j'adhère au cera

Le Printemps des idées 2017 : Santé, Food § Tech : vers de nouveaux horizons !

1° Édition du Printemps des idées 

21 mars 2017

« Santé, Food § Tech : vers de nouveaux horizons ! »

 

Invités : Sarah Singla, agricultrice ; Matthieu Archambeaud, agriculteur

Armelle Delaage, United Kitchen ; Jérémie Prouteau, DigitalFoodLab ; Robin Placet, Foodentropie

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Michel Mousset

Merci à la Communauté de Communes des Terres de Montaigu de nous accueillir dans cette magnifique salle que nous espérons remplir pour le printemps des idées 2018. Cette année étant une Première ! Bravo et merci à vous tous d’être là, merci également aux Jardins de Gally qui nous offrent le magnifique décor de la salle ainsi que des corbeilles de fruits pour le buffet.

Ce premier printemps des idées est co-organisé par le CERA, le Centre d’Échanges et de Réflexion pour l’Avenir dont j’ai le plaisir d’être le président, et Vendée réseaux sociaux donc j’appelle le président, Emmanuel Chopot qui nous présente son association :

Vendée RS est une association de promotion à l’usage des médias sociaux, les twitter, Facebook, et tous ceux que vous ne connaissez peut-être pas qui sont utilisables en entreprise. C’est une association que nous avons eu le plaisir de cofonder avec Hervé Pillaud en 2012. Nous sommes à l’initiative des VEDIA, les Vendée Digital Awards, qui fêteront cette année leur 3ème édition. Il s’agit d’un concours qui récompense l’innovation en matière de communication digitale. Ce concours s’adresse aux entreprises, associations et collectivités. La remise des prix aura lieu le 9 novembre 2017. L’Académie Digitale a pour vocation de faire progresser les entreprises, les associations et les collectivités dans leur communication digitale. Nous aurons une séance de l’Académie Digitale le 6 avril prochain, animée par Aurélie Beaupel qui est une formatrice professionnelle. Ça se passera à la Loco Numérique à La Roche-sur-Yon. Toutes nos infos sont bien sûr sur notre site www.vendeers.fr

 

Delphine Bisson, animatrice, présente la première table ronde de la soirée :

Bonsoir, je me présente en deux mots, je suis journaliste spécialisée dans l’agriculture. Le département de Vendée est riche en médias certes, mais riche également en médias agricoles. Je suis ravie aujourd’hui d’accueillir un confrère, puisque Matthieu, que nous allons accueillir dans quelques instants, est également journaliste. Nous allons pouvoir échanger sur le thème de l’agroécologie et de la conservation des sols. Pour démarrer, je reprends juste une citation d’Antoine de Saint-Exupéry qui disait « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ». Dès lors, avons-nous un devoir envers cette terre qui nous porte aujourd’hui ? Ce devoir doit-il se traduire par une oreille attentive que l’on doit avoir envers Dame Nature ? Et doit-on avoir une reconnaissance pour ce sol qui nourrit des plantes, qui elles-mêmes nous nourrissent ? Au-delà de tout ce précepte un peu philosophique autour du sol, de la nature et de l’environnement, il y a tout un enjeu économique, un enjeu environnemental et un enjeu sociétal. Ce sont deux professionnels, deux experts, qui vont nous en parler aujourd’hui.

Nous sommes avec Sarah Singla, qui est aujourd’hui agricultrice dans l’Aveyron. Elle est passionnée d’agronomie et exploite une ferme céréalière en agriculture de conservation. Nous allons d’abord l’interroger au sujet de ce type d’agriculture. Sarah est installée depuis 2010 dans une exploitation familiale. Cette jeune agricultrice est adepte du semis direct sous couvert végétal. Il s’agit d’une technique agronomique qu’elle a découverte lors de voyages d’études. Elle s’est rendue compte que le sol, c’est la clé de voûte de chaque exploitation. Sarah, j’espère que tu vas nous livrer les clés de ton jardin et nous expliquer toutes tes démarches.

Au côté de Sarah, Matthieu Archambault, qui se dit diffuseur de connaissances. C’est un citadin pure souche, même s’il porte depuis longtemps un grand intérêt pour tout ce qui touche la nature. Il est aujourd’hui conseiller spécialisé dans l’agronomie et journaliste technique pour un site internet qui s’appelle Agriculture de Conservation, et il écrit régulièrement dans une revue spécialisée en TCS Techniques Culturales Simplifiées. Il est également le créateur d’une entreprise qui s’appelle le e écosystème qui est une académie de l’agronomie. Tu vas pouvoir nous présenter tout cela. Tu es aussi un écrivain qui a coécrit deux livres dont l’un est en lien avec tout ce qui est sol agricole, et l’autre avec les couverts végétaux. Ces deux ouvrages sont publiés aux éditions France Agricole. Pour toi, l’agroécologie est fondée sur des principes et non sur des recettes. Je ne veux pas faire de teasing sur le dialogue de tout à l’heure mais j’espère que ce soir, tu vas nous livrer des ingrédients.

 

Nous aimerions déjà vous entendre sur la définition de l’agroécologie, un mot qu’on entend beaucoup aujourd’hui.

 

Sarah Singla : Quand on parle d’agroécologie, on parle d’agriculture qui fait beaucoup plus attention à la nature. Et quand on parle d’agriculture, notre rôle principal c’est d’abord de produire et d’assurer à la fois la sécurité alimentaire, qui concerne la quantité, et la sécurité sanitaire, en termes de qualité. Nous devons à la fois veiller à la productivité et assurer les ressources naturelles, c’est-à-dire l’air, l’eau, et le sol. Notre rôle et de respecter tout cela, et si en plus on peut obtenir une dimension sociale en s’épanouissant dans notre travail, ce serait parfait. Sachant que l’agroécologie repose sur trois piliers que sont l’économie, l’environnement et la sociologie. Pour nous, il s’agit d’une agriculture durable.

 

Matthieu Archambeaud : Pour compléter, je donnerai un point de vue un petit peu plus technique. Je n’ai pas une formation d’agronome mais d’écologue. Je le dis parce qu’on fait souvent des confusions entre l’écologisme et l’écologie. Cette dernière est une science qui étudie l’économie de l’écosystème. Comment les espèces animales et végétales se partagent des ressources dans un territoire donné. Je pense qu’une définition que l’on pourrait donner de l’agroécologie, ce sont des formes de production agricole qui vont essayer de s’inspirer des mécanismes naturels pour les mettre à son service. Sachant que plus on arrivera à copier le fonctionnement de la nature, plus on sera économe en temps de travail en intrans, etc., plus on respectera ce fonctionnement. Nous parviendrons alors à cette notion de durabilité de conservation des agroécosystèmes. De manière très générale, c’est ça pour moi l’agroécologie.  L’agriculture de conservation en est une des formes, si l’on part du principe que ce que l’on appelle la nature consiste en des écosystèmes qui produisent sans l’intervention de l’homme. Comme par exemple une forêt ou une prairie. Si l’on regarde comment ces écosystèmes sont capables de produire, on voit 3 choses. La première, c’est qu’il s’agit d’écosystèmes dans lesquels les sols ne sont jamais perturbés. C’est une organisation précise avec une matière organique en surface, une activité biologique, etc. Le deuxième principe, c’est qu’il y a une couverture végétale continue, sans rupture. Et le troisième principe, c’est celui de la diversité d’espèces associées entre elles ou d’espèces qui vont se succéder. Il s’agit de la base de fonctionnement d’un écosystème. Avec l’agriculture de conservation, on va chercher à perturber le sol le moins possible, le couvrir en permanence et assurer la diversité animale et végétale la plus importante possible. C’est de cette manière qu’on arrive à produire mieux avec moins de moyens.

 

Delphine Bisson : perturber le sol, c’est par exemple labourer avec un tracteur ?

 

Matthieu : ça peut-être ça, bien que pour moi aujourd’hui, la notion de labour ne peut pas être jugée en bien ou en mal. L’idée, c’est qu’il faudrait réduire l’intensité du travail du sol. On le travaille beaucoup depuis l’apparition de machines puissantes et lourdes et avec des énergies fossiles accessibles. L’idée, c’est aussi de travailler moins profond, moins souvent, et de manière localisée.

 

Delphine : l’agroforesterie est un autre exemple d’agroécologie. C’est quelque chose dont on entend beaucoup parler aujourd’hui.

 

Matthieu : l’agroforesterie, c’est l’adaptation de moyens traditionnels au goût du jour. C’est l’art de réemployer l’arbre dans le système agricole. Aujourd’hui, on a d’une part les champs cultivés, et d’autre part la forêt. Il faudrait remettre l’arbre dans le système agricole où il a une place très importante. Nous devons réfléchir à la manière de lui redonner de la valeur pour en faire une plante au service du sol, de l’épuration de l’eau, pourquoi pas du stockage de carbone. Dans la nature, la stabilité est liée à la diversité. Plus un système comprend d’espèces végétales et animales, plus il sera stable. C’est-à-dire qu’il pourra résister à des agressions, à des changements climatiques par exemple. Alors que plus on simplifie les systèmes, plus la gestion va être simplifiée techniquement et économiquement certes, mais la stabilité sera affectée. Il faudra donc faire appel à des pesticides, des interventions, etc.

 

Delphine : Sarah, c’est tout de même un paradoxe que les agriculteurs qui ont un lien fort avec la nature, avec la terre, se soient à un moment éloignés de ce sol.

 

Sarah : on a toujours appris à l’école qu’il fallait travailler les sols, qu’il fallait labourer. Aujourd’hui on assiste à un changement de paradigme. Aujourd’hui on peut être un agriculteur sans travailler, sans labourer les sols, ça demande de tout réapprendre.

 

Delphine : on voit aujourd’hui de plus en plus d’agriculteurs qui tendent vers cette démarche-là.

 

Sarah : oui parce qu’aujourd’hui en tant qu’agriculteur on doit réduire le coût de production, on doit mieux travailler, on a aussi envie d’avoir beaucoup moins d’érosion sur nos parcelles. Il y a donc une profonde remise en question. On est aussi de moins en moins nombreux à travailler dans des fermes. Il faut donc que nous changions nos façons de faire. Nous devons partir vers ces systèmes nouveaux qui font leurs preuves, qui sont compétitifs quels que soient les sols et dans tous les départements. Il y a de très bons exemples, très performants un peu partout. Tout le monde peut être agroécologiste. En fait, il s’agit davantage d’un problème psychologique que d’une difficulté sur le terrain. Ça fonctionne partout, quel que soit le climat et quelles que soient les productions que l’on a dans l’exploitation. Il faut simplement aller à la rencontre du nouveau système et l’adapter sur notre ferme.

 

Delphine : tu disais que le sol c’était vraiment ton outil de production.

 

Sarah : oui, le sol est notre principal outil de production. Très souvent, on cherche à avoir un beau tracteur, mais celui-ci ne produira pas. On entend énormément parler de numérique avec tout ce qui est drones et agriculture de précision. Il faut savoir que l’agriculture de précision pour nous, c’est uniquement des outils, et si demain nos sols ne fonctionnent plus, on ne pourra plus du tout produire. Nous devons donc revenir à de l’agronomie, à la connaissance du sol, et c’est en passant par-là que nous allons pouvoir produire demain. On sait qu’aucune civilisation agraire n’a vécu plus de 500 ans. Chaque fois qu’une civilisation avait un peu détruit ses sols pour différentes raisons, elle a dû partir un peu plus loin. Notre rôle aujourd’hui, c’est de produire certes, mais nous avons surtout le devoir d’améliorer notre sol pour que les générations d’après puissent continuer à en vivre. On parle beaucoup d’agriculture de conservation des sols, on peut même aller plus loin en parlant d’agriculture de régénération des sols.

 

Delphine : et toi Sarah, que fais-tu dans ton exploitation céréalière de l’Aveyron ?

 

Sarah : déjà je voudrais dire que nous avons mis en place ce fonctionnement depuis 1980. Ça fait donc 37 ans que les sols n’ont pas du tout été travaillés. Ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une lubie. Et si je suis ici ce soir, c’est pour parler au nom de tous les agriculteurs qui pratiquent cette agriculture de conservation des sols en France. Sur ma ferme, il y a plusieurs variétés, du pois d’hiver, du colza, du trèfle violet, du triticale, de la luzerne et du sarrasin. Cette mixité permet d’avoir des plantes vivantes toute l’année. Cette diversité accompagne une non perturbation du sol. On remplace le métal par le végétal comme on dit souvent. Ce sont les racines des plantes et les vers de terre qui vont fournir le travail à la place des machines.

 

Delphine : tu as appris tout ça lorsque tu es partie en voyage d’études. C’est à ce moment-là que tu as eu le déclic, quand tu as vu ce qui se passait à l’étranger ? D’autres pays que la France sont plus en avance sur l’agroécologie ?

 

Sarah : l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud fonctionnent depuis longtemps en agroécologie, c’est-à-dire en semis direct, sans travailler le sol, pour lutter contre l’érosion et fortement réduire les coûts de production. On se dit souvent qu’à l’étranger c’est mieux parce que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, mais en France on se rend compte qu’il y a de très bons exemples. Notamment parce que nous nous sommes plus particulièrement intéressés à l’agronomie que ces pays-là.

 

Delphine : alors justement dans le contexte agricole actuel, on entendait parler tout à l’heure de réduction d’intrans, donc réduction de frais en termes de mécanisation, est-ce que cela peut déboucher sur une sortie de crise ?

 

Sarah : c’est une alternative, parce que d’une part on réduit les coûts, et d’autre part on améliore les marges. On va donc pouvoir produire autant si ce n’est plus que ce que l’on faisait avant. On va pouvoir par exemple produire deux fois par an. Il y a des personnes aujourd’hui qui, après la moisson de l’orge début juillet, plantent du sarrasin qui sera récolté à l’automne. On arrive donc à deux récoltes par an. Ce qui prouve qu’en France, nous parvenons à avoir une agriculture à la fois responsable vis-à-vis de l’environnement, mais également productive.

 

Delphine : et vous, Mathieu, pensez-vous que les jeunes qui s’installent aujourd’hui sont plus sensibilisés à l’agroécologie ?

 

Matthieu : je n’ai pas la réponse parce que l’on est confronté à un public vraiment très divers dans ces métiers. Il y a un fort engouement médiatique pour ces technologies, donc effectivement il y a des jeunes qui sont très intéressés et qui seront peut-être la première génération à n’avoir jamais travaillé les sols. Mais l’on voit aussi des gens qui se remettent en question à 50 ans et plus. Il n’y a pas de typologie de génération, ce sont des gens qui ont compris. Il y a eu un déclic. A un moment donné, les gens se mettent à penser et à voir les choses différemment.

 

Delphine : existe-t-il des organismes qui accompagnent ces acteurs pour les conseiller ? Changer de mentalité et d’approche ne se fait pas en un jour. Quelles sont les structures qui existent ?

 

Matthieu : il faut remonter un peu en arrière. Historiquement, il y a 2 associations, toujours présentes, qui sont le réseau BASE, pour Bretagne Agriculture Sol Environnement. Comme c’est devenu un réseau national, c’est devenu Biodiversité Agriculture Sol Environnement. Ce réseau est assez présent dans l’Ouest. Et le réseau APAD, l’Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable. Ces réseaux se sont réunis car ils ne trouvaient pas de connaissances accessibles dans les organismes officiels de vulgarisation agricole. L’avènement d’Internet a favorisé la recherche et le partage d’informations. Petit à petit depuis une quinzaine d’années, on a commencé par faire venir des chercheurs de l’étranger. Des Américains, des Allemands, des Australiens, etc. Les gens se sont formés grâce à Internet et de façon démocratique, de pair à pair. Ils ont fait un peu tâche d’huile. Aujourd’hui, il y a des associations mais il n’y a pas d’organisme officiel qui travaille sur l’agroécologie. Par contre, ce qui est intéressant, c’est que dans toutes les structures de développement de type CETA, GEDA, chambres et instituts techniques comme Arvalis, etc. vous allez trouver des techniciens compétents sur ces questions. Il y a des chambres qui découvrent ces techniques aujourd’hui, d’autres qui les ont découvertes il y a déjà 15 ans. C’est un mouvement très informel basé sur la passion et l’agronomie. Nous vous avons exposé des principes très simples mais il faut savoir que c’est une agriculture très technique, très pointue. En gros, on peut ne rien faire si on se pose beaucoup de questions.

 

Delphine : justement, puisque nous parlons de prise de conscience, où se situent nos instances politiques ? On a beaucoup entendu parler de l’agriculture intensément écologique avec Stéphane Le Foll, de la PAC aussi, des aides pour les agriculteurs, tout ce qui est mesures agro-environnementales. Comment se situent nos instances politiques dans cet accompagnement à l’agroécologie ?

 

Mathieu : ça fait une quinzaine d’années que je suis sur le terrain. J’ai vu deux années marquantes. La première, c’était en 2007 le Pacte Écologique entre Nicolas Sarkozy et Nicolas Hulot. On a vu à ce moment-là dans les campagnes un changement de vision sur l’agriculture. L’écologie pour un agriculteur n’était plus une grossièreté. Il n’y avait plus les écolo-bobos et les agriculteurs. Ça a été un premier changement. Après, il y a eu un gros changement avec Stéphane Le Foll qui a impulsé un changement important au niveau de l’éducation et de la recherche. Ce n’est pas un hasard. On le connaissait quand il était député européen de la Sarthe. Quand il est arrivé aux commandes du ministère de l’Agriculture, c’était depuis 5 ou 6 ans le monsieur en cravate et en bottes qui était avec les agriculteurs dans le champ. Il a poussé un sujet qu’il connaissait vraiment bien, ce qui a fortement impacté la direction de l’agriculture. J’espère que ce sera poursuivi par son successeur.

 

Delphine : justement on parlait tout à l’heure de communication. On le voit sur les réseaux sociaux, les agriculteurs de l’agroécologie ont été les premiers à communiquer. C’est important pour rechercher de l’information mais pourquoi d’autre encore ?

 

Sarah : pour chercher de l’information mais aussi pour expliquer notre métier. Les personnes qui parlent à notre place ne savent pas exactement comment ça fonctionne.

 

Delphine : il se produit parfois qu’on fasse l’amalgame entre l’agroécologie et l’agriculture biologique.

 

Sarah : l’agriculture biologique c’est plus un cahier des charges. Ce que nous cherchons, à travers l’agroécologie c’est surtout une garantie de résultats. Peu importe la façon dont la communication est faite. L’essentiel, c’est qu’on puisse continuer à produire en respectant l’environnement.

 

Delphine : Mathieu, nous disions tout à l’heure que tu avais créé un site agriculture-de- conservation.com, et tu as un slogan « Des regards différents tournés vers un même objectif ». Peux-tu nous expliquer ce slogan ?

 

Mathieu : ça me permet de rebondir sur la question précédente concernant l’agriculture biologique. Pour moi, on n’a pas des formes d’agriculture qui soient opposables. D’ailleurs, un des intérêts de mon métier, c’est que je vais travailler avec des agriculteurs ou des viticulteurs bio ou conventionnels qui ont une cravate ou les cheveux longs. Tous ces gens-là ont des choses à se dire. Et quand on parle de regards différents tournés vers un même objectif, on parle de la nécessité pour tous d’avoir un sol fertile parce que c’est la base de la vie sur la planète. Ça ne repose pas sur grand-chose, quelques centimètres. Et un agriculteur, quel que soit son système, quelle que soit la taille de son exploitation, quel que soit le label auquel il appartient, se pose la question de savoir comment il va s’y prendre pour développer la fertilité des sols, pour continuer à vivre de ce qu’il fera demain. Quel que soit son système de production. Vous voyez que nous ne sommes pas du tout dans un modèle clé en main, un label, mais dans un mouvement fédérateur qui réunit des gens très divers dont le seul objectif est de développer la fertilité des sols pour en vivre et pour améliorer la productivité si on s’y prend bien.

 

Delphine : on est donc sur un terrain presque expérimental. A quel moment nous situons-nous dans cette transition agroécologique ? Au début, au milieu ? Sommes-nous en plein élan ?

 

Mathieu : je pense que ce n’est pas un hasard si nous sommes en crise agricole. Le modèle sur lequel l’agriculture est construite est plus ou moins périmé. Il durera peut-être encore 10 ans, peut-être plus. On se trompe souvent parce que l’on veut que ça aille trop vite. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une crise, qu’il va falloir changer de modèle et qu’on en est au tout début, au stade de l’expérimentation. Certaines choses sont validées, d’autres beaucoup moins. L’intérêt que cela suscite est une réponse à des modèles qui apparaissent en perte de vitesse. Il y a quelque chose à réinventer.

 

Sarah : je suis tout à fait d’accord avec Mathieu, nous n’en sommes qu’au début. On constate qu’il y a de l’innovation tous les jours chez les agriculteurs. Chaque année, de nouvelles choses se mettent en place. L’agriculture a encore énormément d’avenir devant elle.

 

Delphine : la communication et la sensibilisation sont importants. Sarah, tu as créé une association. Peux-tu nous en expliquer le but ?

 

Sarah : cette association s’appelle Clé de sol. Il s’agit d’une association d’agriculteurs qui a été créée parce que les Aveyronnais, qui ont beaucoup d’animaux, n’ont pas toujours la chance de pouvoir partir dans d’autres départements pour écouter des spécialistes ou se former davantage. Donc l’idée, c’était de créer une association pour faire venir des experts en Aveyron, et pouvoir avancer sur tous les sujets qui touchent l’agriculture de conservation des sols. Et ainsi progresser.

 

Delphine : tu parles d’une terre d’élevage. Dans les fondamentaux, cette alliance culture / élevage, c’est quelque chose que tu as déjà exploré toi Sarah ?

 

Sarah : on voit aujourd’hui de plus en plus de céréaliers qui se remettent à avoir des animaux parce que plus on met de biodiversité, plus le système sera résilient. Donc au départ, on arrête de travailler le sol, et puis on se pose la question de savoir pourquoi on ne couvrirait pas davantage les sols, et après on trouve que c’est dommage de laisser tous ces végétaux sur le sol. On voit donc aujourd’hui des personnes réintégrer l’élevage. Ce sera peut-être une autre façon de le valoriser en créant davantage de valeur ajoutée sur la ferme. C’est donc complémentaire. Cette approche est nouvelle sans l’être, parce que c’est ce que l’on a enseigné il y a 100 ans à l’école. On ne fait que redécouvrir ce qui était appris il y a longtemps. Les fermes avaient toutes des animaux. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui les gens choisissent davantage d’exercer ce métier. Ils le subissent moins.

 

Delphine : Matthieu, peux-tu nous parler de ton entreprise Icosystème, agroécologie e-académie ? En termes d’évolution et d’accessibilité de l’information, Internet va être révolutionnaire.

 

Mathieu : il s’agit d’une entreprise qui fait le pendant à Police Academy, histoire de rire un peu. Je me suis associé avec un cabinet d’études qui travaille sur l’agroforesterie. Nous sommes trois associés. Notre constat était le suivant, nous sommes sur des systèmes qui se développent. La demande est extrêmement forte et il y a assez peu de formateurs ou d’agronomes spécialisés sur ces thématiques. Nous n’arrivons plus à répondre à la demande. L’idée, c’était donc de délocaliser pour permettre à chacun de travailler à son rythme en ligne sur toute la partie théorique. Nous sommes donc partis sur des formes de e-learning ou de MOOC avec des séquences de vidéos, de quiz, de formations et de suivis personnalisés sur différentes thématiques. Nous voulions que les gens puissent acquérir cette base à leur rythme avant de venir les voir pour faire du terrain ou travailler avec eux en ateliers. En déplacement les deux tiers de l’année, j’ai maintenant envie de réduire un peu mes mouvements. Aujourd’hui, avec les outils dont on dispose, c’est dommage d’aller faire 200, 500 ou 1000 km pour répéter ce qu’on a dit avec une présentation PowerPoint en ligne. On peut avoir des outils dédiés et parallèlement continuer à faire sur le terrain des choses beaucoup plus utiles avec les stagiaires.

 

Delphine : Sarah, c’est quelque chose qui t’intéresse de pouvoir suivre des formations en ligne de cette manière ?

 

Sarah : oui bien sûr. Le gros avantage, c’est qu’on peut y avoir accès quand on veut où on veut. On peut aller sur une de ces plate-formes un dimanche. Ça permet de diffuser davantage toutes les connaissances et d’accélérer le mouvement.

 

Delphine : justement on parle de sensibiliser l’agriculteur, mais qu’en est-il du consommateur qui ne sait pas forcément que les produits qu’il consomme sont issus de l’agroécologie ?

 

Sarah : il faudrait sensibiliser sur les façons dont on produit. Les consommateurs ont aujourd’hui une attente vis-à-vis des agriculteurs par rapport à tout ce qui est environnement et biodiversité. Demain, ils trouveront normal que tout le monde produise de cette manière. Mais c’est à nous de communiquer sur nos pratiques, pour expliquer qu’il y a d’autres façons de faire et que ça marche très bien.

 

Mathieu : je vais faire une réponse peut-être un peu plus politique. Je suis un technicien à la base, je suis vraiment dans l’agronomie et la technique, et j’assiste à un divorce entre le monde urbain et le monde rural. Avec beaucoup de défiance de chaque côté. Il y a une exigence de la part des citoyens sur la qualité de leur alimentation. Aujourd’hui, ils sont tournés vers le bio parce que c’est le seul label à garantir notamment qu’il n’y ait pas d’utilisation de pesticides ou d’engrais de synthèse. Et de l’autre côté, des agriculteurs qui sont soumis par la politique agricole commune à une ouverture totale au marché mondial. Ceux-ci sont donc directement en concurrence avec des agriculteurs américains, asiatiques, ou africains. On a encore un exemple avec l’ouverture au marché canadien du cochon qui va débarquer chez nous à bas prix. Pour moi aujourd’hui, il y a un problème politique. Les agriculteurs sont coincés entre une demande un peu idéaliste d’une certaine part de la société qui souhaite une alimentation de qualité tout en cherchant à dépenser de moins en moins d’argent pour la nourriture, et de l’autre côté une dé-protection totale et une non visibilité de l’agriculteur quant à sa survie. Je rappelle qu’il y a entre 30 et 50 % des agriculteurs qui perçoivent un revenu inférieur au RSA. Ils vivent donc bien en-dessous du seuil de pauvreté. Pour moi la question principale, c’est quel modèle on propose à nos agriculteurs, à savoir qu’aujourd’hui produire du blé ou du lait, ce n’est pas rentable. Les coûts de production sont supérieurs aux prix de vente. C’est pour moi le réel problème. Beaucoup de gens qui travaillent très bien, qui font très attention à leur sol, sont à la frontière de la survie économique.

 

Delphine :  tout à l’heure on parlait de tout ce qui était robotique. On le voit avec l’arrivée des drones qui survolent les parcelles. Est-ce que ce sont des outils qui peuvent rentrer dans les démarches agroécologiques ?

 

Sarah : oui, ce sont des outils d’aide à la décision, mais ça ne remplace pas la technicité et l’agronomie. Ça peut gagner du temps. On va transférer le temps que l’on passait sur une astreinte sur autre chose dans lequel on va pouvoir créer de la valeur ajoutée pour la ferme.

 

Delphine : Mathieu quelle est ton approche par rapport à cette robotique ?

 

Matthieu : Il s’agit de ce que nous appelons les nouvelles technologies de l’information. Qu’il s’agisse de logiciels, d’objets connectés, de drones. Tous ces appareils sont extrêmement intéressants et permettent de faire un bond dans l’observation et la prise de décision. Par contre, il faut s’assurer que les modèles soient les bons. Quand un drone prend des photos avec différents spectres, qu’en fait-on ? Il faut aussi que ces outils soient au service d’un système cohérent. Et c’est là que je fais la différence entre ce que l’on appelle le high tech et le low tech. Le high tech, c’est super, mais si vous n’avez pas le low tech, ça ne sert pas à grand-chose. Le low tech, c’est la base, c’est l’agronomie, le sol, s’occuper des bêtes, des cultures, etc.

 

Delphine : avant de donner la parole au public, je vais vous lire une citation. Matthieu, tu as dit « Nous voulons apporter des réponses à ceux qui souhaitent faire différemment tout en restant très ancrés dans le concret, le réel ».

 

Mathieu : aujourd’hui, il y a une forte aspiration de retour à la nature, et en tant que citadin, je le comprends très bien. Mais parfois celle-ci est formulée de manière un peu naïve. J’attribue ça au fait qu’on a, pendant des siècles, pensé qu’on avait dominé la nature. En réalité, on s’est aperçu que ce n’est pas si simple.  Je ne partage pas du tout cette vision naïve ou magique de la nature en côtoyant le monde paysan qui lui a les pieds dans la nature. La nature, ce n’est pas toujours facile, ce n’est pas toujours très drôle, et surtout elle n’est ni bienveillante ni malveillante. Et quand je parle d’ancrer les gens dans le réel, je parle des citoyens. Ils doivent réaliser ce que c’est que l’agriculture et s’éloigner d’une image naïve.

 

Delphine : Sarah, toi tu as fait un parallèle entre le mot humus qui veut dire sol en latin, l’humilité, et l’humanité.

 

Sarah : l’humilité c’est la principale valeur qu’il faut avoir quand on est agriculteur, car c’est la météo qui nous gouverne. On ne sait jamais ce qui va se passer, d’une année sur l’autre tout change. La nature, c’est vraiment le réel. Parfois on a une attaque de maladie ou d’insectes ravageurs. L’humilité, c’est aussi le fait de respecter le rythme des saisons. Et sur la question de l’humanité, on a parlé ce soir de la question de la conservation des sols parce que sans sol, il n’y a pas de civilisation, sans sol il n’y a pas de nourriture. Ça donne une leçon.

 

*****************

 

Question des invités :

Vous disiez Sarah que vous viviez de votre travail. On en est tous ravis. Cela signifie que vous êtes capable de produire dans des conditions rentables vis-à-vis des marchés actuels ?

Sarah : économiquement rentable parce qu’on a fortement diminué les coûts de production et cherché à créer de la valeur ajoutée pour pouvoir mieux vendre nos produits. Une simple réduction des coûts de production ne suffirait pas à s’en sortir correctement demain. Cette valeur ajoutée, c’est chercher à créer de la valeur directement sur le produit. Ne pas vendre les céréales à 120 ou 130€ la tonne, mais aller jusqu’au produit final. Comme on pourrait comparer un peu des viticulteurs et des vignerons. Le viticulteur vend le raisin, le vigneron vend la bouteille à la fin. La valeur ajoutée, ça serait de vendre la bouteille à la fin.

 

Mathieu vous semblez assez pessimiste dans votre dernière remarque par rapport à la vie des agriculteurs et à leur moyen de s’en sortir économiquement. Comment voyez-vous l’avenir ? C’est dramatique s’il ne se passe rien et que ça ne marche pas mieux pour eux.

Mathieu : comme nous sommes en crise, forcément ça ne va pas très bien. Mais je ne suis pas pessimiste, la crise va inspirer un changement. Après, je trouve qu’il y a beaucoup de gâchis aujourd’hui avec tout ce qu’on fait avec l’agriculture. L’agriculture française a réussi à rester familiale au niveau mondial, à rester raisonnable avec une très haute qualité sanitaire. Oui bien sûr il va y avoir une disparition de fermes et pas mal de changements mais la relève est assurée, il n’y a pas de problème.

 

Connaissez-vous la startup  «myfood » qui propose des serres auto-suffisantes à l’usage des particuliers ?

Mathieu : non je ne connais pas cette startup mais ces thématiques m’intéressent beaucoup. On a monté une collection aux éditions France Agricole sur le sujet. Aujourd’hui, beaucoup de citadins se posent des questions pour imaginer comment vivre sur des toute petites surfaces. Ils s’interrogent sur l’agriculture urbaine, la permaculture, avec des modèles agricoles totalement différents. La finalité n’est d’ailleurs pas forcément la rentabilité mais l’autosuffisance. Je rentre cet aspect dans la révolution agricole que nous vivons aujourd’hui. Il y aura beaucoup à faire pour mettre en lien des fermiers classiques avec des fermiers innovants. Peut-être faire des écosystèmes de production sur des fermes. Il y a plein de choses à inventer.

 

J’ai pour ma part une startup dans le digital dans un autre domaine et je suis consommatrice bien sûr, comme tout le monde. Et je pense que le développement de cette agriculture passe par les consommateurs et par l’augmentation de la consommation. Comment en tant que consommateur, peut-on identifier vos produits dans les circuits de distribution classique ? Aujourd’hui, on identifie facilement le bio, mais il ne faut pas attendre 10 ans avant que nous puissions identifier vos produits. Quels sont vos circuits de distribution pour que vous puissiez vous développer ?

Mathieu : je ne prendrais pas la question comme ça. Aujourd’hui il n’existe plus qu’un seul label. Les autres ont disparu. C’est le label bio qui a été créé effectivement pour le consommateur. Le cultivateur va se plier à un cahier des charges qui est ouvert, intéressant le consommateur. Sur la culture de conservation, vous avez des agriculteurs bio qui le font mais il y a aussi des conventionnels qui font de la culture de conservation, et pour moi ça doit devenir la norme demain et ne pas nécessairement passer par un cahier des charges. De mon point de vue demain, nous ne devrions plus avoir besoin de label si nous pratiquons l’agriculture de conservation. Avec l’agriculture de conservation, on va faire des économies, on va mieux gagner sa vie, davantage respecter l’environnement. Ce qui n’empêche pas derrière d’adhérer à d’autres labels destinés aux consommateurs en aval.

 

Sarah : je suis complètement d’accord avec Mathieu. Demain, nous allons être obligés de prendre cette voie et la crise qu’on connaît aujourd’hui ne fait qu’accélérer les choses. Elle va peut-être pousser les gens à passer en agriculture de conservation pour obtenir la réduction des coûts de production et un moindre impact sur l’environnement. Après effectivement, on pourra toujours adhérer à d’autres cahiers des charges si on le souhaite.

 

L’Aveyron a peut-être des points communs avec la Vendée, ce sont deux départements agricoles dynamiques. Je voudrais signaler qu’il y a une réussite en Aveyron puisque c’est dans ce département qu’un agriculteur a monté sa propre entreprise. Il s’agit de Monsieur Mézy qui a fondé la SOBAC. Il vend aujourd’hui des bactéries aux agriculteurs. Il les vend généralement à des agriculteurs qui les ont détruites. J’aimerais avoir votre avis là-dessus car je trouve qu’il s’agit d’une réussite exceptionnelle d’aller vendre en sac de 500 kg des bactéries que les pesticides et les pratiques agronomiques ont contribué à détruire.

J’aurais une autre question concernant l’aspect économique du métier et des difficultés des agriculteurs. Je voudrais vous faire part de l’analyse récente d’un agriculteur parue dans le courrier des lecteurs de la France Agricole. Il disait qu’il recevait des aides publiques mais que son revenu était bien inférieur à ces aides. Il analysait cette déperdition en écrivant que depuis plusieurs décennies, ces revenus ont été vidés par des gens qui se trouvent à l’entrée et à la sortie de son exploitation, des fournisseurs et des débouchés qui lui ont imposé une politique de volume, alors qu’il ne souhaitait qu’une chose, dégager de la marge. Qu’en pensez-vous ?

Sarah : Sur la première question portant sur les bactéries qu’il convient d’apporter au sol, on pense à des médicaments pour soigner les sols. Ça ne remplacera jamais l’agronomie car en fait les plantes sont nourries par des sucres issus de la photosynthèse. Ces bactéries peuvent nous aider comme des outils à renforcer la fertilité du sol, mais elles ne remplaceront jamais la présence de plantes vivantes toute l’année.

Sur la deuxième question, l’agriculture s’est toujours adaptée. A certaines époques, la quantité manquait, ce n’est plus le cas, aujourd’hui nous devons améliorer la qualité. Nous devons partir sur un véritable projet agricole qui permette à l’ensemble de la profession, agriculteurs et autres acteurs de la filière, de savoir où on va. Actuellement, nous n’avons pas de direction clairement identifiée.

 

Matthieu : Concernant les bactéries, je suis entièrement d’accord avec Sarah. Quand on a consommé la matière organique, il n’y a plus d’activité biologique. La principale cause de la faiblesse des sols, c’est qu’ils n’ont rien à manger. Il faut donc y faire pousser des plantes.

En réponse à votre deuxième question, j’ai envie de parler du dernier livre d’Hervé Pillaud sur la coopération agricole qui m’a beaucoup intéressé. Il faut réinventer cette coopération. Aujourd’hui les agriculteurs sont coincés entre l’amont et l’aval par des gens qui leur imposent des produits à un prix donné. Ce que les Américains appellent la différence entre les price takers et price makeup. Les agriculteurs se voient imposer des prix. Ils doivent se réapproprier le sujet. Voilà l’un des gros avantages du label bio. Ils ont pu avoir la maîtrise de ces circuits. Il faut qu’ils fassent tout de même très attention aux gros industriels pour garder la main.

 

*****************************

 

Robin Placet anime la deuxième table ronde de la soirée :

Bonsoir à tous, nous sommes tous les trois réunis avec Armelle et Jérémie pour vous présenter le plateau cuisine et repas à l’aune de nouveaux horizons. C’est une partie un peu techno et décapante. Nous allons dialoguer autour du futur de la food, des tendances culinaires et des nouveaux comportements des consommateurs.

Je suis Robin Placet et j’ai créé Foodentropie qui se propose de mettre en relation les parties prenantes, les industriels du secteur de l’agro-alimentaire, les startups de jeunes entrepreneurs pour discuter et générer de l’innovation positive. Nous nous sommes regroupés dans un lieu, le château de Nanterre. Nous avons un lieu dédié aux startups sur 1200 m². Elles viennent y faire du coworking et créer un écosystème. Armelle Delaage y a fondé son entreprise de cuisines mutualisées, United Kitchen, qu’elle va nous présenter, et Foodentropie propose d’animer, notamment sous forme de conférences, tout ce qui se passe autour de cette foodtech.

 

Armelle Delaage :

Bonjour à tous, je suis la fondatrice de United kitchen qui est un incubateur culinaire. Nous avons aménagé un peu plus de 500 m² de cuisines professionnelles à destination des entrepreneurs et des startups culinaires. L’idée est très simple, quand on veut lancer son projet dans l’alimentation, on a besoin de produire dans une cuisine professionnelle aux normes. Ce qui implique un certain nombre de contraintes, notamment financières. On doit trouver un espace, signer un bail très engageant, investir dans du matériel pour produire. Le tout sans avoir forcément testé son concept et sans forcément avoir le réseau adapté pour se développer. Nous proposons de gérer tout ce qui est contraignant pour l’entrepreneur, pour qu’il puisse se concentrer sur son concept et le développer. Une fois celui-ci éprouvé, l’entrepreneur peut voler de ses propres ailes, après un an et demi en moyenne.

 

Jérémie Prouteau :

Bonsoir à tous, je viens de revendre WeCook que j’avais créé en 2010. Il s’agit d’un service d’organisation de repas. Nos abonnées reçoivent toutes les semaines des menus par email, les recettes de la semaine, la liste de courses, en fonction d’une thématique qu’elles ont préalablement choisie (végétarien, sans gluten, repas familiaux, menus minceur, etc.) Elles peuvent accéder à un tutoriel en ligne qui leur permet de gérer leur semaine de repas, modifier une recette, la liste de courses, etc.

J’ai ensuite créé DigitalFoodLab avec des associés. Nous avions à l’origine le projet de fédérer la communauté foodtech sur Paris en proposant des petits événements qui perdurent aujourd’hui. Des startups pitchent devant une centaine de personnes dont des chefs de projets, des investisseurs, des grands comptes, etc. En parallèle, DigitalFoodLab accompagnent et accélère certaines de ces startups pendant quelques mois sur des problématiques de levées de fonds, de mise en place de business plans et de commercialisation. Nous travaillons également avec les grands groupes de l’agro-alimentaire car nous avons comme objectif de fédérer tout cet écosystème, à la fois les startups et les grands groupes qui ont du mal à se parler. Nous sommes là pour faire les entremetteurs.

 

Robin Placet : avec le plateau précédent, nous avons bien compris qu’il fallait changer les systèmes qui ne fonctionnent plus. Que ce soit celui de la terre, des écosystèmes de marchés et autres modalités de fixation des prix. Nous souhaitons donc vous présenter quelques startups au travers de nos diverses expériences et sous le prisme des grands enjeux de ce foodsystem. Le premier enjeu est bien sûr de nourrir la planète qui comptera bientôt 7 milliards d’individus, la nourrir de manière saine en préservant l’environnement. Les jeunes entrepreneurs de la foodtech ont-ils bien en tête ces sujets-là ?

Jérémie : aujourd’hui, l’un des sujets majeurs est de trouver des substituts pour remplacer les protéines animales. Pour produire celles-ci, il faut produire énormément, disposer de beaucoup de place. Ça revient très cher. Aujourd’hui des entreprises se lancent dans le développement des légumineuses, la culture des algues ou celle des insectes. Je vais vous parler plus particulièrement des insectes à consommer. La société Ynsect par exemple élève des insectes pour d’une part créer des farines animales, d’autres part extraire certaines substances des insectes pour les distribuer auprès de grands acteurs du cosmétique. Une autre startup qui s’appelle Jimini’s commercialise des criquets ou des vers de farine à consommer pour l’apéritif. Aujourd’hui, ça apparaît comme un peu fun mais il faut y voir comme un début de réponse à la manière de nourrir l’humanité demain.

Le deuxième sujet concerne les algues. De nombreuses startups y travaillent en France, comme Algama qui fabrique notamment une mayonnaise à base d’algues. Alg§You de son côté, commercialise un petit appareil qui permet à tous de cultiver sa propre spiruline. Il existe de nombreuses initiatives dans ces secteurs très prometteurs.

 

Robin : Armelle, est-ce que United Kitchen rencontre des professionnels qui se donnent pour mission de changer les choses à leur petite échelle ?

Armelle : en réalité, il n’y a que des gens qui se sont donnés cette mission-là. L’alimentation responsable est notre thématique commune au château de Nanterre. C’est, chacun à notre niveau, proposer une alimentation qui soit meilleure pour l’homme et la planète. Les personnes qui nous approchent sont dans cette démarche, par rapport au sourcing de matières premières par exemple, la façon dont les produits vont être transformés ou les ingrédients utilisés.  On peut par exemple proposer des recettes qui n’intègrent pas de protéines animales. Les personnes qui nous approchent sont pour une grande majorité en reconversion. Ils ont eu une autre vie avant et ont décidé de redonner du sens à leur travail, s’épanouir, travailler au-delà de la seule idée de gagner sa vie, et laisser la planète dans un meilleur état à nos enfants. Nous avons été amenés à travailler avec Alg§You, chez eux car ils ont leur site de production. Nous avons intégré la spiruline que cette startup produit dans des recettes à la Cité des Sciences lors d’un festival l’hiver dernier, dont la thématique était « Qu’allons-nous manger en 2030 ? » Nous avons permis à des chefs et à des startups de se rencontrer pour faire expérimenter au grand public des recettes de 2030. Nous avons créé à cette occasion deux recettes avec Alg§You, un smoothie et un guacamole dans lesquels on avait introduit de la spiruline fraîche. Celle-ci ressemble à du fromage blanc qui serait tout vert. Elle n’a pas très bon goût mais ne se consomme pas nature. En revanche, elle est reconnue comme étant un très bon aliment qui nous apporte des minéraux et vitamines essentiels à notre santé. Utiliser ce type de produit demande toutefois une éducation, une pédagogie.

 

Robin : Pensez-vous que d’autres pratiques vont caractériser l’année 2017 dans la tech ? On parle par exemple du steak sans viande ? Et qu’en est-il des lois réglementant la consommation des insectes en France ?

Jérémie : certains sont interdits à la consommation en France. La société Jimini’s dont je parlais les commercialise au Benelux.

Concernant le fameux steak sans viande. La société américaine Beyond Meat produit un hamburger entièrement fabriqué à base de plantes, qu’on trouve pour une vingtaine de dollars à New-York. Aussi bon qu’un hamburger. C’est cette société qui a levé plusieurs dizaines de millions d’euros avec des investisseurs comme Bill Gates.

 

Robin : On peut aussi imaginer de soutenir les agriculteurs sur un mode de culture plus traditionnel et respectueux. Existe-t-il des startups qui œuvrent dans ce sens ?

 

Armelle : oui bien sûr. Pour revenir d’abord sur le sujet précédent, il existe beaucoup de startups en France qui travaillent sur le concept de la boucherie végétarienne.  A la Cité des Sciences, imaginant le hot-dog du futur, nous avons associé Chambellan, une boulangerie sans gluten avec La Boucherie Végétarienne qui propose notamment des saucisses sans viande.  Nous avons proposé à des enfants de réaliser ces hot-dogs avec une sauce barbecue revisitée à base d’algues. Je préfère pour ma part le hot-dog classique mais il y a tout à parier que ce type de produit va se développer. Concernant la consommation de viande de demain, on peut citer l’exemple d’Yves-Marie le Bourdonnec et de son école de boucherie qui prône l’anti-gaspillage. Ce qui est intéressant, c’est que ce boucher prône de manger moins de viande, de meilleure qualité. Je pense à une autre startup qui se fixe de revisiter tous les fonds de sauce qui se réalisent à partir de carcasses animales. L’idée est de récupérer toutes ces carcasses, de les faire bouillir pendant plus de 10 heures. De nombreuses propriétés excellentes pour la santé sont récupérées, notamment tout ce qui est collagène, qui se trouve dans les tendons. On répond de cette manière à une problématique anti-gaspillage, à une problématique de santé, et on propose en même temps un produit qui s’inscrit dans la tradition française parce qu’un fond de sauce fait maison est bien meilleur qu’un bouillon en cube.

Pour revenir sur la manière d’aider les producteurs, je pense à une initiative qui est La Marque du Consommateur : c’est qui le patron ? Qui a été lancé par Nicolas Chabanne en août dernier. Horrifié par la situation des producteurs de lait qui ne parviennent pas à vivre décemment de leur travail, il a mis en place une grande consultation citoyenne. 7500 internautes ont joué le jeu. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est qu’il s’est adressé aux consommateurs de façon rationnelle. On l’oblige à reprendre le pouvoir mais aussi ses responsabilités en tant que consommateur. Les questions posées étaient les suivantes : combien seriez-vous prêt à payer pour que le producteur puisse vivre décemment de son travail ? Seriez-vous prêt à payer 5 centimes de plus pour qu’il puisse partir en vacances ? Souhaitez-vous que les vaches consomment des OGM ou pas ? Préféreriez-vous qu’elles pâturent pendant 3 ou 6 mois ? Etc. Au final, on est arrivé à un prix au litre qui montait à 99 centimes. Ce produit a été référencé dans les 5200 magasins Carrefour en octobre. D’autres grandes surfaces ont suivi. Ils ont vendu 7 millions de litres de lait, explosant leur prévisionnel puisqu’ils avaient prévu de vendre 5 millions de litres fin 2017. Ce qui démontre que le consommateur intégré, avec une pédagogie qui le responsabilise, tient sa place. 7 millions de litres, ça signifie 10 à 15 % de parts de marché en grande surface, 25 % dans certains Carrefour.

 

Robin : Dans la foodtech, l’anti-gaspi était une grosse thématique de cette année. Avez-vous d’autres startups en tête ?

Jérémie : dans l’anti-gaspi, on peut également citer OptiMiam qui récupère l’information des invendus auprès d’artisans commerçants et la redistribue. Via une application, le consommateur dispose de ces informations et descend par exemple chez son boucher ou son boulanger pour acheter des produits à des prix très compétitifs. D’autres structures plus importantes du type de Phénix par exemple, vont récupérer des invendus auprès des supermarchés et les redistribuer à des associations.

C’est au consommateur de jouer le rôle de décideur. Les tendances de consommation évoluent depuis quelques années. Aujourd’hui, nous identifions clairement une recherche de qualité des produits consommés. Nous mangeons par exemple moins de viande mais de meilleure qualité. Nous mangeons aussi de façon plus efficace. Autrefois, nous mangions des repas « compromis », sans nous préoccuper beaucoup de diversifier les aliments. Aujourd’hui nous voyons se profiler la tendance du 3/2/2. Trois fois dans la semaine, on se prépare un bon repas à la maison, deux fois on se fait livrer et deux fois on sort prendre un repas au restaurant. Quand nous cuisinons à la maison, nous souhaitons utiliser des ingrédients de qualité. Les fournisseurs sont attentifs à proposer des produits frais pour la semaine. Je parle là des consommateurs actifs qui sont nombreux et qui doivent jouer le rôle de décideur. Trois ou quatre fois par semaine, on cherche à se faire plaisir dans la préparation et la consommation et le reste du temps, on recherche l’efficacité. Un repas efficace peut prendre par exemple la forme d’un produit comme celui contenu dans cette bouteille qui contient un repas de 650 calories au goût de carotte et potiron, produite par une smartfood qui s’appelle Feed. Vous ajoutez de l’eau à la poudre qui se trouve dans la bouteille, vous secouez et consommez. C’est l’en-cas parfait qui vous permet d’être rassasié pour une demi-journée. C’est végan, conçu par des nutritionnistes, sans lactose, sans gluten, parfait d’un point de vue nutritif. On peut s’en lasser il est vrai, au bout de deux jours consécutifs.

 

Armelle : Pour rebondir sur ces boxes, qui concernent des préparations prêtes à être consommées, même si certaines demandent parfois à être tout de même un peu cuisinées, il est intéressant de constater qu’on redonne un peu de pouvoir aux consommateurs. Ces boxes permettent de découvrir de nouvelles recettes d’une part mais aussi la perspective de consommer un repas délicieux, gourmand sans contenir nécessairement des protéines animales. Elles permettent de prôner une consommation locale puisque les entreprises qui les proposent ont un souci de proximité pour favoriser des économies d’échelle.

Par ailleurs, on observe une pédagogie par rapports aux enfants car ces boxes visent à compléter leur alimentation, les repas de la cantine n’étant pas toujours riches en vitamines puisque ce ne sont pas forcément des morceaux nobles, qui peuvent de plus avoir cuit très longtemps. Ces boxes répondent également au manque de temps des parents. Car si les préoccupations des Français vis-à-vis de l’alimentation sont croissantes, alimentées par les émissions nombreuses et variées sur le sujet, ceux-ci consacrent paradoxalement de moins en moins de temps à cuisiner. Donner aux consommateurs des recettes, des ingrédients et des solutions clé en main leur permet de consommer mieux et plus frais en cuisinant moins. Une autre manière permet de gagner encore plus de temps en se faisant livrer des plats prêts. Nous sommes sur des paniers de chefs qui affichent 17 à 18 euros hors frais de livraison. Concernant les plats préparés en cuisines centrales, on peut tabler sur moins de 10 euros. On peut citer Frichti, FoodChéri, Deliveroo, Nestor… Ce type d’acteurs se développe beaucoup. Entre le déjeuner et le repas du soir, ils tournent tous autour de 1000 à 2000 plats par jour à Paris. Ils vont arriver dans les mois qui viennent dans les grandes villes de France. Ils vont probablement sous peu proposer leurs services à une cible de seniors qui ont un vrai souci d’alimentation.

 

Robin : Les startups se substituent à la transmission de nos parents et grand-parents en termes de cuisine. Nous cuisinons donc de moins en moins et disposons de solutions de kits.

Nous n’avons pas encore parlé d’une autre problématique qui est celle de la santé. Depuis quelques mois, on nous rabat les oreilles avec la healthy food. On nous propose le cru, le végétarisme, les bromages, vromages, etc. On a aussi la Nash, la nouvelle maladie du foie gras humain. George Michael est apparemment décédé de cette maladie qui s’explique par la consommation de produits très sucrés et très gras. Aujourd’hui, des entrepreneurs de la food tech s’intéressent-ils à ces problématiques de santé ?

Jérémie : Nous revenons de façon évidente à la préoccupation de mieux manger, plus équilibré. Dans ce but, il existe plusieurs solutions. Je suis bien placé pour vous parler en particulier des sites de coaching de type WeCook qui vont vous aider à vous organiser en planifiant des repas équilibrés pour la semaine. Un autre service est proposé par des acteurs comme Alantaya qui a racheté WeCook. Cette entreprise propose des repas adaptés à des personnes atteintes de cancers, qui souvent ne peuvent pas mâcher ou connaissent des restrictions nutritionnelles très importantes. Elle travaille avec des hôpitaux sur Paris, avec des perspectives assez prometteuses.

Le bien manger passe par l’éducation et par le suivi de son alimentation au quotidien. A ce titre, il existe des services de food loading, comme My fitness bag, qui vont vous permettre d’enregistrer ce que vous mangez quotidiennement lors de chaque repas. Ils se servent d’une base de données de tous les aliments qui existent dans le monde, et sont en mesure de vous indiquer l’ensemble des caractéristiques du produit que vous saisissez en termes de protéines, glucides, lipides, etc. A la fin de la journée, le serveur va vous indiquer votre consommation et ses conséquences à moyen et long terme. Aujourd’hui, cette entreprise revendique 100 millions d’utilisateurs dans le monde, dont 3 à 4 millions de Français ! Les statistiques révèlent que les personnes qui consultent régulièrement ces données consomment 10 à 15 % de moins de calories sur leur journée que les personnes qui n’utilisent pas ce type de service, et vont améliorer l’équilibre de leurs repas. C’est un principe de coaching que l’on peut utiliser tout seul.

 

Robin : Armelle, dans l’environnement de United Kitchen, as-tu rencontré des entrepreneurs qui ont orienté leurs recherches et leurs produits en direction de la santé ?

Armelle : Oui, clairement nous observons que les préoccupations sont en augmentation par rapport à la santé. Le gros risque pour les Occidentaux, c’est l’obésité. 1,2 milliards de personnes dans le monde sont obèses ou en surpoids. En 2030, on passera le cap des 3 milliards !

L’incubateur culinaire que j’ai créé est un endroit où les gens vont transformer des produits. Ils ont une approche extrêmement pragmatique, reviennent juste aux bases de l’alimentation avec le souci de trouver des produits frais, chercher des alternatives aux consommations traditionnelles. Je pense par exemple à un entrepreneur qui a cherché une alternative aux biscuits et autres goûters industriels très sucrés. Il propose des boules énergétiques contenant beaucoup de légumineuses, noix de cajou, pâte de dattes, etc. Ces boules peuvent être aromatisées à différents goûts. Un certain nombre de startups s’intéressent à ce type de recettes. On voit par ailleurs beaucoup de personnes qui s’intéressent à la découpe de légumes en vue de les croquer pour le goûter. On trouve aussi pas mal de recettes innovantes et amusantes, à base de fromages notamment. Pour ceux qui développent une intolérance ou ne veulent pas forcément associer le lait à d’autres aliments, il existe des produits sans lait qui ressemblent à s’y méprendre à des petits fromages style Babybel. Quand on souffre par exemple d’une carence en fer, ce qui est un gros problème chez les enfants, il faut savoir que l’association viande rouge/ produit laitier ne permet pas de fixer le fer. Certaines startups travaillent donc sur la question des produits qu’on appelle des « sans lait », comme les fameux vromages dont on a parlé tout à l’heure. Chez United Kitchen, nous avons identifié un aspect pédagogique absolument incontournable pour traiter toutes ces questions qui demandent de réelles connaissances. Dans notre espace de laboratoire professionnel, nous avons un petit espace qu’on appelle la cuisine pédagogique, qui vise à faire intervenir différentes personnes sur des thématiques variées pour pouvoir donner des clés en vue de consommer mieux. A côté des connaissances indispensables en matière de nutrition, je crois qu’on a oublié beaucoup de choses évidentes au fil du temps, à force de confier notre alimentation à l’industrie alimentaire. Nous avons gagné un temps considérable depuis les trente dernières années en recourant à des plats préparés, ce qui nous a permis de consacrer du temps à autre chose, mais aujourd’hui, nous devons revenir à des essentiels pratiqués par nos grand-parents, à savoir cuisiner des produits sains, associer légumineuses et féculents, baisser notre consommation de viande, etc.

 

Robin : parmi les messages twitter que nous recevons, l’un met en garde contre la multiplication des  livraisons individuelles qui s’accompagne de la multiplication d’émissions de CO2.

Armelle : La plupart des startups que nous avons citées livrent en vélos ou scooters électriques. Elles multiplient les hubs logistiques dans Paris pour raccourcir les délais de livraison, simplifier le travail des livreurs et prendre en compte l’aspect pollution. La logistique du dernier kilomètre est un vrai sujet.

 

***********************

 

Question des invités :

Au sujet de la restauration collective, existe-t-il des entrepreneurs qui travaillent sur le sujet?

Et par ailleurs, comment toucher les personnes les plus pauvres ? Pour avoir participé à des actions en faveur de ces populations, je sais que ces populations ne savent plus du tout cuisiner.

Jérémie : En ce qui concerne la restauration collective, il s’agit de gestion de quantités. Il faut savoir combien de plats commander. Aujourd’hui, peu de startups ont su apporter des solutions à la restauration collective qui n’a rien à voir avec le métier de la restauration traditionnelle. Une entreprise propose par exemple un outil de gestion des stocks qui permet d’être plus performant et d’éviter le gaspillage. Une autre startup travaille actuellement avec Sodexo pour essayer d’anticiper la consommation des salariés au repas du midi et d’équiper les salariés d’une application pour leur demander à l’avance ce qu’ils pensent manger durant la semaine. Même si une marge d’erreur existe, ce système permet d’augmenter l’efficacité de la gestion des stocks et éviter le gaspillage.

 

Armelle : La restauration collective est en effet très contrainte par les normes, l’hygiène. Il existe de nombreux aliments qu’elle ne peut pas intégrer dans sa cuisine, comme les œufs coquilles par exemple. Elle est aussi très contrainte par des questions de coûts. Néanmoins, certaines choses commencent à changer. J’ai rencontré hier un acteur qui propose d’intervenir justement dans le cadre de la restauration collective. Il a créé un label qu’il a implanté dans 17 restaurants collectifs au sein d’entreprises parisiennes. Des innovations sont en marche auprès de grosses structures résolument tournées vers le futur, comme Microsoft. Il faut tout de même savoir que ces restaurants collectifs ont déjà leur cuisine centrale installée, qu’il faut faire tourner. Il est donc difficile d’intégrer des structures existantes. En revanche, cet acteur rencontré hier travaille sur des plans de promotions immobilières à horizon de 5 ou 10 ans. Et là clairement, de nombreuses solutions sont envisagées pour coller aux attentes des futurs consommateurs qui occuperont ces bureaux et n’auront pas les mêmes exigences qu’aujourd’hui. On ne peut pas savoir à quoi ressemblera la restauration collective de demain car elle est en pleine friche. Mais je vous assure qu’une vraie réflexion est en cours avec des designers qui travaillent sur l’environnement de demain.

Par ailleurs, il y a des endroits où la place manque pour proposer une restauration collective sur site. On commence à voir se profiler des cantines virtuelles avec la livraison de repas, selon la même grille de tarifs qu’un restaurant collectif traditionnel. Dans ces endroits livrés, il n’existe qu’une pièce permettant de réchauffer les plats.

Concernant la question en direction des populations défavorisées, on a une solution qui s’appuie sur la cuisine pédagogique dont je parlais tout à l’heure, qui vise à diffuser des informations relatives à l’alimentation du plus grand nombre. Nous travaillons aujourd’hui avec le Secours Catholique qui fait évoluer l’aide alimentaire. Jusqu’à présent, la banque alimentaire distribuait des plats préparés à réchauffer, essentiellement sous forme de boîtes de conserve. Nous avons proposé d’inviter les 34000 personnes suivies actuellement, qui logent pour la plupart dans des hôtels. Cette population compte 6000 enfants de moins de 6 ans, qui ne voient jamais leurs parents cuisiner. Parmi ces adultes, certains ne savent pas cuisiner nos ingrédients et encore moins des produits frais. L’idée est de récupérer par l’aide alimentaire des ingrédients frais, que ces personnes choisissent elles-mêmes ce qu’elles ont envie de cuisiner, qu’elles soient coachées par un chef qui ne leur imposera pas une recette mais leur donnera des idées, et que les enfants soient présents pour voir leurs parents cuisiner. Nous touchons là une question essentielle car l’alimentation est au cœur du lien social et de la culture. Il s’agit d’une clé d’entrée fondamentale pour intégrer des populations exclues de notre société. Il existe un certain nombre de cuisines non pas professionnelles mais « ménagères » qui commencent à naître et peuvent se prêter à cette expérience. On y cuisine ensemble. Ces lieux favorisent des échanges inter générationnels, les personnes les plus âgées expliquant comment se cuisinent tel ou tel morceaux à des individus qui n’ont pas forcément eu accès à cette éducation.

 

Vous parliez tout à l’heure du mieux manger qui passe par l’éducation. Je goûte parfois ce que mange mon fils de 2 ans à la crèche et je trouve ça immangeable, salé, plein de conservateurs, et il est impossible d’apporter des plats de la maison.

Armelle : Toutes sortes de concepts sont en cours de développement pour essayer de changer les choses dans ce domaine. Des boxes pour enfants sont à l’étude. Je pense notamment à la startup Comme des papas. La problématique principale, c’est le prix. Des produits supers sont proposés chez Monoprix mais il y en a pour 3,50 à 4 euros par enfant, c’est très cher. Il existe des solutions pour les bébés mais pas grand-chose pour les 3 à 9 ans, c’est-à-dire pour les enfants scolarisés mais pas encore suffisamment autonomes pour choisir eux-mêmes ce qu’ils vont manger.

 

Jérémie : Pour revenir à la startup Comme des papas qu’on connaît bien chez DigitalFoodLab, on ne peut qu’apprécier que des grands acteurs de l’agroalimentaire s’intéressent de près à ce qu’ils font pour faire eux-mêmes évoluer leurs gammes dans le futur.

 

Êtes-vous en relation avec le ministère de la santé ?

Jérémie : Avec WeCook, j’ai eu des relations avec les pouvoirs publics. La Fabrique à menus, qui propose un semainier de recettes, travaille sur des sujets assez similaires à ceux de WeCook. Ils nous ont pris de haut lorsque nous avons souhaité les rencontrer. Ils se sentaient beaucoup plus importants parce qu’ils représentaient les pouvoirs publics.

Mon sentiment, c’est que les pouvoirs publics ne s’intéressent guère à la question de l’alimentation des enfants. Nous faisons de notre côté du lobbying pour déréglementer, ouvrir de nouveaux marchés, mais c’est très difficile de faire avancer les choses.

Au sujet du steak sans viande, la problématique qui apparaît sur ce secteur, c’est que ce type de recherche est financé aux États-Unis alors qu’en France on n’aborde pas ces questions. On risque d’être bloqués dans 10 ou 20 ans, quand une multinationale américaine occupera le secteur du steak sans viande sans pouvoir rivaliser.

Pareil pour My fitness bag, toutes les données sont stockées aux États-Unis. C’est un peu curieux de constater que toutes les informations concernant l’alimentation quotidienne des consommateurs français soient stockées sur des bases de données américaines. Les assureurs français achètent donc ces bases de données à l’étranger ! Il apparaît clairement que certaines réflexions devraient être menées par nos pouvoirs publics à l’égard de ce type d’enjeux.

 

Armelle : Les startups qui développent des produits le font systématiquement avec l’aval d’un nutritionniste, mais un certain nombre d’entre elles se placent dans des créneaux médicaux sans que ce soit pertinent. Je pense notamment à tous ceux qui surfent sur la vague du sans gluten, alors que moins de 2 % de la population est allergique au gluten. Celui-ci ne doit pas être banni de notre alimentation.

 

Jérémie : Au-delà de la médecine, c’est aussi une question de culture, car si l’on sait que le contenu de la bouteille dont j’ai parlé tout à l’heure ne présente aucun danger pour le corps, il n’est pas certain que l’on souhaite se nourrir avec ce type d’aliment demain. Il va peut-être se produire un changement de mentalité mais ce n’est pas sûr. Va-t-on se battre en France pour conserver notre culture culinaire ou la prochaine génération aura-t-elle oublié ce que nos parents nous ont transmis ?

 

Robin : il est certain que des personnes vont se battre pour ce maintien, comme des personnes se sont battues contre Mc Donald lorsque l’enseigne est arrivée en France. Le consommateur français est très frileux par rapport à tous les nouveaux produits qu’on veut lui apporter, mais il finit par s’adapter.

 

Je vous ai écouté, c’est très technique. Vous avez aussi parlé de pédagogie et de temps. Que mangez-vous, vous le soir ? Respectez-vous ce que vous conseillez en matière de santé, ou est-ce que, comme la plupart d’entre nous, vous mangez parfois mal ?

Armelle : Je suis maman de 3 enfants et pure produit d’une reconversion puisque je viens de l’univers de la lingerie féminine. Après 10 ans dans cet univers-là, j’ai pris conscience de choses qui me choquaient dans l’alimentation et j’ai choisi de me tourner vers ce secteur. J’ai appris à m’alimenter différemment et réalisé que j’avais commis des erreurs. Je me nourrissais parfois vite parce que je travaillais et qu’il fallait enchaîner mes activités. Pour répondre à votre question, je cuisine un peu plus qu’avant et je me fais aider de robots qui facilitent la vie pour faire des pâtes maison et des purées très onctueuses sans ajouter des tonnes de crème. Mais bien sûr rien n’est parfait et je continue à préparer des pommes-noisettes à mes enfants quand je n’ai pas le temps de cuisiner. Ce qui est sûr, c’est que je fais beaucoup plus attention à ce que je leur donne. Pour plusieurs raisons, notamment parce que du fait de ma reconversion, j’ai accès à des réseaux d’approvisionnement qui sont beaucoup plus qualitatifs, ce qui me donne envie de cuisiner correctement les produits. J’ai aussi appris à associer certains ingrédients pour en tirer le meilleur bénéfice. Enfin, ma fille de 8 ans a eu du cholestérol, c’est héréditaire dans la famille, et du coup j’ai dû faire très attention, notamment à ses goûters. C’est une petite fille très gourmande qui aime tout, c’est une chance, mais il faut que je l’oriente vers des choses saines et fraîches qui lui fassent plaisir. Mais je vous rassure, il m’arrive d’aller au Mc Do sur le chemin des vacances, et je pense que c’est bien de ne pas frustrer ses enfants. Il faut les ouvrir mais leur permettre aussi parfois de transgresser parce que c’est de cette manière qu’ils apprécient la nourriture qu’ils consomment au quotidien.

 

Jérémie : J’ai également un mode d’alimentation un peu particulier. J’ai la chance de perdre facilement du poids. Je surveille donc ce que je consomme pour manger en quantité suffisante. Et je m’arrange pour que ce soit équilibré. Je me sers au quotidien de nombreux services dont on a parlé, avec bien sûr un Mc Do de temps en temps.

 

Robin : Vous avez raison, la cohérence est très compliquée. J’ai mangé mon dernier hamburger chez Burger King le 6 mars 1999 à San Francisco. C’est là que j’ai commencé à éprouver un dégoût à l’égard de ce type de produit. Dégoût qui s’est accentué quand j’ai vu les premières vidéos sur la condition animale. Pendant 7 ans, j’ai ouvert des boulangeries bio pour le compte de mon patron. Malgré tout ce qu’on dit sur le US, la Californie reste un berceau pour tout ce qui est agriculture maraîchère raisonnée ou bio. C’est facile de résister au Mc Do parce que je n’ai pas d’enfant mais je trouve la cohérence compliquée. Quand on habite en ville, le bio coûte très cher. Sans être un ayatollah de la nourriture parfaite, on peut respecter les saisons, et on peut ne pas aller au Mc Do !

 

************************

 

Conclusion d’Hervé Pillaud :

J’ai choisi pour conclure de reprendre des mots que nous venons d’entendre sur ce thème du printemps, renouveau, régénérer, réintégrer, le printemps, l’arbre, les bêtes, l’humain, l’humanité, l’humilité, l’humus, l’essence de la terre, mais aussi les sens, voir, sentir, entendre, toucher, goûter, l’écoute, la diversité, la fertilité des sols, la fertilité des hommes, le printemps, l’aliment, le lien, lien à la terre, l’aliment créateur de liens, le printemps, voir, observer, innover, découvrir et redécouvrir, comprendre, apprendre, réapprendre, surprendre, respirer, s’inspirer, agir, créer, le printemps, nourrir les plantes, nourrir les hommes, nourrir pour vivre, vivre, survivre et puis revivre, croire dans le beau, l’utile, l’essentiel, puis se projeter dans le futur, 2035, l’avenir, c’est demain, nouveau printemps, 2035, changer, mais changer jusqu’où ? Et puis Nanterre, retour vers le futur, le printemps de Nanterre, Nanterre c’était pour moi 68, printemps, autres temps, remember, le printemps 68, l’espoir, la communauté, elle est devenue startup, entreprise, entrepreneurs, barbares bienveillants, entreprendre, oser, se lancer, naître, renaître, accélérer, projeter, se projeter, s’épanouir, croître, croire en l’homme, se rencontrer, faire se rencontrer, aller à l’essentiel, accompagner, développer, redécouvrir, créer des ponts, prendre ses responsabilités, agir, foncer, le printemps, c’est regarder devant, ce n’est pas se remémorer le passé, c’est ce que nous inspire le printemps de Sarah, d’Armelle, de Robin, de Mathieu, de Jérémie. Le printemps, c’est Sarah qui m’inspira la première page de mon premier livre, « Agronumericus », nous ne sommes pas de ceux qui regardent derrière en se demandant pourquoi. Nous regardons devant en rêvant et en disant pourquoi pas ? Le printemps, c’est ça, c’est rien que ça et c’est tout ça ! Merci.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière – www.semaphore.fr