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VendéeTalks 2021 : « C’est mon choix !? Dépassons les préjugés… »

4ème édition du VENDEE TALKS du 8 décembre 2021

« C’est mon choix !? Dépassons les préjugés… »

Les 7 speakers de ce Vendée Talks vont, chacun à leur manière, nous étonner, nous surprendre, par leurs personnalités fortes et engagées, leurs témoignages, leurs expériences qu’ils partagent et racontent avec passion - à nous qui sommes passionnés d’avenir !

Présentation : Il y a deux ans, sur cette scène, il avait été le dernier invité à témoigner. Nous l'avons convié à nouveau, cette fois-ci pour ouvrir le bal de cette quatrième édition. Nous accueillons le sociologue et philosophe tout terrain Bernard Pètre.

 

Bernard PETRE

Les Vendéens et les Vendéennes sont des gens formidables. Est-ce un préjugé ?

Pour le sociologue c'est facile. Si vous êtes d'accord avec moi qui trouve que les Vendéens et les Vendéennes sont des gens formidables, ce n'est pas un préjugé, c'est une vérité scientifique. Si vous êtres Basques, Nantais, Alsaciens et que vous n'avez pas un feeling particulier avec les Vendéens, vous allez dire que c'est un préjugé.

Un préjugé est une évidence qui n'est pas passagère.

Alors pourquoi parler des préjugés. Nous sommes aujourd'hui un peu dans la situation de Robinson Crusoé, et notre bateau qui a coulé est le bateau de nos certitudes passagères.

Qu'est- ce que c'est qu'une femme ? Qu'est-ce que c'est qu'un homme ? Un riche ? Un vieux ? Un type qui réussit ? Sur toutes ces choses sur lesquelles nous avions des évidences partagées, aujourd'hui nos évidences ne sont plus partagées et nous n'avons plus de certitudes. Nous allons chacun considérer que l'évidence de l'autre est bien entendu un préjugé.

Alors comment vivre dans une société avec moins de certitudes passagères et beaucoup plus de préjugés ?

A l’issue de quarante ans d'étude de notre société et n'ayant que douze minutes pour vous parler, je vais me limiter à cinq idées.

 

Pour vivre dans une société dans laquelle il y a beaucoup de préjugés et peu de certitudes partagées, il me semble que la première responsabilité de chacun est de cultiver et de nourrir notre vulnérabilité. La vulnérabilité n'est pas la fragilité, elle est la capacité d'y aller même quand nous ne sommes pas sûr que ça va marcher. C'est ce que font, par exemple, tous les autres intervenants. Ils vont vous raconter qu'ils y sont allés alors qu'ils n'étaient pas sûrs que ça allait marcher. Je crois que nous avons chacun une responsabilité quotidienne, nous devons chaque jour cultiver notre capacité de vulnérabilité, notre capacité à nous engager même quand nous ne savons pas si ça va marcher.

 

La deuxième responsabilité que nous avons est d'être ouvert à l’altérité. Quelqu'un il y a 2000 ans a très bien résumé la chose "C'est beaucoup plus facile de voir la paille qui est dans l’œil de mon voisin, que la poutre qui est dans mon œil". C'est très compliqué de découvrir ses propres préjugés sans l'intervention d'un autre. J'avais 12 ans. Un de mes professeurs avait entendu une rumeur qui disait qu'elle avait des chouchous. Elle a pris le risque de la vulnérabilité en posant la question devant toute la classe "Est-ce que quelqu'un se considère comme mon chouchou ?" persuadée évidemment qu'elle n'avait pas de chouchou. Le champion d’athlétisme, gentil comme un cœur, que tout le monde considérait comme son chouchou, a eu le courage de lever la main et de lui donner ce feedback merveilleux "Madame, je crois que je suis votre chouchou". Elle a sans doute passé un terrible moment, mais accepter que d'autre lui donne ce feedback, c'est accepter le choc pour ouvrir l'univers. Je crois vraiment que l'ouverture à l'autre est fondamentale.

 

Troisième responsabilité, je crois que plus que de créer un climat de sécurité, nous avons tous le devoir de créer un climat de confiance. La sécurité est souvent une notion négative "Je veux que dans ma rue il y ait de la sécurité. Je veux être sûr que personne ne m'agresse". Oui, mais moi, qu'est-ce que je fais dans ma rue, alors que nous avons tous des préjugés différents, pour nourrir la confiance, pour entrer en relation avec mes voisins en confiance ?

La troisième responsabilité est donc la confiance, c'est s’appliquer à la nourrir et faire en sorte que chacun soit en confiance.

 

La quatrième responsabilité est la suivante. Nous arrivons au monde sans être fini, et je crois que nous sommes sur terre pour grandir, un peu comme le homard qui a une carapace. Devenue trop petite, il s'en débarrasse et se planque sous un rocher pour s'en faire une plus grande.

Je pense que nous sommes là pour grandir et non pas pour produire. La vie ne se résume pas à produire le plus vite possible en finissant vite ses études pour rapidement dérouler sa carrière et jouir béatement de ses certitudes et de ses préjugés. Je crois que nous sommes là pour faire un voyage, nous sommes là pour apprendre.

 

Enfin, notre cinquième responsabilité consiste à grandir en conscience. C'est à dire, petit à petit, accepter de laisser moins de place à notre ego, à notre volonté de tout comprendre, de tout analyser et de laisser un peu plus de place à notre âme, à notre capacité de nous émerveiller, de nous laisser surprendre, d’avoir un regard neuf sur les choses.

 

Je suis cofondateur d'une école à Bruxelles qui applique ces cinq valeurs. La devise de l'école est "Apprendre (c'est-à-dire la vulnérabilité) Ensemble (parce que tout seul il est difficile d'apprendre) en Confiance (parce que si je suis méfiant vis à vis des autres je ne vais rien leur apprendre et ils ne vont rien m'apprendre) à Grandir en Conscience.
Je suis belge, je ne peux donc pas être candidat, mais je pense que si j'étais Français, attiré par une carrière politique, cela pourrait être mon programme pour la société d'aujourd'hui : Apprendre ensemble, en confiance, à grandir en conscience, plutôt que de transformer nos préjugés en porte blindée, plutôt que de vouloir reconstruire d'anciennes forteresses. En tant que Robinson, récupérons ce qui arrive sur la plage, récupérons tous les débris de notre ancienne civilisation et utilisons-les avec respect, avec fidélité, avec loyauté pour occuper le mieux possible notre nouvel univers, le monde d'ici.

 

Tout ça, c'est bien mais c'est tout de même du baratin de sociologue parce qu'en fait, moi, je tonds mon gazon, je nourris mon chat, je regarde la télévision et je suis bien ! Pourquoi devrais-je changer de préjugés. Je vois trois raisons.

 

La première est que nos préjugés forment notre pilotage automatique, notre algorithme. Le souci est que, sur bien des points, nous avons été programmés pour un monde qui n'est plus là. Si nous restons en pilotage automatique, nous risquons d'aller dans le mur, parce que nous n'allons pas appliquer le bon algorithme, parce que nous allons appliquer une règle inadaptée au monde d'aujourd'hui. MeToo en est un exemple.

 

La deuxième raison est que plus nous apprenons, moins nous connaissons. Plus nous nous libérons de nos entraves, plus nous sommes capables d'avoir un regard neuf.  

 

J'avais une tante qui a vécu jusqu'à ses 94 ans. Pour moi, elle avait réussi sa vie parce que, passé ses 90 ans, elle disait "J’adore la vie". Je lui demandais ce qu'était pour elle le sens de la vie. "C'est écouter le vent dans les feuilles et entendre chanter les oiseaux". Je crois que cela vaut la peine de retrouver cet émerveillement.

 

Enfin la dernière raison de lutter contre les préjugés m'a été donnée par ma maman qui me disait depuis tout petit "Laisser dire, laisser faire et vivre sa vie".

Ma maman avait un énorme préjugé dont elle a mis toute sa vie à s'en débarrasser, elle était profondément persuadée que quelqu'un qui pense beaucoup ne peut pas être heureux. C'était une certitude et elle s'inquiétait beaucoup pour son enfant sociologue, toujours avec de nombreuses questions. A la fin de sa vie, j'ai pu lui dire "Maman, je me pose encore beaucoup plus de questions qu'avant, mais je suis vraiment heureux" et je l'ai libérée de son préjugé et j'ai vu son visage et son corps s'apaiser.

 

Ce que je vous souhaite est de faire ce cadeau merveilleux à d'autres personnes et de leur faire découvrir que le monde est encore bien plus beau, bien plus vaste, bien plus mystérieux et bien plus extraordinaire que ce qu'ils croient.

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Présentation de Bérénice Mouray, une ancienne élève de Saint Gab', qui jeune, se passionne pour le milieu de la mer et décide d'opter pour un métier de la mer. Elle entre dans un lycée spécialisé dans le monde maritime et devient matelot dans une société de dragage et de transport de sable. Voulant faire évoluer sa carrière en devenant officier elle reprend le chemin de l'école.

 

Bérénice MOURAY

Il est 3 heures du matin, une tempête a été annoncée pendant la nuit. Mon officier vient me réveiller "Vite, dépêche-toi, enfile ta veste de quart et ton bleu, le mouillage est en train de déraper". Je fonce sur la plage de manœuvre, toutes les vagues me passent par-dessus. Le mouillage est dur à relever.

Une veille s'impose en passerelle, on se fait balloter bord sur bord. Au petit matin, nous voilà entre deux îles pour voir les dégâts. Les collègues se réveillent petit à petit, tout le monde a des petits yeux, la fatigue est déjà là, bien que la journée vienne tout juste de commencer. Chacun se met à ses tâches quotidiennes, la peinture, le piquage de la rouille ou l'entretien.

 

Bonsoir à tous, je m'appelle Bérénice Mouray et je suis marin de la marine marchande.

Depuis ma petite enfance, je monte sur les bateaux avec mon père. Comme beaucoup de jeunes filles, j'ai fait de la danse, jusqu'à l'âge de 11 ans. Cela ne me plaisait plus trop et, avec le soutien de mon père, j'ai décidé de faire de la voile légère. J'étais très souvent sur mon bateau et en même temps je regardais les marins qui partaient pour des courses en solitaire.

J'étais très attirée par la mer et j'ai décidé d'en faire mon métier. Pourquoi ne pas entrer dans la Marine Nationale ? J'étais étudiante à Saint Gabriel et j'ai décidé de faire mon dossier d’admission.

 

J'ai eu l'opportunité de devenir réserviste dans les sémaphores où j'ai découvert avec grand plaisir le monde maritime. J'étais en 1°ES et cela ne me plaisait pas du tout, j'ai alors décidé de m'inscrire dans un lycée maritime.

Souvent on me disait avec un ton de reproche que c'était une lubie. Ma famille avait du mal à croire en moi, inquiète de me voir partir dans cette voie qui regroupe des métiers d'hommes. Ils ont essayé de m'envoyer dans un lycée technologique. J'avais 18 ans et j'ai refusé, affirmant que je ferais l'école buissonnière.

J'ai des préjugés à l’égard de l'école, en particulier en direction du corps enseignant qui pensait que j'étais trop jeune pour aller dans cette voie et me proposait toujours d'autres métiers.

En début d'année, les professeurs me demandaient ce que je voulais faire plus tard. Souvent les jeunes répondent "Je veux aller en fac, dans une école de commerce ou en prépa", moi je répondais "Je veux être marin". Surprise de mes professeurs mais j'étais motivée et j'ai continué dans cette voie.

Je suis arrivée au lycée maritime avec petits talons, sac à main, bien habillée. Il y avait peu de filles, 4  filles pour 130 garçons. Dès mon arrivée, des paris sur mon temps au lycée se sont tenus "Tu tiendras entre deux semaines et quelques mois".

Malheureusement pour eux je suis sortie deuxième de ma promotion et j'ai prouvé à l'école et à ma famille que j'étais capable.

 

Avec l’environnement de la vie à bord commença une nouvelle étape. Souvent les hommes me disaient "Cela va être trop lourd pour toi. Tu ne pourras pas le faire". On me testait pour voir ce que je valais, si je pouvais être intégrée à l'équipage. Dans certaines compagnies, les hommes m'ont fait comprendre qu'une femme n'avait pas sa place à bord. Souvent, ils me faisaient porter la responsabilité de 'boulettes" qu'ils avaient faites. Il était plus facile de faire des reproches à une femme plutôt qu'à deux ou trois gars costauds.

Bien sûr il m'est arrivé de voir défier mon autorité.

 

Les bateaux ne sont pas encore tous adaptés à l'accueil des femmes. Dans certaines compagnies, je dois me changer dans les toilettes, des hommes évidemment.

 

Aux entretiens d'embauche, j'entends souvent "On vous embauche pour la parité des sexes" et en arrivant à bord j'entends un tout autre discours "On va devoir faire le travail à ta place. On n’est pas trop d'accord pour avoir une femme. Une femme, ça porte malheur". Il faut alors en faire dix fois plus, montrer de la volonté, du courage. La question de la maternité est souvent posée, elle est un handicap supplémentaire.

 

Dans ma première compagnie, il y avait un couple de marins qui avaient deux enfants. Ils se sont organisés afin de continuer à naviguer tous les deux. Il est donc possible de mener une carrière de marin tout en étant une femme.

On peut aussi partir à la journée, à la semaine, au mois. C'est à nous de gérer notre métier tout en assumant notre maternité.

Par exemple, en ce moment, je pars une semaine en mer et j'ai une semaine de repos que je peux entièrement consacrer à ma famille. Il y a des solutions et je suis sûre que, au moment voulu, j'en trouverai. Le plus important, c'est de faire ce que j'aime et, aujourd'hui c'est le cas. Je suis heureuse d'avoir choisi ce métier, d'être épanouie et fière de ce que je fais.

J'ai repris une formation pour devenir officier de la Marine marchande. Une bataille pour moi mais je réalise ce que je désirais le plus au monde. J'ai pu prouver ce que je valais, j'ai rencontré des difficultés, j'ai dû me battre, mais quand on a la volonté et l'acharnement, que l'on croit en soi, tout est possible. Tout est réalisable. Merci à vous.

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 Présentation : Il a 39 ans, marié, deux enfants, il exerce un métier atypique pour un homme. Il a eu un parcours singulier, il a dû faire face à des discours dissuasifs, mais a tenu bon. Il vient nous présenter son expérience.

 

Alexandre SOUM

Ce soir, je vais faire quelque chose que je ne fais pas souvent. Parler devant autant de personnes et parler de moi. Je suis né en 1982. 1982 est une année très spéciale pour mon travail. Actuellement on se bat pour les droits de la femme, des femmes en général, pour l'égalité femme-homme, que ce soit sur le plan social et culturel. 1982 est la première année où les hommes ont eu accès aux études de sage-femme. Je suis donc un homme sage-femme et je suis sûr que parmi vous il y a 80% des personnes qui se posent la question pourquoi dit-on sage-femme pour un homme et pas sage-homme. La réponse est très simple. "Sage" veut dire "celui qui a la connaissance de". Je peux me vanter que j'ai la connaissance de la femme.

 

Les gens me posent souvent des questions, ils souhaitent savoir en particulier pourquoi j’ai voulu faire ce métier.

Je n'ai pas voulu faire ce métier-là, c'est venu un peu par hasard. Quand j'avais 13 ou 14 ans, ma mère était enceinte de ma petite sœur et j'ai découvert la grossesse, le ventre de ma maman qui s'arrondissait, le ventre qui bougeait, j'ai vu les échographies sur lesquelles apparaissait ma sœur. J'ai trouvé cela merveilleux, magique. J'ai la chance d'avoir des parents aimants, aidants, qui voyant mon intérêt, m’ont donné les moyens de rencontrer une sage-femme. Ma sœur est née bien avant 1982, et j’ai reçu une grosse gifle en entendant "C'est un métier de femme pour les femmes, un homme n'a rien à faire là".

J'ai dit à mes parents que ce n'était pas grave. Je suis allé en fac de médecine pour être soit gynéco, soit pédiatre, pour travailler avec des femmes enceintes et des enfants. J'ai lamentablement loupé la première année de médecine car ça ne me plaisait pas. J'étais à la fac de Poitiers qui venait d'être choisie pour être pilote d'un nouveau cycle de formation de sage-femmes. Cette formation passait par une première année de médecine. J’ai travaillé et j'ai eu mon année. Avec mon sésame en main, il fallait téléphoner à la directrice de l'école pour obtenir un rendez-vous avec elle un ou deux mois plus tard. Je l'ai donc appelée et comme je suis bègue, ça n’a pas été très facile et fluide de lui parler. En m'entendant, elle m’a dit "Ça ne va pas le faire. Je ne veux pas vous voir dans deux mois, mais demain ". Je me suis rendu à son bureau le lendemain matin. A peine assis, elle m’a dit "Cela ne va pas être possible Monsieur, vous ne pouvez-pas intégrer l'école parce que vous êtes inapte à prendre en charge une patiente. Vous êtes bègue et vous êtes un homme."

Ce fut la plus grosse gifle de toute ma vie, elle restera gravée à jamais.

"Laissez-moi essayer au moins le premier trimestre. Si ça ne marche pas, je partirai de moi-même, mais ne me fermez pas la porte".

L'avantage en école de sage-femme, c’est que l’on commence par un stage. Ça s’est vraiment très bien passé. J’ai été intégré dans l'équipe. Ça se passait presque trop bien en fait parce que j’étais un homme dans un milieu de femmes alors que la médecine était encore très masculine. Tous les professeurs de médecine étaient des hommes et j’étais considéré ni tout à fait comme une sage-femme, ni comme un interne, mais entre les deux.

En conséquence j'ai appris plein de choses que mes copines ne connaissaient pas, j'étais gratifié professionnellement mais je voyais bien dans leurs yeux que cela n'allait pas. Je n'étais pas très à l’aise avec ça.

J'ai eu mon diplôme et fier de l'avoir car j'étais le seul garçon à l'obtenir, je suis retourné voir cette directrice avec mon diplôme en main, en lui disant qu'il fallait détruire les préjugés.

 

Par la suite, j'ai pris mon poste aux Sables d'Olonne. J'étais le seul homme sage-femme, un peu la bête curieuse de l’hôpital. J'ai été très bien intégré dans l'équipe mais le schéma précédent s'est reproduit, j'étais à cheval entre les sage-femmes et les médecins, tous hommes.  

 

J'ai pu obtenir mon diplôme en échographie et suis donc devenu échographiste fœtal. J’ai ouvert mon cabinet à La Roche-sur-Yon et je ne pratique que les échographies. J'imagine qu'il y a ici des gens qui ont eu la joie de voir leur enfant grâce à une échographie. C'est un moment particulier de voir l'enfant qui bouge dans le ventre.

Dans ma patientèle, j’ai aussi des patients aveugles et j'avais beau faire une échographie et la commenter, je trouvais anormal qu'ils n'aient pas cette chance de voir leur bébé. J'ai donc eu l'idée de prendre des coupes 3D, de les matérialiser avec une imprimante 3D et de réaliser des statuettes du visage de leur bébé. Je suis très fier de les remettre aux parents mal voyants et de les voir toucher les statuettes, découvrir ainsi leur bébé. J'ai alors le sentiment que mon travail est complet. Ils n'ont plus à simplement croire ce que je dis, ils le sentent.

Tout cela pour dire que nos actions, nos petits mots, nos gestes du quotidien qui peuvent paraître anodins, ont toujours un sens, que ce soit en positif ou en négatif. Faisons attention à nos gestes, à nos paroles.

Pour finir et parce que j'ai le droit de vous prescrire quelque chose, je vais vous prescrire un adage que j'ai sur une affiche fixée sur un mur de mon bureau. C'est un dessin de Geluck dont le chat dit "Le bonheur appartient à celui qui en donne aux autres".

Merci de votre écoute et prenez bien soin de vous.

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 Présentation : Nous recevons maintenant deux jeunes personnes de Saint Gab qui vont nous présenter leurs parcours plutôt atypiques. Notre première invitée s’appelle Marie, elle est originaire de Saint-Laurent-sur-Sèvre. Son choix est d’aller jusqu’au bout de ses envies, en traçant son propre chemin.

Marie GARANCHER

Bonsoir, je m'appelle Marie Garancher, j'ai 18 ans. Il y a six mois j'étais élève en bac pro Technicien d'usinage et aujourd'hui je fais un service civique dans une école maternelle pour venir en renfort auprès des maîtresses. J'ai bien conscience que cela n'a rien à voir et je vais vous expliquer mon parcours. En fait, j'en ai fait plusieurs. Cela a commencé en troisième, je ne voulais pas faire un bac général et j'ai dû choisir une filière pro. La même année j'avais participé à la création d'une mini entreprise, EPA (Entreprendre Pour Apprendre), dans laquelle j'étais responsable de communication, relations clients et marketing. On a essayé de commercialiser une mini batterie solaire. Ça m'a énormément plu et j'ai choisi de candidater dans une filière de communication. J'avais aussi sous les yeux l'atelier d'usinage que j'avais visité avec ma classe. Je me rappellerai toujours de cette grosse machine toute grise, la Kato, et j'avais très envie de savoir comment elle fonctionnait, de toucher à tous les boutons et de la programmer. J'ai passé un après-midi d'intégration avec ma classe. Très intéressée, j'ai choisi de candidater dans cette filière.

Il a fallu que je fasse un choix entre la mécanique et l'art. Saint Gab étant plus proche de chez moi, j'y avais fait mon collège et j'ai choisi la mécanique. L'année suivante, j'y ai fait la rentrée en Seconde Technicien en usinage dans une classe de vingt-quatre garçons pour trois filles. L'intégration avec les gars n'était pas du tout évidente au début mais nous avons appris à nous connaître. En fin de seconde nous avons eu notre premier stage de six semaines. Dès ma première matinée, je me suis trouvée face à une machine, à faire toujours la même pièce, en répétition toute la matinée.

Quand ma maman est venue me chercher le midi, je me souviens avoir pleuré dans la voiture. J'avais pris une grosse claque, ce n'était pas l'idée que je me faisais de l'entreprise. J'étais démotivée mais je voulais prouver que moi aussi j'avais ma place.

J'ai donc continué en première. Cette année-là commence par un second stage de quatre semaines. Là j'ai rencontré une équipe incroyable, drôle et sympa. J'ai dû malgré tout faire face à des préjugés, un technicien me disant par exemple "Tu n'aurais pas préféré faire un bac pro couture ?" Ça ne m'a pas plu. Ce ne sont pas des gens représentatifs des hommes que j'ai rencontrés en entreprise mais c'est une expérience qui m'a appris à rester forte face aux préjugés.

En première, il y a eu le premier confinement et là, j'ai voulu tout arrêter. J’ai remis en question mon orientation, je n'en pouvais plus. Mes parents m'ont mis face à mes responsabilités en me faisant comprendre que je devais assumer mes choix.

Je suis passée en terminale et j'ai eu mon dernier stage de six semaines. A cause de la crise sanitaire, il a été plus difficile à trouver. Une petite entreprise, SMG à Mortagne-sur-Sèvre, composée de deux personnes, m'a accueillie avec bienveillance. Ces professionnels m'ont expliqué qu'avec seulement trois machines, nous pouvions très bien répondre au cahier des charges du client. J'ai beaucoup appris avec eux et je les en remercie beaucoup, cela a été mon meilleur stage.

En terminale, j'ai obtenu mon bac grâce aux soutiens de mes parents et de mes camarades, sans avoir l'impression d'avoir perdu mon temps durant ces trois années. J'ai un métier. Aujourd'hui, je me consacre à des activités extra scolaires, comme le théâtre, le volley, le BAFA, la moto et la musique avec les copains. J'ai aussi appris à me connaître et à savoir ce que je voulais. Aujourd'hui je fais un service civique et je m'épanouis vraiment. Je sais d'où je viens et je sais un peu mieux où je vais, même si un jour je retournerais peut-être en usinage.

 

Pour conclure, je vous dirais "Ne pas écouter les préjugés, ne pas se fier au regard des autres et se tourner vers des personnes qui vous pousseront à aller jusqu'au bout." Quand on est jeune ce n'est pas toujours évident d'aller au bout de ses engagements. Ce sont nos choix et nos parcours qui nous construisent. Personnellement je suis fière d'assumer mes choix et d'avoir été dans un lycée tel que Saint Gab.

 

Merci Marie pour ce beau témoignage.

Je vous disais qu'il y avait deux jeunes femmes. Elle aussi est Vendéenne, elle nous vient de Saint-Aubin-les-Ormeaux, c'est Alice. Elle pratique un sport dont j'ignorais encore l'existence il y a quelques semaines. Un sport peu commun pour les filles et on lui a mis plus d'une fois des bâtons dans les roues et elle a su passer outre tout ça avec force et sagesse.

 Alice GABORIAU

Je m'appelle Alice, j'ai seize ans et je suis en première Bac pro MELEC, Métier de l'Électricité et de ses Environnements Connectés. Cette formation me plait parce qu’elle est très variée, par exemple on apprend comment l'électricité arrive jusqu'à nos maisons, on rencontre différents métiers comme artisan pour les maisons individuelles ou domaines tels que le tertiaire pour les bâtiments publiques, l'industriel, mais aussi les matériels électriques.

Personnellement, je ne sais pas encore vers quel domaine je souhaite me diriger, cependant lorsque je serai en BTS dans deux ans, j'aimerais m'intéresser à la vente.
Dans l'électricité il y a du masculin et du féminin, la précision, la patience, la minutie sont des qualités partagées avec mes camarades. La seule consigne que l'on m’a donnée pour rentrer en Bac pro MELEC, c'est "Soit forte en maths" et rien n'empêche une fille ou un garçon d'être fort en maths.

Aujourd'hui je suis pleinement intégrée à l'équipe, je branche des fils, je passe des gaines et c'est un véritable jeu d'enfant pour moi. La seule différence avec mes camarades, c’est que je dispose d’un vestiaire pour moi toute seule, mais je ne m'en plains pas.

J'ai décidé de suivre mes envies et de ne pas écouter les préjugés. Aujourd'hui, je dirais que dans ma génération il y a de moins en moins d'idées reçues. Personnellement je n'ai pas eu d'obstacle, toute ma famille me soutient et tout le monde me motive.

Pour mon orientation comme pour mes relations, j'ai décidé de suivre mes goûts. Je pratique un sport dit d'homme, mais qui est de plus en plus féminisé, c'est le Freestyle Football. On l'associe souvent au foot mais ces deux sports sont vraiment différents, d'ailleurs je n'ai jamais fait de foot en club. Le Freestyle Foot consiste à faire des gestes techniques avec un ballon pour en faire une chorégraphie. Je peux utiliser la tête, les mains, les pieds, les jambes, finalement toutes les parties du corps. Un jury constitué de freestylers apprécie la difficulté technique, la créativité, le contrôle, la variété motrice.

Ce sport me plaît car on peut créer de nouveaux gestes souvent inspirés du breakdance. Des vidéos sur internet m'ont permis de découvrir ce sport, mes parents m'ont accompagnée en m'achetant un ballon et je les en remercie vivement. Je m'attendais à une réponse négative de leur part, preuve que l'on est les premiers à s'imposer des préjugés.

Je continue de m'entraîner pour atteindre un meilleur niveau. Je progresse seule chez moi car il y a peu de clubs en France et tous sont situés à Paris. J'utilise des tutos sur internet et les conseils que des freestylers plus expérimentés me donnent. J'ai commencé à poster des vidéos sur internet. Ce qui m'expose à des commentaires déplaisants tels que "Pas mal, pour une fille !" Il ne faut pas que ces commentaires vous rabaissent, il faut plutôt que ça vous motive à prouver le contraire. En général les freestylers sont bienveillants entre eux, on s'encourage, on dialogue. D'ailleurs j'ai tissé des liens d’amitié avec une freestyleuse Belge, Cathy, avec qui je parle tous les jours.

Ce sport m'a apporté beaucoup de confiance en moi, je me sens bien et j'ai battu ma timidité pour aller vers les gens.

J'ai une idée que je vous proposer de retenir :

"Peu importe ce que les gens pensent de vos choix, de vos passions, de votre futur métier. Si vous, vous aimez vraiment ce que vous faites, restez déterminé, ne vous découragez pas. Ce qui peut vous empêcher d'avancer, c'est la peur du regard des gens, la peur du jugement. Mais vous trouverez aussi des personnes bienveillantes qui vous pousseront vers le haut. Je n'exerce pas un métier d'homme, j'exerce juste mon métier, mon sport et je m'éclate au quotidien."

 

On lui apporte un ballon et sur un air de musique enlevé, Alice fait une démonstration de Freestyle sur la scène. Succès garanti !         

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Présentation : Notre sixième invité a beaucoup joué avec la boite du petit chimiste quand il était un petit. Au terme de longues études, il aurait dû travailler dans la recherche scientifique mais il a fait une rencontre plus spirituelle. Aujourd'hui, il devenu prêtre. Accueillons le Père Olivier Praud.

 

Olivier PRAUD

Je voudrais commencer par vous raconter une petite histoire qui a transformé ma vie.

Il y a de nombreuses années, Caroline est venue frapper à ma porte et m’a dit "Je veux devenir chrétienne". En moi sont apparues de nombreuses résistances alors que je suis chrétien depuis longtemps.

"Caroline crois-tu vraiment qu'aujourd'hui on peut devenir chrétien ? Peut-on accueillir la foi d'une Eglise en perdition ? L’Eglise n'est-elle pas seulement la relique d'un système à bout de souffle ?"

Caroline ne s’est pas démontée "Mais croire en Dieu, ça change la vie. Ce n'est pas la même chose que de croire aux martiens". Qu'allais-je pouvoir répondre à la demande de Caroline ?

 

En repensant à cette scène, je me demande ce qui résonnait en moi ? Quelle était la certitude dans laquelle j'étais tellement enfermé que je n'étais pas capable d'entendre ce que Caroline me demandait ? Je me suis alors souvenu qu'à de nombreuses reprises, j'ai employé le terme "Je crois". Je crois qu'il va faire beau, je crois à ce que l'on me dit, je crois finalement en toi. Je me suis souvenu qu'un de mes profs au séminaire nous entretenait souvent de cette fameuse intelligence qu'un vieux monsieur avait décrite dans ses mémoires qu'il avait appelées ses confessions. Augustin était un jeune lycéen quand il a quitté sa ville de Carthage. Il est passé par Rome pour finir à Milan. Il s’interrogeait et restait tiraillé par sa question "Qu'est-ce que croire ?" Il n'arrivait pas à trouver la réponse. Il se trouve qu'à Milan, il a rencontré Ambroise qui lui a fait découvrir une chose que Geluck avec le chat a particulièrement bien dessiné dans un album qui va paraître prochainement. Dieu a tout créé. Il a même créé celui qui cherche à prouver que Dieu n'existe pas. Dieu est très fort !

Augustin a découvert que finalement croire, c'était d'abord être reconnu. Finalement ce n'était pas à lui de croire en Dieu, il avait simplement à découvrir que Dieu croyait en lui.

J'ai donné Caroline cette première réponse et j'ai bien senti que cela ne suffisait pas. Alors je suis allé en moi-même et j'ai pensé à François. Il m'avait fait découvrir que la foi, ça n'était pas simplement tomber dans l'irrationnel, ça n'était pas perdre le souci que j'avais quand j'étais ingénieur chimiste de comprendre comment fonctionnent les molécules, comment j'allais pouvoir faire un magnifique parfum ou un arôme pour les glaces. Il ne suffisait pas de quitter la raison pour entrer dans les sentiments, dans l'amour. François est moine et vit aujourd'hui dans le Cantal. Grâce à lui, j'ai eu l'occasion de rencontrer Étienne Klein, philosophe des sciences, à plusieurs reprises. Lorsque je les écoutais, j'étais marqué par le fait qu'ils m'invitaient constamment à passer de la conviction à l’interrogation.

Donc finalement la foi n'est pas un dogme. La foi, c'est accepter d'être toujours en questionnement, un peu comme Bernard "Ne jamais accepter d'avoir de réponse". Après tout, pensant à Caroline, je me dis qu’on aura probablement plus rapidement la certitude qu'il y a de la vie sur Mars que la certitude que Dieu existe.

Enfin je me suis souvenu que, dans un monde complexe, la foi est peut-être un vrai chemin d'humanité. Parfois nous pensons que la foi est un obstacle à devenir soi-même. La foi serait une fragilité alors que c’est, au contraire, accepter de ne pas tout posséder, de se recevoir l'un l'autre. Le pape François dans la lettre qu'il a adressée, il y a quelques années, à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté, avait eu cette expression "Aujourd'hui, nous avons la certitude scientifique que ceux qui traversent des crises, ce ne sont pas les plus forts, mais ceux qui sont solidaires. Autrement dit, la foi n'est pas un obstacle, la foi ne nous empêche pas de réfléchir, au contraire même, elle requiert que je réfléchisse, que je pense.

Caroline a écouté mes arguments et m'a demandé "A la fin, qu'est-ce que je dois faire ?" Je lui ai alors laissé une invitation, « Caroline, si tu veux devenir chrétienne, pars à la rencontre des hommes et des femmes qui ont la foi, quelle que soit sa forme et son horizon car c'est ce que Dieu te demande. Dieu ne te demande pas de croire en un dogme, Il te demande de partir à la rencontre des autres pour découvrir là où Il t'attend."

En conclusion, il y a une chose que j'aimerais que vous gardiez, parce c'est ce que j'ai découvert et que j'essaie de dire à mes étudiants, à tous ceux que je croise dans mes visites en France pour parler à des jeunes et des moins jeunes. Je leur dis "La foi, ce n'est pas ringard, la foi c'est moderne parce que c'est le chemin d'une intelligence de l'humanité. C'est un chemin qui nous permet d'aller à la rencontre de Dieu. Mais pour aller à la rencontre de Dieu, on ne peut pas le faire sans les autres et sans se découvrir soi-même. Alors que vous soyez croyant ou non, pensez la foi comme une intelligence de la rencontre, une intelligence qui vous permet de découvrir qui vous êtes et qui sont les autres. »

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Présentation : Elle a intégré la Marine Nationale il y a plus de 18 ans, y a affronté des épreuves. Tout comme Bérénice, c'est une amoureuse de la mer. Elle doit tout mener de front, son rôle d'officier, de commandant, son rôle de maman, son rôle d'épouse. Elle a dépassé des préjugés. Voici Marie Martineau.

 

Marie MARTINEAU.

Je suis très heureuse parce que je croise ici un potentiel de recrutement pour la Marine Nationale.

Je m'appelle Marie, j'ai 38 ans et je suis officier au sein de la Marine Nationale, dans les forces de surface. Alors oui, j'aime la mer et je la connais. Etant affectée à Paris, elle me manque, mais ce n'est pas par la mer que je suis venue à la Marine. D'ailleurs vous serez surpris du nombre d'Auvergnats qui se trouvent au sein de la Marine Nationale. En fait rien ne me destinait à rejoindre ce type de carrière.

Comment est-ce venu ? Comme tout le monde, à l'adolescence, je me suis posé la question de savoir ce que j'allais faire de ma vie. J'ai eu la chance de grandir dans un environnement où mes parents m'ont toujours soutenue dans mes décisions. Ils m'ont inculqué certaines valeurs, la valeur du travail, de l'honneur, de l’authenticité et l'envie de servir, une certaine idée de la France aussi sans vouloir paraphraser le Général De Gaulle. Force a été de constater qu'à l'adolescence j'avais envie de servir quelque chose de plus grand que moi, une cause, de servir la France. Pour moi, servir la France veut dire servir les autres. C'est dans cette voie que je me suis orientée. Bien sûr plusieurs métiers permettent de le faire. J'ai un oncle militaire dans l'armée de terre et il est vrai que l'image de discipline et de rigueur renvoyée par les armées en général me plaisait. En 3ème, j’ai donc demandé à effectuer mon stage en entreprise dans l'armée de terre. J'ai dû affronter la réserve de certaines personnes de mon entourage, pas dans ma famille, mais parmi mes copains de classe et mes professeurs.

J'ai fait mes deux stages, celui du collège et celui du lycée, dans l'armée de terre et dans l'armée de l'air et me voilà au final dans la marine. Ces deux stages ont renforcé ma volonté de servir dans les armées et c'est donc naturellement que j'ai effectué mes classes préparatoires, Maths Sup et Maths Spé au lycée militaire d'Aix en Provence, sans savoir exactement quelle armée j'allais choisir. En fait j'avoue que l'armée de l'air me plaisait, j'avais envie d'être pilote de chasse, mes yeux me le permettaient, en revanche j'ai appris que pour être pilote de chasse il faut faire 1,60m alors que je fais 1,59m. La mer s'est alors imposée à moi, je l'imaginais comme un espace de liberté et une ouverture sur le monde.

Me voilà donc en 2003 à l’École Navale. A la différence de Bérénice qui cultivait l'amour de la mer depuis son adolescence, j’ai découvert la mer en intégrant la marine. J'y ai appris les rudiments de la navigation que je ne connaissais absolument pas.

Alors effectivement il y a des doutes, des questions qui se posent, en particulier quand je me suis trouvée confrontée à l’océan Atlantique, en décembre, au large de la Bretagne. L'engagement est soumis à rude épreuve. On peut être engagé dans la marine et avoir le mal de mer, encore un préjugé à dépasser. On dépasse le mal de mer parce que le corps s'habitue au fur et à mesure que l'on navigue. A terme, on n'est plus malade. Par ailleurs, le mal de mer disparait quand la pression est importante, par exemple lors d'opérations militaires qui nécessitent d'être à 100% de ses moyens.

Avec la marine j'ai découvert la mer et sa puissance. Elle nous apprend l'humilité avant tout. Vous pouvez monter une superbe manœuvre pour votre opération, la mer sera toujours la dernière décisionnaire, elle vous aidera dans votre opération ou vous freinera et vous obligera à faire autrement. C'est elle qui décide.

J'ai aussi appris que dans notre métier d'officier, on change d'affectation tous les deux ans. J'ai eu la chance de naviguer sur différents types de bâtiments, du plus petit, un bâtiment école, un patrouilleur de service publique qui fait des missions de police des pêches, de lutte anti-pollution, du secours en mer, jusqu'au plus gros, le porte-avions sur lequel j'ai servi et à bord duquel j'ai réalisé deux missions dans le Golfe Persique dans le cadre de la lutte contre Daech en Irak et en Syrie, et aussi sur des frégates engagées contre la piraterie, les combats au large de la Libye. De nombreuses missions qui apportent des expériences variées.

L'esprit d’équipage constitue le socle de la marine. A deux reprises, j'ai eu l'occasion de commander un bâtiment de combat, le premier alors que j'avais 28 ans. C'était un bateau école, celui-là même sur lequel je naviguais en tant qu'élève et sur lequel je souffrais du mal de mer. Là, j'ai appris ce que représente la responsabilité d’un petit équipage. Cela répondait à mon envie d'exercer des responsabilités.

Se retrouver, à 28 ans, commandant d'un petit bateau peut paraître surprenant. Pourtant cela se passe bien parce que dans un équipage, on est forcé de faire confiance. Le commandant n'est rien sans chacun des membres de son équipage. Le commandant ne peut rien faire, la mission ne peut être réalisée si on ne fait pas confiance en celui ou celle qui est à côté. C'est l'esprit d'équipage qui est notre socle. Nous sommes tous à bord du même bateau pour remplir la même mission.

En tant que commandant, je demande plusieurs choses aux marins qui sont sous mes ordres, je me les impose aussi. Je leur demande de l'engagement, il doit être total pour réussir notre mission. En plus, nous faisons un métier dans lequel l'engagement prend tout son sens, il peut aller jusqu'au contact avec la mort.

Je leur demande de l'exemplarité parce que nous représentons la France où que nous soyons en mer. A l'autre bout du monde le bateau gris porte le drapeau français et nous devons être exemplaire dans chacun des comportements que nous avons et dans chacune de nos décisions.

Enfin je leur demande de l'enthousiasme parce que nous arrivons d'autant mieux à remplir nos missions que nous le faisons avec bonne humeur.

J'ai eu la chance de commander une deuxième fois, un patrouilleur de haute mer. C'est un bâtiment de 80 m de long avec une centaine de personnes à bord. J'étais la seule femme. Au début, c'est un peu particulier mais finalement l'équipage voit vite un commandant. Une commandante, peu importe, c'est le chef. Envers eux j'ai appliqué les mêmes principes qu'à moi-même, c'est ainsi que l'on arrive à fonder vraiment un équipage.

Ce commandement avait une saveur un peu particulière, c'était le premier que j'exerçais en étant maman. J'ai aujourd'hui deux enfants, une petite fille de cinq ans et demi et un petit garçon d'un peu plus d'un an. A l'époque ma fille avait dix-huit mois.

Je me suis effectivement posé la question "Comment cela va-t-il se passer ? Vais-je tenir le coup ?" Je ne vous cacherai pas les difficultés de ce genre de métier et les coups de blues. Fort heureusement, j'ai un mari exceptionnel et je savais que lui, derrière, tenait la barre. Il y a eu des moments difficiles, du chagrin mais il faut repartir très rapidement.

J'ai pu exercer sereinement cette responsabilité, d'autant que je faisais pleinement confiance à mon mari et à sa façon de s'occuper des enfants. Cela se passait très bien pour eux. J'étais totalement rassurée et pouvait ainsi exercer mon métier et être pleinement dans les décisions que je devais prendre. J'ai un avantage considérable, mon mari est également marin. Du coup il connaît le milieu dans lequel je vis, il comprend que les communications soient coupées en fonction des opérations en cours. Toutefois nous arrivons à avoir des échanges fréquents avec la famille, ainsi la distance, l'absence sont un peu moins lourdes à porter.

Alors suis-je un commandant particulier en étant une femme ? Certains vous diront oui, personnellement je ne le pense pas. Il y a des valeurs de rigueur, de bienveillance que je pense très importantes pour un chef et je ne pense pas que ce soit le propre d'un officier féminin. Je le trouve aussi chez les hommes. Chez certains d’entre eux tout comme chez certaines femmes, cela peut faire défaut.

Pour moi, plus qu'une affaire de genre, le commandement, l'autorité sont avant tout une affaire de personnalité, d'exemplarité et d'envie. Ce qui est motivant dans ce métier, c'est l'envie de fédérer les énergies, chacun est essentiel au succès de la mission. Je ne peux rien faire s'il ne se crée pas une confiance avec chaque membre de l'équipage et ce n'est pas en leur faisant peur que je peux les faire obéir, c'est en suscitant l'adhésion, en fédérant les énergies. J'essaie d'être droite, quelquefois cela suppose d'être dure. En tous cas, j'essaie d'être juste et je pense que les gens le reconnaissent.

Je reviens sur la question de bousculer les préjugés. Je vous ai dit que l'équipage dans la marine est une chose primordiale. Chacun de nous appartient à une institution qui fonctionne justement parce qu'elle dépasse les préjugés, elle fait confiance aux femmes pour commander. C'est un milieu auquel les femmes ne pensent généralement pas, elles y ont les mêmes opportunités que les hommes.

Nous dépassons nos préjugés vis à vis des membres d'équipage, ils sont là, juste à côté et on se fait confiance. Finalement dépasser ses préjugés conduit à se dépasser soi-même et à faire en sorte que l'équipage se dépasse vraiment également.

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière

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