j'adhère au cera

Printemps des idées 2019 (3ème édition) avec Stéphane MALLARD

3° édition du printemps des idées avec

Stéphane MALLARD

Expert de l’intelligence artificielle et de la transformation digitale

 

« Disruption : préparez-vous à changer le monde ! »

3ème édition du Printemps des idées

91° rencontre du CERA du 21 mars 2019

 

 

 

Introduction de Jean Michel Mousset :

Nous accueillons aujourd’hui un jeune digital evangelist. C’est Louis de Froissard, un membre du bureau du CERA, qui nous le présente.

 

Présentation de Louis de Froissard :      

En organisant un évènement à Bordeaux en 2015, nous cherchions de jeunes talents capables de parler d’une science émergeante, l’Intelligence artificielle. En fouillant bien, nous avons découvert un électron libre échappé d’une banque. Ce que nous avions trouvé intéressant, c’était la réelle opposition entre le discours de ce jeune homme et l’image que véhiculait la Société Générale à l’époque.

Quatre ans plus tard, c’est un garçon qui a énormément mûri. Entrepreneur, conférencier dans le monde entier, nous l’avons invité en Vendée. Je vous prie d’accueillir chaleureusement Stéphane MALLARD.

 

Stéphane Mallard :        

Je suis très heureux d’être avec vous, et très honoré après avoir vu la liste des conférenciers que vous avez eu la chance d’accueillir dernièrement.

 

Nous allons parler du futur, de ce qui nous attend dans les prochaines années, de numérique, de digital, de nouvelles technologies, de culture tech, de disruption, parce que c’est ce qui constitue le monde dans lequel nous entrons.

Je reviens sur le titre « Digital evangelist ». C’est ainsi que je suis souvent présenté et pour ne rien vous cacher, j’ai fait exprès de garder ce titre. Je savais qu’il allait rester dans les esprits parce que cela surprend, parce que cela questionne, mais aussi et surtout parce que nous sommes en France et que beaucoup de gens éprouvent du mépris à l’égard de cette activité. Je vous rassure, c’est un métier qui arrive en Europe. Il y en a beaucoup qui l’exercent aux Etats-Unis sur Google, Amazone, etc. Le métier consiste, outre Atlantique, à s’emparer de produits, de business model, de technologies, de cultures, les décomplexifier pour ensuite diffuser de la connaissance sur ces sujets auprès des clients, du public. C’est vraiment embarquer le monde actuel vers un nouveau monde, ne pas le craindre et surtout avoir envie de s’y engager.

 

Avant de vous parler du futur, je vais vous raconter une petite anecdote qui m’est arrivée il y a quelques mois. Elle illustre bien le changement de paradigme que nous sommes en train de vivre en ce moment. A la remise des diplômes d’une université qui forme des ingénieurs, je devais intervenir pour les encourager à rentrer dans la vie professionnelle. J’intervenais juste après le doyen de cette grande université qui leur disait : « Vous êtes les futurs leaders de demain, vous avez une formation prestigieuse. Je vous souhaite un poste dans un grand groupe pour représenter la France dans les prochaines années, etc. Je suis passé juste après lui, j’étais gonflé à bloc et me disais : « Il est fou de leur demander ça ! » J’ai alors dit aux étudiants : « Je vous souhaite surtout de ne pas décrocher un job, encore moins un CDI et encore moins dans un groupe ! » Evidemment le doyen était furieux.

 

Je leur ai dit que ce monde-là était fini. Les CDI, le salariat, le monde des grands groupes que nous avons glorifiés, c’est fini ! Aujourd’hui je leur souhaite de créer leur propre job, de devenir un startuper, de créer une boite, d’être indépendant. Je leur ai expliqué qu’il y avait beaucoup moins de risques qu’avant, des opportunités partout, et qu’il ne fallait surtout pas se cantonner à ce monde des grands groupes, CDI et salariat. Evidemment cela a fait un tollé, les étudiants ont adoré. Sur Tweeter, une partie de la communauté m’est tombée dessus : « Pour qui se prend-il pour parler ainsi à des étudiants ? » Ce clivage cristallise le changement de paradigme que nous sommes en train de vivre.

 

Il y a énormément de changements en ce moment. C’est le cas du salariat, peut-être le cas de la démocratie, des Etats qui sont en train de disparaître pour faire émerger un autre monde. Nous avons tendance à le craindre car il n’a rien à voir avec ce que nous avons connu hier, mais à mon avis il va être très excitant. Ce nouveau monde a souvent été décrit par les Américains en utilisant le concept de disruption. Avec ce terme, ils parlent de chamboulement, changement majeur et rapide, rupture. Depuis quelques années, les Américains parlent de disruption pour évoquer tout bouleversement qui touche la société, le monde du travail, nos vies personnelles et professionnelles. Avant, nous parlions de révolution, mais ce n’est plus adapté car le mot révolution s’applique à un monde à bout de souffle, qui ne peut plus tenir face à des forces extérieures qui le poussent à changer. Dans une période de disruption, le monde, les métiers, les industries pourraient encore tenir, mais la démarche vise à les rendre volontairement obsolètes en utilisant de nouvelles technologies beaucoup plus puissantes.

 

Regardez ce qui s’est passé avec les taxis. Nous avons parlé d’ubérisation des taxis. L’ubérisation est un cas particulier de disruption comme nous en aurons beaucoup dans les prochaines années. Le monde des taxis pouvait encore tenir. Ils transportaient des gens de façon déplorable. Uber est arrivé et a dit : « Ce n’est pas comme ça que cela va continuer, ce monde est fini, nous allons réinventer tout le processus. » Il est en train de rendre obsolète l’ancienne manière de faire des taxis. Ceux-ci tendent de plus en plus vers le modèle Uber. C’est cela, la disruption.

Nous sommes en train de forcer tout ce qui nous entoure, que ce soit des métiers, des secteurs, des industries, des compétences, une culture, la manière de communiquer, de faire de la politique. Tout cela est obsolète. Il faut inventer autre chose en utilisant les nouvelles technologies. Pourquoi cela a-t-il lieu en ce moment ? Tout simplement parce que ces nouvelles technologies, le numérique, le digital, sont, comme nous les appelons aujourd’hui, des commodités. Cela veut dire qu’elles sont de plus en plus faciles à produire, elles ne coûtent pas cher et sont de plus en plus accessibles à tout le monde. Regardez les smartphones, tous les ans ils coûtent le même prix mais leur puissance augmente. Quant aux communications téléphoniques, dans les années 60, elles coûtaient très cher. Aujourd’hui, elles ne coûtent plus rien. Les technologies sont devenues de plus en plus puissantes et accessibles. Tout le monde peut s’en emparer, les utiliser pour forger le monde à son image.

 

Steve Job disait à des étudiants « Du moment où vous comprenez que le monde a été fait par des gens qui avaient décidé de le changer, vous comprenez que tous les humains peuvent adopter cet état d’esprit et peuvent transformer le monde à leur image. » Du coup, cela a créé une génération d’entrepreneurs qui utilisent ces technologies pour façonner le monde à leur image. Il s’est produit dernièrement une accélération sur l’arrivée de ces nouvelles technologies qui bouleversent le monde. En effet, nous rendons non seulement les machines plus puissantes, mais aussi intelligentes.

 

L’intelligence artificielle n’est plus de la science-fiction. Vous en avez déjà entendu parler et vous savez que ce sont des machines qui ne sont plus programmées mais entraînées. Nous les nourrissons de données pour atteindre des objectifs qui, dit-on relèvent de l’intelligence. Mais qu’est-ce qui relève de l’intelligence dans la mesure où nous disons « Si la machine l’a fait, c’est qu’il n’y a pas d’intelligence » ? Le fait est que tout ce que nous considérions relever de l’intelligence, que ce soit le langage, la manipulation de concepts, les raisonnements, la créativité, tout cela est en train d’être modélisé par des algorithmes que nous appelons aujourd’hui l’intelligence artificielle.

E

Nous avons des résultats exceptionnels en matière d’intelligence artificielle. Les diagnostics médicaux commencent à faire mieux que les médecins, la modélisation 3D des molécules n’est plus de la science-fiction. Cela fait une cinquantaine d’années que les informaticiens essayent de rendre les machines intelligences. Au début c’était difficile parce que nous ne savions pas ce qu’était l’intelligence. Aujourd’hui nous avons encore beaucoup à apprendre sur le cerveau, mais nous avons une meilleure idée de ce que veut dire l’intelligence. Nous nous approchons d’une modélisation qui permet de faire des choses intéressantes.

 

Nos ancêtres ont été bluffés par la vitesse des trains, l’invention des avions, la réduction des distances. C’est exactement ce que nous vivons en ce moment avec les machines intelligentes. Nous prenons une leçon d’humilité sur les limites de notre intelligence. Actuellement, nous sommes en train d’entraîner les machines à atteindre le niveau de performances d’un être humain sur une tâche donnée, par exemple la reconnaissance d’un cancer sur une image médicale. Nous tenterons ensuite de dépasser la performance d’un professionnel.

 

Tous les métiers vont être concernés par l’arrivée de l’intelligence artificielle. Souvenez-vous du début de l’informatique. Nous avons commencé à mettre des ordinateurs partout, ensuite nous les avons connectés, puis il y a eu les smartphones et la technologie est devenue une commodité. Il se passe exactement la même chose avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Cela signifie que demain, vous serez tous équipés de l’intelligence artificielle dont les capacités augmenteront tous les jours. Il est vrai que toutes nos fonctions cognitives ne sont pas modélisées avec le même niveau de performance. Une machine est meilleure qu’un être humain pour reconnaître son environnement visuel mais elle n’est pas aussi performante que nous pour manipuler le langage. Le traitement du langage n’est pas au point, en particulier dans la compréhension du texte et la capacité à s’exprimer.

 

Nous vivons une période d’accélération de ces nouvelles technologies qui vont bientôt se banaliser. Sundar Pichai, le patron de Google, a déclaré que nous passions d’un monde « Mobile First », régi par la mobilité, à un monde «AI First » où l’intelligence artificielle sera tout autour de nous.

 

C’est une leçon d’humilité car les experts, ceux que nous voyons sur les plateaux de télé, nous disent que la machine ne pourra jamais être créative, que l’homme le sera toujours plus. C’est faux car c’est une question de définition. Si vous savez définir ce qu’est la créativité, vous saurez la modéliser. Des gens se sont amusés à modéliser la créativité en rassemblant des choses qui n’ont jamais été assemblées. C’est le fait de rapprocher ces éléments-là qui crée de la valeur. Vous assemblez des notes, cela fait une belle mélodie. Le génie de l’artiste est de se dire que quand il rapproche ces notes, il sait que cela va plaire à tel ou tel groupe de personnes. Aujourd’hui, nous utilisons des algorithmes pour jeter des hypothèses dans les données, rassembler ces données, les mettre les unes derrière les autres et composer de la musique artificielle.

 

Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle qui va se généraliser autour de nous, nous allons nous rendre compte que nous sommes beaucoup plus prévisibles que nous le pensons, nous les êtres humains. Les assureurs le savent depuis longtemps. Ils nous font remplir des formulaires et essaient de lire ou de déduire des choses sur nous, pour nous vendre des trucs. Aujourd’hui en utilisant ce type d’algorithmes d’intelligence artificielle, les géants d’internet sont capables de prédire des choses très intéressantes sur nous. Selon l’heure d’utilisation, la fréquence d’utilisation, les amis de notre plateforme, les contenus, voire le déplacement de notre souris sur l’écran, les employés de Facebook sont capables de savoir des choses sur nous, comme par exemple, pour qui nous allons voter. Ils sont capables d’influencer notre vote, de connaître notre humeur et même de changer notre humeur en mettant les bons contenus sur l’écran. Nous sommes extrêmement influençables. Les gens du marketing, les hommes politiques le savent depuis longtemps, nous sommes en train de le redécouvrir, mais en changeant d’échelles.

 

Savez-vous que selon votre navigateur internet, Explorer, Mozilla, Chrome… nous sommes capables de connaître votre degré de créativité. Ceux qui utilisent Chrome et Mozilla ont un niveau de créativité bien supérieur aux autres. Cela ne veut pas dire que c’est bien ou mal. Dans une société il faut de tout, vous pouvez d’ailleurs apprendre à être plus créatif, ou le désapprendre. Cela veut simplement dire que la créativité est extrêmement corrélée à la transgression. Internet Explorer ou Edge ou Safari sur Mac sont les options par défaut. Autrement dit si vous n’acceptez pas ces options et que vous transgressez pour installer Chrome ou Mozilla, vous avez mécaniquement un degré de créativité plus élevé. Donc si vous êtes RH, il n’y a pas besoin de demander aux candidats s’ils sont créatifs et qu’ils donnent des exemples. Avec l’arrivée de ces algorithmes, vous allez tous subir ce type d’analyses sur votre comportement. Cela permettra de déduire plein de choses sur vous, d’enrichir des banques de données et de vous vendre tout un tas de choses. Dans le cas d’un gouvernement, vous imaginez…

 

Les banques ont plein de données sur leurs clients et les analysent. Elles connaissent très bien leurs clients. Elles savent ce que vous gagnez ainsi que vos dépenses. Heureusement les banques ne savent pas traiter toutes ces données. Il n’y a que les géants d’internet et les startups spécialisées qui savent le faire. Mais regardez Google, juste avec le GPS de votre téléphone, il sait où vous habitez, connaît vos déplacements, leurs fréquences, qui vous croisez, où vous faites vos achats. Avec le bon modèle d’intelligence artificielle, Google pourra facilement déduire là où vous allez consommer, passer vos vacances et peut-être même quelles maladies vous allez développer, si – pourquoi pas – vous avez un potentiel criminel. Nous sommes en fait beaucoup plus prévisibles que nous le pensons et l’intelligence artificielle va nous le prouver en nous analysant en permanence. Nous allons faire réémerger les débats philosophiques entre le libre-arbitre et le déterminisme. Ces algorithmes vont nous prouver que nous avons beaucoup moins, peut-être même pas du tout de libre-arbitre, contrairement à ce que nous pensons.

 

Robert Sapolsky est un neurobiologiste de l’université de Stanford, Etats-Unis. Il est très connu pour ses travaux sur le comportement humain, l’agressivité, la séduction, la stratégie… Il a déclaré, il y a quelques mois, que le libre-arbitre n’est que de la biologie qui n’a pas été découverte. Il vous explique toutes vos pensées et toutes vos actions en fonction des différentes échelles de temps. Il vous explique ce qui s’est passé il y a quelques millièmes de secondes dans vos neurones quand vous prenez une décision, ce qui s’est passé quelques secondes ou minutes avant dans votre cerveau, mais aussi dans votre cocktail sanguin et vos hormones, ce qui s’est passé quelques semaines, mois ou années avant, vos traumatismes d’enfance et ce qui s’est passé quelques millions d’années avant dans vos gènes, qui expliquent vos comportements.

 

Devinez ce que cela implique ! Imaginez que vous ayez demain dans votre smartphone un algorithme d’intelligence artificielle qui analysera vos comportements en permanence, et qu’un jour il puisse déduire un risque médical. Tout le monde appréciera. Mais que ferez-vous demain si une notification vous invitait à demander le divorce ? Vous ne saurez pas pourquoi, mais l’intelligence artificielle le saura. Imaginez dans quel dilemme vous serez !

 

L’objectif de ces prochaines années est de faire venir de plus en plus la technologie à nous et d’en faciliter l’usage. Jusqu’à aujourd’hui nous avons dû apprendre à utiliser la technologie. Par exemple, le magnétophone était accompagné d’un manuel pour comprendre comment l’utiliser.  Aujourd’hui il n’y a plus de manuel, les technologies sont devenues intuitives. Un responsable politique disait qu’il fallait mettre des millions sur la table pour la formation au numérique afin que les gens soient capables d’utiliser les services publics en ligne. Erreur ! Il faut créer les services publics en ligne comme Amazon ou Huber l’ont fait pour qu’il n’y ait pas besoin de mode d’emploi et que ce soit facile pour tout le monde. Ce doit être la même chose pour les logiciels. Prenons l’exemple d’Excel. Excel comprendra votre intention et vous présentera la règle dont vous avez besoin, ainsi nous contribuerons à l’éducation de la machine.

 

Nous serons entourés de machines intelligentes et un majordome digital dédié à notre personne comprendra ce dont nous avons besoin et nous servira. Cet assistant intelligent sera notre expert personnel dans tous les domaines. Il sera notre banquier, notre médecin, notre conseiller, notre confident, etc. Il nous connaîtra parfaitement et deviendra notre copie dans le monde digital. Il nous représentera dans nos interactions avec le monde extérieur.

 

Nous avions un exemple très simple qui nous représentait : le répondeur téléphonique qui prenait un message en notre absence. Nous allons bientôt avoir un assistant intelligent qui fera des choses intelligentes pour nous faire gagner du temps. Autrefois il fallait notre intervention pour décider une action. Dans les prochaines années, des sites comme Amazon vont comprendre, en analysant votre comportement d’achat que, toutes les deux semaines, vous commandez du café ou du lait. Peut-être qu’au bout de dix jours, votre assistant vous enverra une notification vous proposant d’en commander par lui-même. Il fera cela pour de plus en plus de produits et quand vous serez sûr de sa fiabilité, vous finirez par lui donner un mandat pour vous représenter sur toute votre logistique de vie. A intervalle régulier, il vous enverra des notifications résumant ce qu’il a fait pour vous : courses, billets d’avion pour les vacances, en revanche rien concernant l’hôtel car il sera en conflit avec l’assistant intelligent de votre femme qui ne sera pas d’accord avec vous !

 

Les assistants intelligents dialogueront entre eux pour organiser vos rendez-vous, vos vacances, le SAV d’une entreprise, etc. Ils vous feront gagner énormément de temps. Cela existe déjà dans certains métiers, le trading en finance pour lequel des automates discutent entre eux, passent des ordres.

 

Ces assistants intelligents s’imposeront naturellement. Les entreprises ont eu d’abord un catalogue, puis une base de données, puis un site internet, aujourd’hui elles ont des applications, demain elles auront un assistant intelligent qui, en fait, sera juste une interface de plus. L’assistant intelligent fera gagner du temps et facilitera l’accès à la connaissance.

 

Nous vivons dans un monde dans lequel l’expertise et la connaissance sont extrêmement valorisées. L’expertise coûte très cher, d’abord parce qu’il faut de l’intelligence, deuxièmement elle nécessite des formations longues et chères et une grande expérience professionnelle. Aujourd’hui nous entrons dans un monde où la connaissance est disponible en abondance. De ce fait, elle ne vaut plus rien, devient une commodité. Aujourd’hui elle a une faible valeur. Ce qui coûte est le traitement de la connaissance, l’expertise, et puisque nous allons vers des algorithmes de plus en plus entrainés et de moins en moins programmés, comme c’était le cas avec l’informatique d’hier, l’expertise ne vaudra un jour plus rien économiquement. Ce sera un bouleversement dans les prochaines années pour nos sociétés. Jusqu’à aujourd’hui, nous disions aux gens « Spécialisez-vous, devenez expert, vous serez protégé pour toujours avec un métier très rémunérateur ». Ce sera exactement l’inverse dans le monde dans lequel nous allons entrer parce que c’est chaque expert, dans son domaine, qui va entraîner un algorithme d’intelligence artificielle pour lui transférer son expertise. Prenez le cas du diagnostic médical. Aujourd’hui, ce sont des cancérologues qui entraînent des algorithmes pour reconnaître les cancers sur des images médicales. Très rapidement la machine atteint le niveau de performance des médecins puis elle le dépasse, elle le pulvérise même ! On l’a vu en Chine à l’occasion d’un concours entre médecins et intelligences artificielles dans le cadre de reconnaissance de cancers.

 

Ce sera le cas d’un avocat qui entraînera un algorithme à choisir des arguments pour une plaidoirie. L’intelligence artificielle pourra prévoir comment un juge va raisonner. En informatique, nous avons déjà des algorithmes qui génèrent leur propre code de programmation.

r

Chaque expert va donc transférer son expertise à un algorithme. C’est une très bonne nouvelle parce que nous, les humains, nous ne sommes pas très bons en expertise. L’expertise, parce qu’elle est très complexe, est disséminée dans les cerveaux de tout le monde. Quand il y a une pathologie complexe à l’hôpital, plusieurs médecins se rassemblent pour affiner le diagnostic, chaque expertise se complétant.

 

Quand vous appelez plusieurs experts pour statuer sur un sujet, vous obtenez autant d’expertises que d’experts. Ce n’est pas normal. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, nous allons faire converger l’expertise au sein d’une seule intelligence artificielle qui sera meilleures que toutes les expertises conjuguées.

 

C’est ce que fait Google avec sa voiture autonome, sa Google car. On met en route un certain nombre de voitures, chacune avec sa propre conduite. Elles viennent nourrir et éduquer l’algorithme de l’intelligence artificielle unique de conduite de Google. Cela se passera ainsi pour tout type d’expertise, l’être humain va donc perdre l’expertise et c’est une très bonne nouvelle, votre médecin ne pourra pas rivaliser avec l’intelligence artificielle, notamment sur le diagnostic.

 

Nos médecins vont-ils disparaître ? Non, parce que nous avons affaire à des professionnels pour leurs expertises techniques, mais aussi pour le relationnel, l’humain, les interactions. Il y a trois choses qui comptent : premièrement l’expertise médicale du médecin, deuxièmement l’effet placebo qu’il produit, vous vous sentez mieux quand vous le quittez, et troisièmement le côté légal car le médecin est le seul à délivrer une ordonnance. Vous continuerez à voir votre médecin parce que vous avez avec lui un lien très fort d’empathie, de confiance.

 

L’effet de l’interaction humaine est fondamental dans toutes nos relations personnelles et professionnelles. Dans le monde du business, même si les entreprises perdent de leur expertise, elles vont devoir se concentrer sur ce qui fait notre valeur, la relation humaine, la confiance, l’humour, l’amour, tout ce qui fait que nous aimons interagir les uns avec les autres. Ce n’est plus le produit, le service ou l’expertise, devenus des commodités qui compteront, c’est l’expérience globale et exceptionnelle que nous devrons offrir à nos clients.

 

Les entreprises devront se comporter comme de bons séducteurs. Le mauvais séducteur est un Don Juan parce qu’il en fait des tonnes pour séduire et une fois la dame séduite, il s’en débarrasse pour passer à une autre. Le bon séducteur ne cherche surtout pas à séduire, par contre il se rend séduisant, il offre quelque chose d’exceptionnel à la personne qu’il souhaite séduire et indirectement, il va l’attirer à lui et à partir de là, il va construire quelque chose de fort, de solide.

 

Regardez les entreprises du monde d’hier. Elles en font des tonnes pour séduire leurs clients : publicités, annonces de valeurs passe-partout, « Faites-nous confiance, ce qui compte c’est vous… » et dès que vous avez signé, il n’y a plus personne. Dans le monde des entreprises qui ont compris la disruption, c’est exactement l’inverse. Amazon, Netflix ne font quasiment pas de publicité, sauf pour s’excuser d’une erreur faite par eux-mêmes. En revanche, ils construisent un service de qualité exceptionnelle, ils ne lâchent jamais un client afin de créer une relation de long terme.

r

Cela implique pour les entreprises d’utiliser ces nouvelles technologies, celles-ci deviendront des commodités qui ne seront pas un facteur de différenciation entre elles. Beaucoup d’entreprises aujourd’hui font l’erreur d’investir massivement sur l’intelligence artificielle en se disant « C’est ce qui va nous faire survivre, nous faire connaître de nos clients ». Tout cela est faux parce que dans le monde numérique, il est très facile de copier, de répliquer, de mettre en place tous ces algorithmes. Une entreprise qui met en place de l’intelligence artificielle pour mieux connaître ses clients peut être immédiatement copiée par son concurrent se trouvant au même niveau de maturité technologique. Il va falloir se différencier sur autre chose : organiser une expérience exceptionnelle, un lien de confiance très fort avec ses clients et surtout quelque chose qui dure sur le long terme. Nous entrons dans une société transparente dans laquelle vous allez devoir prouver qui vous êtes, ce que vous faîtes et la valeur que vous délivrez. Si vous avez besoin de dire quelque chose dans une pub, c’est que c’est faux. Regardez par exemples des banques, des hommes politiques, etc. qui vantent leurs soi-disant qualités. Ce monde-là est fini.

 

Les entreprises n’auront pas d’autre choix que de faire leur propre disruption. La disruption, c’est rendre obsolète. Les entreprises vont devoir changer totalement de stratégies. Jusqu’à aujourd’hui c’était simple dans les entreprises : nous partions de notre cœur de métier, ce que nous savions faire, ce qui nous rapportait de l’argent, de la valeur et ensuite nous essayions de consolider, de protéger, d’améliorer la rentabilité de ce cœur de métier et le reste était externalisé.

 

C’était le monde d’hier. Regardez ce qu’à fait Kodak. Ils imprimaient des photos. Avec l’arrivée du numérique ils pensaient imprimer encore plus de photos, toutes celles faites avec les appareils photo numériques. Mais les gens regardent leurs photos sur Instagram, sur leur téléphone ou leur PC. Kodak a raté sa disruption, ils ont voulu mieux faire leur métier alors qu’ils auraient dû le saborder pour faire autre chose.

 

Si vous allez chez Facebook, vous lirez sur les murs « Tuez Facebook ! » et Amazon a déclaré « Amazon va faire faillite ! » Tout le monde sans exception est concerné par la disruption !

La difficulté est que la disruption arrive par ceux qui ne sont pas concernés par la disruption. Comme en science. Les révolutions scientifiques arrivent soit par des novices, des juniors qui n’ont pas l’expertise, soit de manière hasardeuse. La disruption étonne toujours quand elle arrive et il est déjà trop tard pour réagir. Il est préférable d’organiser sa propre disruption en sachant que partir de ce que nous savons faire est une erreur, ce monde-là est fini. Il faut saborder son propre job pour en inventer un autre. Avoir un job à vie n’a plus de sens.

 

Vous connaissez Netflix, ils ont commencé par vendre des DVD. Cela marchait très bien, avec une super rentabilité. Un beau jour le patron a décidé de faire autre chose, de la vidéo en ligne, du streaming. Les actionnaires ont considéré que cela n’avait aucun sens. Il avait compris que la vidéo en ligne allait devenir une commodité. C’est en effet devenu une commodité parce que YouTube et tous les services en ligne se sont mis à faire de la vidéo en ligne.

 

Comment s’est différencié Netflix ? Ils sont devenus un très bon séducteur avec un site parfait au design exceptionnel et un algorithme de recommandations qui analyse ce que vous regardez et qui suggère en fonction de votre profil. Maintenant ils programment des séries, demain peut-être de l’information. L’idée est de créer une expérience exceptionnelle et quand la preuve de cette expérience est faite, d’évoluer avec le client. Ils n’ont pas eu peur de détruire ce qui marchait pour inventer le nouveau monde. L’idée est d’utiliser toutes ces technologies qui deviennent très vite des commodités pour construire des choses par-dessus.

 

Regardez Uber ! Uber ne s’est pas mis à cartographier toutes les routes de la planète, c’est Google qui l’a fait avec Google Maps. Uber s’est contenté de connecter des chauffeurs avec des clients sur Google Maps, devenu la commodité sur laquelle Uber s’est construit.

 

Ce nouveau monde de disruption dans lequel nous entrons est en train de remettre en cause tous les fondements de notre société, y compris nos manières de travailler. Le numérique va rendre le salariat totalement obsolète. Le salariat est né avec l’entreprise qui, elle-même existe à partir du moment où le coût d’un salarié est plus faible que celui d’une transaction, d’un contrat avec un fournisseur, un sous-traitant… Cela a très bien fonctionné pendant des décennies, cela a été notre modèle. Mais avec le digital s’opère une inversion de cette tendance. Les coûts des transactions sont en train de baisser. Des plateformes de free-lance permettent à des gens de se rendre disponibles pour du travail, pour de nombreuses tâches, de manière extrêmement simple. Sur ces plateformes sont mesurés leur qualification, avec des appréciations notées, des micro certifications. Leur savoir-faire et leur personnalité sont décrits. Il sera de plus en plus simple pour quelqu’un de très compétent, de se diriger vers une plateforme d’indépendants et de valoriser sa force de travail, d’avoir une rémunération plus élevée que s’il travaillait en entreprise. Les moins compétents auront intérêt à rester en entreprise avec un salaire qui tombe tous mes mois et où le coût du risque est porté par l’entreprise via son carnet de commandes.

 

A terme, l’entreprise pourrait être une chose hybride avec un pacte d’actionnaires allant chercher des indépendants à l’aide d’algorithmes. Nous irons vers une organisation de plus en plus flexible et ouverte dans le monde du travail. C’est une vraie révolution, peut-être vivons-nous la fin du salariat.

 

Peut-être est-ce la même chose en ce qui concerne les Etats ? Ils sont devenus incompétents et inefficaces pour gérer des problèmes globaux. Nous voyons bien que nous avons besoin d’une autre forme de gouvernance.

 

D’autre part, nos hommes politiques censés régler les problèmes globaux, ne sont plus les plus intelligents. Les hommes les plus intelligents vont maintenant travailler dans les secteurs de la technologie, des neurosciences, pour Google par exemple. Ces hommes sont appelés libertariens, ils veulent se débarrasser de l’Etat pour régler eux-mêmes les problèmes. Google, en partenariat avec des cliniques et des hôpitaux aux US et en Angleterre, le fait actuellement pour éradiquer le cancer. Ce n’est pas l’Etat qui le fait avec ses moyens, c’est Google directement avec ses chercheurs, ses labos et les techniques en intelligence artificielle qu’ils ont développées.

 

Regardez le système de navigation Waze, système intelligent embarqué dans les voitures pour se débarrasser des embouteillages. Auparavant c’étaient les Etats qui réglaient ce type de problèmes. Ce ne sont plus des hommes politiques et des gestionnaires mais des entrepreneurs qui s’attaquent à ces questions-là. Cela pose le problème de notre tradition de sélection de bons gestionnaires. Nous sélectionnons les élèves brillants pour résoudre des problèmes mais ils sont incapables de prendre des risques et d’avoir de l’audace pour entreprendre.

 

Il ne faut pas avoir peur du monde dans lequel nous entrons. Le patron de Netflix qui est passé du DVD au streaming veut aller encore plus loin. Il a déclaré que le futur du divertissement n’est plus de regarder un film, mais d’aller dans un film. Il ne pensait pas à la réalité virtuelle, augmentée, il pensait à des substances hallucinogènes légales pour nous propulser dans des états de conscience modifiée. Le fondateur de Paypal a investi massivement dans le développement et la commercialisation de la psilocybine qui est un champignon hallucinogène. Dans « Le meilleur des mondes » d’Huxley, c’était le Soma, une drogue artificielle de synthèse présentée au peuple comme étant un simple médicament. Encadrée par les autorités de santé, la consommation de cette substance nous propulsera dans des états de conscience modifiée. Les créateurs de technologie n’ont aucune crainte sur le fait que nous allons, à terme, modifier nos états cérébraux. Cela n’était pas concevable il y a encore peu de temps. Les disrupteurs qui travaillent sur ces sujets n’ont plus aucune limite. S’il y a des problèmes, ce sont eux qui les règlent, tout de suite, ce n’est pas aux politiques de le faire. Nous ne sommes qu’au début de cette période de disruption. De plus en plus, nous allons faire converger toutes ces nouvelles technologies, algorithmes, découvertes en neuroscience, pour se rapprocher progressivement de notre cerveau. Vous avez peut-être entendu parler des interfaces cerveau-machines avec lesquelles les machines pourront être pilotées directement par notre cerveau. Ce n’est pas de la science-fiction. On est capable aujourd’hui de piloter des drones, de poster des messages sur Facebook directement par la pensée. Il suffit de disposer d’une sorte d’électro-encéphalogramme portatif qui capte vos ondes cérébrales, identifie les zones que vous activez à certains moments, puis les associe à d’autres activités.

 

Facebook vient de présenter une technologie qui permet poster des messages directement sur le réseau social par la pensée. Leur objectif n’est pas seulement de savoir ce que vous pensez mais de disrupter notre propre technologie, la nôtre, c’est-à-dire le langage. Celui-ci est utilisé depuis des millions d’années, mais il n’est pas très efficace parce que, quand nous voulons communiquer, nous ne disons jamais ce que nous voulons dire et la personne en face de nous, qui a sa propre représentation du monde, ne reçoit jamais le message que nous lui avons envoyé. L’idée de Facebook est de disrupter le langage et de passer directement de cerveau à cerveau. Cela a l’air complétement fou mais c’est une évidence dans la Silicon Valley.

 

L’intelligence artificielle va-t-elle créer plus de jobs qu’elle ne va en détruire ou pas ? Deux écoles existent. Certains, la plupart des hommes politiques et des économistes, pensent qu’elle va détruire beaucoup d’emplois mais que d’autres, plus nombreux, vont être créés. En fait, ils n’en savent rien. Leurs arguments s’appuient sur le fait qu’il s’agit d’une nouvelle technologie comme les autres, et que les précédentes nouvelles technologies ont créé plus de jobs qu’elles en ont détruits.

 

Mais l’intelligence artificielle est-elle une nouvelle technologie comme les autres ? Beaucoup de gens comme Elon Musk, Steve Jobs, Bill Gates, ou encore Stephen Hawking pensent que cette fois-ci, c’est différent. Pourquoi ? Parce que nous ne nous attaquons plus à l’intelligence de l’homme au travail mais à l’ensemble de l’intelligence de l’homme. Et l’intelligence artificielle pourrait bien à terme réaliser toutes les tâches faites aujourd’hui par l’homme. Si nous en arrivons là, le travail disparaîtra.

Il est intéressant de scinder les deux camps. Il y a des gens qui refuseront de voir ça « Non, ce n’est pas possible. Les gens ont toujours eu besoin de travailler, il n’y a pas de raison que cela s’arrête ». Mais encore une fois si la machine atteint notre niveau de performance intellectuelle, elle fera le job. La question sera alors « Quelle organisation de société, quel business model ? » Nous n’en sommes pas là je vous rassure.

 

Analysez simplement les argumentations des deux camps, c’est fascinant ! On compte économistes et politiques d’un côté, et de l’autre, des entrepreneurs, autrement dit des gens qui ont fait la preuve d’une seule chose dans leur vie, c’est leur capacité à être visionnaires, à anticiper les choses que personne n’avait vues et qu’ils ont vues avant tout le monde. Ils ont lancé une entreprise sans savoir réellement pourquoi mais en se disant « le monde aura envie d’aller là et je vais y aller avant tout le monde ». Ils ont une intuition, une vision qui amènent un succès, voire des succès en série.

 

J’ai choisi mon camp et je ne suis pas très inquiet en ce qui concerne la destruction de jobs ou pas. Dans le premier cas, destruction de jobs et recréation, il suffit comme hier de former les gens aux nouveaux jobs.          Si par contre, plus de destruction que de création, il faudra reconsidérer la société. Dans les deux cas c’est une bonne nouvelle parce que toutes ces technologies sont darwiniennes, c’est-à-dire qu’elles émergent et se diffusent uniquement si nous les adoptons. Si elles ne sont pas pertinentes, si elles ne sont pas au niveau de fiabilité d’un être humain ou qu’elles le dépassent, nous ne les laisserons pas émerger parce qu’elles ne développeront pas de la valeur. Pensons plutôt à toutes les découvertes médicales que nous allons faire, la guérison de certaines maladies, le transhumanisme ou la capacité à rendre l’humain immortel, aux vies sauvées sur les routes avec les voitures sans chauffeur, etc.

 

Certaines choses peuvent faire peur ou choquer, peut-être n’êtes-vous pas du tout d’accord avec certaines choses, comme l’idée du salariat qui ne doit surtout pas disparaitre, je vous propose d’aller maintenant plus loin en en discutant avec vous.

 

 

___________________

 

 

Les questions du public :

 

J’ai 75 ans et je suis paysan. J’ai lu votre livre avec intérêt il y a quelques années. Un philosophe français a dit que le jour où notre libre-arbitre sera submergé par l’intelligence artificielle, l’humanité sera perdue. J’ai aussi lu un autre auteur qui écrivait il y a une centaine d’années ce que vous dites aujourd’hui.

 

Nous abordons depuis longtemps ces sujets-là en philosophie. Spinoza disait « Le libre-arbitre n’existe pas, c’est une illusion, mais le fait de savoir que c’est une illusion me donne une forme de liberté ».

 

Les gens qui créent ces nouvelles technologies dans la Silicon Valley commencent à prendre en compte ces sujets philosophiques et développent une sorte de spiritualité moderne. Ils s’intéressent au bouddhisme, à la méditation, aux traditions contemplatives. On connaît le stade auquel l’humanité est arrivée en se posant ces questions-là. Philosopher là-dessus nous donne des challenges intéressants.

 

Je vous recommande de voir le film « Her » créé en 2013, dans lequel un homme, en plein divorce, installe un système d’exploitation dans son smartphone du futur. Il discute avec cette émanation d’intelligence artificielle tous les jours et finit par tomber amoureux d’elle.

 

Ce que vous dites est passionnant mais cela ne me semble pas compatible avec l’avenir que les générations futures envisagent. Le monde arrive à des extrémités de possession, de richesse d’un côté et de pauvreté extrême de l’autre, ça ne va pas tenir. Ce que vous dites est vrai dans l’hypothèse où nous imaginons que la civilisation continue comme elle l’a fait depuis la révolution industrielle. Peut-être que l’intelligence artificielle nous permettra d’y arriver, que l’humanité ne survivra que si nous passons du monde de l’avoir au monde de l’être. Cela change complètement la vision de l’existence. Quand nous ne serons plus dans le monde de l’avoir, quand nous nous dirons « Bon il n’y a plus de boulot, je ne travaille plus et je consacre ma vie à mon amélioration », ce sera pour aller où ?    

 

Vous posez la question philosophique du sens de la vie.

 

Le système actuel ne pourra pas tenir. Chaque système est adapté à son époque et le nôtre est à bout de souffle. Ça craque dans tous les pays. Certains pays s’enrichissent tandis que d’autres s’appauvrissent, cela ne va pas durer, il y aura une réorganisation. Je n’ai pas dit qu’il y aura une phase de transition et qu’elle ne sera pas violente ou chaotique. Je pense que le changement sera difficile. Aucun gouvernement, dans le monde, ne sait comment sortir de sa crise. La concurrence est partout. Les institutions, maintenant vieilles de trois siècles, ne sont plus adaptées. Certains pays se sont spécialisés sur des industries à très haute valeur ajoutée et d’autres, pas du tout, c’est le cas de la France. Nous ne pourrons pas rivaliser avec les Etats Unis et la Chine sur ces sujets-là. Toutefois cela ne veut pas dire que nous ne pourrons pas bénéficier indirectement d’une partie de cette richesse.

 

Un exemple avec Google. Cela aurait été plus cool qu’il émerge sur notre territoire, néanmoins les entreprises l’utilisent tous les jours pour créer de la valeur. Dommage que n’ayons pas su prendre le virage de la révolution sur ces sujets majeurs, tels que les neuro technologies, l’intelligence artificielle, les bio technologies. Toutefois les grands entrepreneurs de la tech qui ont réussi et qui ont gagné beaucoup d’argent, veulent aider le monde à se développer dans sa globalité pour continuer à donner du sens à ce qu’ils font. C’est vrai pour Google, pour Facebook… Ces gens réfléchissent aux moyens de réduire l’extrême pauvreté dans le monde, d’optimiser la gestion de l’énergie et des ressources, de développer des projets dans la santé, tandis que nos gouvernements locaux ne se parlent pas, ou très peu, au travers de traités internationaux qu’ils n’ont aucune raison de suivre si ce n’est pas leur intérêt.

La phase de transition sera peut-être chaotique mais toutes ces technologies nous amènent à un monde qui fera de la valeur. Celle-ci devra être redistribuée, sinon elles ne pourront pas émerger.

 

En 2050, 85% de l’humanité se situera sur un axe entre Tokyo et Lagos. Les deux tiers vivront dans des villes et des bidonvilles. En France, un tier de la population est loin du numérique. Toutes ces technologies sont très gourmandes en énergie. Actuellement nous vivons essentiellement grâce à l’énergie fossile qui s’épuise, tout en étant très polluante. Les énergies renouvelables ne seront pas capables de fournir la totalité de nos besoins. La seule énergie sur laquelle nous pouvons compter est le projet Iter, la fusion nucléaire. La Chine vient de sortir de ce projet. Comment voyez-vous l’avenir de ce projet lié au développement des nouvelles technologies ?

 

Je ne suis pas de près les nouvelles sources d’énergie mais ce que je crois en revanche, parce que c’est mon domaine de prédilection, c’est que nous allons utiliser toutes les nouvelles technologies pour améliorer le rendement des énergies utilisées.

 

Google utilise un algorithme qui gère l’énergie de refroidissement de ses serveurs partout dans le monde. Il a fait baisser de 40% sa facture, soit 15% de son empreinte énergétique, c’est considérable. Une filiale de Google a annoncé qu’elle voulait baisser de 10% la facture d’électricité de toute la ville de Londres. Autrement dit, Google a conscience de notre gourmandise énergétique qui n’est pas soutenable.

 

Je n’ai pas parlé d’éthique aujourd’hui parce que nous ne parlons que de ça en Europe et en France. Nous sommes nullissimes en intelligence artificielle, nos chercheurs sont très bons mais dans des labos étrangers. Nous nous préoccupons très peu de rendement. Par contre, nous sommes très bons en réglementation, régulation, les rapports sur les risques, morale et éthique.

 

J’aimerais revenir sur ceux dont vous avez parlé tout à l’heure, qui ont arrêté leur activité après avoir réussi et qui sont revenus à des activités humanitaires. N’ont-ils pas voulu revenir aux vraies valeurs d’une vie simple, prendre du recul par rapport à ces approches bien artificielles ?

 

Précisément je ne peux rien affirmer car je ne les connais pas personnellement. Ce que je perçois est un courant spirituel sur la place de l’homme. Il y a énormément de communautés aux Etats-Unis qui s’intéressent au développement de soi, à l’empathie, des clubs de méditation dans la Silicon Valley. Ce qui fait sens est l’idée de construire l’humanité ensemble. Faire du fric en conservant le modèle des années 90 est mort. Ces personnes ont un esprit communautaire parce que c’est cela qui rend l’homme heureux. Les dirigeants de Google sont vraiment orientés vers l’amélioration de l’humanité.

 

Que pensez-vous du transhumanisme sur un plan éthique ?

 

Personnellement, dès que j’aurai la possibilité de me mettre une puce dans le cerveau, je le ferai. Notre capacité à traiter l’information est trop lente par rapport à ce que les machines sont capables de faire. En neurosciences, nous sommes capables de greffer des puces qui transmettent des impulsions pour piloter par exemple des fauteuils roulants.

 

La question, en réalité, est philosophique. Vous passez votre vie dans votre cerveau, toutes les émotions ont lieu dans votre cerveau. Plutôt que de les vivre « en vrai », elles pourraient être générées par des puces qui donneront le même résultat. A vous de l’accepter – ou pas ! Comme c’est le cas aujourd’hui pour un smartphone, vous acceptez d’en avoir un – ou pas.   Le rythme d’adoption des technologies n’est pas le même pour tous, mais aujourd’hui, tout le monde a un smartphone. L’idée est d’utiliser les technologies pour régler les problèmes. Cessons d’avoir peur, de se concentrer sur l’éthique, supprimons le principe de précaution et expérimentons des trucs, parce qu’il y a des vies à sauver !

 

Je partage votre vision sur la disruption mais il y a une question qui, pour moi, reste sans réponse. Suite à ce que vous avez dit, l’intelligence artificielle sera meilleure que les profs, toutefois La relation humaine père-mère avec les enfants construit l’enfant. Quelle vision peut-on avoir de cela ?

 

Je suis assez rassuré en ce qui concerne les enfants car chaque génération d’enfants est adaptée à son environnement, à son époque. Vos cerveaux ne sont pas les mêmes que ceux de vos parents et de vos enfants. Les enfants comprennent leur monde bien mieux que nous, donc pas d’inquiétude. Par contre, l’humain s’est construit avec l’humain, les relations père-mère avec leurs enfants demeureront. C’est une priorité. Les spécialistes de ces technologies mettent leurs enfants dans des écoles Montessori dans lesquelles il n’y a pas de technologies, pas d’écran, pour préserver les interactions humaines. Ce qui est de l’humain restera humain. Comme nous, les enfants interagissent entre eux, la différence est qu’ils le font avec leurs smartphones.

 

Que cherchez-vous à avoir une puce dans le cerveau ? Être augmenté ou la recherche de ce libre-arbitre ?

 

Avoir une puce, c’est se donner plus d’options, plus de choix, ce n’est pas se retirer de son libre-arbitre. A titre personnel, ce serait d’avoir de nouvelles expériences cérébrales. Cela existe déjà en méditant, ou en faisant de la musique ou du sport. Avez-vous entendu parler du Flow ? Il s’agit d’un état où vous ne voyez pas le temps passer, vous êtes totalement absorbé par ce que vous faites. C’est le meilleur état du cerveau pour se donner du bonheur. Dans la Silicone Valley, des chercheurs travaillent aujourd’hui à comprendre pour les recréer toutes les conditions à cet état de flow. Dans l’idée d’atteindre de se rapprocher toujours plus de l’état de bonheur.

 

En pensant à mes enfants, votre discours me paraît un peu effrayant. Quelle éducation leur donner ?

 

Je ne suis pas un spécialiste de l’éducation mais je crois que ce qui est humain, du domaine de l’empathie, doit être développé et théorisé. Depuis des millions d’années ont été inventées des technologies d’humains. La première inventée pour sceller la confiance, ce sont les ragots, les potins « qui couche avec qui ». Ainsi nous pouvions savoir qui était digne de confiance, avec qui partager ses ressources, etc. Nous sommes câblés pour ça, cela ne va pas disparaître, par contre il nous faut devenir d’excellents êtres humains. Google développe des programmes d’éducation émotionnelle, pour mieux comprendre nos émotions. Ces chercheurs ont un temps d’avance sur les idées, ils cherchent à améliorer l’être humain. Google a compris que leurs équipes les plus performantes en matière de gestion de projets sont celles qui combinent deux variables : celles qui sont constituées de gens intellectuellement très brillants mais aussi de gens capables de faire disparaître leur égo. Google veut des personnes animées par des convictions extrêmement fortes sur un sujet, mais capables de changer d’avis très vite si un interlocuteur parvient à les convaincre d’un raisonnement meilleur.

 

Je voudrais revenir sur la notion de manipulation de cette intelligence artificielle qui va tellement bien nous connaître. Ce que je vois est surtout la malveillance et l’esprit mercantile.

 

Il y a risque de manipulation avec des algorithmes qui pourraient nous pousser à acheter ceci ou cela parce que c’est l’intérêt des entreprises qui les déploient, mais je crois que nous entrons dans un monde où il va falloir prouver votre démarche en permanence, être transparent. Si vous ne le faites pas, vous prenez le risque qu’une startup le fasse à votre place en prenant votre marché et vous fasse tomber. Les géants d’aujourd’hui sont partis de rien.

 

Les algorithmes vont se confronter les uns aux autres pour mesurer leur fiabilité et défendre nos intérêts. Le marketing, du fait de son asymétrie de l’information va disparaître.

 

Quand les dossiers juridiques seront pris en compte par une intelligence artificielle, utiliserons-nous les antécédents du client ?

 

Une intelligence artificielle le fait aujourd’hui pour vous documenter en filtrant des documents et en donnant aux avocats des arguments pertinents pour une plaidoirie.

A terme un cabinet d’avocats pourra y trouver des cas de jurisprudence. Le cabinet adverse pourra faire la même chose, nous pourrons aussi savoir les tendances du juge dans ces décisions. Progressivement, nous avancerons vers des accords à l’amiable.

 

Selon vous, l’intelligence artificielle a-t-elle un objectif programmé ?

o

L’idéologie des hommes qui développe aujourd’hui ces algorithmes est le transhumanisme et les libertariens qui veulent se débarrasser de l’Etat. Là je ne parle pas des technologies autonomes que nous utilisons tous les jours.

 

Seriez-vous en train de faire l’apologie du transhumanisme ?

 

Oui, mais vous êtes déjà transhumaniste, vous possédez des verres qui augmentent votre vision. Celui qui dispose d’un pace maker est aussi transhumaniste.

 

Est-ce que nous pouvons rêver que l’intelligence artificielle puisse être d’abord utilisée pour construire un vrai système politique au service de tous les peuples ?

 

Au service de tous les peuples, il ne faut pas rêver car il n’y a pas de gouvernement mondial. Ce qui est vrai est que nous commençons à utiliser des algorithmes et de l’intelligence artificielle pour les campagnes des hommes politiques. Dans quelles régions aller ? Quel discours tenir ? Cela va se généraliser mais ce ne sera plus un facteur de différenciation si tous les candidats l’utilisent.

 

Ce sera également utilisé en économie pour concevoir des programmes de politique publique en fonction des objectifs à atteindre, et notamment pour que les gens soient plus heureux. Nous l’utilisons déjà en faisant de la modélisation.

 

A un moment, vous avez évoqué que s’il existait une puce cérébrale au point, vous seriez prêt à vous la faire implanter. Plus nous évoluons et plus nous sommes esclave, la belle affaire ! Ne perdrez-vous pas encore un peu plus votre libre-arbitre ?

 

Qu’en savez-vous ? Nous n’en savons rien et encore une fois vous aurez le choix de vous faire implanter une puce comme vous avez le choix d’avoir un téléphone portable.

 

Quel avenir pour l’Intelligence artificielle en Afrique ?

 

La chance des pays qui ne sont pas aussi équipés que nous est qu’ils vont devoir se débrouiller seul avec les dernières technologies sans passer par l’héritage de la complexité. Autrement dit, au lieu de s’embourber dans leurs législations faites de lois qui s’empilent, ils passent tout de suite à une feuille blanche sur tout. Voyez le Kenya n’ayant de système bancaire fiable, les Kényans se sont organisés entre eux et en ont créé un sur smartphone.

 

Vous avez beaucoup parlé du monde de l’entreprise, de celui de la médecine. Qu’en est-il du monde artistique en général ?

 

Je pense que l’art sera une porte de sortie pour l’homme. Premièrement, l’homme va devoir faire de sa vie une espèce d’œuvre d’art, la construire pour en faire quelque chose de beau. Et deuxièmement, au moment où les algorithmes vont prendre toute l’expertise, toute la technique, ce qui aura de la valeur sera de créer pour simplement émerveiller, c’est-à-dire l’art qui rejoint les émotions, le plaisir de l’expérience.

 

Il y aura aussi une coopération des machines et de l’homme pour créer l’art, voyez ce qui se passe avec la musique ou des peintures réalisées par un algorithme.

 

Dans le transhumanisme, que pensez-vous du fait d’extraire de façon chimique le cerveau pour le télécharger sur un disque dur et d’avoir ainsi la vie éternelle ?

 

Philosophiquement c’est très compliqué. C’est la même question que celle de la téléportation. Accepteriez-vous d’être tué ici, pour être téléporté et reconstitué atome par atome sur Mars ? C’est exactement la même question. Est-ce vraiment vous si nous réimplantons une copie de votre cerveau dans un autre corps ? Il y a des gens qui rêvent de ça ! Cela me semble totalement fou.

 

Est-ce que nous pourrions arriver au stade de l’intelligence artificielle dominant l’espèce humaine ?

 

Pour répondre à cette question, je rappelle les lois de la robotique qui sont :

Nous n’en sommes pas là aujourd’hui, nous en sommes à des algorithmes qui réalisent des micro tâches spécifiques et non pas à une machine qui se retournerait volontairement contre nous. Ce qui est vrai, c’est que nous ne comprenons pas comment les algorithmes de l’intelligence artificielle fonctionnent, cela nous pose un gros problème. Nous sommes en mesure de créer des algorithmes capables d’atteindre des objectifs, comme par exemple passer l’aspirateur sur la moquette, détecter des cancers. Mais tout en atteignant les objectifs, ils peuvent générer des effets collatéraux. Par exemple, l’aspirateur a retiré la poussière du tapis mais il l’a mise sous le tapis parce qu’il a trouvé cela optimal mathématiquement !

Désolé de vous saper le moral mais quand pourrons-nous acheter un robot tueur ?

 

Cela existe sous forme de drones qui peuvent reconnaître des visages et tuer des personnes. Chaque époque a ses challenges. Il ne faut pas en avoir peur !

 

Comment imaginez-vous l’évolution des religions ?

 

C’est compliqué car tout le monde n’est pas au même niveau de développement, de maturité. Ce que je sens est une diminution progressive des religions au sens large sur peut-être 50 ans, 100 ans, au profit de l’émergence d’une nouvelle forme de spiritualité par la méditation, la recherche de concentration qui permet une approche de connexion avec l’autre, débarrassée des rites et des pratiques religieuses écrites.

 

La smart city, la ville intelligente, c’est bien mais elle n’existera pas si elle n’a pas d’âme. Comment résoudre ce problème ?

 

Je pense que cela va se faire naturellement et progressivement parce que les gens sont déjà connectés et ont déjà les technologies. En interagissant entre nous, nous règlerons les problèmes de la ville en créant de nouveaux services, en optimisant les temps de parcours, en diminuant la consommation d’énergies, etc., sans pour cela faire appel à un niveau supérieur, comme l’Etat. Des startups interconnectées suffiront.

 

Pour conclure, je voudrais vous redire de ne pas avoir peur. Nous avons plutôt tendance à voir les challenges, les craintes, les pertes d’emploi. Pensons plutôt que nous sommes tous dans le même bateau. Je ne suis pas plus protégé que vous, votre voisin, vos amis, celui qui est dans une startup, etc. Tout le monde est concerné, en même temps, quels que soient notre âge, notre profil, notre sexe.

 

Plutôt que d’en avoir peur, il faut accélérer tous ces mouvements. Ceux qui accélèrent vont chercher des idées, de l’innovation, ils testent des prototypes et toutes les nouvelles technologies autour d’eux, ils ont plus de chance de trouver une place plus rapidement que ceux qui traineront les pieds !

 

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière

www.semaphore.fr