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On va dans le mur ! Comment l’éviter ?

Compte rendu de la 73ème Rencontre du CERA du vendredi 1er avril 2016

 

Présentation d’Agnès VERDIER-MOLINIÉ par Jacques BRIEAU

Née en 1978, vous dirigez la fondation IFRAP (Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques) depuis 2007. Vous êtes surtout connue pour avoir écrit deux ouvrages qui ont eu un effet retentissant dans les médias. D’abord « 60 milliards d’économie » et plus récemment « On va dans le mur » qui vous a permis d’apparaître sur toutes les chaînes de télévision. Vous êtes sur le plan national une figure assez emblématique de la jeunesse qui veut changer quelque chose au système.

Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine qui vous permet d’avoir un regard très large sur la société, vous avez été élue dans le cadre des trophées des think tank organisé par le Centre français des think tank à la 60ème place parmi les 100 Françaises les plus influentes en 2013. Il n’est pas exclu que les prochains tenants du pouvoir penseront à vous pour mettre en place les réformes que vous suggérez et semblez maîtriser à la perfection. Vous arrivez à point nommé dans une France en pleine mutation qui a besoin de changements. Les derniers événements montrent qu’il est bien difficile de réformer la France. En témoignent les nombreuses personnes descendues dans les rues pour freiner ce réformisme. Sans être prophète, on peut s’attendre à un changement de dirigeants en 2017 et on vous souhaite de participer à ce mouvement. Vous pourriez peut-être devenir le Macron de la droite !

 

Agnès VERDIER-MOLINIÉ

Je suis très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. J’ai compris que vous réfléchissiez à l’avenir et je crois que c’est très important en ce moment. Il y a plein de choses à faire en France, et la Vendée en est l’exemple même. Quand on a l’optimisme chevillé au corps dans une logique entrepreneuriale, quand on n’a pas peur de créer, d’embaucher, on arrive potentiellement à des situations de plein emploi. Il faut dupliquer partout en France l’énergie entrepreneuriale que vous avez impulsée en Vendée. A l’IFRAP, on se bat tous les jours pour ça. C’est une bataille des idées que nous menons avant tout. Bataille qui se mène à L’Assemblée, au Sénat, au Conseil d’État, à la Cour des comptes, sur les plateaux de télévision, à la radio et dans la presse. Et j’aime mieux vous dire que cette bataille ne s’arrête jamais.

Je suis également heureuse d’être ici parce que la Vendée, c’est un peu mon pays. Je suis d’origine bordelaise mais je passais tous mes étés près de la Tranche S/Mer, et mon grand-père est né à Saint Florent des Bois. J’ai écouté Alouette, mangé des mojettes et des moules de bouchots !

Je vais d’abord vous parler de la Fondation IFRAP. Il s’agit d’une fondation totalement indépendante créée en 1985 sous le statut d’association. Celui qui l’a créé était un entrepreneur, un inventeur, qui a déposé plus de 500 brevets dans sa carrière. Complètement atypique, à la fois polytechnicien et énarque, il a eu envie d’œuvrer dans le sens de l’intérêt général. A cette époque, on ne connaissait pas du tout ces groupes indépendants de la société civile préoccupés par la question des politiques publiques. Beaucoup de gens se sont étonnés de sa démarches. On lui a dit que les meilleurs cerveaux étaient employés au service des politiques publiques et qu’on n’avait pas besoin de lui. Petit à petit, l’IFRAP s’est installé dans le paysage, sans que rien ne soit gagné. En 2002, la presse me raccrochait au nez quand je les appelais pour leur faire part des résultats des études que nous menions. Au cours du temps, une prise de conscience a émergé, adossée à un gros travail de recherches que nous avons fourni. A cet égard notre revue mensuelle « Société civile » en est à son 176° numéro. Nous avons irrigué largement les parlementaires et peu à peu réussi à faire passer certaines idées. On s’est beaucoup impliqués dans la possibilité de déduire de son ISF les investissements en capital de PME. Il ne s’agit pas exactement de la mesure que nous souhaitions car nous ne voulions pas de plafond et souhaitions cibler les entreprises en phase de démarrage plutôt que celles qui pouvaient emprunter sur les marchés ou auprès des banques. Mais petit à petit, on a fait entendre notre petite musique. Nous étions également derrière cette idée du jour de carence dans la fonction publique, qui a malheureusement été supprimé par le gouvernement actuel. Nous avions beaucoup travaillé avec les parlementaires pour l’implémenter dans le secteur public. Il s’agit d’un travail de fourmi difficile parce que la France est un pays dans lequel on parle beaucoup d’ouverture des données publiques, on parle beaucoup d’argent public, mais on ne sait jamais comment on le dépense. Même au Parlement on ne le sait pas… Il faut vraiment prendre conscience de cette fermeture à la société civile. Bien sûr il existe des tonnes de rapports qui font la une du Figaro, des Échos, etc. Mais en réalité, rien n’a encore été dit à côté de tout ce qui pourrait l’être. Tous les jours, nous nous heurtons à cette fermeture des données publiques, dans tous les domaines. Dernièrement, nous avons travaillé sur les bilans sociaux des Centres Hospitaliers Universitaires. Nous avons mis plus de 6 mois à récupérer ces bilans sociaux pour lesquels il n’y a pas d’obligation de publication, comme pour les collectivités locales. Les bilans doivent être réalisés mais il n’est pas nécessaire de les publier. On y constate tous les chiffres d’absentéisme des agents qui travaillent à l’hôpital. On a pu montrer les grosses divergences qui apparaissent d’un hôpital à l’autre, et les concomitances entre certains territoires où le nombre de jours d’absence est très élevé. On observe qu’il y a des habitudes territoriales. On n’a pas réussi à ce jour à obtenir les bilans sociaux des hôpitaux de Paris qui relèvent de l’Assistance Publique. Ils nous communiquent des moyennes mais ils ne veulent pas qu’on aient accès aux statistiques de base.

Nous avons demandé les comptes des Caisses Primaires d’Assurance Maladie sans jamais pouvoir les obtenir. Nous disposons du bilan général de la branche de la santé mais n’avons pas accès aux données de chaque caisse avec son bilan, ses annexes, etc. Tout citoyen devrait pouvoir accéder à ces éléments. Dès que nous nous sommes répartis pour aller chercher ces informations, j’ai eu un appel de la direction de la communication de la CNAVTS (la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des travailleurs Salariés) à Paris, me demandant de quel droit je réclamais ces informations ! Dans la mesure où il s’agit d’argent public, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas faire nous-mêmes le classement de gestion des caisses primaires. Nous avons de mauvaises pratiques de gestion en France, donc nous voulons pouvoir comparer les fonctionnements. Aujourd’hui nous avons obtenu des chiffres pour 2011 et 2014, mais ceux-ci sont moulinés par la CNAVTS. Nous n’avons pas accès à la data, les données d’origine. Ce qui est spécifique à la France. Même si tout le monde n’est pas capable de traiter ces millions de lignes, nous souhaitons qu’elles soient accessibles. Nous parvenons à faire avancer un peu les choses mais le processus est très très lent. Nous avons demandé, concernant l’éducation, les dépenses de masses salariales par établissement : les écoles, les collèges, les lycées, privés sous contrat et publics. A ce sujet d’ailleurs je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas comparer les écarts de coûts entre gestion publique et gestion privée. Nous les avons obtenues. Au niveau des chiffres macros, quand on considère toute la France, le privé sous contrat, comprenant ce que paient les parents, coûte beaucoup moins cher à la collectivité. On constate un écart de 2 700,00 euros par élève et par an au niveau du secondaire. Quand on aborde le sujet avec la Cour des comptes, on nous répond que cette question encore un peu tabou est connue depuis des années mais rien n’est fait pour avancer sur le dossier. Nous avons demandé au ministère les chiffres des dépenses de masses salariales par établissement, en saisissant la commission d’accès aux documents administratifs. Selon la loi de 1978, nous avons le droit d’obtenir ce document. Cependant, dans certaines circonstances, la commission émet un avis défavorable. Nous avons compris que ce ministère, le plus gros employeur de France, ne sait pas précisément ce qu’il dépense en masse salariale par an. C’est absolument grotesque ! J’en ai parlé avec d’anciens recteurs d’académies qui m’ont dit qu’ils disposaient en réalité précisément de toutes les données mais qu’il serait ennuyeux de rendre visible l’inégalité des chances en France, toutes les académies ne disposant pas des même budgets. En Poitou Charentes, les sommes allouées vont du simple au double entre lycées et collèges publics et privés. Il n’y a pas de compte consolidé par établissement d’enseignement en France. Dans la même veine, il est extrêmement compliqué d’obtenir les comptes des CFA (Centre de Formation d’Apprentis) en France. On comprend donc que personne ne veut se pencher sur la question des coûts. Un gros travail de la Fondation IFRAP consiste à tenter d’obtenir des données sur toutes ces questions en permanence. Un autre exemple m’a beaucoup frappée dernièrement. Nous avons travaillé sur une aide sociale unique, en imaginant de la rendre imposable et de la plafonner. Aujourd’hui, vous ne savez pas combien il est possible de cumuler d’aides sur un même foyer. Il existe 103 aides différentes, dont 47 versées sans critères de ressources. Toutes ces aides s’empilent sans aucune information. Par des financeurs différents. On n’aime pas tellement la concurrence en France, mais celle qui s’exerce avec de l’argent public, on n’y voit pas d’inconvénient ! Les financeurs publics aiment beaucoup démultiplier leur nombre ! Plusieurs structures s’occupent de la même personne ou du même foyer, ce qui nous coûte cher car chacun se penche sur le cas, chacun décrypte le dossier, chacun se pose la question de savoir si le dossier entre dans les critères, etc. Il existe 80 façons différentes de calculer les aides. Vous imaginez l’usine à gaz que cela représente ! Ce qui se retrouve dans les chiffres. Nous avons 700 milliards de dépenses de protection sociale tout compris. Le coût de la redistribution s’élève à 40 milliards ! C’est beaucoup plus élevé que ce que nous trouvons dans d’autres pays. On arrive pratiquement à 2 points de PIB en France, alors qu’on tourne autour d’1 point dans les autre pays. Ce qui signifie que là où on dépense 40 milliards, on devrait en dépenser 20 ou 25. C’est vrai que nous avons un système complexe, que derrière ce fonctionnement, il y a une histoire, qu’il y a eu quelques tentatives pour simplifier tout ça. Mais quand on parle de simplification en France, en témoigne la question actuelle des prélèvements à la source, on est toujours dans une simplification en apparence et non dans une réorganisation fondamentale des politiques publiques. C’est très important parce que la conviction que nous avons aujourd’hui, c’est qu’il va falloir, si l’on veut vraiment faire baisser la dépense, faire baisser la pression fiscale, ce qui est essentiel si nous voulons relancer la dynamique entrepreneuriale de notre pays. En prévision de 2017, nous devons choisir une équipe qui aura cette vision d’avenir globale. C’est-à-dire qu’il n’est pas questions de réformer d’un côté l’État, d’un autre côté les collectivités locales ainsi que la sécurité sociale. Tout cela est très imbriqué. L’État, les départements, les communes, la sécu dépensent dans le social, dans l’éducation, dans la culture, etc. Et tout cela est très compliqué car il existe des financements croisés à tous les étages. Il s’agit d’une véritable toile d’araignée. D’une certaine manière, c’est confortable parce que personne n’est directement responsable de l’échec. Il va tout de même falloir décider. Que doit faire l’État ? Que doivent faire les régions ? Que doivent faire les communes ? Conserve-t-on les communes et les inter-communes ? Qui sait précisément ce qui se passe dans son intercommunalité ? L’État doit-il se recentrer sur ses missions régaliennes comme nous le pensons, en se positionnant sur des questions de sécurité intérieure, de défense, de justice, … ? Force est de constater que depuis quelques années, l’État a largement laissé tomber son cœur de métier : police, justice, défense, diplomatie et budget. D’ailleurs on voit qu’on est très mauvais en matières de police et de justice. On a énormément raboté en termes de défense pour se consacrer à la dépense sociale (34% à ce jour, qui augmente d’un point chaque année, alors que les autres pays tournent autour de 25%). Concernant les aides sociales sous critères de ressources, aujourd’hui, nous sommes à 95 milliards. Si l’on ne change rien, nous serons à 130 milliards en 2022… Nous avons un énorme sujet devant nous. Nous devons nous poser la question de savoir s’il ne faut pas prévoir une seule aide au niveau nationale comme nous le proposons dans le cadre de l’aide sociale unique, comme le font les Britanniques qui ont fusionné leurs 51 aides en une seule. Ce n’est pas facile, ça demande des développements informatiques, mais ça évite aussi les fraudes. 70% des fraudes aujourd’hui sont relatives à des prestations sociales. Ce sont des fraudes sur le RSA. Quand les départements complètement étranglés écrivent 4000 ou 5000 lettres aux bénéficiaires, 800 reviennent « inconnu à cette adresse », la personne ayant quitté le département. Il va falloir se poser les bonnes questions. Nous sortons 12 travaux pour 2017. Chaque mois, nous faisons de nouvelles propositions, affinons notre calendrier, expliquons comment baisser les 100 milliards d’impôts qu’il faut absolument réduire. C’est surtout les entreprises qui doivent être concernées. On chiffre tout cela. On compare notre fonctionnement à celui du Royaume-Uni, de l’Allemagne. On montre, à populations comparables, que nous avons en France 196 milliards de plus de prélèvements obligatoires qui pèsent sur nos entreprises que les Allemands, et 239 milliards de plus que les Britanniques. Ce qui signifie que même avec le pacte de responsabilité, le CICE, on ne fait qu’une toute petite partie du chemin. Il va falloir baisser les impôts, baisser les dépenses, réduire le nombre de collectivités et le nombre de strates, supprimer potentiellement un échelon, réduire le nombre d’élus, au nombre de 648 000 aujourd’hui. Nous avons en France un élu pour 104 habitants, les Britanniques en ont un pour 1 600 ! Rien qu’au niveau de l’Île de France, on s’est amusé à l’IFRAP à compter le nombre d’élus entre les communes, les intercommunalités, la métropole, la région, les départements. On arrive à 30 000 élus ! Je ne vois pas comment nous pouvons baisser la dépense publique si nous ne réduisons pas le nombre d’élus. J’ai été invitée à prendre la parole dans le cadre de l’Association des Maires de France il y a quelques temps. Lorsque je leur ai dit qu’il fallait diminuer le nombre d’élus, j’ai été huée trois fois mais je me suis aperçue que les plus virulents n’étaient pas du tout représentatifs. Lorsque je suis sortie de la salle, de nombreux maires sont venus me dire de poursuivre ce que nous avons entrepris.

J’ai rencontré un grand nombre d’élus qui essayent de fusionner leur commune avec celles d’à côté, ce qui est souvent compliqué d’un point de vue électoral. Il y a des communes nouvelles, mais ce n’est pas cela que nous avions demandé. On ne veut pas de communes nouvelles avec aucune obligation de bonne gestion. Nous travaillons énormément sur la question des ratios. C’est-à-dire combien pour une commune de telle taille je dois avoir d’agents, de masse salariale, de dépenses de fonctionnement, d’investissements, etc. Les difficultés commencent quand on se penche sur les statistiques pour savoir où vont les 40 milliards d’investissement du bloc communes/intercommunes. Nous pensions qu’il était facile de disposer de la répartition de ces budgets. Or il n’y a aucun chiffre. La Direction Générale des Collectivités Locales n’a pas de chiffres, la Direction du budget à Bercy non plus. Personne ne sait s’il s’agit de terrains de tennis, de salles polyvalentes, d’écoles, de ronds-points… Pour les régions et départements, on sait à peu près, mais pas pour les blocs communaux. Nous n’avons donc aucun moyen de comparer les prix. Tout cela pose la question de baisser le nombre d’élus. Je propose de passer de 648 000 élus à environ 60 000. Cette proposition ne plaît pas énormément… Tous les candidats à la primaire reprennent l’idée qu’il faut baisser le nombre de parlementaires. Mais ça ne suffira pas. Ils représentent environ 925 personnes. Presque rien par rapport à la masse d’élus. J’ai tendance à penser qu’il faudrait moins d’élus mieux rémunérés par rapport à leur niveau de responsabilités. Regardez l’indemnité pour la grande région Nord Pas de Calais Picardie, région Hauts de France, les élus ont 5 000,00 euros bruts pour une grosse somme de responsabilités ! Pourquoi avons-nous tant de mandats d’élus ? Parce que, ne pouvant pas en vivre, ils cumulent. On peut aussi se poser la question de savoir pourquoi nous n’avons pour ainsi dire plus que des élus professionnels qui n’ont pas un autre travail à côté. On peut aussi se poser la question de la limitation du nombre de mandats dans le temps. Ce qui permettrait d’avoir une démocratie plus saine et plus active. Mais on s’aperçoit qu’il règne une certaine hypocrisie. Les élus ne veulent pas donner le montant de leurs IRFM (Indemnités Représentatives de Frais de Mandat), qui sont en sus des indemnités de base et ne sont pas imposables. Ce qui fausse les choses. Il vaudrait mieux qu’elles soient intégrées et que l’élu paie le même montant d’impôts que n’importe qui à rémunération égale. Les jeunes parlementaires sont parfois contre cette idée d’intégrer les IRFM à l’intérieur de l’indemnité de base, la rendant ainsi imposable. C’est un problème. On n’est d’ailleurs un peu surpris d’entendre des parlementaires dire qu’on ne paie pas beaucoup d’impôts en France. Oui, en ce qui les concerne ! Ce n’est pas la même chose de payer des impôts sur 5 000,00 euros ou 10 000,00 euros de revenus par mois avec le système des tranches. Tout cela fait partie de la prise de conscience nécessaire. Je ne vois pas le Parlement, l’Assemblée et le Sénat, voter des réformes importantes, participer aux débats sur les dépenses publiques s’ils ne sont pas eux-mêmes absolument irréprochables dans la gestion des deniers qu’on leur confie. C’est incroyable de penser qu’il n’y avait pas de comptes il y a 18 mois de cela pour les groupes politiques de l’Assemblée et du Sénat. Pas de commissariat aux comptes, pas de certification, pas de gestion. On était pour ainsi dire sur un système de caisse sans aucune justification de l’utilisation des deniers publics. On s’aperçoit que sur ces questions, il y a un peu deux poids, deux mesures. Lorsque l’on a enquêté sur les finances de l’Île de France du temps de Jean-Paul Huchon, on s’est aperçu qu’un certain nombre de subventions accordées aux associations, de plus de 1 million parfois, ne faisaient l’objet d’aucun dépôt de compte, alors que la loi dit qu’à partir de 53 000,00 euros de subvention, un dépôt de compte est obligatoire, et que l’annonce doit être publiée au Journal Officiel. L’info passée dans Le Monde, Le Point, etc. a été niée. Nous avons donc demandé aux services concernés de nous adresser leurs comptes. Nous les attendons depuis 4 ans. Un bon éclairage est donc nécessaire à mener, qui passe par une responsabilisation des élus beaucoup plus importante et un gouvernement doté d’un programme très clair. Notre gouvernement se trouve aujourd’hui dans une situation très délicate. Il n’a absolument pas annoncé de réformes structurelles fondamentales importantes. Les réformes annoncées se situent même à l’inverse de ce que réclame l’électorat. Ce qui n’est pas tenable en démocratie. Contrairement à ce que j’entends parfois, je pense que pour être élu, il faut dire clairement aux Français ce qui se passe, parler de la dette qui augmente, du risque d’explosion des taux d’intérêt. L’Agence France Trésor, qui fait un très bon travail, est dans une logique court-termiste. Elle fait rouler la dette rapidement en empruntant sur des durées de plus en plus courtes. Le jour où les taux remonteront, ce sera encore plus douloureux. Au lieu d’aller vers des emprunts à 20 ou 30 ans pour sécuriser les citoyens, elle se laisse séduire par des taux toujours plus bas sur des temps courts. Or dans les grandes administrations, les chefs changent tous les 18 mois environ. Vous qui êtes pour la plupart chefs d’entreprises, vous savez qu’on met un certain temps pour comprendre et créer. En 18 mois, on ne peut pas être au top de la gestion ! Le futur gouvernement doit clairement établir les choses avant d’arriver au pouvoir, prévoir des réformes selon un calendrier précis concernant le code du travail, la flexibilité, le licenciement, les 35 heures, la fiscalité du capital, les plus-values de cession, la manière dont il va rendre la France attractive par rapport aux entrepreneurs des autres pays, etc. Je rappelle en passant que David Cameron continue d’annoncer des baisses d’impôts sur les sociétés au Royaume-Uni. Certes il annonce une hausse du SMIC, mais il annonce aussi des baisses de la protection sociale, de la dépense sociale et des baisse de l’impôt sur les sociétés. En Grande Bretagne, il faut avoir 25 ans pour prétendre au SMIC. Avant cet âge, le taux du SMIC est progressif. A 16 ans, vous travaillez pour 4,4 euros de l’heure. Il y a là-bas un taux de chômage des jeunes beaucoup plus bas qu’en France. Ce qui montre bien qu’il faut regarder la totalité des choses !

Qu’avons-nous comme atouts pour attirer et garder nos talents ? Notre fiscalité sur le capital est catastrophique. Il faut absolument que cette fiscalité devienne beaucoup plus attractive pour les investisseurs. Je pense qu’il y a des choses assez simples à mettre en œuvre. Par exemple, la question de l’imposition des plus-values de cession qui pourrait être nue pour les PME et pour les ETI. Cette mesure ne coûterait pas énormément au Trésor et pourrait inciter beaucoup de monde à créer, à revendre, et donc favoriser la fluidité du monde entrepreneurial. Car aujourd’hui, on a tendance à rester longtemps à la tête de son entreprise pour éviter de perdre son outil de travail. On a aussi tendance à attendre la retraite pour être exonéré au maximum. Ces comportements sont des effets pervers du système qui freinent le renouvellement des générations. On décourage ceux qui pourraient créer en France et on s’expose au risque de les voir partir créer ailleurs. Heureusement des centaines de start-up naissent chaque jour en France, mais combien sont employeuses ? Il y en a très peu qui vont créer un emploi dans leur première année d’existence. Au Royaume-Uni ou en Allemagne, 100 à 120 000 créent des emplois chaque année. C’est une question très importante car nous savons tous que ce sont les PME qui créent l’emploi. Plutôt confiants quand nous avons vu la première partie du texte de la réforme El Khomri, nous pensons maintenant que cette réforme va compliquer les choses. Quand on regarde notamment la question de la négociation dans l’entreprise, du référendum, on se dit que ce n’est pas ça qu’il fallait faire. Le référendum doit se faire à l’initiative de l’employeur. A ce jour et selon cette réforme, vous êtes obligé d’avoir la majorité des syndicats, soit 50% des votants qui signent l’accord, alors que 30% des syndicats sont suffisants pour qu’un référendum soit organisé dans l’entreprise. Aucune flexibilité n’apparaît ici. Autre chose, on veut envoyer des personnes choisies dans les centrales dans les entreprises qui n’ont pas de représentation syndicale afin de négocier. C’est également quelque chose d’un peu contrariant. On annonce également 20% d’heures supplémentaires de délégation pour les syndicats alors qu’il en existe largement assez. Cette loi qui voulait flexibiliser le temps de travail, permettre à l’employeur de passer au forfait jour, etc., on voit bien qu’elle s’enlise. On voit bien aussi les limites de notre système syndical. Nous devons absolument mettre un coup de projecteur sur la question du financement de nos syndicats, de leur représentativité ainsi que sur la question du monopole syndical au premier tour. Nous avons peur des syndicats qui n’existent que parce que nous avons créé un système qui permet qu’ils soient financés par le denier public. Nous avons regardé dernièrement les comptes de la CGT grâce à l’abrogation en 2008 de la loi Waldeck-Rousseau qui disait que les syndicats n’étaient pas tenus de tenir des comptes à jour. Le nombre d’adhérents affiché ne correspond absolument pas aux montants des cotisations engrangés. Le paritarisme finance largement les centrales syndicales. Les OPCA, la CNAV, la CNAM, la CNAC, l’AGIRC et l’ARCCO représentent autant de financements sans aucune référence à la représentativité de ces centrales. Il y a là un problème. On ne peut pas financer sans lien avec la représentativité ceux qui seront toujours contre toutes les réformes. Sur un autre plan l’UNEF, le syndicat étudiant, est largement soutenu par Matignon alors qu’il ne représente environ que 3% des étudiants. Un gouvernement futur qui ne travaille pas sur cette question syndicale aura beaucoup de mal à faire passer des réformes. Nous entretenons nous-mêmes des forces de blocage. Avec la fondation IFRAP, je propose de supprimer tous les financements paritaires et publics, et de passer à un système de chèque syndical, un peu sur le modèle du chèque restaurant, répartissant la charge à 50/50 entre le salarié et l’employeur, avec la quasi obligation de se syndiquer. Nous aurions ainsi des syndicats plus modérés et représentatifs. L’idée n’étant pas de ne plus avoir de syndicats bien sûr. Ces questions vont peut-être constituer le volet le plus stratégique du prochain quinquennat. Il faudra d’abord agir sur ces questions si nous voulons des réformes fortes. Pour l’instant, nous n’entendons pas beaucoup de candidats évoquer la question du paritarisme, du financement, de la représentativité, etc.

Un autre sujet porte sur le nombre d’agents et leurs statuts. Les syndicats sont souvent devenus les gardiens du temple du statut public et des retraites. A ce sujet se pose une vraie question d’équité. Dans le dossier de l’assurance chômage, on est sidéré de voir que ce sont les mêmes collectivités locales qui emploient des intermittents du spectacle mais qui ne cotisent pas pour leurs propres agents. Une ville comme Avignon qui fait venir beaucoup d’intermittents reconnaît ne pas cotiser pour ses agents mais déclare que le public qui vient dépenser de la TVA durant le festival remplit les caisses publiques. J’ai envie de lui répondre « cette année, je ne vais pas payer de cotisation parce que je me suis acheté une voiture ! » Concernant cette question, aucun pays ne fonctionne de cette manière. Si l’on plaçait l’ensemble de la fonction publique dans la cotisation chômage, on passerait de 6,4% à 4,4% de taux de cotisation. Les Allemands sont à 3%, mais il faut savoir que dans ce pays, très peu d’agents sont sous statut public. 1,5 million pour 82 millions d’habitants. La grande majorité sont des contractuels. Là-dessus, le débat va devoir s’ouvrir. Les employeurs publics ne sont pas spécialement attachés au statut qui est un handicap pour la plupart des collectivités et des hôpitaux. Selon le principe d’unicité des 3 fonctions publiques, seules quelques personnes réunies à Paris décident de tout. Il n’existe aucune concertation. Je pense que la Fédération Hospitalière de France, qui représente tous les directeurs, a été assez claire depuis quelques années notamment sur la suppression du jour de carence. Absolument contre, elle a écrit publiquement à la ministre, rédigé des communiqués expliquant qu’elle ne pouvait pas continuer avec ce système qui encourage l’absentéisme. Dans les hôpitaux, on arrive à 30 jours d’absence en moyenne par agent et par an. 39 jours à Montpellier ! Un président de conseil départemental ou régional ou un maire qui veut mettre demain en place une prime de présentéisme ne peut la faire varier par an que de 60,00 euros en moins à 150,00 euros en plus. Voilà sa latitude en raison du statut. C’est ce qui s’est passé dans la ville de Suresnes qui a mis en place une prime de présentéisme mais le carcan est tellement étroit que cette situation est presque risible. Le Conseil d’État a retoqué quand certains employeurs publics ont voulu proposer des primes plus importantes en fonction de la performance et de la présence. J’ai publié dans mon livre les 1851 primes qui existent au niveau de l’État. Il a vraiment fallu que je m’acharne pour récupérer ces informations ! Ce problème du statut, tous les autres pays l’ont résolu. Ils embauchent la plupart des agents sous contrat de droit privé, sauf pour les fonctions régaliennes. La fonction régalienne en France, c’est 700 000 agents de souveraineté nationale. Ce qui est étonnant, c’est que proportionnellement, le nombre le plus important de contractuels se trouvent au ministère de la Défense, le plus régalien des régaliens ! En quoi le travail fourni par une infirmière qui exerce dans une clinique privée va être de moins bonne qualité que celle d’une infirmière qui travaille à l’hôpital parce qu’elle sous contrat de droit privé ? Les hôpitaux pour l’instant passent entre les gouttes parce que la ministre de la santé a décidé d’interdire l’intérim pour l’État. Concernant le question du public/privé dans ce secteur, c’est amusant de voir que l’employeur public s’octroie des possibilités formidables. Vous pouvez aller jusqu’à 6 ans de CDD. Vous n’avez pas de CDI si vous n’avez pas eu 6 ans de CDD ! D’autre part, on perd l’équivalent de 40 000 heures de temps plein tous les ans. A Évry, il est question que le temps de travail baisse de 34 à 33 heures. A la Rochelle, c’est la même chose, les syndicats ont expliqué au maire qui voulait augmenter le temps de travail, que cette initiative serait contraire à la démocratie. C’est comme si on payait tous les employés de la ville de Paris à rester chez eux toute l’année ! Il faut dans le prochain programme qu’apparaisse quelque chose de clair : qui on embauche sous quel contrat, comment gérer la question de la mobilité, comment organiser une bourse à l’emploi public sur l’ensemble du territoire pour répartir plus intelligemment les agents, comment organiser la formation pour passer les agents d’une administration à une autre, etc. Il s’agit de grandes réformes qui ne peuvent pas se faire avant d’avoir tout chiffré, tout évalué, être parfois passé par le référendum, préparé les textes à l’avance. C’est ce qui explique la bonne santé de la démocratie en Suisse. Qu’on apprécie ou pas le système de votation, les Suisses ont réussi à fusionner un grand nombre de communes. Tous les ans, on voit le nombre de communes baisser. Le maire du canton de Vaud, sur la demande de ses administrés, a baissé de 100% les dépenses. Ce serait difficile à imaginer en France.

A la Fondation IFRAP, nous avons mis en ligne un comparateur des programmes pour 2017. On a streamé toutes les prises de paroles de tous les candidats, et on a sciemment choisi de garder les dates avec les propositions pour voir comment les uns et les autres évoluent. Ce qui permet de constater les tendances, plutôt en recul ou en progression. Celui qui recule actuellement a toutes les chances de le faire également s’il est élu… Il est nécessaire d’avoir une vision très claire de ce qu’il convient de faire une fois au gouvernement, combien de baisse pour tel ou tel ministère, les réorganisations prioritaires, les grosses mesures à mettre en place, etc. En 2012, il n’y avait pour ainsi dire pas de programme à droite. Je pense que la primaire à droite est une bonne chose à ce titre. Je ne sais pas s’il y aura une primaire à gauche mais nous intégrerons bien sûr les programmes des candidats de gauche. Les sociaux-démocrates peuvent très bien faire le boulot. Ce qui s’est déjà produit dans d’autres pays. Gerhard Schröder avait par exemple totalement changé le marché du travail en Allemagne.

Je suis venue vous donner un message optimiste car je pense que nous avons beaucoup de talents en France. Il faut juste les réveiller. Les Français sont dans l’ensemble de bons gestionnaires, souvent meilleurs que les énarques qui les gouvernent, qui pensent d’abord à leur carrière. J’ai eu l’outrecuidance, moi qui ne suis pas énarque, d’écrire un papier dans Le Point où je m’interrogeais sur la manière dont on apprenait aux énarques à baisser les dépenses publiques, à réduire le nombre d’agents, à réduire le nombre de strates, à réduire les impôts et à observer ce qui se produisait dans les autres pays. J’avais à ce titre demandé les cours de l’ENA. Après maints refus, j’ai réussi à me les procurer grâce à un stagiaire. Aucune étude de cas de baisse de dépenses n’est proposée durant le cursus. Il va pourtant bien falloir un jour s’atteler à faire le nécessaire, c’est-à-dire baisser de 50% au moins la dépense publique par rapport au PIB, baisser le taux de prélèvement obligatoire au moins à 40%, baisser le nombre d’agents de 5,4 à 4,5 millions et les passer en contrats de droit privé, baisser le nombre d’élus, etc. On me dit à l’ENA que ce n’est pas de leur faute, ils ne font que ce que leur demandent les élus. Ce petit échange avec cette grande école a beaucoup fait parler et je m’aperçois que je ne suis pas la seule à me poser ces questions. Il n’y aurait pas grand-chose à faire pour renverser la tendance mais il y a aussi beaucoup de symboles comme les 35 heures, l’ISF, la fiscalité du capital, le nombre d’élus, le nombre d’agents, le nombre de pages du code du travail, etc. Ce sont des choses qui peuvent changer. Et un gouvernement qui annonce à l’avance qu’il va traiter toutes ces questions va de façon évidente calmer les marchés qui seront moins inquiets vis-à-vis de notre avenir. Il en ira de même de la part de nos partenaires européens.

Ayons confiance dans les mois à venir. Nous allons peser de tout notre poids sur les débats, faire en sorte que les candidats chiffrent au maximum, se mouillent sur le calendrier. Nous mettons en place les moyens d’avoir pour la première fois un vrai débat avant les présidentielles. Un débat contradictoire avec des candidats différents dans un même camp. Il y a une vraie attente. En témoignent les ventes de mon livre « On va dans le mur » à 60 000 exemplaires. Les gens que j’ai rencontrés partout en France depuis des mois veulent décrypter, analyser les politiques publiques pour comprendre comment ça marche et comment on peut les réformer. J’entends souvent des choses très pertinentes, beaucoup plus pertinentes que sur les plateaux de télé. Je suis confiante parce que les Français sont tout à fait conscient de la nécessité que les choses bougent. Ce n’est pas une seule personne qui va le faire mais une équipe programmée. Au Royaume-Uni les futurs ministres savent quelle sera leur fonction. En France, ils ne savent pas quel sera leur ministère. Alors qu’il faut bien évidemment avoir travaillé son sujet en amont. Nous devons essayer autre chose, sans être menés par des convictions ultra-libérales. Nous voulons simplement une bonne gestion.

 

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Extraits des questions-réponses :

Vos propos ont captivé l’auditoire. J’ai entendu que vous feriez une excellente ministre du budget ! Pourriez-vous éclaircir votre analyse des différents programmes des principaux candidats à la primaire, dans la mesure où l’on ne connaît pas encore les candidats de gauche. Certains de ces programmes ont-ils plutôt votre faveur ? Certains répondent-ils aux préoccupations majeures de la France ? Ne pensez-vous pas que le système politique français avec ses deux chambres ne constitue pas une entrave à la réforme ?

Concernant le comparateur des programmes, il y a pas mal de choses intéressantes qui restent à affiner. Par exemple Nicolas Sarkozy annonce 1 suppression sur 2 dans les administrations publiques. Entre 2007 et 2012, on a bien vu ce que ça a donné… Ce qui a été supprimé au niveau de l’État s’est retrouvé dans les collectivités locales et les hôpitaux, et la masse salariale a continué d’augmenter. Il va plutôt falloir faire du gel des embauches pendant 3 ou 4 ans sur l’ensemble des postes publics et parallèlement augmenter le temps de travail. François Fillion parle d’une baisse de 100 milliards des impôts, 50 milliards sur les entreprises, 50 milliards sur les ménages. Nous pensons que cette équation n’est pas judicieuse. Il faudrait 90 milliards sur les entreprises et 10 milliards sur les ménages. Avant toute chose, il faut comparer avec les autres pays. En 2007/2014, notre PIB a augmenté en PIB marchand de 90 milliards d’euros, les prélèvements obligatoires ont augmenté de 140 milliards d’euros en France sur la même période. C’est plus facile pour un candidat de promettre 50/50 que d’assumer le fait de devoir baisser considérablement les prélèvements obligatoires sur les entreprises. Nous en sortirions tous gagnants. Ce sont les entreprises qui créent la richesse, qui peuvent embaucher et donc qui peuvent permettre aux ménages de gagner plus. Quand Nicolas Sarkozy parle de baisser de 100 milliards les dépenses publiques, le chiffrage est encore light. Il dit qu’il veut faire converger les régimes de retraite à partir de 2020. D’accord, il y a des économies à faire sur les retraites, mais d’abord il faut les chiffrer et commencer la convergence tout de suite. Aucun chiffrage, aucun détail n’apparaît pour ces 100 milliards. Nous disposons pour notre part d’un détail qui fait état de 117 milliards sur la période, sans compter toute la montée en puissance. On ne fait pas 117 milliards d’une année sur l’autre! Il faut même imaginer que cette baisse dépassera la période du quinquennat. Nous étions déjà et de manière assez rude sur 5 ans pour chiffrer 60 milliards d’économies. Cette initiative demande de faire baisser de 10 à 15% les dépenses de fonctionnement. Aujourd’hui aucune répartition n’apparaît, aucune visibilité sur les méthodes de frein à l’endettement qui sont utilisées en Suisse ou en Suède, qui permettent d’être sur du pluriannuel. Je pense que les candidats ont de bonnes intuitions mais ils n’ont pas affiné leurs propositions. Bruno Lemaire dit qu’il faut en finir avec le paritarisme mais il ne donne pas précisément la substance de la réforme. Concernant le RSI, on dit que nous vivons la fin du salariat, je veux bien mais tout est fait pour dissuader les gens de devenir indépendants dans notre pays. Nous avons fait une comparaison internationale et une comparaison entre un indépendant et un salarié qui gagnent tous les deux un SMIC. L’indépendant y perd complètement en termes de protection sociale. Il n’a pas le chômage, un nombre de jours de carence énorme pour la maladie, qui peut aller jusqu’à 90 jours pour un médecin, des taux de cotisation de retraite non négligeables et en face un taux de remplacement retraite à 38% quand le même gars va être à 54, 55 ou 59% dans une entreprise. Au jeu des comparaisons, l’indépendant perd largement ! Quand on compare avec d’autres pays, on hallucine. Le taux de cotisation se situe aux alentours de 42% au total, auquel peuvent s’ajouter 8%, 20%, 30%, parce qu’il y a un socle d’assurance obligatoire et pour le reste, chacun choisit. En France on ne veut pas transiger à notre sécu. Tout le monde doit y être sauf ceux qui l’ont inventée ! Quand Bruno Lemaire parle de réformer le RSI, il ne dit pas exactement comment. J’aimerais savoir s’il va permettre un peu de liberté comme aux Pays-Bas, en Allemagne ou ailleurs. Un minimum de filet social est nécessaire mais on peut aussi imaginer un auto-financement pour une partie de sa retraite et même de sa santé. C’est une question de risque et d’arbitrage qui laisserait la liberté à chacun. Mais ces questions sont tabous. La liberté fait peur au pays de la liberté !

Pour résumer, tous les candidats ont des idées qui vont dans le bon sens. Pour les 35 heures, tout le monde est à peu près d’accord pour la suppression des 35 heures, mais en réalité, personne ne dit exactement comme il compte basculer d’un système à l’autre. François Fillion dit qu’il ne veut plus d’allusion à la durée légale du temps de travail. De nombreux problèmes apparaissant sur le plan institutionnel, la question est de savoir comment mettre en forme cette question dans la loi sans se faire retoquer. La question du temps de travail se conjugue avec la suivante : que fait-on du public? C’est dans les administrations que se posent le plus de problèmes en termes de RTT, du nombre d’heures travaillées, c’est là que se situe la sous-productivité la plus importante. Repasse-t-on à 39 heures? Choisit-on de dire qu’il n’y a plus de durée légale du travail et qu’on commence les heures supplémentaires à la 40° heure? Paye-t-on les heures en plus et à quel tarif? Autant de questions auxquelles les candidats doivent répondre avant les élections et qui vont permettre de les challenger.

Je n’ai pas parlé d’Alain Juppé qui va sortir son programme économique incessamment. Nous avons des contacts récurrents avec son équipe à l’affût d’idées innovantes.

Il existe une différence entre celui qui dit « Je ne vais pas baisser les impôts » et celui qui dit « Je ne vais pas les augmenter ». C’est inquiétant vis-à-vis du fort taux de prélèvement libératoire. On sait très bien que si rien ne change dans l’organisation actuelle au niveau de l’État, ça peut exploser au niveau local et en termes de cotisations. Aucun candidat n’a expliqué la nouvelle gouvernance des organismes sociaux, des collectivités, la nouvelle répartition des missions publiques, la réorganisation des politiques publiques, etc.

Le système politique est ce qu’il est. La France a des institutions assez solides. Ce que nous déplorons, c’est le peu de poids du Parlement qui est tout de même le représentant de la nation, censé évaluer les politiques publiques. Or il n’a aucun moyen de chiffrage, aucun moyen macro économique, il ne peut pas évaluer la portée d’un amendement, il est bloqué par l’article 40 de la Constitution (qui interdit toute création ou aggravation d’une charge publique et n’autorise la diminution d’une ressource publique que dans la mesure où elle est compensée par l’augmentation d’une autre ressource. N.D.L.R.) C’est toujours Bercy qui a le dernier mot. Si nous voulons une démocratie dynamique, certes il faudra passer des choses par ordonnance ou par référendum mais il faudra également passer des lois, à mon sens au moins une dizaine très importantes. Sans compter les lois de suppression de lois auxquelles nous devons penser. La prolifération des lois étant astronomique ces dernières années. Le Conseil d’État ne sait pas compter le nombre de lois qui existent en France ! Il faut savoir qu’en 2006 on parlait de 10 500 lois, le SGG (Secrétariat Général du Gouvernement) parle d’un nombre avoisinant les 2 200 et quelques. Personne n’est d’accord. Là-dessus, une énorme responsabilisation du gouvernement doit se faire. 20 ou 30 millions d’euros sur la table pour disposer d’un organe d’audit auprès du Parlement qui évalue les politiques publiques me paraît absolument nécessaire – au lieu d’acheter des immeubles rue de l’Université. Le Parlement doit absolument rééquilibrer la puissance de l’administration, sinon celle-ci est toute-puissante. Sarkozy l’avait promis en 2007 mais le projet a été torpillé par les grands corps, notamment par la Cour des comptes qui a dit qu’elle ne voulait pas de doublonnage de la Cour. Séguin a par la suite rétropédalé et nous a reçus mais rien ne s’est fait. Cette question pose aussi le problème de la séparation des pouvoirs, parce que vous avez d’un côté un pouvoir législatif, et de l’autre un pouvoir judiciaire avec la Cour. Le second ne pouvant pas être au service du premier. Je peux vous dire qu’il existe beaucoup plus de garants du statu quo que de réformateurs sur ces questions. Personne au sein de l’administration ne souhaite voir les parlementaires disposer de moyens de chiffrage efficaces.

 

Il faut beaucoup de moyens pour mener les actions dont vous nous parlez. Qui vous seconde ? Combien ça coûte et comment financez-vous ce coût ?

Je suis entourée par une douzaine de personnes, équivalent temps plein, dont la moitié est bénévole. La plupart de ces bénévoles passionnés sont là depuis 10 ans. Ils ont envie que les choses bougent et consacrent énormément de temps à l’IFRAP. Par ailleurs un grand nombre de personnes nous aident dans les administrations. On ne travaille pas contre l’État, contre les collectivités, on est pour la bonne gestion. A l’intérieur de ces systèmes, il y a plein de gens qui ont envie que ce soit mieux géré et qui nous aident à ce titre à obtenir des informations. Je travaille avec des gens de Bercy, de la direction du Trésor, de la Cour des comptes, du Conseil d’État, qui m’encouragent largement. A l’intérieur même de l’organisation publique, dans les Caisses Primaires d’Assurance Maladie, Les Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse, les URSSAF, à Pôle Emploi, partout il y a des gens qui nous parlent et qui nous disent ce qui ne va pas. C’est grâce à cela que nous pouvons chiffrer, écrire, sortir des dossiers, etc.

Ça demande de l’argent certes mais pas tant que ça. Avec une table, une chaise, un ordinateur, un téléphone, vous pouvez faire déjà beaucoup. Les choses se sont développées depuis 2007. Bernard Zimmern, qui a fondé l’IFRAP en 1985, la finançait énormément. Il a mis 8 millions d’euros à titre personnel dans l’IFRAP depuis sa création. Il y a un moment où j’ai suggéré que nous devenions une fondation d’utilité publique. Le changement de statut a été très compliqué. Il fallait une dotation de 1 million d’euros . Nous avons trouvé cet argent auprès des donateurs en mettant les chèques sous séquestre chez un notaire. Le Conseil d’État a dit oui, parce que même dans les grands corps d’État, l’idée circule qu’il faut un contre-pouvoir. En novembre 2009, le décret paraissait au Journal Officiel. Nous étions évidemment très heureux, tant de Cassandre nous avaient certifié que nous n’y parviendrions jamais. Les choses ont commencé à devenir sérieuses pour moi car j’ai été nommée directrice. J’avais 30 ans. Il fallait financer 5 temps pleins, payer 70 000,00 euros de loyer annuel, et je partais avec rien. Dès la première année, nous avons reçu 790 000,00 euros de dons. Aujourd’hui, nous sommes à 1,3 million financés par 90% de personnes physiques, 10% d’entreprises. Une seule entreprise du CAC nous donne 10 000,00 euros par an. La moitié de nos dons sont inférieurs à 50,00 euros. Nous achetons un local cette année. Il est important de savoir que nous n’intervenons jamais sur commande, qu’il n’y a aucune contre-partie du don. On ne fait pas de conseil, on ne tarifie pas quoi que ce soit, y compris les conférences. C’est un parti-pris d’indépendance et de liberté. Le travail que je fournis est le plus visible mais derrière il y a le travail d’une équipe très soudée. Nous nous répartissons les rôles. Nous devons communiquer dans les médias, notamment pour être plus facilement reçus par les élus. Nous ne pouvons pas dire que nous avons des propositions importantes si personne ne nous connaît. Nous sommes largement reconnus pour le sérieux de notre travail, même par ceux qui ne sont pas d’accord avec nous.

 

Vous avez fait allusion à une approche innovante de la gestion des ressources humaines de nos élus qui consiste à donner une prime d’assiduité aux gens qui n’aiment pas bosser. C’est difficile à comprendre. On imaginerait plutôt une sanction à l’égard des personnes qui ne respectent pas leur contrat de travail. N’est-ce pas une maladie chronique chez tous nos élus de manquer de courage ? Vous qui avez le privilège de côtoyer tous nos élus politiques, pensez-vous qu’il existe parmi les candidats un homme indemne de cette maladie, qui prendra les décisions bénéfiques pour la France ?

Évidemment ce que je propose, l’évaluation à la performance, passe par des suppressions de primes si vous ne venez pas travailler. Ce qui aujourd’hui n’est pas appliqué, et impossible à appliquer par un manager public. Il faut tout changer au contrat, intervenir sur les commissions tenues par les syndicats. Il va falloir bien réfléchir en amont sur la méthode à adopter.

Concernant la question du courage politique. Je crois moins à l’homme providentiel qu’à une bonne équipe. Vous savez bien que la réussite d’une entreprise n’est pas liée à la réussite de l’entrepreneur tout seul. Il faut bien choisir les personnes qui vont officier aux différentes fonctions. Le talent, c’est de bien s’entourer. Je pense donc que les choses vont largement dépendre du casting opéré par le prochain président de la république et de la répartition des rôles entre le premier ministre et le président de la république. A ce propos, je ne peux pas répondre à votre question. J’ai vu tant de candidats qui promettaient monts et merveilles et ne tenaient pas parole. Si nous incitons à offrir une meilleure campagne, un meilleur programme, nous allons favoriser une logique plus dynamique. Plus les promesses seront fines et documentées, plus ce sera difficile pour le futur élu de ne pas mener les réformes. On n’est pas tout seul. Il y a la Commission européenne qui a compris qu’il n’y avait plus rien à espérer du gouvernement. D’où la politique accommodante de la BCE jusqu’à des taux négatifs, mais on ne tiendra pas longtemps de cette manière. La Commission va nous mettre une pression de cheval après 2017 ! L’Allemagne est inquiète de la situation de la France, elle se rend compte qu’on tente de cacher nos mauvais résultats. On essaye de repeindre les choses en rose mais quand les chiffres du chômage nous parviennent, tout le monde tombe de l’armoire. Le Conseil des finances publiques, en liaison permanente avec la Commission, affirme que les choses vont déraper. Des garde-fous se sont heureusement petit à petit mis en place, qui devraient guider vers la réforme.

 

Nous sommes tous ici conscients de la nécessité de réduire la voilure du service public. N’assiste-t-on pas aujourd’hui à un gouvernement par la peur ? Peur du blocage de la société pour des semaines, voire des mois ?

Ne peut-on pas imaginer d’augmenter plutôt que de baisser les dépenses en raison du réchauffement climatique qui nécessiterait de stopper la production et la consommation de carbone ? La nouvelle « économie » nous coûterait beaucoup plus cher.

Ne vous inquiétez pas, certains s’en occupent déjà. Il suffit de regarder la CSPE (Contribution aux Charges de Service Public de l’Électricité). La taxe sur l’électricité que vous payez pour financer les éoliennes à presque 150,00 euros le mégawattheure, et presque 200,00 euros pour le photovoltaïque, passe à 40,00 euros avec le nucléaire. On dépense déjà beaucoup. On ne se rend pas compte du mal que nous sommes en train de faire à l’un des fleurons de notre industrie, je veux parler du nucléaire, dont vous êtes tous actionnaires. Nous faisons aujourd’hui des choix qui vont coûter plus cher. 70 milliards dans les prochaines années, dont la moitié de fiscalité. Il faut faire attention à ces sujets. Nous ne pouvons pas être les seuls à opter pour payer beaucoup plus cher et finalement saborder nos propres atouts. Soit nous aboutissons par nos recherches à produire de l’électricité au même prix, voire moins cher que ce qu’on paye aujourd’hui, soit nous décidons collectivement d’une nouvelles taxe gigantesque sur nos activités. Vous serez sans doute intéressés par une étude sur la question de la gestion de l’énergie que nous préparons, qui rejoint ce sujet. Nous avons tous intérêt à être le plus indépendant possible énergiquement parlant. Parce que les questions géopolitiques sont tendues.

Concernant la question du blocage. Il faut bien comprendre une chose, c’est que le code du travail est le gardien du statut. Si vous voulez le réformer, vous inquiétez les statutaires parce qu’on ne peut pas demander à une partie de la France majoritaire d’être hyper flexible en proposant à l’autre partie de disposer de son emploi à vie sans tenir compte de sa performance et de la qualité de son travail. Ce n’est pas tenable et les syndicats le savent. Ils l’ont bien compris bien avant nous. Ce sont les mêmes syndicats qui sont dans le public et dans le privé. Les syndicats du public représentent 17% de l’ensemble des agents. Les syndicats du privé représentent 5% des salariés. On a inversé le poids. 16 millions de personnes travaillent dans les entreprises, 7 millions dans l’emploi non marchand. Vous avez 500 000 syndiqués dans le privé et 1 million dans le public. A la tête des centrales, ce sont la plupart du temps des personnes qui viennent du monde public. Que ce soit le monde des entreprises publiques ou des administrations publiques. Dans la mesure où syndicats publics et privés sont mixés, chaque fois qu’on donne des coups de butoir dans le code du travail, ils s’inquiètent pour leur statut. Le préserver est le moyen de rester puissant. Code du travail et statut sont intimement liés. Et pas seulement en France. Au Portugal, tout le monde a été contractualisé, mais le jour où ils ont voulu supprimer le 13° mois de manière arbitraire, ils se sont trouvés face au problème qu’un contrat est un contrat. Alors qu’on peut supprimer un 13° mois dans un statut. Les réformes du statut et du code du travail doivent être pensées de manière totalement symétrique. Les syndicats ont sans doute raison de s’inquiéter car la question du statut est centrale dans les débats de 2017. La bataille va être rude car sans les agents statutaires et les régimes spéciaux, les syndicaux perdent potentiellement énormément de manne, de soutiens, de subventions, de prêts personnels, d’heures de délégation, etc.

 

Ma première observation porte sur le chômage. Les chiffres sont truqués car au dénominateur on ne devrait mettre que le nombre des salariés du secteur marchand. Auquel cas le taux serait évidemment beaucoup plus important.

Ma deuxième remarque concerne l’emploi. On oublie souvent de parler de l’employeur. Nous sommes dans une région extrêmement dynamique depuis longtemps, avec un taux de chômage très faible parce qu’ici il y a des valeurs partagées par l’ensemble de notre personnel, et il y a des familles entreprenantes. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que tout est fait pour décourager ces familles, par des tracasseries administratives, des impositions de toutes sortes, et notamment celles concernant les droits de succession. On nous compare toujours avec l’Allemagne, mais la France a autant de grandes entreprises que l’Allemagne. La différence se fait au niveau des ETI. En Grande-Bretagne et en Italie du nord, on favorise ces successions alors qu’en France on fait tout le contraire pour des raisons idéologiques en assénant un impôt à 40%. C’est-à-dire que plus vous réussissez, moins vous pouvez transmettre à votre famille.

Et enfin, que pensez-vous de la flat tax ?

Le Mittelstand allemand recouvre un capitalisme familial. Nous sommes allés à Bercy pour dire qu’il fallait qu’on arrête avec ces histoires de pacte Dutreil et l’idée de supprimer l’ISF sur les non dirigeants dans les ETI quand une famille compte plusieurs actionnaires. C’était le directeur adjoint du cabinet de Flore Pellerin que j’ai rencontré. Donc a priori plutôt ouvert à la question de l’entrepreneuriat. Il m’a répondu « vous n’y pensez pas, supprimer l’ISF sur les avoirs entrepreneuriaux de familles dont les membres ne sont pas dirigeants. On ne va pas faire de cadeaux aux héritiers. » Il y a un problème puisqu’ils ne veulent ni capitalisme financier ni capitalisme familial. Ce n’est pas avec des SCOP qu’ils vont changer la France ! J’étais sidérée d’entendre une idée aussi stupide. Le problème, c’est qu’ils le pensent vraiment ! Ce sont les mêmes qui sont épouvantés de voir les entreprises délocaliser et qui vous répondent ça ! Les Français veulent juste qu’il y ait de belles boîtes en France pour avoir du boulot. Mais chez nous on aime dissocier le dirigeant de l’investisseur. Le dirigeant a droit à toutes les capacités fiscales possibles, à l’outil de travail. En 2008, on a essayé de faire passer une mesure inspirée de la fiscalité américaine, une société de capitaux à transparence fiscale, qui permettrait que tous les investisseurs et le dirigeant puissent déduire les éventuelles pertes de leur fiscalité personnelle quand ils investissent et qu’il y a des pertes. Aux États-Unis, environ la moitié des start-up se créent sur ce système de transparence fiscale. On l’a fait passer en loi de modernisation de l’économie avec Hervé Novelli. Tout s’est bien passé jusqu’à l’instruction fiscale. Il n’y avait plus que le dirigeant qui avait le droit de déduire de sa fiscalité personnelle ! On a voulu faire le SAV de la loi. C’était Christine Lagarde qui était à la tête de Bercy à ce moment-là. Mais on ne pouvait plus rien faire parce que l’instruction fiscale avait dit le contraire de ce qu’avait voté le Parlement !

Sur les successions, il y a eu le rapport Retailleau mais il y a aussi eu le rapport Mellerio dits Meller qui dit exactement la même chose. Nous avons fait le comparatif du contexte fiscal des successions/donations. Nous sommes dans les pires ! Si l’on veut transmettre le patrimoine entrepreneurial, il va falloir prévoir des abattements beaucoup plus importants, voire 100% d’abattement quand vous transmettez l’entreprise à vos enfants. Mais nous sommes encore dans l’idéologie. On fait tout pour empêcher le Mittelstand allemand en France. Nous avons étudié une ETI en particulier, dans la métallurgie, installée dans le sud de la France. Elle a une filiale en Allemagne, une autre au Royaume-Uni. On a étudié tous les bilans, comparé les 3 pays et on s’est aperçu qu’elle ne voulait plus embaucher en France parce que c’était trop compliqué à la fois par rapport au code du travail, à la fiscalité, la gestion, la succession, etc. La dizaine d’emplois qu’elle aurait pu créer en France, elle a décidé de les créer ailleurs. Quand on rapporte ces faits aux économistes macro de l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques), ils ne voient pas du tout de quoi il s’agit ! C’est aussi pour cette raison qu’il faut revaloriser la microéconomie vis-à-vis de la macroéconomie. En macro vous ne voyez rien, en micro vous voyez tout. Et ce qui est en train de se passer avec les familles qui se découragent, c’est grave parce que ce sont eux l’avenir de la France. Ce sont eux qui pourront décider de continuer, d’innover, d’investir, etc. Nous devons créer un choc de confiance avec ces personnes-là avant 2017 et leur dire qu’on compte sur elles. Nous allons devoir reconstruire une image qui a été largement écornée, et pas seulement sous la gauche.

Sur la flat tax, c’est beau sur le papier. Je pense que ce serait difficile sur le plan du Conseil constitutionnel parce qu’il n’y a pas tant d’impôts progressifs en France. Il y a l’ISF en fonction du patrimoine et l’impôt sur le revenu. L’impôt proportionnel existe déjà, c’est la CSG/CRDS, sauf qu’on impose davantage les revenus du capital que ceux du travail. C’est là qu’il faudrait les abaisser de manière équitable. Je ne crois pas tellement qu’on va réussir à passer à la flat tax dans les prochaines années. En revanche, je pense qu’on peut parvenir à supprimer la tranche à 45 et rétablir un bouclier fiscal. Il y en a toujours un autour de 70%. On peut très bien l’abaisser à 55 ou 60% en prenant la totalité des impôts. Ce qui a fait sauter le bouclier fiscal, c’est la question des chèques. Nous avions alerté en disant qu’il fallait recourir à l’autoliquidation. On ne peut pas à la fois mettre un bouclier fiscal et augmenter les impôts par la suite. C’est la-dessus que le gouvernement Sarkozy/Fillion s’est retrouvé dans un corner. Il y a aussi la question des cotisations sociales. Un trop grand nombre pèse sur l’employeur et pas suffisamment sur le salarié. Tous les pays sont à 50/50 environ. Nous sommes les seuls à avoir 75/25. La flat tax peut par contre être un sujet pour 2022.

 

Vous nous avez parlé des programmes économiques des candidats de droite. J’aurais voulu avoir votre point de vue au sujet du programme économique du Front national.

C’est un vaste sujet. L’augmentation du SMIC, le maintien du nombre d’agents, le maintien du statut, un discours parfois presque syndical. Leur discours est presque collectiviste. Je ne crois pas que les Français y croient vraiment. J’ai participé à un certain nombre de débats au moment des résultats des régionales. On observe un croisement très clair entre les endroits où le Front national est fort, où le chômage est élevé, où la gestion publique est faible, où la dette publique est importante, et où les impôts locaux sont lourds. Il ne faut pas négliger un certain ras-le-bol fiscal comme avait dit Moscovici, ainsi qu’un problème de dépenses sociales qui accompagnent une désincitation au travail. Nous devons regarder ces problèmes en face. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas plus de contrôles, que le travail non déclaré fleurisse. On touche là des sujets délicats parce que certaines personnes ont réellement besoin des aides et d’autres sont dans le « j’optimise le système ». Il n’y a pas que l’optimisation fiscale, l’optimisation sociale existe aussi. Nous avons demandé à la Caisse Nationale des Allocations Familiales d’avoir les données, au minimum pour un département, des montants cumulés et de la composition des foyers. Nous avons essuyé un refus. Je suis donc en pourparlers avec eux et j’ai lancé quelques autres personnes sur le coup. Ce n’est pas normal de ne pas accéder à ces données. Certes, la montée du Front national accompagne le problème de tous les non dits, de tout ce qu’on n’explique pas, de tout ce qu’on n’assume pas. Le Front national collectionne des votes de défiance et d’énervement, mais ces gens souhaiteraient-ils vraiment que ce parti prennent les rênes ? Sera-t-il plus mauvais ou meilleur ? Je n’en sais rien. Il faudra faire le bilan avec les chiffres des collectivités gérées par des élus de ce parti. La question est de savoir si leur programme est cohérent et va dans le bon sens. Nous pensons que non. Il surfent aussi sur le manque de courage de nos politiques en général. C’est facile !

Nous devons responsabiliser nos élus qui peuvent être amenés à occuper des responsabilités importantes. Ce qui pose aussi la question de la représentation nationale. Le Front national est surtout présent dans des régions où les choses sont difficiles. Je pense pour ma part que la vraie réponse est l’entrepreneuriat. Or personne ne le dit. Je pense que c’est même important que l’école renoue avec les valeurs de l’entrepreneuriat. Nous aurons ainsi plus d’entrepreneurs. Je suis optimiste car j’ai confiance dans le bon sens des Français, souvent plus que dans le bon sens de leurs élites.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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