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Père Philippe DAUTAIS au Colloque « l’Appel du vivant » le 18 novembre 2023

Père Philippe DAUTAIS

« Eco-théologie chrétienne »

Dans le dialogue qui a lieu ici aujourd'hui, nous avons beaucoup de choses en commun. Dont une structuration traditionnelle. Nous avons également des visions différentes, et c'est ça l'intérêt. Nous nous éclairons les uns les autres en raison de nos approches variées. Nous sommes en quelque sorte entre amis.

Pour situer mon propos, je voudrais dire que ce titre "Appel du vivant" dit le sens direct. Le vivant nous appelle. Il vient d'être dit que le vivant est au-dedans de nous. Éric nous a rappelé que les Kogis commencent dans le noir, non pas dans une contamination sociale à l'extérieur mais dans un ressourcement intérieur pour entrer dans un dialogue intime avec le vivant au-dedans. Je crois que c'est là le fondement de toute tradition spirituelle. Fondement au début des grandes traditions, il a malheureusement dérivé. Les premiers chrétiens, les premiers adeptes de Bouddha, les premiers héritiers de Mohammed ont été dans cette expérience. Il s'est produit ensuite une dérive. Le commentaire de l'expérience des autres n'ayant plus un enracinement dans l'expérience intérieure. Dans le vivant. C'est un drame d'avoir perdu l'enracinement dans le vivant, d'avoir perdu la capacité à partir du vivant à l'intérieur de nous-même pour entrer dans une lecture des Révélations ou des Écritures Saintes. On a de ce fait déporté la lecture. Au lieu d'avoir une lecture à partir de l'expérience intérieure et à partir du vivant dans un sentir profond. Tout à l'heure, Éric comme Françoise nous ont ramenés vers l'intériorité, vers le sentir au-dedans. Comment peut-on mettre la sensation à l'écart au profit de la raison qui veut tout contrôler, qui veut exercer un pouvoir sur la vie au lieu d'entrer dans la vie ?

Je crois que l'appel du vivant aujourd'hui, c'est le fait de revenir au vivant en nous. A l'intériorité. A notre relation avec la nature. C'est sentir la respiration du vivant en nous et autour de nous. C'est sur cette expérience fondatrice que l'on peut entrer dans une juste approche des traditions spirituelles véhiculées depuis des millénaires. Comment peut-on balayer tout ça aujourd'hui? C'est dans la respiration de l'expérience intérieure qu'il convient d'approcher les grands textes bibliques. Si on perd cela, on projette un regard extérieur sur l'écriture au lieu de laisser émerger ce qui nous est dit. On projette ce que l'on veut y trouver plutôt que d'accueillir ce qui y est dit. En particulier en ce qui concerne la Bible et ce qu'on a fait dans la lecture extérieure de son contenu au lieu de lire le texte. Je donne des cours sur les textes bibliques à partir de l'hébreu pour expliciter les mots, sans interprétation. Il y a dans l'hébreu une richesse infinie car chaque mot est constitué de lettres et chaque lettre est un mot. Vous voyez l'éclatement du sens. Tout à l'heure, il a été question de lire le dedans, ce qui est en résonance puisque le langage biblique est le même que le langage de l'inconscient. Apprendre à lire les textes bibliques demande qu'on ait un peu écouté et entendu ce qui est dit au-dedans, puisque nous portons tout en nous-même. La connaissance ne viendra pas de l'extérieur, elle sera une révélation. Ce n'est pas pour rien qu'on dit que la Bible est le livre de la Révélation. Révélation signifie dévoilement. Le final de la Bible est le livre de l'Apocalypse, ce qui ne veut pas dire la catastrophe générale mais le dévoilement, la révélation. Depuis le premier mot, nous sommes dans un processus de dévoilement de ce qui est inscrit en nous. A condition de savoir le lire et d'en avoir l'écho dans les textes bibliques. Si l'on y entre, le texte nous éclaire sur notre intériorité. C'était sa vocation. La Bible n'est pas un livre de l'histoire d'un peuple. C'est le livre de mon histoire, qui dit mon intériorité, qui dit tout le processus de dévoilement qui va s'opérer en moi vers un accomplissement spirituel.

Le premier mot de la Bible “beréshit” parle de l'essentiel de ce que nous allons devenir. Ce que nous sommes aujourd'hui est le résultat de ce que nous avons été. Mais comme il vient d'être dit à propos des mémoires cellulaires, il y a ce qui est inscrit en nous et il y a ce que nous allons en faire. Comment nous allons amener à la conscience ce qui est inscrit en nous. Nous pourrions dire que l'être humain est pour le cosmos la possibilité de prendre conscience de lui-même. Nous avons à nommer et intégrer toutes les richesses que nous portons en nous, et nous portons la totalité des richesses, des potentialités. Nous portons même des potentialités divines. Il s'agit d'apprendre à lire. On peut traduire religion par religare dans le sens de ce qui fait du lien, mais on peut l'entendre aussi comme religere, c'est-à-dire lire ce qui est en nous pour devenir pleinement ce que nous sommes potentiellement. Si nous sommes dans ce registre, nous allons traduire “beréshit” non pas par recommencement qui nous met dans une ligne horizontale historique mais dans un rapport à l'origine. L'origine n'étant pas le commencement. J'emprunte une image physique pour l'illustrer. Postez un observateur, placez une plaque trouée devant une lampe. L'observateur va voir une lumière qui jaillit du trou lorsque vous allumez la lampe. Or ce n'est pas l'origine du trou. Donc le big bang n'est pas l'origine. C'est 10-43 ­secondes mais ce n'est pas 0, ce n'est pas l'origine. Si on se met dans ce rapport, nous sommes dans une lecture verticale. On entend donc les choses d'une autre manière. Quand on lit les textes bibliques, on lit autre chose qui vient nous éclairer sur notre intériorité et sur notre vocation profonde à accomplir ce que nous portons en nous. Ce qui nous situe dans une structuration verticale. Les traditions spirituelles amènent une structuration intérieure et une maturité. Dostoïevski disait "Quand chacun deviendra responsable de tous, il y aura la paix sur terre. Mais quand il y a un déni de responsabilité, il y a la guerre". C'est toujours la faute de l'autre.

Quand il est dit dans la Genèse que Dieu crée le vivant, « Au sixième jour, Dieu crée les animaux de terre et l'être humain. », celui-ci fait bien partie des vivants. On a élaboré toute une philosophie de la déconstruction depuis le XVII° siècle, disant que l'être humain était surnature, se trouvait en-dehors de la nature. On voit les conséquences absolument dramatiques aujourd'hui d'avoir séparé l'être humain de la nature. Comme si la nature était un environnement par rapport à nous. C'est monstrueux ! Nous devons vivre une articulation entre écologie intérieure et écologie extérieure. Le drame vient du fait que nous ayons perdu le sens de l'intériorité. Méditation, prière, sont des expériences d'intériorité. Dans la voie spirituelle, nous ne sommes pas déstabilisés par les événements. Quand un événement arrive, on observe ce qui se passe en nous. Qu'est-ce que ça vient susciter, réveiller, révéler de mes mémoires cellulaires ? Puis-je en faire la lecture ? Si un événement vient me percuter, ce n'est pas un hasard. Ça signifie que je suis prêt à entendre ce qu'il vient réveiller en moi. Et à chaque jour suffit sa peine et sa joie de pouvoir intégrer une mémoire qui n'est pas qu'une énergie. L’énergie est comme une onde porteuse et la mémoire est une information. Une information ne peut pas être réduite à de l'énergie. L'énergie porte l'information qui nous dit quelque chose de profond. C'est par une information spécifique que l'organisme se met en mouvement de manière particulière. Si on change l'information, la configuration des molécules va être différente. En réalité, nous avons face à l'événement à entendre ce que l'information vient réveiller et révéler au-dedans.

Nous sommes au sein du vivant et devons être à l'écoute. Ce qui signifie une posture d'intériorité, une posture dans la vie. Pour moi la spiritualité, ce n'est pas adhérer à une religion. C'est un mode d'être, une manière de se placer en disciple, c'est-à-dire celui qui va apprendre de chaque moment, de chaque rencontre, de chaque situation. C'est celui qui va découvrir, à propos de l'événement, de l'observation ou de la parole médisante de l'autre, des choses sur lui-même. On entre dans le cheminement de la connaissance de soi. Observer sans juger pour peu à peu intégrer des énergies à l'état libre. Il est dit au premier chapitre de la Genèse que Dieu crée l'être humain, et la première chose qui est dite, c'est que l'être humain est créé à l'image de Dieu. C'est une formule biblique, religieuse, qui dit de l'être humain qu'il est acosmique, qui n'est pas cosmique. Ce qui signifie qu'il y a un espace non conditionné en nous, qui n'est pas contaminé, colonisé par la réalité cosmique, la réalité du monde et la réalité culturelle. C'est à partir de là que nous pouvons poser un regard libre sur les réalités et que nous pouvons entrer dans une observation sans être emporté par l'influence du monde. Il existe une possibilité de décontamination du monde en nous, une possibilité de pouvoir échapper à l'emprise des conditionnements et des déterminismes cosmiques et culturels. Je n'ai pas dit que l'être humain est libre mais qu'il est en capacité de liberté. En capacité d'ouvrir un espace nouveau qui ne soit pas la reproduction du passé par le biais de la mémoire cellulaire entre autres. Il nous manque de savoir lire. Ce qui relève d'une expérience intérieure. Il ne s'agit pas d'être effrayé par ce qui nous arrive mais d'être interpellé et de faire de chaque situation une occasion d'éveil de conscience, de connaissance intérieure, pour réacquérir un ascendant sur soi-même. Ne plus être manipulé par les mémoires qui sont en nous, par des influences culturelles, par des pressions du monde, mais comment je peux devenir le sujet libre et responsable de mon devenir.

Nous voyons ici une perspective qui nous donne de l'espérance. Nous avons une situation catastrophique au dehors, il suffit de voir toutes les guerres et ce terrible manque de solidarité. Si nous n'entrons pas en résonance avec le vivant en chacun et que nous ne prenons pas au sérieux ce que nous a rappelé la physique quantique en nous disant que toute particule qui a fait partie d'une même fonction d'onde réagit à l'instant même en simultanéité avec l'autre. Nous sommes tous en relation les uns avec les autres. Impossible d'échapper à cette unité au cœur de la diversité. C'est ça le vivant. Dire le vivant, c'est parler de cette interrelation, cette interdépendance. Cela ne peut que nous amener à la solidarité, à la fraternité. La guerre, c'est empêcher qu'un avenir soit possible. C'est donc un désastre.

On a fait la guerre au vivant pour une chose qui est une dérive intellectuelle, la désacralisation du monde. On a considéré avec René Descartes au XVII° siècle que le tout était égal à l'ensemble des parties. Si on connaissait les parties, on connaîtrait le tout. C'est une vision horlogère. Faites la même chose avec un organisme humain, vous allez voir. La physique quantique nous a dit que le tout est beaucoup plus que l'ensemble des parties parce que la vie circule. L'horloge n'a pas besoin de vie, c'est son ressort qui la fait fonctionner. Dans l'organisme, il y a la vie. On l'a oublié. La question philosophique est la questions religieuse depuis des siècles. Où est la vie de la vie ? Qu'est-ce que la vie ? La vie est transversale, elle traverse et transcende tout. Quelque chose n'y est pas cosmique. C'est l'entropie, la dégradation. Et qu'est ce qui fait que ça ne se dégrade pas ? Il y a quelque chose qui procède de la ré insufflation de l'information, une ré insufflation de l'énergie qui s'appelle la vie. Les scientifiques se tirent une balle dans le pied en disant que tout système fermé va vers la mort. Si l'on considère que l'univers est un système fermé, il n'y a pas de transcendance et on va vers la mort. C'est ce qu'on fait. Un système ouvert pointe vers une transcendance. Chacun habitera cette transcendance comme il le souhaite. Je ne suis pas là pour dire ce qu'il faut penser et croire. Il s'agit de le découvrir au-dedans.

Au deuxième chapitre de la Genèse, Dieu place l'être humain dans le jardin d'Eden. Chacun est placé dans l'axe de sa singularité unique et incomparable. Chacun doit découvrir son axe profond, sa vocation profonde. Nous sommes donc renvoyé au plus intime de nous-même. En réalité, il y a la magie de l'unité organique. Chaque cellule y participe sur un mode d'information spécifique. Même si 90% des cellules sont renouvelées, il se produit un grand miracle, une permanence dans l'impermanence. Toutes mes cellules se sont renouvelées plusieurs fois et je suis toujours le même. Mon système d'informations s'appelle Philippe et je suis le seul à l'habiter. Plus nous sommes dans la découverte émerveillée de la vie, plus nous allons vers nous-même, plus nous percevons à quel point nous sommes en lien les uns avec les autres et nous avons à œuvrer pour la paix et le dialogue. Ce n'est jamais l'argent mais le dialogue des uns avec les autres qui nous enrichit. Dans une situation dramatique, il est temps qu'un sursaut de conscient nous amène à voir que nous ne sommes rien par nous-même et ne pouvons vivre qu'en interrelation avec les humains et le vivant. Entrer dans cette grande symphonie et constater que nous sommes participants de la vie. C'est le cœur de la perspective biblique "Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Participer au tissu du vivant qu'est l'amour car dans le vivant tout est relation d'amour, c'est-à-dire d'ouverture et d'interconnexion de tous les éléments. Il est devenu urgent d'entrer dans cette conscience, cette spiritualité, ce mouvement du souffle qui n'est pas autre chose que le mouvement de la vie qui nous amènera à être pleinement libre.

Temps d’échange :

Vous nous laissez un peu sur notre faim. Oui il faut passer à autre chose, mais comment ?

Nous pouvons reprendre ce qui a été dit ce matin. Les maîtres Kogis nous disent que nous devons nous réconcilier avec la nature, retrouver cette aptitude d'enfant à nous émerveiller de ce qui est. Nous sommes blasés par des milliers d'informations. Être vivant est un miracle permanent dont nous ne sommes pas assez conscient.

Deuxièmement, nous devons prendre soin de la vie. Le vivant à l'extérieur et le vivant à l'intérieur. La spiritualité n'est pas autre chose que de mettre en respiration l'intérieur et l'extérieur, mais cela signifie un enracinement dans la vie intérieure, sinon on fait une interprétation extérieure. Par exemple, dans le livre de la Genèse, on a dit que Dieu crée l'homme à son image afin qu'il domine. On a entendu "dominer "sur l'extérieur, comme "exploiter", "utiliser". Ce n'est pas du tout le sens initial. Au deuxième chapitre du livre de la Genèse, il est question de nommer les énergies de vie, non pas pour les dominer mais pour les intégrer. De quelle manière Jésus de Nazareth a entendu  "dominer" ? Il n'est pas devenu un tyran, il n'a pas assis son autorité sur les autres, mais sur les vents, les eaux, les maladies, à l'intérieur. Nous sommes invités à ne plus être sous l'emprise des processus inconscients, sous l'emprise des mémoires, sous l'emprise du passé et des conditionnements culturels. Il s'agit de sortir de l'état d'esclavage pour aller vers la liberté. La sortie d’Égypte, c'est l'exil de soi-même, c’est revenir au-dedans pour aller vers la Terre promise, la terre de liberté. A partir de là, enracinement dans l'émerveillement, enracinement dans l'intériorité, enracinement à l'intérieur de soi-même, revenir au-dedans et découvrir que nous avons une vocation à reconnaître toutes les richesses qui sont en nous, à les faire vivre dans l'amour, dans le don de soi. C'est en se donnant que nous allons découvrir toutes les richesses que nous avons en nous. Finalement nous n'avons rien à attendre et tout à donner.

Pouvez-vous donner des éléments de compréhension plus avancés sur l'intériorité ?

L'intériorité, c'est premièrement sentir. Quand on médite, si on ne veut pas être emporté par les pensées, on doit descendre dans la sensation intérieure. Il serait dramatique de traverser l'existence sans avoir éprouvé ce que veut dire "vivre". Ne pas laisser la vie nous traverser, être dans l'intensité de la vie pour faire un avec la vie, dans la sensation intérieure. Toutes les traditions spirituelles sont d'accord avec ça. Quand on fait l'expérience de descendre dans la sensation, il n'y a plus de pensée. Il suffit d'une minute. On peut se focaliser sur la respiration, ça peut aider. Il s'agit d'accueillir ce qu'on perçoit. Sentir en quoi la vie me parle. A ce moment-là, il y a des choses qui émergent. Des choses auxquelles je n'ai jamais pensé. Il peut aussi émerger des mémoires, des blessures, des traumatismes. C'est l'occasion de les accueillir. Quand ça émerge, c'est parce que je suis prêt à traiter les choses. Quand un enfant vit un traumatisme, la mémoire traumatique va être refoulée dans le cerveau limbique pour son équilibre psychique, et c'est une bonne chose. Ça va être là et ça va travailler en nous, de telle manière que ça va déporter notre comportement. Si cette mémoire remonte aujourd'hui, c'est que je suis dans l'aptitude intérieure à intégrer cette mémoire et faire un chemin de conscience. Le chemin d'intériorité est un chemin de libération. Comme disait Épictète au premier siècle "Les êtres humains ne sont pas déconcertés par les événements mais par l'idée qu'ils s'en font". J'appelle "encombrants" les affolements sur les plans mental et émotionnel. Je pratique depuis 25 ans un processus thérapeutique qui vise à se débarrasser de ces encombrants. Nous sommes une équipe constituée de spécialistes de sciences humaines, de médecins psychiatres, de psychothérapeutes, de psychanalystes, etc. et nous articulons ces approches avec la dimension spirituelle. Il s'agit bien de visiter sa propre histoire, sinon on se voue à répéter les mêmes schémas. Une fois cette étape franchie, il reste le plan spirituel. Comment la lecture qu'on a faite de sa propre histoire va construire l'avenir, puisque c'est lui qui nous intéresse. Ce n'est pas ce qu'on a été qui est important mais ce que l'on va devenir par la grâce de Dieu.

Dans cet appel du vivant, quelle place revient aux religions ?

Nous pouvons observer aujourd'hui que les religions ont perdu du crédit. Tant mieux parce qu'il y a la spiritualité inhérente à l'être humain. Chaque être humain a une dimension spirituelle. Et puis il y a ce que les humains en ont fait dans leur lecture des héritages. Regardez dans les Évangiles, dans Matthieu 5, Jésus dit déjà aux pharisiens qu'à partir de l'héritage de Moïse, ils ont fait leur tradition. Ils ont déporté. Jésus remet de l'ordre. Le milieu religieux a déformé beaucoup de choses. Mais attention de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Je ne serais pas ici si je n'étais pas dans l'héritage d'une tradition chrétienne. Je suis allé en Égypte parce que j'ai éprouvé, à 4 et 8 ans, des expériences très fortes de contact avec l'infini et avec la dimension la plus profonde. J'entrais dans une schizophrénie. Il y avait le monde intérieur et d'autre part le monde extérieur qui pour moi était un enfer. Grâce à une personne qui m'a enseigné les pères du désert d’Égypte, je m'y suis rendu et j'y suis resté pendant 25 ans. J'ai découvert des choses très différentes de ce que j'avais appris au catéchisme. Il s'agissait du retour à l'intériorité, reviens-en toi-même, ne te laisse pas distraire par l'extérieur, etc. Au désert, il n'y avait pas de clôture et pas de règles. Dans un monastère aujourd'hui, c'est règles et clôture. Il y avait la vertu du relationnel. Il existe heureusement une tradition mystique, mais ce n'est pas ce qui se voit. Ce qui est montré à l'extérieur, c'est un plan institutionnel. Il faut redécouvrir qu'à l'intérieur de chaque tradition il y a du bon.

J'ai été invité dans la Biovallée® qui se trouve dans la Drôme. Il s'agit d'un milieu écologique très avancé dans l'organisation sociétale, avec une démocratie participative. Ils sont très pionniers. Ils sont dans une expérience de l'avenir. Mais il y avait un problème. Ils n'avaient pas écologisé leurs egos. Il y a des maisons en paille, de la permaculture, du photovoltaïque, etc. mais il va falloir faire quelque chose à l'intérieur. Car dès qu'on commence à faire un débat d'idées, les egos arrivent et se querellent. On a terminé le week-end sur une dimension très religieuse qui est le pardon. Sans le pardon, ils ne vont pas pouvoir continuer ensemble. Car à force d'accumuler des tensions et des conflits, rien de bon ne va pouvoir se faire. Ils vont devoir intégrer la spiritualité. Depuis 40 ans, je resitue l'essentiel de la spiritualité, ce qui fait vivre.

Je reviens à la capacité d'émerveillement. Ce que j'essaye de pratiquer au quotidien. J'y arrive plutôt bien, notamment en prenant ma douche. Mais comment échapper à la culpabilité de me dire que je suis très bien sous ma douche alors qu’il y  a tellement de gens qui ne peuvent pas vivre ça ? Comment échapper à cette culpabilité ?

La culpabilité est un poison car ce n'est pas parce que vous culpabilisez que ça améliore la vie des autres. Soyez heureuse de prendre une douche chaude. Goûtez ce moment de telle manière que vous aurez envie de partager avec d'autres ce qui vous met en joie, ce qui vous met en vie. Offrir à l'humanité le bien-être que je ressens à l'intérieur. Quand je mange, je déguste ce que je mange, et les neurosciences m'ont appris que je produis alors de la dopamine. Un philosophe juif qui s'appelait Martin Buber disait "La vie spirituelle commence par l'intériorité, elle se poursuit dans le don de soi aux autres", sinon, on s'enferme dans de l’égocentrisme. Goûtons la vie, apprécions-là de telle manière que nous allons la respecter. Je crois qu'il s'agit d'une fondement écologique. On n'apprécie pas suffisamment la vie, on ne se rend pas compte qu'il s'agit d'un miracle permanent, partageons-là davantage. Si chacun partage son bonheur au lieu de se sentir dans la culpabilité, ça ira mieux pour tout le monde.

Je revis la rencontre

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière

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