unis font + 2,9%. Logiquement la zone euro devrait faire + 7,0% puisqu’elle est protégée… Et bien non, elle affiche + 1,7%, on est à peine au niveau de production de 2006 ! La zone euro, au lieu de nous protéger, a constitué plutôt un accélérateur de la crise. Malheureusement, on ne lit dans ces constats aucun indice sur ce qui se passe aujourd’hui parce qu’on ne s’y intéresse pas.
L’année 2011 fait apparaître un rebond de l’économie mondiale. Or, comme vous le savez, une nouvelle cassure se produit en août 2011 avec l’effondrement des bourses. La crise s’accélère au sein de la zone euro avec des perspectives de croissance assez terrifiantes. Dès 2012, on nous annonce 0,5%, c’est-à-dire quasiment pas de croissance pour l’année 2012. C’est donc une crise d’une violence inouïe dont les effets dévastateurs expliquent l’état des finances publiques des membres de la zone euro.
La question que nous devrions nous poser est la suivante : a-t-on construit cette zone de manière à avoir un système qui fonctionne ? Je vous rappelle que je suis foncièrement européen, favorable à des Etats-Unis d’Europe. A ce titre, je distingue ce que je pense et ce que je crois de ce que j’observe. C’est un exercice difficile mais indispensable car lorsque l’action n’est pas fondée sur une réalité, elle ne peut conduire qu’à des échecs majeurs. Or la réalité est que l’Europe est devenue le ventre mou du monde. C’est un espace économique ouvert, sans réciprocité. Il n’existe pas de gouvernement économique de la zone euro. A la place, l’Allemagne propose une gouvernance économique. Il existe une grande différence entre un gouvernement et une gouvernance, notamment dans un environnement fédéral. Un gouvernement implique un seul budget, pas de concurrence fiscale et sociale entre les états, une armée commune, un système de santé commun, une mutualisation de nombreux moyens, comme aux Etats-Unis. Nous en Europe, on est très malins, on a inventé l’euro sans gouvernement commun, sans budget fédéral de la zone euro. Or c’est absolument nécessaire car lorsque l’on a la même monnaie, on a les mêmes taux d’intérêt et les mêmes taux de change. Les gens pensent qu’avoir la même monnaie, c’est avoir les mêmes billets, ça n’a aucune importance. Le point clé, c’est que l’on dispose des mêmes taux d’intérêt et des mêmes taux de change.
La France dispose de 22 régions métropolitaines. C’est désagréable à entendre, mais certaines travaillent plus, d’autres moins. Le bassin parisien par exemple est un moteur économique de la France, comme le bassin lyonnais. Le bassin parisien représente 29% du PIB de la France et seulement 22% de ses revenus. Les richesses produites par le bassin parisien sont réparties sur le reste du territoire par le système de protection sociale. La Vendée a un appareil de production extrêmement développé, et il existe des départements proches qui connaissent d’énormes déficits. Sans parler de la Corse qui vit à 80% des transferts du continent ! Si un jour j’étais au pouvoir et que les Corses décidaient de prendre leur indépendance, je la leur accorderais immédiatement, et je ferais pareil avec la Martinique et la Guadeloupe. Vous seriez extrêmement surpris de voir que la majorité des Corses ne veulent pas partir parce qu’ils ont très bien compris les enjeux. Pour en revenir à la zone euro, nous n’avons pas de gouvernement économique, pas de budget, et en plus, on a racheté de la concurrence fiscale et sociale : en novembre 2010, on a apporté 85 milliards d’euros à l’Irlande sans obtenir qu’elle relève son taux d’impôts sur les sociétés, actuellement à 12,5%, l’Irlande fait directement concurrence à la France et à l’Allemagne. Donc finalement, on leur a donné 85 milliards d’euros pour qu’ils continuent à nous faire concurrence. Il n’y a pas eu de grands débats sur cette question, en tout cas moins que sur la fermeture du nucléaire ou l’identité du nouvel entraîneur de l’équipe de France de foot… L’Allemagne et la France ont bien essayé de réagir mais, dans le traité de Maastricht, à la demande des Anglais bien lucides, il est écrit que la coordination fiscale et sociale doit faire l’unanimité ! On est donc obligé d’emprunter pour prêter à l’Irlande, comme au Portugal et à la Grèce, puisqu’on est en déficit. C’est ce genre de contexte qui me fait dire que l’Europe est le ventre mou du monde. On pourrait être tenté d’écouter les Allemands, puisque nous n’avons pas de gouvernement économique. En substance, la gouvernance économique qu’ils veulent mettre en place propose une discipline budgétaire en plaçant un « commissaire européen du maintien de l’ordre » dans les pays qui feront plus de 3% de déficit. Celui-ci prendrait le pouvoir si le pays en difficulté ne progresse pas. C’est ce qui s’appelle la gouvernance punitive. Ça n’a rien à voir avec un gouvernement économique. Autre faiblesse de l’Europe, nous n’avons pas de politique de change. Aux Etats-Unis, la politique de change est assurée par le Secrétaire au Trésor américain. Il n’y en a qu’un pour les 50 états. Il se met d’accord avec la réserve fédérale, qui met en œuvre la politique de change. En Europe, nous avons une banque centrale mais pas de Secrétaire du Trésor en face. La France et l’Allemagne aimeraient se mettre d’accord mais elles représentent chacune des économies totalement divergentes. L’économie allemande serait confortable avec un euro à 1,40$, mais la France le serait avec un euro à 1,10$. Alors, quelles instructions donner à la BCE ?
Nous allons maintenant parler d’un autre grand thème qui est l’Espace. Nous avons décidé de lancer un système, Galileo, équivalent européen du système GPS américain. Le projet a pris 5 ans de retard, à tel point que l’on risque de perdre les fréquences d’émission de Galileo que les Chinois attendent avec impatience de récupérer en toute légalité. C’est un élément parmi d’autres qui parle de l’absence de politiques stratégiques (énergie, espace, technologies de croissance propres, etc.).
Pour qu’une zone économique réussisse, il faut que les pays membres partagent les mêmes préférences. J’ai envie de reparler à ce sujet du choix des 35 heures qui était une manière de proclamer en France la fin du travail, le début d’une économie post industrielle, alors que les Allemands décidaient à la même époque de tout miser sur la compétitivité et l’investissement ! Quelqu’un s’est-il posé la question de savoir s’il était cohérent et raisonnable de mettre en place en même temps l’euro et les 35 heures ? Avoir la même monnaie que les Allemands, c’est avancer au même pas, c’est travailler à une coordination économique qui n’a absolument pas lieu. D’où le régime de sanction proposé par l’Allemagne à l’égard des pays déficitaires. L’idée ne serait pas stupide si l’on disposait d’un budget fédéral de la zone.
Il faudrait un plan de relance au niveau de la zone Euro pour construire des infrastructures au niveau de l’Europe, mais si l’on procède à une coupe dans les pays du Sud sans relance de la zone, tout le monde va tomber dans le trou, y compris les Allemands ! Et pourtant, aujourd’hui notre seule chance, c’est de voir les Allemands prendre peur de ce qui se passe en Europe du Sud.
Pour réussir, la zone Euro devrait présenter les 3 caractéristiques d’un état intégré, c’est-à-dire un gouvernement économique, un budget fédéral et un encadrement de la concurrence fiscale et sociale. Ce n’est pas le cas. On assiste de plus à une divergence des performances économiques entre deux parties de l’Europe, l’une autour de l’Allemagne, l’autre autour de la France, donnant lieu à deux sources de problèmes. On a construit un euro avec lequel on a tenté de marcher sur l’eau, et parallèlement, on a ajouté la difficulté de la divergence des politiques économique !
Les Allemands se sont beaucoup mieux sortis que d’autres de la chute de l’euro en faisant appel aux productions intermédiaires en Europe centrale. Aujourd’hui, ils ont quasiment mis la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie au service de l’économie allemande. Toute l’économie à bas prix est à leur porte. En face, la France suffoquait un peu lors de la remontée, et quand la crise de 2008 est survenue, elle a été largement frappée, comme le reste de la zone Sud.
En conclusion, que peut-on dire de la crise dans laquelle nous nous trouvons ?
Avant même la crise de 2008, il existait 2 zones Euro, celle des pays du Sud, représentant 193 millions d’habitants (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce), qui ont choisi, il y a une quinzaine d’années, d’assoir leur développement économique sur un modèle de consommation rendu possible par la dépense à crédit, privée ou publique. Dans le même temps, les pays du Nord, représentant 123 millions d’habitants (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Autriche et Finlande), ont choisi de tout miser sur la compétitivité. 7 autres pays constituent une toute petite partie de la zone Euro.
J’ouvre une parenthèse, les Allemands ont été extrêmement surpris de la manière dont la France a géré ses affaires. Il y a quinze ans, la France avait une dette inférieure à 60 points de PIB. Le membre malade de l’Europe, c’était l’Allemagne… Les Allemands, mais aussi le monde entier a regardé les Français, stupéfaits d’assister à la destruction d’un pays par lui-même.
Les pays du Sud de l’Europe constituent 58% de la population et plus de la moitié du PIB, les pays du Nord représentent seulement un gros tiers de la population et 42% du PIB. Et si ce sont les Allemands qui donnent le « la », c’est parce que nous avons pris des décisions catastrophiques. En 2000, la France était partenaire de l’Allemagne, aujourd’hui, nous sommes des pantins ! Le monde entier nous regarde, sidéré par nos décisions.
Si les pays membres de la zone Euro doivent se doter d’un gouvernement économique, d’un budget fédéral, et supprimer toute concurrence fiscale et sociale, par contre nous ne sommes pas obligés de fédéraliser à 17. On pourrait dire à l’Irlande, la Finlande, la Slovaquie et la Grèce qu’ils doivent respecter des règles, sinon on se passe d’eux. Quand on fait partie d’un club, on en respecte les règles, c’est tout ! Pour mettre en place un levier d’action commun, il faut avoir un certain nombre d’obligations et de fonctionnements en commun. Nous devons donc très rapidement clarifier le périmètre de la fédéralisation de la zone. La France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays Bas, l’Autriche, l’Italie, la Finlande, l’Espagne et le Portugal ont toujours joué le jeu de la communauté européenne puis de l’Union européenne. Ces 9 pays ensemble représentent 92% du PIB de la zone Euro. Si l’on fédéralisait ces 9 pays, on ferait instantanément apparaître la 2ème puissance économique et la 1ère puissance industrielle du monde. La crise de l’Euro serait terminée ! Nous disposons d’une mine d’or sous le parquet. Est-on capable de donner le premier coup de pioche ?
Dans ce contexte, qu’en est-il de la crise des finances publiques de la France ? La dette publique française a atteint 78 points de PIB fin 2009 alors qu’elle n’était qu’à 64% fin 2007. Au milieu des années 90, on était plutôt à 50%. Quant au déficit pour 2010, il est de 7%, le déficit 2011 est anticipé à 7,5% et le déficit 2012 à 4,5% du PIB. L’Italie fait mieux avec 1% l’année prochaine, et l’Allemagne sera à 1,5%. Il faudrait absolument diviser notre dette par 2, en s’attaquant notamment à la dépense publique. En 2010, les dépenses publiques ont atteint 56,6% du PIB en France contre 49,6% dans la zone Euro hors France, soir un écart de 7% du PIB. En 2011, l’écart devrait passer à 8% du PIB. Nous battons le record de la dépense publique dans la zone euro !
Je ne suis pas un économiste ultra libéral et je vais vous tenir un discours assez stupéfiant. Nous avons 8 points de PIB d’écart avec le reste de la zone euro certes, mais ce ne serait pas si grave si tous les enfants de France savaient, à 18 ans, lire, écrire et compter, parler deux langues étrangères, si la moitié d’entre eux avaient le niveau licence et un quart le niveau master, si tous trouvaient immédiatement un travail, si notre territoire connaissait le degré 0 de sécurité, si nous avions une croissance économique à la chinoise… Alors que le taux de chômage des jeunes Français est l’un des plus élevés d’Europe, notre sécurité, notre système de recherches scientifiques et d’innovations sont tout à fait insuffisants. Au même titre que chaque être humain connaît des interrogations profondes à certaines périodes de sa vie, la France doit regarder sa situation avec une grande lucidité et décider de ce qu’elle doit faire.
Que peut-on faire ? Des experts en économie ont étudié les 50 plans d’ajustement menés par les pays développés au cours des 40 dernières années pour étudier leurs conditions de réussite – dans des conditions similaires aux nôtres. Ils ont déterminé 2 conditions de réussite :
– Si l’on doit réduire le déficit, il est préférable de procéder à une baisse de la dépense qu’à une hausse des impôts. Parce que les personnes qui payent des impôts sont celles qui travaillent et gagnent de l’argent, qui possèdent un patrimoine.
– Pour baisser les dépenses, il importe de se pencher sur la dépense publique. On lit dans Le Monde de cette semaine, sous la plume d’un Président de Conseil Général socialiste, que sur les 120 milliards d’euros dépensés par les collectivités locales, on pourrait en économiser 15 sans problème ! Dans le secteur de la santé, de grands médecins et chirurgiens assurent que l’on peut trouver 10 milliards sans réduire la qualité des soins. La question est de savoir si nous souhaitons réellement considérer le problème.
Si nous imaginons l’éclatement de la zone euro, il existe deux manières de l’envisager :
– L’Allemagne expulse les pays du Sud. D’ailleurs, à ce sujet, il existe un risque majeur peu identifié : les Allemands pourraient expulser les Italiens et les Espagnols mais pas les Français parce qu’ils ont peur, pour des raisons historiques, d’une Europe Allemande. Ils préféreraient transformer la France en toutou allemand en nous gardant dans la zone euro. Pour les fonctionnaires de Bercy, ce serait une marque d’honneur mais, en réalité, ce serait une catastrophe. Si cette cassure se concrétisait, il faudrait coller à l’Italie, car c’est le vrai compétiteur de la France. Le secteur industriel présent en Italie du Nord est ultra compétitif. Si nous nous séparons de l’Italie, ce pays nous laminera. Nous devons donc dire non à l’Allemagne, c’est une question de survie !
– Autre hypothèse : l’Allemagne sort de l’union, avec les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande. A ce moment-là,
o soit la France est capable de mettre en place les réformes qui redonnent de la compétitivité à notre économie, les pays du Sud émergent et la zone euro repart, séparée en deux. Dans ces conditions, la France, qui s’imposera comme leader, devra être assez lucide pour mettre en place une coordination fiscale et sociale et un gouvernement économique. C’est un scénario possible, sur lequel des gens travaillent actuellement,
o soit les pays du Sud n’acceptent pas les conditions imposées par la France. A ce moment-là, en devenant l’Allemagne de la zone Sud, nous pourrons sortir et éventuellement nous recoller à l’Allemagne avec un taux de change qui pourrait être fixe et nous permettrait de rester compétitif par rapport à l’Allemagne. Nous pourrions alors d’ici deux ans nous retrouver avec un rythme de croissance de 4 à 5% par an.
En réalité, tout est possible dans les mois à venir, le pire et le meilleur. Pour déterminer la probabilité que ce soit plutôt le pire, ou plutôt le meilleur, je répondrai à vos questions dans la deuxième partie de notre rencontre…
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En ce qui concerne le CAO, il est très différent en France de celui des Etats-Unis. Là bas, il s’agit d’une équipe de 5 économistes, autour du président américain, intégrés à la direction économique du pays. Notre Conseil d’Analyse Economique est plutôt une mini-académie, constituée de 28 économistes universitaires et d’une dizaine de personnalités membres de droit, dont le Directeur du Trésor. Ces personnes produisent des rapports sur des sujets qui intéressent le gouvernement, et les transmettent au Premier ministre : celui-ci a trois mois pour en prendre connaissance avant qu’ils ne soient publiés à la Documentation Française.
Concernant l’analyse de la valeur dans les administrations, je vous donne quelques éléments. Je vous ai dit que la dépense publique française était de 56 points de PIB, donc 8 points de plus que la moyenne de la zone euro. Sur ce total, un peu moins de 3 points de dépenses sont liés aux intérêts sur la dette, la protection sociale couvre 32 points, le reste couvre 21 points. Les 8 points qui nous différencient du reste de la zone euro sont concentrés dans la protection sociale. L’analyse de la valeur peut encore améliorer le fonctionnement de ce qui n’est pas protection sociale. Le problème vient du fait qu’il y a plusieurs décideurs, notamment au niveau des collectivités locales, qui ne sont pas forcément d’accord sur la manière de gérer cette dépense. C’est du côté de la protection qu’il convient de concentrer notre réflexion. Parmi les 32 points qui lui sont consacrés, 14 concernent la retraite, soit 5 de plus que la moyenne de la zone euro ! Chaque retraité mérite bien sûr sa retraite mais le problème réside dans nos 13 millions de personnes concernées, par rapport à une population active de 21 millions de personnes. Si on ne veut pas toucher aux montants des retraites, nous n’avons pas le choix, il faut augmenter la durée d’activité. En Allemagne, l’âge de la retraite a été repoussé à 67 ans, les Etats-Unis sont en train de réfléchir à 70 ans. Pour équilibrer notre système de cotisation, il faudrait tabler sur une durée de 44 années de cotisation et 64 ans pour l’âge de départ à la retraite. Cet âge de départ ne peut tenir la route que si l’on négocie un nouveau contrat social. Gouvernement, entrepreneurs et syndicats doivent se réunir et se dire « Nous sommes en faillite, qu’est ce qu’on fait ? » On est un peuple intelligent, on a de l’épargne, on a de grandes entreprises mondialisées, les ingrédients sont là !
Toujours au sujet de l’analyse de la valeur, prenez l’exemple des ingénieurs, financiers, biologistes et médecins Français, très recherchés dans le monde en raison de leur très bonne formation. Dans ces conditions, pourquoi ne parvient-on pas à faire d’industries en France, pourquoi n’arrive-t-on pas à développer davantage d’emplois dans la finance, pourquoi sommes-nous si en retard dans les start-up de biologie ? En France, nous avons un problème de système. La qualité des gens est là, c’est notre mauvais système social, fiscal et juridique qui nous freine. L’excès de protection sociale nous coûte cher ! Le moteur français est très performant, mais il est tout petit par rapport à la carcasse. Soit on réduit le poids de la carrosserie, soit on augmente la puissance du moteur, soit on fait les deux en même temps, mais si l’on ne fait rien, on ne tiendra pas longtemps. Nous devons absolument créer des emplois, au moins 3 millions. Où les créer ? Pas dans l’administration où l’on assiste à un excès de dépenses publiques, pas dans les grandes entreprises qui ont plutôt tendance à délocaliser, mais dans les PME. Il faudrait que parmi les 150 000 entreprises employant entre 10 et 50 salariés, 30 000 entreprises créent 100 emplois chacune. Il faudrait bien sûr qu’on leur en fournisse les moyens… Et que les dirigeants très très intelligents (sic) qui sont à la tête de notre pays aient la simplicité et l’humilité de venir vers ces entrepreneurs, qu’ils considèrent généralement comme des culs-terreux, pour leur demander comment on pourrait les aider à créer ces emplois. Par exemple, si l’on passait le seuil de 50 salariés, à partir duquel se déclenche le comité d’entreprise, à 75 salariés, je suis absolument certain que l’on crée 300 000 emplois sans aucune intervention publique en 2 ou 3 trimestres !
D’abord, ils sont victimes du système présidentiel. Pour être Président de la République, il faut être élu par une majorité de Français, or, ce que je dis cet après-midi, les Français ne l’entendent jamais ! Ce que je viens de proposer pour les PME, on en n’entend pas parler. Si j’étais au pouvoir, je mettrai l’accent sur la mise en place d’une politique de développement des PME. Je me poserais la question de savoir ce qui empêche les PME de se développer. C’est, entre autres, l’absence de fonds propres, je mettrais donc un taux d’impôts sur les sociétés pour les bénéfices mis en réserve à 20%. Après, je passerais le seuil de 50 à 75 salariés, et si ça marche je monterais jusqu’à 250, comme dans la législation européenne.
D’abord parce qu’ils n’ont pas pris conscience qu’il s’agit de mesures phares. C’est grâce à l’analyse économique que j’ai menée que je sais que la réforme doit venir du secteur productif. Nos hommes politiques ne sont pas entourés de conseillers appropriés. Nicolas SARKOZY, qui n’était pas très à l’aise avec les questions économiques quand il est arrivé aux affaires, s’est entouré d’anciens banquiers ou de personnes qui conseillent des banquiers, comme Alain Minc, Michel Pébereau, qui sont des hommes très intelligents mais qui manquent d’expériences de terrain.
J’ajouterais que si j’en avais la possibilité, j’abolirais le système présidentiel qui est un système de pochettes surprises. Pour être élu, il faut annoncer des mesures qui fassent plaisir à suffisamment de gens. Une élection présidentielle se joue à 2 millions de voix. Sur 40 millions d’électeurs, vous en avez 18 millions qui votent toujours à gauche, 18 millions qui votent toujours à droite. Il en reste 4 millions au milieu dont la répartition fait la différence. Donc il s’agit de trouver des mesures qui plaisent à ces électeurs-là. Un système qui fonctionne de cette manière ne peut pas prendre de décisions justes.
Concernant les préconisations du rapport Attali, sur les 250 mesures proposées, une cinquantaine étaient directement opérationnelles. Mais il y avait un déficit de diagnostic pertinent. Un autre élément a joué : la grande fragilité du politique en France. Je me souviens des chauffeurs de taxis qui avaient bloqué Paris avant même qu’une proposition accroissant le nombre de licences à Paris ait vu le jour. Sans aller vers une mesure frontale avec les chauffeurs de taxis, on aurait pu imaginer des évolutions comme un système d’amortissement des plaques d’immatriculation ou le développement d’une flotte de véhicules électriques, ce qui aurait eu du sens à l’intérieur du périphérique parisien et aurait permis de créer 3 000 emplois sans faire d’ombre aux taxis qui auraient continué à circuler dans et hors de Paris. On peut regretter le manque de détermination de nos politiques mais aussi le manque de souplesse de négociation de la base.
Aujourd’hui, nous avons besoin de réduire le déficit public de 50 milliards d’euros. Ça ne peut se faire que par des mesures qui toucheraient la protection sociale, les collectivités locales et le système de santé. 25 milliards pourraient être ainsi trouvés. Bien sûr, ces économies se sentiraient sur le long terme. Pour les 25 autres milliards, on pourrait s’attaquer à la CSG, ce qui produirait du cash rapidement. On pourrait créer une CSG globale qui concernerait la totalité de tous les revenus, allocations de toutes natures comprises. 2 points de cette CSG globale couvrirait les 25 milliards d’euros extrêmement rapidement. Dans ce cadre-là, si la CSG globale était associée aux autres mesures dont j’ai parlé, la réduction des salaires des parlementaires aurait un sens. Mais réduire leur salaire sans ce programme serait une mesure symbolique sans aucune portée. 2 points de baisse de pouvoir d’achat doit représenter environ 1 heure ou 1,5 heure d’augmentation du temps de travail mensuel. On passerait de 35 à 36 heures. Ce qui permettrait en plus de rééquilibrer le pouvoir d’achat, de disposer d’un temps de travail plus important au bénéfice de notre pays. Ce serait donc un plan cohérent.
Je pense qu’il faut réserver strictement la TVA non pas à une baisse du déficit mais à une substitution aux cotisations sociales. Aujourd’hui, nous avons le coût du travail le plus élevé d’Europe. Nous subissons par conséquent une baisse notoire de nos parts de marché. Si l’on faisait 3 points de TVA en plus, cela représenterait 30 milliards d’euros de recette, de quoi reconstituer un apport dans l’excédent brut d’exploitation des entreprises.
Contrairement à ce que l’on entend dire, la TVA est un impôt parmi les plus justes puisqu’il est proportionnel. Augmenter la TVA pour réduire les cotisations sociales se révèlerait efficace. Si l’on passait le nouveau taux réduit de 7 à 10 points et le taux supérieur de 19 à 22 points, ça ne coûterait que 20 euros par ménage et par mois pour les classes populaires. Il conviendrait de coupler cette réforme avec une allocation directe pour ces classes populaires de 20 euros par mois. Cette mesure coûterait 2 milliards d’euros, pour un rapport de 28 millions d’euros.
Un auditeur ajoute « Si l’on parle de proportion dans le coût du travail, depuis les années 70, les salaires n’ont pas augmenté, ont même parfois presque régressé. Ce qui a augmenté, c’est le coût des charges sociales. La plus forte augmentation de ces charges a eu lieu entre 1974 et 1981, sous Valéry Giscard d’Estaing ».
Vous avez raison. Augmenter la TVA de 3 points aurait pour effet de basculer une partie du financement de la protection sociale sur les importations puisque celles-ci paient la TVA mais ne paient pas les cotisations sociales en France.
Le problème, c’est que nous n’en avons pas l’autorisation et que nous appartenons à une zone où nos déficits extérieurs sont compensés par des excédents allemands, néerlandais, autrichiens, qui sont plus élevés que nos déficits. Ce qui a pour conséquence que la zone Euro est plutôt à l’équilibre. Dans l’hypothèse où la zone Euro serait séparée en deux, l’euro baisserait fortement puisqu’il raccorderait des pays qui ont un déficit extérieur.
Pour ma part, c’est une variable dont je tiens largement compte dans mes analyses.
Le déclin démographique allemand produira ses pleins effets après 2020. A ce titre, l’Allemagne est en train de manger son pain blanc.
Je voudrais ajouter que 60% de nos enfants sont très bien formés. Les Allemands viennent les chercher à la sortie des écoles avec de bons salaires. Ce qui me fait dire que la France a des atouts qu’elle ne sait pas utiliser. Si l’on fait cette fédération à 9, soit 300 millions d’habitants, cela signifiera pour l’Allemagne qu’elle internalisera ses marchés extérieurs. Pour l’industrie allemande, ce serait une consolidation majeure. Au lieu de s’assoir sur 80 millions de gens qui sont en train de disparaître, les Allemands s’assiéraient sur 300 millions de gens en pleine expansion. Si la France mettait en place les réformes dont j’ai parlé, on pourrait trouver un nouvel équilibre politique et géostratégique et cette fédération serait puissante.
Je ne peux pas répondre à cette question. En revanche, une chose est sûre, la France a beaucoup de défauts mais elle est le seul pays développé à avoir toujours payé ses dettes, et ce depuis deux siècles. En 1870, on a même payé notre dette, en or, avec plusieurs semaines d’avance. Ce qui justifie que l’on ait pu conserver notre triple A jusqu’à maintenant.
C’est faux, pour deux raisons. D’abord parce que, quand il y a débiteur, il y a créditeur. Une grande partie de la dette française est contenue dans vos assurances vie.
Seconde raison, la France est fortement créditrice sur certains pays. Si l’on annule la dette, les autres pays le feront également, nous perdrons donc le revenu des intérêts de nos créances dans le monde. Par ailleurs, le non-remboursement est la chose la plus stupide du monde. Regardez l’Argentine qui ne peut plus emprunter, elle n’est toujours pas revenue sur les marchés, ce qui l’handicape terriblement dans ses investissements. La moitié de notre production industrielle est exportée. Que fera-t-on si on ne peut plus vendre nos Airbus, nos TGV et, en proportion un peu moindre, nos voitures ? On ne peut absolument pas se permettre de sortir de l’économie.
Je n’y suis pas opposé dans l’absolu à condition que ce soit à un taux très réduit. La grande difficulté d’application, c’est que l’on ne peut pas la faire tout seul. Il faudrait un accord global Europe / Etats-Unis / Chine, or les Américains sont les premiers créateurs de fonds off-shore. Si ça s’envisageait au niveau de l’Europe, les Anglais sont contre. Et pas question de ne l’appliquer qu’en France, tout le monde fuirait !
Si vous voulez un conseil personnel de placement pour les trois prochaines années, si vous avez entre 150 000 et 1,5 millions d’euros à gérer, ce n’est pas idiot de prévoir 50% dans l’immobilier, en raison de la croissance démographique, et un certain nombre de dépôts à vue à terme, car le système bancaire français ne va pas sauter. Selon votre appétit du couple rendement / risques, je suggère entre 10 et 30% d’actions dans une ou deux multinationales de pays émergents.
Il m’est difficile de parier sur la valeur de la terre agricole. Cela va dépendre de la politique globale que nous allons mener. Aujourd’hui, il y a une perte de compétitivité massive de l’agriculture française, liée à des coûts de production très élevés, ce qui a une incidence bien sûr sur la valeur de la terre. La France est une bonne élève de l’Europe en termes d’application des normes environnementales, ce qui a un coût. D’autre part, le SMIC, qui existe de façon sectoriel en Allemagne, y est fixé à 5 €/h pour les métiers de l’agriculture. Ce qui permet de faire venir des Polonais et des Tchèques. Nous sommes donc en train de perdre toute notre production d’asperges. La récolte revenant à 12 €/h en France, 5 €/h en Allemagne.
Je pourrais répondre par une phrase courte qui n’est pas qu’une pirouette : « Dans le monde politique, on n’aime pas trop les gens qui ont des solutions à proposer. »
Ma deuxième réponse, c’est que le système institutionnel français est fabriqué de telle façon que pour faire une carrière en politique, il faut s’y prendre jeune. Ce sont des professionnels qui ont commencé très tôt. Or je n’étais pas assez doué pour mener simultanément une carrière d’expert et une carrière de politique. Pour arriver à des analyses avancées sur des sujets complexes, il faut 30 ans de travail !
En revanche si un jour un Président de la République me proposait une fonction, j’étudierais la proposition de très près.
Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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