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Table ronde animée par Philippe DEMAISON au colloque « l’Appel du vivant » le 18 novembre 2023

Table ronde animée par Philippe (Yâ Sîn) Demaison  

Réunissant Emilie Barrucand, Bruno Guiderdoni et Yoan Svejcar

 

Philippe DEMAISON : Nous allons faire une transition mais avant, il faut bien reconnaître que la sagesse nous invite à ouvrir les yeux sur le réel, là où nous en sommes véritablement. Nous ne pouvons pas nous masquer les choses dans la situation où nous nous trouvons. Guérir commence par prendre conscience de là où nous en sommes. Cela ne sert à rien de le masquer. Le constat est violent. Ce qui se passe pour le minéral, pour le végétal, pour l'animal, est violent et nous devons essayer de trouver en nous la force de l'accueillir et de le transformer en retissant ce lien qui nous réunit à la terre, à l'ensemble du vivant.

Il y a une espérance que nous portons "Si Dieu croit en nous, s'il a confiance en nous, c'est que nous le méritons". Nous sommes à la hauteur de la situation et c'est une bonne nouvelle.

 

Pour revenir à cette table ronde, "L'appel du vivant", j'ai pensé qu'il était intéressant de demander à nos invités quel a été chez eux, dans leur vie, dans leur expérience, ce moment particulier où ils ont entendu cet appel du vivant et qu'est-ce qui l'a provoqué ?

 

Emilie BARRUCAND : Enfant, j'étais fascinée par les peuples autochtones, leur lien à la nature, et plus particulièrement par ceux d'Amazonie. Des films, des photos m'ont très jeune connectée à ces peuples. Mon rêve était d'agir pour leur défense et pour la protection des forêts. Un jour, étudiante, j'ai mené un projet de terrain pour me rendre en Amazonie, je voulais voir les Kayapo. Certains me disaient "Tu ne tiendras pas trois semaines et tu reviendras, les Kayapo sont un peuple guerrier." En fait, j'y passe trois à six mois par an et j'adore y être. Mon souhait était d'agir pour eux. Je n'ai pas écouté toutes ces voix, j'ai écouté mon cœur et ma détermination. J'ai monté ce projet et dix jours avant mon départ pour le Brésil, le chef Raoni est venu en Europe pour donner des conférences afin de sensibiliser les Européens à la protection de l'Amazonie. J'ai fait sa rencontre, il m'a emmenée dans son village et cela fait 22 ans que je vis auprès d'eux.

 

Yoan SVEJCA : J'ai d'abord fait des études en physique fondamentale, une licence que je n'ai pas validée car juste avant, j'avais cours avec Aurélien Barrau qui m'a montré que la physique n'était pas faite pour moi. Au fond, j'ai toujours eu envie de comprendre l'univers. Sans la physique, comment vais-je pouvoir comprendre l'univers ? Grosse déception ! J'aimais bien aussi la psychologie, j’ai donc décidé d’aller vers quelque chose de plus facile, comprendre l'être humain. Je me suis alors rendu compte que ce n'était pas facile du tout ! J'ai tout de même continué jusqu'au master.

A ce moment-là, j'ai commencé à me rendre compte de la situation. J'ai commencé à lire des livres, à me documenter, à militer, à entreprendre des actions en faveur de la justice sociale et écologique. J'ai sombré dans une sorte de boulimie informationnelle pour comprendre ce qui se passait. A aucun moment de mes études et de ma vie, on ne m'avait parlé de ça. Comment se fait-il que j’aie un master de psycho et que je ne comprenne rien à l'état actuel du monde ? En avançant dans cette voie, j'ai reçu une grosse claque en comprenant la catastrophe dans laquelle nous sommes. Cela m'a fait peur, j'étais en colère et je ne savais pas quoi faire. Je me sentais complètement impuissant !

Que puis-je fait pour l'état du monde ? Je suis trop petit, je ne suis rien. Avec ma compagne, nous avons décidé d’entreprendre un tour du monde pour voir des éco lieux et comprendre les gens qui choisissent de changer radicalement leur mode de vie. Nous sommes partis avec cette idée de faire un documentaire "La voie des écolieux". Nous sommes partis neuf mois sans argent, en stop, juste avec un sac à dos pour expérimenter des manières d'être au monde. Cela nous a amenés à l'écopsychologie. Nous avons compris que d'autres manières d'être au monde sont possibles et que notre vision était très restreinte. De ce voyage je suis revenu transformé. Mon engagement, quel que soit le résultat, a été clair. Qu'est-ce que je peux faire là, tout de suite ? Donner ce que je suis, le transmettre et travailler à vivre différemment, donc m'ouvrir à la spiritualité et notamment au bouddhisme.

 

Bruno GUIDERDONI : L'appel du vivant m'est apparu dans ma petite enfance. Je suis né à Paris mais j'ai passé mes six premières années à la campagne en Normandie, plus précisément dans le Perche. Souvenirs de promenades, de la contemplation du ciel étoilé où est née mon appétence pour l'astronomie. Je constate que plusieurs dizaines d'années après, cet endroit a changé. Ce qui me frappe beaucoup, c'est l'inaccessibilité du ciel étoilé à cause des aérosols, de la pollution lumineuse. Il est maintenant très difficile de voir la voie lactée. De plus, nous avons maintenant des satellites artificiels, les trains de satellites Starlink que j'ai vus la première fois dans le ciel de Lyon. Il y en aura peut-être 100 000 à terme si nous laissons Elon Musk et ses collègues libres de leurs mouvements. Pourrons-nous continuer à faire de l'astronomie ? Un changement que je ne souhaite pas.

Un autre changement que j'ai vu, c'est la disparition des insectes. Gamin, je voyais toutes sortes de coléoptères et de papillons dans le jardin de mes parents. Il y avait des salamandres, des crapauds, des hérissons, des serpents, tout cela a disparu. Nous voyons sur le pas de notre porte des changements qui se produisent dans la biodiversité. Nous pourrions aussi parler des changements de température éprouvés durant ces derniers étés. Quand nous constatons de tels changements autour nous, nous nous posons la question "Mais que faire ?" Notre pouvoir d'action est limité, mais chacun peut agir pour soi en changeant ses comportements.

Les scientifiques sont sensibles aux faits. Ils anticipent les évènements qui vont se produire dans les années à venir, certains ayant déjà commencé. Mais la société offre une grande inertie. C'est difficile d'accepter un tel changement sur la nature, sur les ressources.

Depuis la Renaissance se déroule une course sans fin vers le progrès en pensant que la technologie allait apporter à tous le bonheur. Elle a sans doute apporté du bien-être mais sûrement pas le bonheur. Maintenant, nous savons que la technologie, telle que nous la pensons aujourd'hui, ne pourra pas apporter le bien-être aux 8 milliards d'humains. Il va falloir penser les choses autrement, redéfinir le bien-être, redéfinir le bonheur. C'est un grand enjeu qui, évidemment, a une dimension spirituelle profonde. C'est l'appel du vivant qui, pour nous, porte le nom de Dieu, c'est l'appel de la vie spirituelle qui nous anime toutes et tous, qui donne du sens à notre vie et qui fait que, comme le dit la tradition prophétique "Nous devons travailler pour l'autre vie à venir comme si nous devions mourir demain et nous devons travailler pour cette vie-ici comme si nous devions vivre mille ans".

 

Philippe DEMAISON : Emilie, j'aimerais que tu demandes à ces êtres merveilleux que tu as rencontrés "Que pensez-vous de l'intelligence artificielle ?" Et je voudrais revenir sur cette relation à l'ancien, au sens des hommes et des femmes. Toi qui es allée jeune les rencontrer, qu'est-ce qui t'a le plus profondément marquée ?

Emilie BARRUCAND : Je pense en particulier à mes rencontres avec le chef Raoni et avec Agostine, Ces anciens qui ont la connaissance sont de grands sages. J’éprouve du plaisir à être aux côtés de ces personnes qui comprennent. Être là, se mettre en position d'enfant, ouvert à leur parole.

Ma première rencontre avec les Kayapo. J'étais dans un petit avion mono moteur, avec le chef Raoni. Je vous rappelle que la terre des Kayapo fait trois fois la Suisse. Nous survolions la déforestation, les immenses champs de soja et tout d'un coup, la jungle à perte de vue. J'avais l'impression d'être dans un film, survoler l'Amazone puis me rapprocher de leur village, grand comme un trou dans un green de golf. L'avion a atterri. Les visages peints. Les enfants, les adultes pour nous accueillir, c'était fabuleux. Le cortège nous a suivis jusqu'à la grande hutte de Raoni. Je ne parlais pas leur langue, je me laissais guider, en toute confiance. J'ai rencontré la sœur de Raoni, une vieille dame toute bossue, avec des peintures impressionnantes. Elle m'a touché les cheveux.

Un peu plus tard Raoni est parti, me laissant à sa fille Kokona. « Elle va t'apprendre notre culture » mais elle a disparu. Restant seule, je demandais à ceux qui partaient dans la jungle si je pouvais les accompagner. « Oui mais il y a des jaguars ». Ce sont les enfants qui restaient auprès de moi, puis sont venues les femmes. J'en ai aidé une qui transportait des fruits, elle est devenue ma première copine, Lekoki. Elle m'a ensuite invitée chez elle, les femmes m'ont accueillie, se sont ouvertes à moi, puis ce furent les hommes. La rencontre avec ce peuple s'est faite progressivement. Puis ce fut la forêt et le vivant. Grandiose !

Ils ont le minimum au niveau matériel, mais ils ont l'essentiel, ils sont heureux ! La nature est magnifique. Si nous voulons trouver le bonheur, dépêchons-nous de faire le chemin vers la nature et détachons-nous des technologies qui nous en éloignent.

 

Philippe DEMAISON : Merci de nous avoir amené à la simplicité de ces peuples. Simplicité ne veut pas dire absence de profondeur. Leur humanité est si riche qu'à leur contact nous embellissons.

 

Emilie BARRUCAND : Au niveau de l'organisation sociale, politique, spirituelle, ils sont d'une grande complexité. Idem au niveau du savoir. Les tout-petits vont dans la forêt et apprennent auprès des anciens le comportement des animaux, les plantes médicinales, ce sont de vrais savants. Concernant le matériel, ils n'ont pas besoin d'avoir tout ce que nous avons. Même ceux qui vont en ville, ils ont de l'argent mais n'ont aucune envie de "notre matériel". Par contre leurs immenses connaissances immatérielles sont d'une fabuleuse richesse.

 

Philippe DEMAISON : Cela nous donne envie de découvrir ces peuples et leur simplicité de vie. Yoan, toi aussi tu nous as mis l'eau à la bouche en nous parlant des écosites. Que pourrais-tu nous dire de tes rencontres ? Tu dis que cela t'a beaucoup changé. Y-aurait-il un dénominateur commun malgré la diversité des gens que tu as rencontrés ? Aurais-tu ressenti un fil conducteur de toutes ces personnes ou sont-ils vraiment tous radicalement différents ? Quelle est l'expérience qui t'a marqué ?

 

Yoan SVEJCA : Avant de partir avec Fanny, ma compagne, nous nous étions projetés dans des écolieux pour récupérer sur une feuille les meilleures alternatives et les répertorier. De retour en France, nous irions à l’Élysée en leur disant "Voilà, vous avez-là toutes les alternatives. Vous faites ça et c'est gagné !" Je caricature un peu mais j'avais une vision un peu naïve.

Nous pourrions avoir la meilleure alternative qui révolutionnerait notre vie mais si nous n'arrivons pas, vous et moi, à être en contact, l'alternative ne sert strictement à rien. Si nous n'arrivons pas à communiquer, à voir le monde différemment, l'alternative n'a aucun avenir. Finalement ce que nous mettons en place à l'extérieur en pensant que c'est bien, n'a aucun intérêt, car le chemin ne se fait pas à l'extérieur mais à l'intérieur.

J'ai l'impression de faire de la redite. Nous voyons tous qu'il faut changer, mais l'essentiel est de savoir si nous sommes prêts à changer. Sommes-nous capables de changer car pour se changer il faut aller s'ouvrir, se donner cette possibilité et c'est ce que nous faisons dans les écolieux. L'intérieur et l'extérieur ne sont pas deux choses distinctes, il n'y a pas de frontière, cela forme un continuum.

Notre situation catastrophique provient des agissements de l'être humain et, c'est donc en nous qu'il faut chercher pour changer.

 

Philippe DEMAISON : Bruno, tu nous as parlé du cosmos. Nous sommes partis très loin, dans une dimension incroyable du cosmos, je souhaiterais t'inviter à revenir sur la terre et nous dire quelle serait pour toi la chose la plus essentielle, la plus capitale. Imaginons que tu doives partir et laisser un message court, essentiel, quel serait-il ?

 

Bruno GUIDERDONI : Je me suis dit qu'un jour je partirai pour un voyage sans retour. Qu'est-ce que je laisserai ? Je repense à mes parents et me demande ce qu'ils m'ont laissé. Mon père m'a laissé le goût de la connaissance et ma mère, le sens de l'amour inconditionnel, celui qu'une mère peut avoir pour ses enfants. Ce sont évidemment deux messages extraordinaires car nous avons besoin de connaître la réalité. La sagesse est la connaissance de la réalité et pour agir, agir avec amour, nous nous basons sur cette connaissance. Ces deux messages ont guidé ma vie.

Nous avons beaucoup d'informations avec internet, les publications scientifiques, le nombre de livres mais nous n'avons jamais eu aussi peu de connaissances finalement car dans toutes ces informations nous ne savons pas où est le vrai, où est le faux. En fait les algorithmes de Facebook, de YouTube, concourent à cette confusion parce qu'ils sélectionnent systématiquement ce qui nous plaît et avons tendance à regarder. Un point de vue contradictoire pour nous élargir l'esprit ne nous est jamais donné. Finalement, l'humanité n'a jamais eu autant l'occasion de se connaître et de s'engager dans une fraternité. Pourtant nous constatons un repli sur soi et de l'incompréhension réciproque. J’espère que je laisserai ce message à mes fils au moment de partir.

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Temps d’échange :

A votre avis, l'augmentation de la population mondiale posera-t-elle un problème par rapport à la nécessité de transformation liée à l'appel du vivant ? J'observe que dans les exemples donnés, nous sommes sur des petites communautés. Je suppose que dans des régions surpeuplées comme l'Inde, il est plus compliqué d'aller se promener en forêt.

 

Bruno GUIDERDONI : Les projections de l'ONU laissent penser que nous pourrions atteindre une dizaine de milliards d'habitants dans le courant du XXIème siècle. Le problème n'est pas tant le nombre de personnes qui vivent sur terre que les aspirations qu'elles ont à la consommation. Un Indien consomme, en équivalent CO2, 150 fois moins qu'un Qatari. Si nous consommons tous comme un Indien, tout va bien. Si nous consommons comme un Qatari ou un Américain, cela ne va plus.

Que peut-il se passer dans le futur si nous n'entendons pas l'appel du vivant ? Nous irons vers des catastrophes de plus en plus grandes. Un espoir fallacieux se profile à l'horizon, nous l'appelons la singularité technologique, c'est à dire que les techno-solutionnistes disent que la technologie résoudra les problèmes causés par la technologie. Mais force est de constater que l'accroissement de la technologie a créé des problèmes qui sont de plus en plus difficiles à résoudre. Il y a de gros problèmes et nous attendons de grosses solutions. L'Intelligence Artificielle se présente comme une solution qui résoudra les problèmes que notre bêtise naturelle n'a pas résolu. Permettez-moi d'en douter car l'IA ne fait que reproduire ce que nous lui enseignons. Idem pour les robots révolutionnaires proposés par Elon Musk. Où est le génie, s'il n'y a pas de singularité technologique. J'appelle « décrochage » ce que l'on nous prépare. La locomotive décroche les wagons. C'est-à-dire que les pays riches décrochent par rapport aux pays pauvres et les gens riches par rapport aux gens pauvres. Pour continuer à consommer massivement, il ne faut pas être 10 milliards mais 1 milliard. Nous allons donc tout faire pour que la population diminue dans un facteur 10. Pour cela, il suffit de mettre des barrières entre le nord et le sud. C'est ce qui se prépare. Donald Trump est un exemple en disant "Je veux acheter le Groenland". Ne resteront que les hommes utiles à l'entretien des ultra riches, les autres seront les victimes du réchauffement climatique. Ce sera la fin de l'humanité au sens où l'humanité est une fraternité spirituelle. Face à un défi considérable, l'humanité gardera-t-elle son âme ? Garder son âme veut dire respecter la nature, respecter le vivant, partager les ressources, se contenter du peu pour que toutes et tous puissent poursuivre l’aventure de l'humanité. Dans le cas contraire, les survivants au Groenland auront conservé leur vie mais ils auront perdu leur âme.

 

En contre point, quelles tendances positives, quels espoirs nous donnez-vous ?

 

Emilie BARRUCAND : Agissons, faisons tous le mieux que nous pouvons en restant positif et avec amour. C'est comme ça que nous pourrons changer les choses. Je ne dis pas que ce que Bruno a présenté ne peut pas arriver, mais il faut que nous restions dans le positif pour garder notre pouvoir d'action. Si j'étais restée focalisée sur la politique de Bolsonaro, sur la déforestation, j'aurais été désespérée et je n'aurais plus rien fait. La situation n'est pas facile, la déforestation qui augmente dans le monde, le changement climatique, etc. Il faut cultiver en soi l'optimisme, l'action, l'engagement, faire tout notre possible, ce que tout le monde peut faire. Il ne s'agit de monter des projets de grande ampleur, mais nous pouvons semer des graines. Faisons notre part et aidons les autres à faire la leur. Profitons d'être ensemble, profitons de la nature, soyons dans le partage et l’énergie positive.

 

Yoan SVEJCA : Je pense sincèrement que la question de l'optimisme ou du pessimisme n'a plus de sens à l'heure actuelle. En fait nous risquons de rester bloqués car l'optimisme fait appel à une projection dans l'avenir qui va nous apporter du bien. Ce qui ne nous met pas en mouvement car nous espérons que... Le pessimisme est pareil, je ne peux plus agir, donc je n'ai rien à faire.

 

Emilie BARRUCAND : Pour garder cette énergie positive, pour agir il faut être heureux au quotidien. Étaler le négatif ne fait que couper l'action, le moral et l'optimisme, ce n'est pas la méthode Coué.

 

Yoan SVEJCA : Quand j'assume mes douleurs et mes souffrances, la vision que j'aie de la réalité me donne paradoxalement une énorme puissance d'agir. Je pense que nous avons tendance à vouloir chasser le négatif pour aller vers du positif. En fait nous avons peur de souffrir. Nous ne nous rendons pas compte de la puissance de se reconnecter à ce qui est là en fait. Ce qui est là fait écho à la souffrance mais aussi à beaucoup de joie.

Au Chili, une dame me disait qu'elle ne s'occupait pas des conséquences de ce qu'elle faisait. Elle se préoccupait de se reconnecter à la terre, de ressentir le vivant et à partir de ce moment, elle n'avait plus qu'à agir, ici et maintenant. J'en ai retenu, "Être en contact avec la terre et arrêter de trop penser."

 

Philippe DEMAISON :  Je voudrais apporter un contre-point. Être en contact avec la terre, comme tu l'as dit, est fondamental. Le contact avec le ciel et la question de la force. La situation est terrible et elle peut nous embarquer avec elle. L'effondrement extérieur peut susciter un effondrement intérieur. Je pense que pour beaucoup gens aujourd'hui, c'est ce qui va se produire. Dans cette situation, il devient difficile de se reconnecter à la terre. Pouvons-nous, au-delà du bavardage mental dont tu parles, nous reconnecter avec le ciel pour avoir la force de garder cette capacité d'action et de volonté afin de pouvoir porter la parole, le message, ce que chacun de nous peut faire à son niveau. Cette force-là, il faut que nous la préservions. "Habitez la forteresse de l'amour". Forteresse et amour, deux mots apparemment contradictoires. C'est à dire "Protégez-vous aussi de tout ce qui se passe par l'amour de façon à ce que vous puissiez être des porteurs de lumière, de sagesse, en tout cas de bienveillance et d'actions positives. Je pense que se connecter à la terre, se connecter aussi avec le ciel intérieur, c'est là que nous pouvons nous régénérer. Cela devient dur aussi pour nous, de nous régénérer à l'extérieur quand nous voyons tout ce qui se passe. Trouvons en nous cette présence qui va nous permettre de garder la force pour aller jusqu'au bout de cette aventure, de ce que nous voyons.

 

Emilie BARRUCAND : Je voudrais rebondir sur ce que tu viens de dire. Les peuples autochtones sont harcelés, on essaie de leur voler leurs terres. Beaucoup disent que ces peuples vont disparaître. Pourtant ils ne disent pas que c'est fini. "Nous étions là quand les Européens sont arrivés et nous sommes toujours là." Ils sont résistants, ils se battent et une fois qu'ils sont dans leur vie quotidienne, ils sont dans l'instant présent, reliés à la terre, dans le partage avec leur famille. Ils célèbrent la vie et je pense que nous pouvons prendre exemple sur eux.

Je revis la table ronde

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel

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