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Laboratoire spirituel


Marc Halévy

« Quelles inspirations pour le XXIème siècle ? »

Marc Halévy est expert en kabbale juive, taoïsme, franc-maçonnerie, sciences de la complexité… Il est l’auteur de nombreux livres dont « Comment bien vivre la fin de ce monde » paru cette année, « Les mensonges des lumières »... Il est chercheur en physique quantique qu’il applique aux sciences sociales pour apprendre à vivre avec cette complexité, mieux la comprendre afin de l’anticiper. Objectif partagé par le CERA.

Marc Halévy :   

La spiritualité est un mot très important dans ma vie, mais aussi dans notre époque. Je m’occupe de la modélisation des évolutions historiques du système socioéconomique humain. Ce que nous vivons là, pour l’instant, est ce que l’on appelle un changement de paradigme. Les paradigmes sont un ensemble de fondamentaux sur lesquels une société se construit et fonctionne à un moment donné. L’Histoire est une succession de paradigmes. Ils se suivent et ne se ressemblent pas du tout. La durée de vie moyenne d’un paradigme est de 550 ans mais ne me demandez pas de vous le démontrer, cela nous prendrait beaucoup trop de temps.

Nous sommes en train de vivre un changement de paradigme. Nous quittons la modernité qui en train de s’effondrer. Nous traversons une zone chaotique entre la fin de la modernité et la naissance d’un nouveau paradigme qui ne porte pas encore de nom. La pandémie et le changement climatique que nous vivons nous le rappellent.

Tout changement de paradigme est accompagné de changements des fondements spirituels.

Alors que s’est-il donc passé il y a 550 ans ? Ce changement s’est appelé la Renaissance. Ce fut le passage de la féodalité à la modernité, et spirituellement parlant la sortie du bas moyen âge et l’entrée dans la modernité et l’humanisme. L’humanisme correspond à l’émancipation de l’homme, au placement de l’homme au centre des préoccupations, alors que la religion chrétienne était le centre de la vie du monde entier.

Remontons le temps. Au X° siècle, le rêve de l’Empire chrétien germanique s’est effondré. Le dernier empereur carolingien meurt en 921 et à peu près à la même époque, du point de vue spirituel, le rêve du système unitaire de la chrétienté s’effondre avec le grand schisme. D’un côté le bloc latin avec le catholicisme, et de l’autre le bloc grec avec l’orthodoxie, et entre eux un profond désaccord sur la théologie chrétienne.

550 ans avant, que se passe-t-il ? Vers l’an 400 nous assistons à la chute de l’Empire Romain qui implique une bifurcation spirituelle colossale. En 325, Constantin avait convoqué le Concile de Nicée et avait imposé le christianisme qui devait revivifier l’Empire Romain alors en pleine déliquescence. En 380, son petit-fils Théodose déclare le christianisme religion d’Etat

550 ans encore avant, ce sont les légions romaines qui mettent fin à l’Empire grec, à l’hellénisme, à ce grand élan de la philosophie grecque.

A chaque changement de paradigme, au sens économique et politique du terme, se produit une grande bifurcation spirituelle. Nous sommes en train d’en vivre une, colossale. Pour la comprendre, essayons de revenir aux fondements même de cette modernité qui s’effondre sous nos yeux.

Le XVI° siècle est le siècle de l’humanisme. Des penseurs comme Montaigne, Pic de la Mirandole, Erasme ou Calvin et Luther revisitent les fondamentaux et proposent que l’homme devienne le centre du monde, le porteur de l’essentiel du monde. Le mot clé devient émancipation. Il faut émanciper l’homme de tout ce qui l’empêche de venir vraiment homme. Il peut s’agir de pouvoirs politiques ou de pouvoirs religieux. Il convient de développer des sciences et des techniques pour maîtriser la nature. L’homme est au centre de tout.

Au XVII° siècle, le rationalisme triomphe, c’est le grand siècle du démarrage des sciences avec Galilée, Descartes, Spinoza et Pascal. Ce siècle s’accompagne d’un foisonnement de la pensée humaine qui conçoit l’univers comme un grand livre écrit de la main de Dieu.

Le XVIII° voit s’ouvrir le siècle de la philosophie et des Lumières en France. C’est l’émancipation politique. On revoit les modes de fonctionnement du monde politique pour clairement remettre l’individu au centre.

Au XIX° siècle, c’est le positivisme. La religion du progrès social, technologique, économique, domine avec l’industrialisme et la production de masse. On observe de plus en plus de distance avec le fait religieux, jusqu’à l’anticléricalisme qui prévaut à la fin du siècle.

Les quatre siècles qui viennent de s’écouler sont des siècles où nous avons émancipé l’homme. L’homme a été placé au centre et nous avons mis de plus en plus de distance avec les fondements religieux qui présidaient au Moyen Age. Il y a bien une prise de distance mais pas un combat contre la religion, excepté en France à la fin du XIX° siècle avec l’anticléricalisme, l’athéisme militant, le socialisme athée. C’est le début de la troisième république. Auparavant il y avait bien des athées mais Dieu n’était pas combattu, Il n’était pas au centre des conversations. Une distance se prend avec la spiritualité.

Le XX° est le siècle du grand progrès matériel mais aussi le temps d’immenses tueries faisant plusieurs centaines de millions de morts pour des raisons purement idéologiques et politiques, calamiteuses sur le plan de l’éthique et de la spiritualité. On assiste à une série de catastrophes économiques et idéologiques. Ce siècle peut se résumer par la phrase « Tout se vaut et rien ne vaut ». Tabula rasa est faite du sacré, la plupart des gens n’ont plus aucun respect pour ce qui nous dépasse. Nous sommes dans une vision anthropocentrique de l’existence et en tant que tel, il n’y a rien au-dessus, rien à côté, rien qui vaille ou bien tout se vaut. Nous pouvons parler de nihilisme, nous sommes dans la religion du rien. Nietzsche avait prédit ce nihilisme et écrivait à la fin du XIX° siècle « Très logiquement nous sommes en train de vivre la fin de la modernité, nous sommes en train d’entrer dans le règne du dernier homme ». L’homme qui ne croit plus en rien, l’homme qui ne veut croire qu’en l’immédiateté du vécu sans aucun regard en direction du passé (on oublie l’Histoire) ni de l’avenir (on oublie les projets). Et très naturellement, ce XX° siècle a enchaîné tout un tas de catastrophes, les guerres mondiales mais aussi les guerres économiques, écologiques et monétaires.

Nous sommes en train d’en sortir. La modernité a été une énorme machine de dé spiritualisation de la vie, de désacralisation du monde, une énorme machine au service de ce que nous avons appelé le Progrès. Mais quel progrès ? Le progrès de quoi, par rapport à quoi ? Le progrès médical et technologique est indiscutable, mais y a-t-il eu progrès moral, spirituel, intérieur par rapport à l’humain ? Ce mouvement entraîne des questionnements fondamentaux sur l’idée d’émancipation de l’homme.  Quelque fois même, il est en combat avec l’idée de Dieu.

Justement parlons de cette idée de Dieu. Dieu est un mot, et je voudrais citer Albert Einstein interviewé par un journaliste « Monsieur le professeur, croyez-vous en Dieu ? » A. Einstein avait répondu « Définissez-moi ce que vous appelez Dieu et je vous dirai si j’y crois. » Il y a là quelque chose de fondamental. Toutes les religions occidentales se sont forgées autour du mot Dieu. Einstein a raison quand il demande : « Qu’est-ce que Dieu ? » Qu’est-ce que ce mot veut dire ? Nous pouvons parler du Dieu de la bible, du Dieu des philosophes, mais qu’en est-il lorsque nous prenons ce mot tout seul ?

Tout nu, il ne veut rien dire. Rien ! Il ne signifie rien ou plus exactement, il exprime notre méconnaissance, notre incompréhension. Dieu est un mot symbole, un signifiant sans signifié. C’est un mot tiroir, nous y mettons tout ce que nous ne comprenons pas. Ce mot Dieu a été balayé de la modernité par le nihilisme du XX° siècle. C’est un sac dans lequel nous mettons plein de choses. Au nom de ce mot il y a eu durant des siècles et des siècles des guerres épouvantables, des horreurs, des tueries, des tortures, des exils. Ce mot Dieu qui a suscité tant d’horreurs, en fait, ne signifie rien de précis, il est juste un point d’interrogation dans la métaphysique.

Aujourd’hui nous sommes devant une bifurcation importante, nous quittons le nihilisme du XX° siècle. Quand j’étais étudiant, préparant ma thèse aux Etats-Unis, je n’ai trouvé aucun livre traitant de spiritualité. De religion, oui, mais pas de spiritualité. Aujourd’hui, la spiritualité, l’ésotérisme, le développement personnel prennent beaucoup de place dans les librairies. Il y a une forte demande à laquelle les éditeurs répondent avec, quelque fois, des ouvrages qui mériteraient la poubelle, comme un livre que j’ai vu il y a quelques jours « Découvrir la spiritualité quantique », ça ne veut strictement rien dire ! C’est à la mode et les gens se noient là-dedans.

Mes grands-parents se disaient catholiques mais ne pratiquaient pas du tout. Ils étaient nés catholiques, ils vivaient comme des catholiques et cela ne posait pas de problème. Regardons les pratiques dites spirituelles d’aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans le monotype, nous sommes dans la pluralité, la multiplicité. Cela ne dérange personne de pratiquer le yoga et le qi gong, de partir pour quelques jours de retraite dans un monastère cistercien avant de se rendre dans un ashram en Indes. Nous sommes devant une révolution, la spiritualité et la religion sont en train de divorcer. Cette phrase est grave !

Spiritualité et religion, est-ce la même chose ? Non ! Permettez au philosophe des religions que je suis, de vous expliquer pourquoi.

A l’origine du mot religion, il y a « religare » qui signifie « relier ». La religion, c’est ce qui permet de relier. Je veux me relier au divin, à ce qui me dépasse. C’est aussi relier entre eux tous les êtres humains qui partagent les mêmes convictions, les mêmes foies, les mêmes croyances, le même regard que moi sur les fondamentaux en lien avec la vie, la morale et la mort.

Religare, c’est aussi relier dans deux directions. La direction verticale s’inscrit dans la relation à ce qui nous dépasse, à mon intériorité, au plus haut et au plus profond, elle touche la spiritualité. L’autre, horizontale, concerne la communauté humaine, la communauté de pensée, de croyance et touche à la religion. L’horizontalité est appelée religion tandis que la verticalité est appelée spiritualité.

Il ne peut pas y avoir de religion sans spiritualité mais il peut y avoir spiritualité sans religion. C’est une découverte faite par beaucoup de gens aujourd’hui. De nombreuses personnes nourrissent leur spiritualité en glanant plein de choses ici et là. La séparation conceptuelle est claire entre les notions de religion et de spiritualité. Force est de constater que la pratique religieuse se réduit tandis que les pratiquants de spiritualités diverses sont de plus en plus nombreux. Par exemple, le yoga s’est largement américanisé en devenant une sorte de gym et la méditation est peu à peu devenue relaxation.

Nous revenons du nihilisme du XX° siècle où « Tout se vaut, rien ne vaut ». Rien n’est sacré, le matérialisme le plus profond prévaut, ainsi que l’égocentrisme le plus primaire. Nous sommes dans l’impasse totale. Nous sommes dans le monde du hasard et de l’absurde.

Je suis donc extrêmement prudent quand j’entends parler de l’explosion de la spiritualité car elle peut être un peu bricolée, pas très impliquante, un objet à la mode qui fait bien.

Nous commençons à nous rendre compte que nous sommes dans une impasse totale. Il faut donner du sens, de la valeur à ce que nous sommes, à ce que nous devenons, à ce que nous faisons. La spiritualité a retrouvé une place dans nos sociétés. L’entreprise doit donner du sens à ce qu’elle fait faire à ses collaborateurs. Pour recruter, il faut donner du sens à la future mission de la personne recherchée. A défaut, le jeune postulant ne viendra pas chez vous car il juge essentiel son accomplissement personnel, son job doit faire sens. Sens et valeur apparaissent comme beaucoup plus importants que le confort matériel.

Mais que veut dire « Donner du sens à son entreprise, à sa vie » ? Donner du sens doit en priorité répondre à la question du pourquoi – pour quoi. A quoi ça sert, c’est quoi la finalité ? Dans un deuxième temps, se posera la question du comment, du comment faire ? C’est là qu’interviennent la vocation et la mission. Chaque individu doit se poser la question de sa vocation profonde pour ne pas passer à côté de sa vie. Il doit aussi se poser la question du service qu’il va fournir. Au service de quoi vais-je mettre ma vie ? Au XX° siècle nous répondions souvent « Je mets mon existence au service de mon nombril ». Cela s’appelle le nombrilisme, l’égocentrisme, le narcissisme. Maintenant au XXI° siècle, nous réfléchissons de plus en plus à mettre notre vie au service de plus grand que soi, au cœur de la spiritualité, c'est-à-dire « Pourquoi vais-je continuer à vivre ? » Camus disait que la seule question philosophique est celle du suicide « Si tu n’as pas une bonne raison de continuer à vivre, tu peux mourir et le suicide s’impose ». Nous devons donc chercher et trouver cette raison pour continuer à vivre. L’essentiel est bien ceci « Au service de quoi ou de qui vais-je mettre ma vie ? »

Dans le domaine de l’entreprise, quand l’entrepreneur se questionne sur sa stratégie, la première question à se poser est « Au service de quoi ou de qui vais-je construire mon entreprise ?» Dire que la seule raison d’être de l’entreprise est de fournir des dividendes aux actionnaires est une des plus grandes stupidités. Cela ne va pas motiver les collaborateurs qui donnent le meilleur de leur temps et de leur énergie pour l’entreprise. Il faut donc une raison d’être de l’entreprise plus noble. C’est aussi vrai pour moi, être humain. Quelle est ma raison d’être ? M’est-elle donnée ou dois-je la construire ? C’est une question fondamentalement spirituelle.

Nous pouvons répondre de différentes manières. Un catholique fidèle peut dire qu’il met sa vie au service de Dieu. Il y a plein d’autres réponses, comme mettre mon existence au service de la vie en pratiquant une écologie intelligente qui protège toutes les formes de vies au lieu de les détruire, c'est-à-dire une écologie au sens scientifique et non pas une « escroclogie », cette espèce d’écologie politique et idéologique bien éloignée de l’écologie réelle.

La vie a émergé de la matière, et nous, les êtres humains, nous faisons émerger l’esprit à partir de la vie. C’est une façon de mettre son existence au service de quelque chose, au service de l’émergence de l’esprit. Ça donne sens, ça fait valeur.

Poser la question de ce je peux faire de ma vie est une chose. Y répondre en est une autre. Une réponse est la spiritualité car elle me permet de cheminer vers le sacré qui va fonder mes valeurs. Définir ma raison d’être, c’est définir ma morale, mon éthique de vie. Ce qui est bien, c’est ce qui sert ma raison d’être, ce qui est mal, c’est ce qui dessert ma raison d’être. Définir ma raison d’être, c’est définir les règles qui me permettent d’accomplir cette raison d’être.

La culture occidentale bascule du nihilisme du XX° siècle vers un renouveau des spiritualités, sans nécessairement passer par un renouveau des religions instituées. La culture occidentale est maintenant complètement focalisée sur le « Qu’est ce qui donne sens ? Qu’est ce qui fait valeur ? » C’est encourageant !

Il existe de nombreux chemins pour répondre à la question de la raison d’être. Toutefois, dans le monde de la spiritualité humaine, il y a deux grands mondes : le dualisme et le monisme.

Le dualisme évoque le monde de Dieu et le monde des hommes, de la matière. Ce sont deux mondes bien distincts, toutefois il y a des passerelles entre ces deux mondes. Les chrétiens disent, par exemple, Dieu a créé le monde matériel, la nature et l’homme, 1° passerelle. En échange, le monde humain est prié d’accomplir la volonté divine pour que le monde de la matière atteigne le plus haut niveau de perfection, 2° passerelle. Et l’âme, qui est un morceau du monde divin incarné dans l’homme, se trouvera libérée après la mort et retournera dans le monde divin.

Le monisme est une autre façon de voir la spiritualité. Les monismes sont des métaphysiques orientales comme le vedanta en Inde, le taoïsme en Chine, dans lesquelles il n’y a pas de distinction ontologique entre le divin et le matériel. Ce que nous vivons est la manifestation du divin. Une bonne image est la métaphore des vagues à la surface de l’océan, elles sont vagues mais aussi océan, sans distinction. Les vagues, c’est ce que nous vivons tandis que l’océan est le divin. C’est le monde réel tel qu’il est dans son essence. Tout ce qui se manifeste à nos yeux, les vagues, ne sont en fait que les apparences de la manifestation du divin. Celui-ci est à l’intérieur et non pas à l’extérieur du monde réel.

C’est une autre vision et la bifurcation que nous prenons actuellement penche clairement vers une spiritualité moniste. Tout évolue à grande vitesse et les métaphysiques orientales tiennent le haut du pavé face aux religions classiques, dualistes, occidentales.

J’aimerais aborder un autre sujet et pour cela je dois vous parler un peu de moi. Au collège, j’étais passionné de physique. Un jeune prof particulièrement brillant me suggéra de lire Albert Einstein, en particulier son livre « Comment je vois le monde ». Einstein m’a surpris car j’ai découvert que ce scientifique y parlait régulièrement de Dieu. J’ai été intrigué par ce grand physicien rationaliste qui, toutefois indique, en note de bas de page, que le Dieu dont il parle est bien sûr le Dieu de Spinoza. Plus tard j’ai étudié ce que Spinoza en disait. Ce dernier a énormément écrit sur le sens et la valeur de l’existence. Il était juif d’origine, donc monothéiste. Il était aussi moniste. Pour lui, Dieu et la nature sont la même chose. Pour lui, le seul moyen de savoir si nous sommes sur le chemin de notre raison d’être, c’est la joie que nous ressentons. La joie et non le plaisir. Elle se manifeste quand ce que je vis, ce que je dis, ce que je pense est parfaitement aligné avec ma raison d’être. Le mot clé est la joie, elle signe l’état de béatitude intérieure, de l’accomplissement de soi et de l’autour de soi. Quand je suis nombriliste, égoïste, la joie ne se manifeste pas, je peux avoir du plaisir mais pas de la joie. La joie se construit autour de soi alors que le plaisir se ressent en soi. Je suis dans l’idée de l’accomplissement de quelque chose, en même temps de soi et de l’autour de soi. En même temps ! car l’un n’est pas possible sans l’autre.

Dans ce XXI° siècle, la spiritualité prend ses distances avec les religions institutionnalisées. Le danger est peut-être de rentrer dans une nébuleuse qui dit tout et son contraire, et plutôt que de clarifier sa raison d’être, l’embrouille, en fait une espèce de néo nihilisme.

Pour conclure je vous présente une anecdote personnelle.

Un de mes professeurs qui enseignait le taoïsme m’avait dit lors de mon cursus universitaire : « Ce n’est pas parce qu’on peint un poireau en rouge qu’il devient une tomate ». Il signifiait ainsi que ce n’est pas parce que je m’intéressais au taoïsme que je deviendrais chinois et que je comprendrais toutes les racines qui ont fait la culture et la spiritualité chinoises. Tu vas peut-être devenir un spécialiste occidental du taoïsme mais tu ne seras jamais dedans. Me voyant assommé, il voulut me rassurer et poursuivit en disant « Toutes les rivières arrivent au même océan. Prend celle qui passe devant ta porte, ce sera beaucoup plus facile pour toi ».

Je crois qu’une démarche spirituelle sans être nécessairement enfermée dans une institution religieuse est de toute façon le fruit d’une culture, culture nécessaire pour pouvoir suivre une spiritualité jusqu’au bout. C’est ce que je vous souhaite.

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Les questions :

 Comment vois-tu le chemin, comment t’adresses-tu à tes petits-enfants ?

J’ai six enfants élevés dans le judaïsme jusqu’à l’équivalent de la communion chez les catholiques. Après, considérant qu’ils étaient religieusement adultes, je leur ai dit de poursuivre librement leur chemin. Concernant mes petits-enfants, il ne s’agit pas de les faire entrer dans un moule qui serait le mien mais plutôt de leur tenir un discours sur l’ouverture vers la spiritualité. Ne faites pas les choses parce qu’on vous dit de les faire. Faites les choses parce que cela prend du sens pour vous et pour autour de vous.

Qu’ils entrent ou pas dans une tradition religieuse n’est pas mon souci majeur. Mon souci majeur est qu’ils connaissent la joie de la vie. J’ai sept petits-enfants entre sept et dix ans et je pense que je fais œuvre utile, d’autant que l’école est complètement passée à côté de l’ouverture des gamins à la spiritualité. Je crois qu’il faut rétablir au plus vite l’étude de l’histoire des religions et de la philosophie. Pourquoi condamner l’adolescent à réinventer la roue alors qu’il découvre qu’il est une personne à part entière et qu’il ne sait pas quoi faire de cette personne ? Il se cherche et nous ne lui disons pas que depuis des milliers d’année des hommes et femmes ont réfléchi à cette question et que leurs écrits pourraient l’aider.

 Je pense à Spinoza et me demande comment mettre en œuvre notre libre arbitre ?

Il y a une ambiguïté terrible chez Spinoza. D’un côté, il veut fonder une éthique de la joie mais pour fonder une éthique et construire sa vie en fonction de cette éthique, il faut un minimum de libre arbitre. Or à certains moments Spinoza semble défendre une espèce de déterminisme fondamental, l’homme n’est libre de rien, il ne fait jamais que répondre à des déterminations.

Quittons Spinoza et je vais faire mon petit Halévy pour répondre à ta question. Il est évident qu’on ne peut pas construire son propre accomplissement si l’on n’est pas libre de choisir les matériaux et le mode de construction. Il faut nécessairement qu’il y ait une part de libre choix pour assumer une éthique quelle qu’elle soit.

Pour excuser Spinoza, n’oubliez pas qu’il a écrit au XVII° siècle, le siècle du rationalisme mécanicisme. Tout est machine, tout est déterminé. Aujourd’hui nous savons que cela ne se passe pas comme ça. Le fonctionnement de l’univers est très rarement mécaniciste, il est plus souvent organiciste.  Cela permet de réhabiliter le libre arbitre et la possibilité de choix. Il y a toujours x solutions, x voies possibles, ainsi le libre arbitre existe. Sans libre arbitre, il n’y aurait pas de projet de vie possible, autrement dit il n’y aurait pas de spiritualité possible.

L’année dernière, nous avons été confrontés de façon très négative à l’universel puisque tout le monde était atteint par la Covid. Les philosophes ont dit que rien ne sera plus pareil puisque nous avons été atteints dans la communauté humaine. Un an et demi plus tard nous sommes retombés exactement dans les mêmes ornières.

Je ne suis pas d’accord parce que la pandémie que nous avons vécue n’est jamais qu’une manifestation du chaos dans lequel nous sommes. Il y en a d’autres comme le dérèglement climatique, la dérégulation océanique et toutes les guerres, militaires ou autres.

L’histoire montre que cette zone chaotique dure un demi-siècle, l’année et demie de pandémie n’est donc pas symptomatique et nous verrons comment les choses vont évoluer.

En revanche, je trouve que beaucoup de choses ont été transformées par cette pandémie, par exemple les modes d’achat, de déplacement, de travail par le télétravail qui est une réalité maintenant irréversible, le regard pour le tourisme proche par rapport au tourisme lointain, les habitudes d’alimentation et de consommation, une quête de la qualité des produits plutôt que de leur prix, etc. il y a des changements qui sont là, qui ont été accélérés mais pas engendrés par la pandémie. L’industrie connaît une accélération fabuleuse de la robotisation car un robot ne tombe pas malade.

Il y a là des processus en cours mais bien plus lents que le rythme d’un an et demi d’une pandémie. On peut avoir l’impression d’être retombés dans des ornières. Toutefois il y a deux phénomènes. Premièrement des comportements de fond sont en train de changer et les changements s’amplifient. Deuxièmement un impérieux besoin de compenser les manques que nous avons connus peut donner l’impression de retomber dans les ornières du passé. Je crois que c’est une passade, que ce besoin ne touche pas tout le monde de la même façon.

J’aimerais revenir sur le sens de la vie. Je m’occupe de personnes en grande difficulté, au bord du gouffre. Nous les récupérons dans la rue, ils ne croient plus en rien. Ils n’ont pas envie de mettre fin à leur jour mais ils sont complètement perdus. Penses-tu que nous pourrions les aborder avec une forme de spiritualité pour les amener à se raccrocher à quelque chose ?

Je crois qu’il y a deux manières d’aborder cette situation, la bonne et la mauvaise.

La mauvaise, c’est Freud. Vous voulez résoudre les problèmes du présent, allez fouiller dans votre passé. Je pense que la psychanalyse est une absurdité et que si l’on veut guérir le présent, il faut regarder vers le futur. Redonner du goût à la vie, c’est lui redonner du sens et redonner du sens à la vie, c’est se demander « Mais qu’est-ce que tu veux construire ? »

J’ai vécu le cas de quelqu’un qui m’était proche et qui était au bout du rouleau. Il ne voyait pas d’issue à son tunnel professionnel. Je me suis alors souvenu de l’histoire de mon rabbin avec son poireau et sa tomate. Il m’avait dit « Si un jour tu ne sais plus quoi faire de ta vie, essaie de te souvenir de ce à quoi tu rêvais quand tu étais adolescent parce que c’est là que le plus intime de ta personnalité s’est créé ». C’est le conseil que j’ai donné à la personne dont je te parle. Il a essayé de mettre en œuvre certains de ses rêves et a réussi à construire un projet de vie. J’ai peut-être eu du pot, lui aussi mais je voulais partager ça avec toi.

Vous avez évoqué le fait que nous entrons dans une nouvelle époque. Que va-t-elle représenter pour les entreprises et quelles en seront les conséquences ?

Nous sommes dans un changement de paradigme. Nous quittons économiquement parlant la logique d’abondance où toutes les ressources étaient disponibles en quantités que l’on croyait infinies, et nous entrons dans une logique de pénurie. Nous devons entrer dans une économie de la frugalité.

L’émergence du numérique est colossale et irréversible dans les entreprises. Elle entraîne un changement radical du travail humain tant au niveau du télétravail qu’au niveau de la robotisation. Seul ce qui ne pourra pas être fait par des robots restera humain.

Les entreprises sont encore organisées selon un mode hiérarchique pyramidal. Parce que le monde est devenu très complexe, ce type d’organisation verticale va disparaître pour être remplacée par des organisations en réseaux basées sur des notions d’autonomie et d’interdépendance.

Nous sommes encore dans un modèle économique de masse et de prix bas. Nous avons atteint les limites de cette logique et entrons dans une logique de la valeur d’usage des choses, c'est-à-dire la qualité et la virtuosité. Les entreprises doivent devenir virtuoses dans leur métier en offrant le juste prix et la juste marge et dépasser la médiocrité des prix bas.

Pour finir, cela ne vous étonnera pas, il nous faut donner du sens et des valeurs à l’entreprise. L’entreprise est une communauté qui a un projet commun porté par le PDG. Ce projet est le ciment, le bloc de la communauté de vie avec des gens qui apporteront le meilleur d’eux-mêmes en termes de talent et d’énergie.

Ce sont pour moi les voies de rupture de l’entreprise de demain.

Pensez-vous que les guerres de religion que nous connaissons aujourd’hui peuvent connaître un armistice ou une tolérance absolue ?

Faites-moi confiance pour ne surtout pas confondre islamisme et salafisme, mais aujourd’hui le djihadisme, le salafisme, l’islamisme sont terriblement agressifs. Nous sommes dans une situation de guerre. En même temps, aux Etats-Unis se développe une espèce de néo christianisme évangéliste dur tout aussi fermé que l’islamisme en Europe. Un chiffre est affolant, celui des 48% des adultes Américains qui croient que la Bible a raison au sujet de la création face à Darwin. Je comprends qu’il puisse y avoir des tensions.

Quand on parle de guerres de religion il convient aussi de parler des religions laïques, c’est-à-dire des idéologies. Le communisme en est une et quand on parle des guerres de religion il faut aussi parler des guerres idéologiques. La Chine est un exemple en étant un Etat totalitaire communiste dirigé par un pouvoir extrêmement centralisé qui, pour survivre, ambitionne de contrôler le monde entier.

Nous sommes toujours dans cette idée qui m’attriste « Quand on cherche la vérité, on sait qu’on ne l’a pas. Quand on croit avoir la vérité, on ne la cherche plus. Et quand on croit avoir la vérité, on n’accepte pas qu’un autre puisse avoir une autre vérité, avec toutes les tensions que cela implique.

Alors quel est ton pronostique pour ce XXI° siècle ?

Nous sommes aujourd’hui devant trois scénarios possibles.

Le premier scénario est malheureusement ce que font nombre de gouvernements  « Il n’y a pas de changement de paradigme et on va continuer comme avant. Il y a des problèmes et nous allons les résoudre. Si rien ne se passe, nous donnerons raison aux collapsologues et ce sera la fin d’une bonne part de l’humanité.

Le deuxième scénario est celui auquel je crois. A partir du chaos actuel, nous allons voir émerger un nouveau paradigme qui va prendre en main les défis actuels. Ce mouvement est en marche depuis des décennies et il monte en puissance, le point de basculement n’est plus très loin. Si vous croyez en ce nouveau paradigme indispensable, vous allez le construire et le mettre en place. Ce ne sont pas les autorités du paradigme actuel qui le feront car je n’ai jamais vu une institution se saborder elle-même. Cela se fera de la base vers le sommet.

Le troisième scénario est le plus pénible. On ne continue pas comme maintenant, on ne cherche pas à créer un nouveau paradigme qui dépassera le précédent. On retourne en arrière, c’est à dire le passéisme, la nostalgie, un scénario réactionnaire extrêmement destructeur.

Si vous êtes comme moi porteur du scénario de l’émergence d’un nouveau paradigme, nous avons en face de nous deux catégories d’ennemis, le statu quo des paradigmes antérieurs et la régression au nom de nostalgies absurdes qui ne pourront se manifester que dans la violence.


Hesna Cailliau

« Le génie de l’intuition »

Hesna Cailliau, mariée à un Français de tradition catholique, est née d’un père turc de tradition musulmane et d’une mère danoise de tradition protestante. Elle est diplômée de Science Po Paris et de sociologie à Nanterre. Son expérience a été acquise sur le terrain lors de ses nombreux voyages en Asie. Elle est experte APM, avec 400 interventions en club APM à son actif. Hesna Cailliau est auteure de nombreux livres dont « Le paradoxe du poisson rouge », « Les bâtisseurs du futur », « L’esprit des religions » et le dernier « Sept religions, une clé pour comprendre le monde ».

 

Hesna Cailliau :

J’ai intitulé la conférence d’aujourd’hui « Le génie de l’intuition ». J’en explore le thème depuis quelque temps et si j’avais fait davantage confiance à mon intuition plutôt qu’à ma raison, cela m’aurait évité bien des errances et des souffrances. Pour tous les grands savants, pour tous les sages de l’humanité, pour les artistes, l’intuition est notre intelligence supérieure, notre troisième œil, notre sixième sens. Le mathématicien Henri Poincaré disait : « Avec l’intuition nous inventons, avec la raison nous démontrons, mais dès que nous commençons à raisonner nous coupons le processus de l’intuition ».

Il est temps à mon sens de remettre à l’honneur l’intuition qui se conjugue avec l’imagination. Depuis Descartes et les philosophes des lumières, nous donnons trop de poids au pouvoir de la raison et de la volonté. Ce que déplorait Einstein qui disait : « L’intuition est un don sacré, la raison un bon serviteur. Nous avons créé une société qui honore le serviteur mais a oublié le don ».

Je pense qu’il y a d’autant plus d’urgence à réhabiliter ce don que nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, incertain, imprévisible, voire chaotique. Il s’agit désormais moins de résoudre des problèmes que d’inventer des possibles.

Je suis en face d’un public cartésien et je vais donc vous présenter trois parties. En première partie nous verrons ce qu’est l’intuition, comment elle se manifeste, en seconde partie comment lui faire davantage confiance, comment la cultiver puis dans une troisième partie comment la libérer.

 

L’intuition est un processus inconscient qui jaillit soudain dans la conscience sans passer par un raisonnement logique, et cela indépendamment de notre volonté. Elle se manifeste sous forme de flash et de ressenti fulgurant ou d’une petite voix intérieure ou encore au travers de rêves inspirants ou prémonitoires. Ces messages sont toujours surprenants car ils dérangent nos habitudes et nos certitudes. Nous avons alors tendance à zapper plutôt qu’à explorer ces messages, nous suivons la voix plus rassurante de la raison qui, avec ses explications et ses démonstrations, nous donne le sentiment de savoir où nous allons, même s’il s’agit d’une impasse.

Pour Socrate, l’inconscient détient tous les savoirs. L’art de ce philosophe était de faire accoucher les esprits de ce qu’ils savaient déjà, sans savoir qu’ils le savaient. Son fameux « Connais-toi toi-même ! » ne veut pas dire « Introspecte-toi ! », cela veut dire « Connecte-toi à cette sagesse enfouie dans tes profondeurs car il y a en toi tout ce qu’il faut pour que tout marche bien ». Sa méthode maïeutique veut précisément dire en grec accoucher, et par ses questions il amenait progressivement ses disciples à lever le voile qui recouvre le champ de conscience.

Notre champ de conscience n’est qu’une toute petite boucle accrochée à l’immense sphère de l’inconscient qui signifie conscience du dedans. Jung a été le premier psychologue à parler de la sagesse de l’inconscient, contrairement à Freud qui voyait dans l’inconscient l’entrepôt de tout le mal qui demeure en l’homme. En fait, Freud confondait l’inconscient avec ce qu’il appelait le Ça, c'est-à-dire le subconscient qui est tout ce que nous refoulons, que nous ne voulons pas voir, ainsi que nos désirs, nos fantasmes, etc.

Malheureusement cette vision négative de l’inconscient continue à imprégner une grande partie de nos contemporains. Pour eux, ouvrir les portes de l’inconscient, c’est ouvrir la boite de Pandore avec le déferlement de tous les maux de l’humanité.

 

L’intuition est d’origine mystérieuse. Malgré les progrès des neurosciences, il n’a jamais été démontré que l’intuition soit localisée dans le cerveau, alors que nous savons que nos émotions sont localisées dans le cerveau limbique, nos pensées, nos jugements dans le cortex pré frontal et nos instincts dans le cerveau reptilien. Je crains que les immenses progrès des neurosciences réduisent l’homme à son cerveau, nient sa part de mystères et oublient qu’il est aussi un esprit au sens spirituel du terme et pas seulement intellectuel.

Selon les physiciens quantiques, nous baignons dans un champ d’informations quantiques dans lequel tout est lié, tout se tient. L’univers n’est pas une masse inerte mais un organisme vivant. Il nous envoie constamment des informations et le génie est celui qui est capable de se connecter à ces informations au travers son intuition. Bien sûr l’intuition ne tombe pas au hasard sur une personne, elle repose sur un socle d’expériences, mais chacun de nous, dans son domaine particulier, est un génie. Un génie à condition que le mental ne vienne pas s’y opposer. Alors nos intuitions s’imposent comme une évidence.

En général, l’intuition s’accompagne d’un sentiment de liberté et de joyeuse légèreté. Cela nous permet de la distinguer des fausses intuitions qui sont la projection de nos désirs et de nos craintes sur une personne ou dans une situation donnée. Si l’intuition vient d’ailleurs, elle transite néanmoins par le cœur et les entrailles. En Occident, nous commençons tout juste à reconnaître l’intelligence du ventre qualifié de deuxième cerveau. Mais pour les bouddhistes, les hindous, les taoïstes, le ventre est beaucoup plus qu’un deuxième cerveau. Le ventre est le centre de notre énergie vitale directement connecté au souffle de l’univers. Les bouddhistes l’appellent le hara. Ce point est situé trois doigts sous le nombril, nous pouvons le sentir en expirant longuement.

Tous les matins, les Chinois font du tai chi chuan, du qi gong pour se régénérer. N’oubliez pas aussi que, chez les femmes, c’est le lieu où se forme l’enfant.

Connaître, ce n’est pas seulement expliquer, montrer. Connaître, c’est aussi sentir, ressentir, entrer en résonance avec les êtres et les choses. Si nous pensons avec la tête, nous ressentons avec nos tripes et notre cœur. Pour tous les mystiques, résonner est plus important que raisonner. Lorsqu’ils embaumaient des morts, les Egyptiens mettaient le cœur et les viscères dans des vases canopes et jetaient la cervelle parce qu’elle ne sert qu’à exécuter ce qui sort de notre cœur et de nos entrailles. Alors consultons davantage notre cœur plutôt que notre cerveau, écoutons mieux notre corps qui sait bien avant la tête ce qui ne va pas dans notre vie. Cela nous éviterait bien des maux physiques et psychiques.

Colette disait « Mon cœur est plus intelligent que ma tête ». Pour les bouddhistes, le corps est l’arbre de l’éveil et non pas, comme le pensaient Platon et Saint Augustin, le tombeau de l’âme.

Le Cogito de Descartes a été très utile en son temps pour sortir de l’emprise de l’église, toutefois le Cogito comporte deux erreurs. La première erreur est d’avoir coupé l’homme de la nature en faisant de lui le roi de la création, appelé à la dominer et à la soumettre. Nous en payons aujourd’hui le prix par des dégâts écologiques sans nom. La deuxième erreur est d’avoir réduit l’homme à sa pensée rationnelle, considérée comme la mesure de toute chose. Descartes célébrait la raison alors que Pascal disait « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la dépasse ». Peut-on expliquer rationnellement l’amour, la foi, la passion, la beauté infinie de la nature ? Je dirais qu’expliquer, c’est simplifier et simplifier, c’est falsifier en partie le réel qui n’est ni simple, ni clair mais complexe et paradoxal. Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe. La raison permet de résoudre des problèmes compliqués mais elle est impuissante face à la complexité d’une situation. Apparaît alors l’intérêt de développer son intuition.

 

C’est le sujet de ma deuxième partie : Comment lui faire confiance ? Tout simplement en prenant conscience des limites de la raison qui est, en paraphrasant Einstein, « une bonne servante mais une mauvaise maîtresse ».

La raison est devenue trop lente, c’est sa première limite. Le temps d’élaborer de nouveaux modèles, de nouvelles lois, tout évoluant si vite, la raison est déjà dépassée. La deuxième limite de la raison est qu’elle est imperméable aux signaux faibles. C'est-à-dire qu’elle agit sur la croûte du réel, elle analyse parfaitement bien la banquise mais elle laisse de côté l’océan qui coule en dessous. Or aujourd’hui, c’est là où tout se joue, d’où cet adage chinois « Qui voit l’invisible est capable de l’impossible ». En effet, dans l’invisible se trouvent tous les germes annonciateurs du futur. Certains germes doivent être cultivés, d’autres au contraire arrachés avant qu’il ne soit trop tard.

L’attention permet au dirigeant de détecter les tendances porteuses sur lesquelles s’appuyer, de détecter aussi les dangers à venir afin de redresser la barre avant qu’il ne soit trop tard. Kodak a disparu parce que ses dirigeants, trop attachés à un business model qui avait fait ses preuves, n’ont pas su capter l’essor inouï qu’allait prendre le numérique. Alors c’est l’un de leurs ingénieurs qui avait inventé l’appareil photo numérique ! Un autre exemple est Digital Equipment qui était le plus gros fabricant d’ordinateurs au monde. Il a disparu en 1999 parce que son président n’a pas cru en l’avenir de l’ordinateur individuel. Il a raté le virage du PC. On constate avec ces deux exemples qu’à trop s’attacher à la croûte du réel, on finit par s’encroûter.

Le danger de la pensée rationnelle est de s’enfermer dans son raisonnement et de devenir sourd et aveugle à son environnement, sourd aux idées nouvelles, aveugle aux signaux faibles.

L’origine latine d’intelligence vient de Interlegere qui veut dire lire entre les lignes. Elle désigne la capacité à lire les signaux faibles qui apparaissent entre les lignes. Intelligence vient également de Interligare, la capacité de relier les choses entre elles. A l’heure d’internet qui nous bombarde d’informations mieux vaut connaître dix choses et leurs rapports que dix mille choses éparses. Or la raison cherche constamment les causes à l’origine d’un évènement, d’un phénomène, fort de l’idée venant d’Aristote qu’il n’y a pas d’effet sans cause. Le monde est devenu un énorme réseau inter connecté où les évènements inter agissent, rétro agissent les uns avec les autres dans un rapport de résonnance et non plus dans une relation de cause à effet. Nous le voyons avec la crise financière de 2008 et aujourd’hui avec la pandémie.

 

Cela me conduit à la quatrième limite de la raison, qui est conflictuelle, forte de l’idée que la vie est un combat. Le plus fort en arme remporte une bataille, le plus fort en argument emporte le débat. Si j’ai raison, l’autre a forcément tort, oubliant que la vérité a toujours un pied dans le camp adverse.

Einstein disait « Nous avons absorbé la dualité avec le lait maternel ». Il n’y a pas d’alternative, si j’ai raison, l’autre représente le mal et doit être éliminé. Kafka disait « La guerre est un manque monstrueux d’imagination » alors que l’intuition permet toujours de trouver une troisième voie. Le meilleur exemple est le récit de l’évangile de la femme adultère sur le point d’être lapidée. Jésus ne tombe pas dans le piège de la dualité, il prend le temps d’imaginer une troisième voie qui permet de la sauver « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ! »

Selon Gaston Bachelard, l’intuition est la reine des facultés et non la folle du logis comme le pensait Malebranche. Selon Bachelard « L’imagination commence, la raison recommence ». La raison répète mais ne crée rien de nouveau mais surtout elle ne sait pas gérer l’imprévisible, d’où la recommandation de Bachelard de penser contre son cerveau.

Le cerveau comme inhibiteur de l’intuition et de l’imagination constitue un nouveau paradigme à creuser. Le cerveau est semblable à une gare de triage. Non seulement il filtre les informations venant de l’inconscient car les messages dérangent la zone de confort du cerveau, mais il filtre également les informations du monde extérieur en ayant tendance à retenir le négatif plutôt que le positif. Cette attitude, cette réaction, est le résidu de l’instinct de survie animale. Les médias, le savent bien et pour augmenter l’audimat, elles déversent continuellement des flots de mauvaises nouvelles.

Alors comment faire pour ne pas se laisser prendre dans ce flot de mauvaises nouvelles ? Comment libérer notre intuition ? Il s’agit de réhabiliter notre sensibilité car elle est la mère de l’imagination et de l’intuition. Nos sociétés actuelles ne favorisent pas son expression.

Tous les enfants, à leur naissance, sont hyper sensibles. L’école maternelle encourage la sensibilité de l’enfant mais dès qu’ils atteignent l’école primaire, ils entrent dans un moule stérilisateur. Beaucoup d’adultes pensent que sensibilité est synonyme de fragilité alors que la sensibilité est un don, une force extraordinaire. Ce sont les êtres sensibles qui ont fait évoluer l’humanité. Ils ne sont pas parfaits, certes, mais ils sont visionnaires et s’engagent pleinement dans ce qu’ils font. Je peux citer Jeanne d’Arc, Coco Channel qui a inventé au début du siècle dernier la mode garçonne, Mandela, Gandhi, le Général de Gaulle, Martin Luther King, Edgar Morin, le père de la pensée complexe, André Malraux qui dès les années 70 alertait sur le manque de spiritualité de notre civilisation, la première à avoir perdu le sens spirituel, et aussi tous ces héros du quotidien, vous-même, chacun dans son domaine, qui font bouger les lignes.

Montaigne disait « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine ». Je dirais « Un cœur sensible, c’est encore mieux ! »              Parce que c’est par les sens que l’on retrouve le bon sens. Ils sont davantage connectés à la réalité que la pensée. C’est par les sens que l’on trouve aussi le sens de sa vie, les sens de son être spirituel. Un jour une journaliste posa une question à Frédéric Mazzella, le fondateur de Blablacar « Pour vous que signifie être spirituel ? » Il répondit « C’est avoir tous les sens en éveil pour mieux comprendre le monde qui m’entoure, lui trouver un sens et le faire progresser ».

Vous voyez que la spiritualité n’est pas réservée aux seuls contemplatifs, elle est constitutive de la nature humaine, elle accroit notre clairvoyance et notre efficience pour peu que l’on sache lever le pied. Léonard de Vinci le dit bien « Sachez vous éloigner de votre travail, quand vous y reviendrez votre jugement sera plus sûr et votre créativité plus grande ».

Foncer, c’est s’enfoncer ! Se précipiter, c’est aller droit au précipice ! La lenteur aiguise nos sens, la rapidité les émousse !

Il importe donc de s’accorder chaque jour des temps de respiration, déconnecté de ses écrans. Un jour à une convention APM, Sylvain Tesson a dit « Eteignez tout et le monde s’allume ». Ce temps de respiration est nécessaire pour retrouver l’inspiration et nos aspirations profondes. Remarquez que dans aspiration, inspiration, respiration se trouve le radical spir de spiritus qui veut dire le souffle. Sans ce souffle, l’être humain s’essouffle et devient désert. C’est toujours dans les moments de relâchement, d’abandon, que l’inspiration surgit. C’est dans sa baignoire, calme et détendu qu’Archimède poussa son fameux cri « Euréka ! » De même, c’est en faisant la sieste sous un pommier que Newton découvrit la loi de la gravitation. Nietzche disait « Une idée survient quand elle veut, et non pas quand je veux ».

 

Toutes les traditions occidentales mais aussi orientales proposent des pratiques pour ouvrir nos sens, la sensibilité ne pouvant pas se développer dans un corps dont les sens sont atrophiés. Sensualité et spiritualité forment une unité indissociable.

A chacun de trouver sa voie. Vous avez le yoga, la lecture, l’écriture, la peinture, la marche… La seule condition pré requise est la lenteur. Nos anciens préconisaient la contemplation de la nature, les asiatiques privilégient la méditation. Il ne faut pas confondre introspection et méditation. L’introspection est très utile car elle permet d’analyser nos disfonctionnements psychiques mais nous restons tout de même toujours dans notre mental avec le moi qui juge, alors que la méditation permet de mettre notre mental en veilleuse. Elle désactive progressivement le cortex préfrontal, siège de la pensée et le cerveau limbique, siège des émotions. Elle procure un triple bienfait. Le premier est de voir la réalité telle qu’elle est et non pas telle qu’on le craint ou le désire. Le deuxième est de retrouver de l’énergie car c’est fatigant de penser toute la journée, sachez que nous avons en moyenne 60 000 pensées par jour. De plus nous restons souvent bloqués sur des idées noires que nous ruminons inlassablement. L’intérêt de la méditation est que l’on retrouve de l’énergie en arrêtant progressivement de penser. Et le troisième bienfait de la méditation est qu’elle libère des capacités captives en nous. La méditation connaît un franc succès depuis que Christophe André l’a introduite en 2004 à l’hôpital Sainte Anne. L’erreur serait de mettre la méditation dans les techniques de développement personnel qui foisonnent de nos jours alors qu’il s’agit de développement impersonnel. Nous découvrons, en faisant le vide dans sa pensée, qu’au plus profond de nous, existe un espace impersonnel, intemporel, lumineux, libre, c’est à dire non conditionné, mais également créatif. C’est le fameux cri de Rimbaud « Je est un autre ! ». Ce Je est distinct de l’égo, il est divin. Les hindous l’appellent le Soi pour le distinguer de l’ego. Plus nous développons ce Je impersonnel ou ce Soi impersonnel, c'est-à-dire notre part divine, plus nous devenons un être singulier, original. Alors nous osons être nous-même. Nous n’imaginons pas à quel point, nous tous ici présents, nous sommes conditionnés par notre milieu, par la société dans laquelle nous vivons, sur le plan social, culturel, religieux. Un jour je me suis réveillée en me disant « Ma fille si tu veux à tout prix rentrer dans un moule, tu en sortiras comme une tarte ! » Ce fut une libération.

La société occidentale nous transmet un certain nombre d’idées, comme la valorisation des émotions. Les émotions sont véritablement martelées par les médias, au point de devenir une vérité quasi scientifique, or que dit Karl Popper ? « Une idée qui se présente comme irréfutable n’est pas scientifique, c’est une idéologie. » Plutôt que de parler d’intelligence émotionnelle, nous devrions parler d’intelligence intuitive et je me demande si ce culte des émotions n’est pas le pendant de la froideur de la raison. Un exemple, la télévision. Elle est devenue la télévision de l’émotion, la marque de fabrique des complotistes et des manipulateurs. Pour les sages de tous les temps, les émotions sont perturbatrices car elles provoquent des courts circuits intérieurs qui dilapident notre énergie, plombent notre intuition et voilent la réalité. Nous confondons sensibilité et émotion. Il suffit de regarder Donald Trump qui est constamment sous l’emprise de ses émotions et coupé de toute sensibilité.

Le mot émotion est apparu au XVI° siècle du latin movere qui veut dire ébranler, troubler, agiter. Auparavant on parlait de mouvement d’humeur, d’affect, que l’on opposait à la tempérance, à l’équanimité. Spinoza conseillait d’explorer avec attention nos émotions car, disait-il, « L’homme ne naît pas libre, il le devient ». Pourquoi ne naît-il pas libre ? Justement parce qu’il est mû par ses émotions.

Le bouddhiste Mathieu Ricard fait une distinction très pertinente entre empathie et compassion. Auparavant nous ne parlions pas d’empathie mais de compassion, encore un nouveau mot. L’empathie est une émotion qui consiste à entrer dans la souffrance de l’autre au point d’en faire trop, jusqu’au burn out. Être empathique, c’est être le papier buvard de la souffrance de l’autre. Quant à la compassion, elle est la conscience de la souffrance de l’autre, tout en gardant un certain recul pour pouvoir l’aider. Dans l’évangile, un grabataire à la piscine de Bethesda se plaint qu’il n’y a personne pour le conduire au bain. Alors Jésus commence par écouter ses plaintes, l’observe et soudain lui dit « Lève-toi et marche ! » Voyez, la compassion est la capacité de réveiller le potentiel dormant dans une personne.

Deux mots sur décider et choisir. Nous choisissons rationnellement et à condition d’arrêter de cogiter, et nous décidons intuitivement,

La genèse nous apprend qu’Eve fut tirée d’Adam dans son sommeil. Voilà une belle image qui veut dire que la sensibilité s’éveille quand la raison dort. Eve est notre pôle féminin, Adam notre pôle masculin, en chinois c’est le Ying et le Yang. Le lâcher-prise bouddhiste ne veut pas dire laisser tomber mais laisser venir, ne pas s’obstiner. C’est en faisant le vide en soi, le vide de soi que l’illumination surgit.

Depuis Héraclite, nous répétons « La nature a horreur du vide ! » et « Vouloir, c’est pouvoir ! » Cela nous laisse croire que nous sommes seul maître à bord et que nous pourrons toujours arriver à nos fins, or à trop vouloir en faire, plus rien ne va et nous en sortons exsangue. C’est en ce sens que Lao Tseu a dit « Qui s’efforce nuit à sa force ! » Pressés à vouloir atteindre nos objectifs, nous passons à côté des opportunités qui se présentent.

Le chemin est plus important que le but, et le chemin se trace en marchant, en prenant son temps. Le chemin n’est pas une ligne droite, c’est une spirale. Il est fait d’avancées, de reculs, de détours, de bifurcations. Aller droit au but, c’est aller droit au mur. J’adore cet adage chinois « L’arbre tordu vivra sa vie, l’arbre droit finira en planches ». Alors aujourd’hui, soyons un surfeur plutôt qu’un lutteur. Le surfeur utilise le potentiel de la vague pour progresser mais il sait aussi attendre la bonne voie et quand la bonne vague se présente, il fonce.

Je conclurais en disant que dans ce temps de bouleversements sans précédent, ce dont le monde a besoin, ce sont des voyants et non plus des croyants, des hommes et des femmes qui voient le réel en 3D. Si en surface les contraires s’opposent, en profondeur ils se rejoignent.

Intuition et raison, action et repos, méditation et introspection, douceur et force, lenteur et rapidité, affirmation de soi et oubli de soi et, coopération et compétition. Vous voyez que je mets le féminin avant le masculin car tout ce que j’ai dit en premier temps relève du féminin de notre être.
La voie juste réside dans la conjugaison de nos deux pôles, soit en même temps, soit alternativement. Tout dépend des situations. Pour le savoir, notre troisième œil est notre meilleur guide pour mettre tantôt l’accent sur le pôle féminin, tantôt sur le pôle masculin. Le troisième œil, l’œil spirituel ou l’intuition, relève du féminin de l’être. C’est pourquoi Lao Tseu dit « Connais en toi le masculin mais adhère au féminin et tu deviendras la vallée du monde, le lieu où tout converge et se rassemble ».

Les questions : 

 L’intuition d’un point de vue éthique rejoint chacun d’entre nous, rejoint toutes nos sensibilités spirituelles. Tu as parlé d’émotions, peut-être serait-il intéressant de parler de motion ? Les Anglais distinguent esprit et mental, en français il peut y avoir confusion. La dimension de la motion rejoint l’esprit, c'est-à-dire au-dessus du mental. On sent là qu’il y a de la vie et on va de l’avant, tout un chacun peut vivre cette expérience. Toute notre liberté consiste à dire oui à cet élan qui habite en nous, dans notre spécificité et notre vérité, et à dire oui à la construction dans laquelle nous sommes pour le bien commun.

Il n’y a rien à rajouter sinon que nous aspirons tous à vivre avec légèreté et simplicité. J’aime le poète Chesterton qui disait « Les anges volent parce qu’ils se prennent à la légère ».

L’humour, en français commence comme humilité et se termine comme amour, le français est une langue magnifique.

 Depuis l’enfance j’ai toujours été fasciné par la magie du monde vivant, de l’infiniment petit à l’infiniment grand et j’ai toujours essayé de développer mon intuition, un peu comme si notre planète Terre était un immense cerveau et que nous étions tous des neurones en interaction les uns avec les autres. Je me disais que l’intelligence pouvait se traduire comme un ensemble d’actions que l’on pouvait créer au quotidien en contribuant à l’équilibre avec ce qui nous environne sans créer de souffrance. Le petit hic est l’éducation qui est derrière tout ça, les écoles qui nous conditionnent et le mental qui se met en marche. On cherche à répondre à toutes nos questions, on prend souvent appui sur des maîtres à penser, et tout de suite j’ai l’impression qu’il y a une petite part d’ego, quelque fois d’orgueil, pour affirmer des positions.

Voici ma question qui se formule sous forme de pensée. Stephen Hawking disait « L’univers est tel qu’il est parce que nous le concevons ainsi ». Alors si on module notre façon de penser, si on se fie totalement à notre intuition, à nos ressentis, en se connectant au tout, au monde végétal, minéral, animal. L’intuition ne serait-elle pas la clé de l’avenir pour que tout ce qui nous entoure nous inspire plutôt que d’être une source de consommation ?

Malraux disait bien « Le troisième millénaire sera spirituel ou ne sera pas ! »

C’est bien vers cela qu’il faut tendre mais il ne faut pas oublier la raison car nous avons besoin de mettre des mots sur nos intuitions. Je rends hommage à tous ces grands savants et grands mystiques qui, mieux que je ne saurais le faire, me donnent des mots pour le formuler parfaitement. J’ai besoin de m’appuyer sur eux.

Pour faire écho à ce qui vient d’être dit. Les Indiens, les Hopis je crois, ont un rapport à l’universel qui se traduit par « Au nom de ce à quoi j’appartiens ». D’une autre manière, Romain Rolland parlait du sentiment océanique, il en a beaucoup discuté avec Freud. J’ai deux remarques et une question.

Une première remarque. La psychanalyse, quand elle a une fin, permet au sujet de se constituer et de s’offrir l’accès à la liberté que tu évoquais tout à l’heure.

Deuxième remarque. Je trouve qu’il est important aujourd’hui de voir que Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, estime que la prise en compte des affects doit être réintégrée dans l’analyse sociologique.

 Ma question est simple. Tu as parlé d’interligne et de troisième voie. Dans ce qui nous entoure, par exemple du génocide au Rwanda en 1994 à la pandémie d’aujourd’hui, quels sont selon toi, sans être trop personnel, tes interlignes, autrement dit, ces choses que tu vois toi, et que nous n’avons pas forcément perçues. Comment mets-tu en place ta troisième voie ?

D’abord nous ne pouvons plus rester spécialisés dans nos expertises, il faut s’ouvrir à toutes les disciplines. Nous ne pouvons plus non plus rester enfermés dans notre propre religion, il faut s’ouvrir à toutes les traditions du monde. Je suis effarée quand je vois nos hommes politiques qui ont fait l’ENA et qui ne connaissent rien des autres cultures, des autres religions. Ils ignorent comment fonctionnent un Chinois, un Arabe, un Algérien, etc. Je rends hommage à Hubert Védrine qui dit que les rapports entre la Chine et l’Occident sont toujours conditionnés par ce que nous considérons être un détail de l’histoire, le sac du Palais d’Eté. Victor Hugo le comparait à la destruction du Louvre et du Palais de Versailles. La Chine, grande puissance au XVIII° siècle y avait perdu la face, ce n’est évidemment pas un détail de l’Histoire, ça conditionne encore aujourd’hui nos relations. Cela devrait être enseigné à l’ENA.

J’ai enseigné en faculté et je voyais des jeunes de tous les pays tellement heureux de me voir rendre hommage à leur culture. En effet, nous aspirons tous à être reconnus pour ce que nous sommes. L’intégration oui, l’assimilation, non. Le respect de chaque culture, de chaque tradition est tellement important.

Les mots « ouverture » et « espérance » et « Deviens ce que tu es » sonnent comme un mouvement. Par rapport à l’intuition, j’aimerais entendre quelques mots de votre part sur ces aspects-là.

Je pense que l’intuition ouvre sur l’espérance. Je fais une différence entre l’espoir et l’espérance. Dans l’espoir nous sommes passifs, les choses vont s’arranger, tandis que dans l’espérance, nous devenons acteurs, nous nous lançons et faisons les choses sans être assurés du résultat.

Le moteur de l’ouverture et de l’espérance est l’intuition parce que dans nos tripes, au fond de nous, dans notre cœur, nous sentons que nous partageons tous les mêmes aspirations profondes. La première aspiration est bien sûr l’amour.

J’étais invité par Edgard Morin à faire une conférence sur les notions de résonnance. Je développais la facture instrumentale, la fabrication d’un instrument de musique. Pour qu’un instrument de musique entre en résonnance, il doit passer par des éléments, pas forcément visibles, comme la fameuse âme de l’instrument, d’ailleurs pas plus visible chez l’instrument que chez l’homme. Quand la corde vibre, elle transmet sa vibration au chevalet qui transmet sa propre vibration à la table d’harmonie puis à la caisse de résonnance. L’âme se situe juste en dessous du chevalet et si vous déplacez l’âme d’un millimètre au sein de la caisse de résonnance de l’instrument de musique, alors vous avez une perception erronée d’une vérité, vous vous privez de toutes les harmoniques qu’offre l’axe parfait de l’instrument. Si l’âme est déplacée, alors l’âme est hors la mort. C’est l’âme hors, la mort, un exemple de la langue des oiseaux ma chère amie !


Jean Staune
« Qui est Dieu ? »

Jean Staune est le fondateur de l'Université interdisciplinaire de Paris. Il a écrit de très nombreux livres. Celui qui est le plus en rapport avec le thème d’aujourd’hui est « Explorateur de l’invisible », mais aussi « Notre existence a-t-elle un sens ? » best-seller dans sa catégorie et « Les clés du futur ». Il est également expert APM, philosophe des sciences et des religions, il est diplômé en paléontologie, en mathématiques, en science de gestion. Marié à une chinoise, il connaît bien la philosophie chinoise, le Tao.

Jean Staune :
Je suis très heureux de vous revoir au CERA pour vous entretenir de choses que je n’ai encore jamais dites en public. Pour moi, c’est un moment important.
Quelles inspirations pour le XXI° siècle ? Je pense que ce dont nous avons besoin avant tout, c’est de sens. Nous avons besoin de sens parce que nous savons de mieux en mieux comment nous faisons les choses, comment aller sur la lune, sur Mars, comment fabriquer des téléphones portables. Mais nous savons de moins en moins pourquoi nous les faisons. Pourquoi aller sur la lune, demain sur Mars, pourquoi un IPhone 13, puis un 14-15-16… Paul Valéry disait « Nous irons promener notre angoisse sur la Lune mais ce sera toujours la même ». Nous avons besoin de sens et pour le sens, nous avons besoin d’un fondement, de quelque chose pour reposer autre chose, comme un arbre a besoin de racines. André Comte Sponville a fait un texte formidable de déconstruction « Nous ne pouvons pas fonder sur l’homme, il y a eu Mère Thérèsa mais il y a eu Hitler. Nous ne pouvons pas fonder sur la nature car il y a des choses admirables dans la nature mais aussi des choses horribles. Nous ne pouvons pas fonder sur l’Histoire, il y a eu les marxistes », le seul fondement possible pour André Comte Sponville qui est athée « C’est Dieu, mais manque de bol, Dieu n’existe pas ! » Donc nous devons fonder sans fondement, c’est très acrobatique et très triste. Il faut aimer la vérité d’un amour désespéré parce que la vérité ne nous aime pas. Si Dieu existe, c’est une vérité et cette vérité est susceptible de nous aimer, mais s’il n’y a pas de dieu, nous devons aimer la vérité alors que la vérité ne nous aime pas. Nous sommes dans cette situation de manque de fondement et la question qui se pose est la suivante : Et si André Comte Sponville qui a vécu une grande partie de la philosophie moderne, qui est agnostique ou athée, se trompait ? Et s’il y avait un fondement ?
Alors j’ai intitulé ma conférence « Qui est Dieu ? » C’est culoté comme titre, et ce qui est encore plus culoté, c’est que nous allons donner une réponse. D’abord Dieu est d’actualité, c’est une bonne nouvelle. Le Figaro Magazine en faisait ce week-end sa couverture et présentait le livre « Dieu. La science. Les preuves. La science, nouvelle alliée de Dieu ».

Ce livre vient de sortir, je n’en suis pas l’auteur mais je fais partie d’un groupe de consultants qui ont collaboré à sa rédaction pendant plusieurs années. La publicité du Figaro a donc commencé hier matin et hier soir, ce livre était le premier des ventes en France, toutes catégories confondues sur Amazon, devant Éric Zemmour indéboulonnable depuis plusieurs semaines. Dieu est plus fort qu’Éric Zemmour. Donc Dieu intéresse encore beaucoup.

Qui est Dieu ? Dieu, c’est Brahman.

Bien sûr ce sont des mots et il faut se méfier des mots pour saisir un truc qui est au-delà des mots.
Nous sommes dans l’Advaita Vedanta dans lequel apparaît un deuxième terme essentiel, la MAYA :

Bernard d’Espagnat, qui était l’un de mes principaux maîtres, m’a toujours dit « Si nous voulons une image pour exprimer le message de ce que la physique quantique nous dit de la réalité ultime, nous devons nous reporter au mythe de la caverne de Platon » :

Des hommes sont au fond de la caverne. Ils ne voient que des ombres qui se projettent sur le fond de la caverne, ce sont en réalité les ombres d’objets réels placés à l’extérieur de la caverne. Ils prennent ça pour la réalité parce qu’ils n’ont pas le choix. Platon explique bien que nous sommes exactement dans la même situation. Bernard d’Espagnat me disait « L’image que la science nous donne du réel, c’est exactement ça ». Ça, c’est la Maya, c'est-à-dire l’idée que les ombres que vous voyez sur le fond de la caverne est la vraie réalité.

Maya peut se traduire par illusion ou par miroir déformant.
Il y a un troisième terme dans l’Advaita Vedanta, Ishvara, qui est essentiel mais moins connu :

Retenez, Brahman est l’absolu, l’ultime réalité, le tout. La Maya est le miroir déformant, nous sommes comme dans la caverne de Platon, et Ishvara est le seigneur du monde, appelé Dieu dans les traditions du monde.

Un des plus grands mystiques chrétiens, Maître Eckhart distingue la déité de Dieu.

Il y a cinq ou six ans, une nuit, j’ai eu une intuition. J’ai soudain compris que l’Advaita Vedanta, avec l’idée de Brahman et avec l’idée d’Ishvara, Seigneur du monde, c'est-à-dire Dieu, sont exactement la même chose que ce que disait Maître Eckhart. Alors j’ai beaucoup pleuré dans mon lit parce que, quand on sait que l’on a une intuition vraie, on le sent profondément et le temps n’existe plus. J’ai senti ce jour-là un truc énorme : Dieu au-delà de Dieu comme il y a Brahman au-delà d’Ishvara. Il s’agit de la même chose dans deux traditions a priori très différentes.

Jacob Böhme, mystique protestant, sabotier, n’a jamais rien lu, mais il avait la connaissance infuse, ça lui venait de l’au-delà, il n’a évidemment pas lu Maître Eckhart :

L’Évangile nous dit que personne n’a jamais vu Dieu. La bible juive et le Tao disent la même chose :
- Personne n'a jamais vu Dieu (Jean 1:18)
- C'est que nul n'a vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu, celui-là a vu le Père (Jean 6:46)
- L'Eternel dit : Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre (Exode 33:20)
- Si vous allez au-devant de lui, vous ne voyez point sa face ; si vous le suivez, vous ne voyez point son dos. (Tao Te King 14)

Et dans le Tao Te King, il y a des choses magnifiques (Tao Te King 14) :
- Vous le regardez (le Tao) et vous ne le voyez pas : on le dit incolore.
- Vous l’écoutez et vous ne l’entendez pas : on le dit aphone.
- Vous voulez le toucher et vous ne l’atteignez pas : on le dit incorporel.
- Il est éternel et ne peut être nommé.
- Il rentre dans le non-être.
- On l’appelle une forme sans forme, une image sans image.

Tao Te King 1 :
- (L’être) sans nom est l’origine du ciel et de la terre ; avec un nom, il est la mère de toutes choses.
- C’est pourquoi, lorsqu’on est constamment exempt de passions, on voit son essence spirituelle (Bramham) ; lorsqu’on a constamment des passions, on le voit sous une forme bornée (Ishvara).

Vous voyez c’est Dieu et la déité, c’est Brahman et Ishvara. Il y a le Tao sans nom, le truc innommable, que l’on ne peut pas voir, que l’on ne peut pas nommer, mais il y a aussi le Tao avec un nom qui lui est la mère de toute chose. Et pourtant le Tao Te King est très différent de l’Advaita Vedanta qui est très différent du christianisme. Vous commencez à voir que derrière tout ça il y a peut-être quelque chose de sérieux à découvrir, qui pourrait être un fondement, et que ce n’est pas le fait du hasard. Finalement l’affirmation « Dieu n’existe pas ! » de notre ami André Comte Sponville était peut-être un peu rapide.
Prenons maintenant un païen, un philosophe néo platonicien, Plotin, un très grand penseur qui dit « Il y a l’un au-delà de l’être. » :
• L’Un et l’Etre chez Plotin
• De ce qui est absolument Un découle tout le reste.
• L'Un permet l'être.

Regardez maintenant le Zohar, un des grands textes sacrés juifs (Le Zohar, éditions Verdier, page 94) :
• « Dans le commencement il a créé Élohim »
• Splendeur : c'est à partir d’elle que tous les dires ont été créés en secret par le déploiement du point de cette splendeur enfermée.
• Si pour Élohim il est écrit « créé », ne t'en étonne pas car il est écrit : « Il créa l’homme dans la ressemblance à Elohim ».
• Splendeur, c'est au commencement, l’antériorité absolue dont le nom est « Je serai ».

Elohim, c’est Dieu. Au-delà de Dieu il y a la Déité, dans le Zohar cela s’appelle la Splendeur. C’est à partir d’elle que tous les dires ont été créés en secret par le déploiement du Point, cette Splendeur enfermée. Cela fait référence au big bang. Il y avait un Point et ce Point s’est développé. La Splendeur est à l’origine de tout. Dieu a dit à Moïse « Je suis Celui qui suis ! » au-dessus de Dieu. Dans la Kabbale, dans le Zohar, son nom est « Je serai » parce qu’il a en lui la totalité du futur des êtres. Encore une fois c’est Dieu et la Déité

Regardons maintenant dans la Kabbale, ce que nous appelons Ein Sof et ses 10 Séphiroths :

Il est temps de synthétiser, Qui est Dieu ? vous avez là la perception humaine de Dieu :

Vous avez aussi Dieu qui parle de lui-même. Il y a là une unité de pensée indo-judéo-chrétienne et chinoise. Nous trouvons exactement le même concept, la même articulation et là, nous commençons à trouver quelque chose de solide parce que nous sommes à la recherche de fondements pour un monde en mutation qui en a rudement besoin.

Qui sommes-nous ?
Le plus grand mystique de l’Advaita Vedanta est :

Ramana Maharshi se contentait, pendant des années, de dire à ses disciples « Qui suis-je ? »

• Je ne suis pas ce corps
• Je ne suis pas l’ensemble de mes perceptions
• Je ne suis pas cet ensemble d’activités
• Je ne suis pas cet ensemble de désirs
• Je ne suis pas cette force vitale qui est en moi
• Je ne suis même pas ce mental qui pense
• Je suis au-delà de ça

• La physique quantique nous dit que :
• La réalité ultime n’est pas dans l’espace
• La réalité ultime n’est pas dans le temps
• La réalité ultime n’est pas de l’énergie
• La réalité ultime n’est ni duelle ni non duelle

Ramana Maharshi dit « Cette pure Conscience qui seule demeure - CELA je suis. »

Et quand nous lui demandons :
• Peut-il y avoir réalisation du Soi tout en expérimentant le monde comme réel ?
• Non, ce n’est pas possible : tant que ne cesse la croyance dans la réalité du monde, la réalisation du Soi, le substrat, ne peut être obtenue.

Et vous voyez à quoi sert la Maya. Pourquoi avons-nous ce miroir déformant devant nous ?
• Quand le mental émerge du Soi, le monde surgit. Ainsi, lorsque le monde apparaît (comme réel), le Soi n’apparaît pas ; et lorsque le Soi apparaît (ou resplendit), c’est le monde qui n’apparaît pas.
• Si on s’interroge assidûment sur la nature du mental, celui-ci finira par disparaître, laissant seul le Soi. Ce qui est désigné comme le Soi est l’âtman.

En occident nous avons un très grand visionnaire, c’est Teilhard de Chardin :

C’est exactement ce qui dit Ramana Maharshi, nous ne sommes pas ceci, pas cela… nous sommes l’Atman, nous sommes le Soi.

Maintenant la question qui se pose est « Quel est notre rapport à Dieu ? »
Nous sommes devant quelque chose de très paradoxal

Or je viens de vous dire, en première partie, que Brahman est complétement étranger, complétement intouchable et l’on nous dit ici que toutes les créatures sont réellement brahmanes. C’est l’essence et la conclusion de tous les védas, nous dit-il. Cela veut dire qu’il y a une équation fondamentale dans l’indouisme :
Atman = Brahman

• (ou rejoint le)
• (Ou fusionne avec)
• Unité de l'atman et du brahman
• La nature de l'ātman est identique à celle du Brahman
• L'âme, ou le soi (Atman), est exactement égale à Brahman.
• L'Hindouiste qui parvient à identifier son Atman individuel au Brahman cosmique réalise son salut.
• (Jacques Henri PREVOST)

Chez les chrétiens, monothéistes, nous apprenons que Dieu et la créature sont très différents. Dieu nous a créé et nous, nous sommes la créature.

Prenons cet autre mystique indou Ramakrishna :

Ramakrishna nous dit : « Vous cherchez Dieu, cherchez-le dans l’homme »
Et Maître Eckhart :

• Comme le dit saint Augustin :« L’amour nous fait devenir ce que nous aimons ». Devons-nous dire à présent: quand l’homme aime Dieu, il devient Dieu? Voilà qui sonne hérétique. Dans l’amour que prodigue un homme, il n’y a pas Deux mais Un et Union: aussi , par l’amour, suis-je plus Dieu que je ne le suis en moi même. Ecoutons le prophète : « Je vous le dis, vous êtes des Dieux, des enfants du Très Haut » (psaume 82,5)? Voilà qui sonne étrangement : que l’homme puisse devenir Dieu par amour; c’est pourtant la vérité , une vérité éternelle.
• Sermon 5a

C’est exactement ce que dit Maître Eckart.

C’est exactement ce que dit Maître Eckhart, à 500 ans d’intervalle : « Je suis devenu toi comme tu es devenu moi … » et l’émir de Bagdad lui a tranché la tête.

Ce que je viens de vous montrer, ce concept complètement autre, complètement transcendant, innommable, invisible et intouchable, dit qu’en fait Dieu est plus près de nous que nous même, il est en nous-même « Le royaume de Dieu est en vous ». Il y a une cohérence générale dans l’expression extérieure des religions.

Qu’est-ce qui définit une religion et qu’est-ce montrent les religions ?
Le plus grand argument contre les religions est les guerres de religion. Se tuer au nom de Dieu miséricordieux, au nom de Dieu amour ne se comprend pas.

Une religion est quelque chose qui dure très longtemps, qui rassemble beaucoup de gens. De plus, je vous garantis qu’il n’y aura jamais de Saint François d’Assise de la secte Moon ni de l’Eglise de Scientologie car ce qui compte, c’est la qualité des mystiques qui vivent dans leur chair la proposition qui est faite par un fondateur.
Prenons un cas pratique. Il y a une religion qui s’appelle Bahaïsme. Au XIX° siècle un gars, Le Báb se présente, « je suis la porte » et on lui coupe la tête.

Ses disciples se lèvent et l’un dit je suis le Baha Allah, celui qui a été annoncé. On ne lui a pas coupé la tête, on l’a mis en prison. Il a écrit à tous les grands de la planète et a fondé une religion, le Bahaïsme. Moi, je dis à mes amis bahaïs « Rendez-vous dans 400 ans, si vous êtes encore là, si vous rassemblez des millions de gens, s’il y a eu de grands esprits bahaïs alors OK ».

Maintenant revenons à la question : « Qu’est-ce qu’une religion ? Qu’est-ce qui différencie une religion d’une secte ? »
Râmakrishna
• J'ai pratiqué toutes les religions, du christianisme à l'islam et j'ai suivi chacune des voies propres aux diverses sectes de l'hindouisme. Et il m'est apparu que par des voies différentes toutes cheminent à la rencontre du même Dieu.

Ramakrishna a fait son chemin au travers de toutes les religions, mais pour Mansûr Al-Hallaj il faut pousser les gens à essayer plusieurs religions, successivement tout de même parce que la vérité est dans la multiplicité.

Revenons maintenant en Occident, je vais vous parler de personnes très peu connues.
Le premier s’appelle :

Ce livre, assez difficile à lire, est le livre mystique le plus important de ces trois derniers siècles. Pour Eckartshausen, le siècle des lumières qu’il vit n’est pas du tout des lumières, c’est celui des ténèbres « parce que vous avez oublié le fondement, vous voulez raisonner sur la seule raison humaine qui est limitée. »

Il y a trois ans, j’ai découvert cet homme, très humble, caché au fin fond d’un monastère trappiste :

Il a écrit un livre incroyable avec l’accord de ses supérieurs de la grande Trappe « Doctrine de la non dualité ». Il a touché la vérité qu’il partage avec ses prédécesseurs éclairés.

Nous sommes maintenant dans l’unité des grandes religions.

Jetons un œil du côté des chamans sioux, les plus grands hommes de la médecine contemporains.

Black Elk et Fools Crow se sont convertis au christianisme sans toutefois abandonner leur religion. Ils ont voulu comprendre la religion des blancs et se sont rendus compte que c’était la même chose. A tel point que les évêques américains ont engagé des démarches pour la canonisation de Black Elk.

Cet Indien a tellement impressionné les Américains qu’ils ont donné son nom à la ville où siègent Boeing et Microsoft.

Je vous présente ce texte égyptien, très peu connu :

Ce texte est égyptien, vieux de 4500 ans :

Encore ici nous voyons l’unité, le socle déjà observé.

Toutes les religions sont égales et la déité est au centre :

Ce modèle classique n’est pas le mien. Un autre donné par Frithjof Schuon qui fut élève d’André Guénon me convient mieux, il s’agit de celui-ci :

Mais j’ai pour ma part développé ce modèle-là :

Il y a des trous de serrure, ce sont les points bleus. Chaque point bleu est un trou de serrure avec un œil. Par ces trous de serrure, nous pouvons voir l’au-delà. Chaque trou de serrure voit quelque chose avec des recoupements. L’élément en jaune ne peut pas être vu, par qui que ce soit, ni par le trou des bouddhistes, ni par le trou des chrétiens, ni par celui des musulmans. Peut-être sera-t-il visible par une personne particulièrement éveillée ? Et l’ensemble des trous de serrure ne nous permettra pas de voir la totalité.
Nous avons vu qui était Dieu. Nous avons vu qui nous sommes. Nous sommes Ātman. Nous avons vu le rapport entre nous et Dieu. Ātman = Brahman.
Il reste une question fondamentale « Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». « Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? »

Dieu a voulu créer le monde, voilà pourquoi il existe quelque chose plutôt que rien. Dieu est Tout et il a voulu être connu, être aimé, être en rapport avec l’altérité. Il a créé des êtres humains capables de libre arbitre. Dieu a volontairement et par amour abdiqué sa toute-puissance. A partir du moment où nous existons, Dieu a abandonné sa toute-puissance.

La spirale dynamique va vous faire comprendre le sens de la création.

L’amour d’un être humain est précieux car à tout moment, il peut décider d’y mettre fin. C’est ce que Dieu veut de nous. Dieu veut que, après un parcours libre, celui de la spirale, nous revenions librement en Lui par un acte d’amour et de plénitude. C’est ainsi que nous ferons un avec Dieu. Voilà le sens de création, voilà pourquoi il y a le big bang, pourquoi le monde existe, pourquoi il y a des religions pour nous guider, voilà pourquoi il y a un fondement possible pour le XXI° siècle. Il y a encore beaucoup à découvrir pour comprendre le sens de la vie.
Dieu est patient, il a beaucoup de temps. Nous sommes sortis de Dieu sans libre arbitre, le but est d’y entrer en plénitude et de faire un avec Lui.
Transcendons toutes les limites posées par les églises extérieures. C’est l’intérieur qui peut nous servir de fondement et nous inspirer pour le XXI° siècle.

Les questions :

Hesna Cailliau nous disait : « Ce qui nous oppose en surface s’assemble en profondeur ». Cela m’a fait penser au dessin que tu nous as montré. Quand tu regardes les choses par un trou de serrure, tu ne vois qu’un plan en clair-obscur et non pas un volume. Tu nous recommandais d’expérimenter différentes religions pour comprendre la vérité. Cette idée de regarder par différents trous de serrure, l’un après les autres permettrait de voir l’invisible.
Attention j’ai bien montré le truc en jaune qui n’est pas là par hasard, il contient ce qui t’échappera même si tu regardes par tous les trous de serrure.
Le truc en jaune veut dire que tu es comme dans la caverne de Platon. Dans la caverne, Platon le dit très bien, il a des gens qui peuvent sortir de la caverne. Ils voient qu’il y a un autre monde incroyable, merveilleux. Ils reviendront dans la caverne pour secouer ceux qui sont restés et leur montrer cet autre monde. Très souvent ils seront tués parce que ce qu’ils disent et font n’est pas acceptable, nous sommes dans la Maya. Ce fut le sort de Jésus et de bien d’autres.
C’est parce que nous sommes dans la caverne de Platon, c'est-à-dire dans un monde projeté et non dans le monde divin que quelque chose nous échappe. Certains hommes sont dotés du sensorium spirituel ouvert et peuvent avoir le contact, comme ci-dessous : « Hors les êtres éveillés, réalisés, nous ne pouvons le connaître que comme Ishvara à cause de la Maya. »
Surtout ne prend pas ce monde pour le vrai monde. Ce serait la pire erreur que tu puisses faire sur le plan spirituel.

Un jour je demandais à un scientifique athée quelle est la différence entre la disparition de la vie sur terre dans vingt ou trente ans et sa disparition dans quatre milliards d’années. Dans tous les cas nous sommes condamnés. Il n’a pas su me répondre. Par contre j’ai eu une réponse, celle d’un chrétien.
Cette terre est un monde de chenilles, de milliards de chenilles. Chaque chenille a pour but de devenir papillon. Malheureusement beaucoup d’entre elles s’égarent, elles ne veulent pas devenir papillon. Être chenille est confortable alors que la vie d’un papillon est risquée, entre autres il lui faut subir une métamorphose, la nouvelle naissance dont Jésus à Nicodème.
Voilà pourquoi la terre doit être préservée le plus longtemps possible, parce qu’elle est une porte qui permet à des chenilles de devenir des papillons. N’aimez pas la terre pour elle-même car elle va disparaître. Jésus l’a dit « la terre et le ciel passeront, mais mes paroles ne passeront pas ». Ne confondez pas le terre et la galaxie avec le vrai monde !

La difficulté est l’écart entre ce qu’ont perçu et dit les mystiques et la traduction en mots pour qu’ils soient compréhensibles. Je le traduirais par des voiles étendus pour masquer la vérité. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Voyons ce texte de Karl von Eckartshausen « La nuée sur le sanctuaire », c'est bien un voile qui couvre les vérités car nous ne pouvons pas tout donner à tout le monde.
La communion des saints sont les gens dans le sanctuaire le plus intérieur, les gens qui ont ouvert leur sens du divin, leur sensorium spirituel.

Il y a quelques temps quelqu’un m’a demandé quel était le livre le plus important du XX° siècle traitant de l’ésotérisme chrétien. Je lui ai répondu :

Valentin Tomberg nous dit :

Et sa vision telle qu’il l’écrit : « Ah ! Que vois-je ? Quelle joie inconnue encore à mon cœur de chair : Chrétiens et Juifs, Mahométans et Païens marchent de concert, la main dans la main ! »
Il voit l’unité des croyants.

J’ai été presque déçu de la vision des serrures car elles ne satisfont pas mon rêve d’idéal où toutes les religions pourraient se retrouver, avoir un dénominateur commun qui leur donnerait une attitude de non-violence les unes envers les autres. Selon vous, y-a-t-il des valeurs universelles vers lesquelles les religions pourraient converger afin d’éviter des frottements ponctuels ?
Mon dessin des serrures présente un défaut. Il faudrait quelque part un point que toutes les religions voient en même temps, un sanctuaire intérieur où tout converge. Je pourrais aussi adopter un modèle comme celui ci-dessous.

Je pense que chaque religion a sa spécificité et qu’il y a des raisons pour lesquels les gens adoptent une religion plutôt qu’une autre. Je veux respecter ces raisons, même si, depuis de longues années, je regarde par tous les trous de serrure.

Où mettez-vous les athées, les gens qui ne croient pas en Dieu ? Selon vous, qu’ont-ils raté, qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris ?
Le sensorium intérieur !
Si je prends mon cas personnel, je suis nul en dessin, en musique, en toute forme d’art. Je suis complètement nul dans plein de domaines où des gens excellent. Évidemment des gens sont nuls dans le domaine du sens des réalités invisibles, alors que se passe-t-il ? Dans ce cas-là, le chemin est long mais ils auront d’autres opportunités, d’autres conditions de vie pour ouvrir leur sensorium.


Malory Malmasson

« Quelles inspirations pour le XXIème siècle ? »

Malory Malmasson se qualifie comme thérapeute en mémoire cellulaire, psycho énergéticienne, plus simplement chaman. Elle a écrit beaucoup de livres, j’en ai retenu quelques-uns dont les titres assez évocateurs sont en phase avec notre laboratoire spirituel d’aujourd’hui. « L’art et la manière d’être soi », « 23 exercices pour s’affranchir de nos peurs et soigner nos blessures », « Développer vos facultés extrasensorielles, clairvoyance, vision à distance, channeling, magnétisme, nettoyage énergétique »

Elle a créé un site internet « Bien être et spiritualité » où elle propose, des formations gratuites en ligne.

Parmi ses autres livres, « Divine - Révéler les pouvoirs féminins du sacré » est peut-être le titre que je préfère « Foufoune cosmique, petit guide pratique vers une sexualité sacrée, consciente et épanouie ». J’accueille Malory Malmasson.

Malory Malmasson :

Pour moi la spiritualité est avant tout le lien avec le Tout qui passe aussi par le lien avec soi.

Pour commencer, j’aimerais vous inviter à prendre soin de votre intériorité. Si vous en avez envie, nous allons prendre le temps de méditer.

Vous pouvez fermer les yeux… vous mettre en lien avec votre souffle… vous mettre en lien avec votre respiration… prendre conscience de cette respiration… qui est là dans votre corps… qui amène la vie… Je vous invite à afficher un sourire sur votre visage… pour laisser l’énergie de ce sourire se diffuser à l’intérieur de vous, dans votre corps, dans la salle aussi… Je vous invite à sourire à votre  organe, à la vie qui est à l’intérieur de vous et qui fourmille… à ressentir de la gratitude pour cette journée en cours… Vous pouvez imaginer un cordon qui vous relie à toutes les personnes de cette salle… pour sentir à quel point nous sommes un tout, une famille vivante, une famille humaine…  qui fait l’expérience de la vie avec la même palette d’émotions… Je vous invite à avoir de la gratitude pour ça, pour toute la richesse humaine que nous vivons au travers de ces émotions… et en une expiration vous pouvez visualiser tout ce qui est bloqué dans votre corps, tout ce qui en vous est toxique, vous fatigue et pèse dans votre intériorité, et expirer vers l’extérieur... Prenez le temps d’évacuer tout  qui est dans votre corps, dans votre tête… et avec une bonne expiration, lente et profonde, vous refaites le plein d’énergie propre, de gratitude, d’amour, d’énergie solaire… et juste prendre le temps de ressentir votre corps, à quel point vous avez la chance d’être en vie, d’être en bonne santé, d’avoir tous ces sens qui sont là pour vous faire vivre des expériences uniques et fantastiques… voilà je vous remercie.

Je suis ravie d’être là, au milieu d’experts en religion, car mon chemin spirituel s’est fait en dehors la religion. En fait je ne suis pas passée par la connaissance, ni par les concepts, mais par l’expérience. Cela m’est arrivé de manière hyper brutale et un peu trop jeune. J’avais cinq ans quand cela a commencé. Je ne l’ai pas souhaité, je l’ai subi.

Pour vous donner le contexte, j’habite la région parisienne avec mes parents. Mon papa est policier, ma maman est surveillante pénitentiaire. Je ne vis pas dans un environnement en lien avec la spiritualité. Mes parents souhaitant vivre à la campagne, ils demandent leur mutation en Vendée, signent pour l’achat d’une maison mais au dernier moment la vente ne se fait pas. Mes parents sont pris de cours car, avec mon frère, nous sommes déjà inscrits à l’école et la mutation professionnelle des parents a déjà eu lieu, il leur faut impérativement trouver une maison. Mon père se rue sur une maison que par la suite ma mère appellera « le taudis ». Mon père voit le potentiel de cette maison tout en restant sur la réserve quand il considère son état. Après un emménagement satisfaisant, je déchante rapidement.

Mon malaise se manifeste par des terreurs nocturnes, je fais des cauchemars et perds le sommeil. Avec le temps, je me mets à sentir des présences. Je ne saurais pas les qualifier, mais elles étaient terrifiantes et oppressantes. Un peu plus tard je me mets à entendre des voix. Je suis la seule les entendre. Je n’ose pas en parler en me disant que je ne serai pas comprise. Au bout de quelques temps, je décide d’en parler à maman. Elle panique, se demande si je ne suis pas schizophrène. Plutôt que de choisir des psys, elle m’emmène voir des magnétiseurs qui travaillent dans l’énergie. D’après eux, j’aurais des dons, des aptitudes que je pourrais développer en grandissant. Ma mère, qui ne sait pas trop quoi penser de tout ça, ferme la porte des énergéticiens et me propose d’aller voir un exorciste. Ce qui me paraît effrayant. Je lui dis donc que ce n’est pas la peine d’aller voir qui que ce soit, que je vais me débrouiller toute seule. J’ai aussi la conviction que tout ça va m’aider à accompagner des gens. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais je fais confiance au processus.

Les années passent et je suis toujours aussi terrorisée. Pendant ce temps, ma mère ne va pas bien, elle développe des pensées morbides, tombe dans une profonde dépression et perd le sommeil. Nous finissons par nous dire qu’il se passe des choses curieuses. Nos voisins aussi vivent des choses étranges. Ils nous apprennent que l’habitante précédente est morte étouffée et surtout que notre maison est une ancienne chapelle de templiers. Je continue à vivre des années très dures et ma mère ne parvient pas à sortir de sa dépression.

Je décide alors de me tourner vers la religion en espérant y trouver des réponses. Je prends des cours de catéchèse, je vais régulièrement à la messe en espérant y vivre des révélations. A travers la religion j’apprends les valeurs qu’elle véhicule, comment aller au paradis et non en enfer. Mais pour moi l’enfer, c’est maintenant. Malheureusement je n’ai toujours pas de réponses.

La religion ne parle pas de l’invisible ni des énergies, ni de ce que je vis. Je suis toujours dans l’impasse, toujours pas de solution. Ma mère en dépression n’est pas en capacité de m’aider et mon père n’est pas conscient de ce que je vis. Mes parents sont toutefois rassurés par mes bons résultats scolaires, par le fait que je suis une enfant stable et sociable.

Avec le temps, j’ai la chance qu’Internet arrive à la maison. Mes premières recherches visent les termes « fantôme, esprit, invisible ». Je tombe sur des sites canadiens ouverts à ces questions-là. Je découvre qu’il y a d’autres personnes qui parlent d’un monde invisible et bienveillant. Je suis rassurée, mais en même temps apeurée de savoir que des personnes schizophrènes vivent en asile psychiatrique.

Je prends peur et vis à nouveau une période difficile. Je pense que je ne vais jamais m’en sortir. Je me sens vulnérable, harcelée par l’invisible. S’il existe des forces aussi positives, pourquoi ne viennent-elles pas à la rescousse ? J’ai vécu cette situation très difficile de 5 à 15 ans. Dix ans de cauchemar !

J’ai aussi de la chance car le commissariat où mon père travaille ferme. Mon père est muté et nous déménageons. Durant quelque temps je ne suis plus agressée par mes troubles, mais ils reviennent sous la forme de flashs, des images qui se succèdent dans ma tête, des flashs qui n’ont ni queue ni tête. Mon corps somatise rapidement, je fais des crises de spasmophilie, de tétanie. Ma mère décide alors de m’emmener voir des psys. Leurs réactions sont assez méprisantes, ils pensent que j’invente des histoires et me prescrivent des médicaments. Ma mère pense que je ne suis pas folle, je suis trop stable pour l’être. Alors elle décide de ne pas me donner les médicaments. Un jour, alors que j’ai de plus en plus de flashs, je cède et prends les médicaments. Ils me plongent dans un état végétatif. J’arrête donc de les prendre et me demande encore pourquoi, là-haut, on m’oblige à vivre ce calvaire.

A 18 ans, je décide de faire Sciences Po - Relations Internationales - en me disant que ce sera peut-être un moyen de changer le monde. Pour apprendre l’anglais, je décide de partir loin, en Australie. En arrivant dans la famille d’accueil, je vois des photos de maîtres spirituels, des bougies, une table de massage. Je suis chez une thérapeute holistique et médium. « Je t’attendais, je sais que tu as des capacités. Nous allons les développer, les exploiter ». Je suis déstabilisée mais à la minute même où j’aperçois cette femme et que je rentre dans sa maison, je sais que c’est le moment de faire quelque chose de ces capacités, je ne peux plus fuir.

Avec cette personne, je découvre mes capacités extra sensorielles, la claire audience, la clairvoyance, le clair ressenti qui sont les extensions de nos sens physiques habituels. Ce n’est pas pour percevoir encore plus ce qui est dans le monde physique, c’est pour ressentir au-delà du monde physique. On entend et on ressent des choses, on voit des choses. Être voyante plutôt que croyante, c’est voir des choses que les autres ne voient pas mais il faut apprendre à les interpréter, à les maîtriser. Cette personne me dit « Tu peux ouvrir et fermer ces capacités, c’est toi qui décides par ta posture psychique, par ta posture intérieure, tu dois pouvoir dire oui ou dire non ». Depuis des années je n’allais pas bien et je découvre qu’il y avait un bouton !

Je développe donc mes capacités, des gens me servent de cobayes, j’ai des intuitions quelquefois très fortes, il m’arrive de percevoir l’avenir, je perçois des choses que les autres ne perçoivent pas. Je commence à me rencontrer, à m’épanouir, ce que je ressens est normal. Elle me fait rencontrer d’autres personnes qui ressentent les choses comme moi. Je suis ravie.

Malheureusement, suite à une agression, je suis rapatriée en France au moment même où je m’épanouis. J’ai encore des bâtons dans les roues. Y-a-t-il des forces qui œuvrent contre moi ?

De retour en France, je rencontre des sophrologues qui m’initient aux principes de la révélation créatrice et à d’autres techniques tel que l’EMDR pour évacuer le traumatisme. Je développe d’autres outils qui permettent de calmer le mental, de calmer l’émotionnel. Je commence à trouver ma souveraineté, je prends connaissance de la psychologie positive, les bonnes ondes vont attirer les bonnes ondes. La positivité attire la positivité et je sens que des choses commencent à me sourire.

Une personne m’initie à la radiesthésie, malheureusement elle décède au bout de quelques mois. Je rencontre une autre personne qui effectue des nettoyages énergétiques. Elle me permet d’ouvrir mon esprit, de gagner en lucidité, en clairvoyance. Je ne me sens plus parasitée par le monde invisible, par le monde des esprits. Cette personne me fait passer des tests en rapport avec mes capacités extra sensorielles et je conscientise que mes capacités existent et qu’elles peuvent servir à des gens. Je capte l’émotionnel des gens, leurs pensées, ce qui est trop lourd chez eux, ce qu’ils ont à évacuer. Je suis assez contente de moi, j’arrive à aider des gens.

Mais cette personne commence à avoir de l’emprise sur moi, c’est assez courant dans ce monde-là. J’avais 20 ans à l’époque et c’est difficile. Il faut que je m’éloigne ce type de milieu où je trouve des personnes malsaines, non pas des thérapeutes mais des dérapeuthes.

Un nouveau changement de vie arrive et là, je me fais la promesse de ne me fier qu’à moi-même et de tout faire pour que mon terrain intérieur soit suffisamment vibrant, suffisamment en paix pour que je puisse capter d’autres parties de moi qu’on appelle le Soi, le Self ou le Moi supérieur. Je sens que ma propre conscience supérieure veut communiquer avec moi. Mais pour accéder à ce Soi, il est important de libérer des paliers énergétiques dans notre corps. C’est important de prendre soin du corps physique, du corps éthérique, du corps vital, de prendre soin de l’énergie qui circule dans nos méridiens, de pratiquer des arts martiaux. C’est aussi prendre soin de son émotionnel et de ses pensées.

Quand on a tout ce terrain intérieur qui vibre, on a comme on dit, le coup du battoir qui augmente et l’on peut commencer à accéder au grade supérieur.

Je me dis aussi « Ecoute ton cœur. Ecoute-toi. Fais ton chemin. Assume qui tu es. Revendique qui tu es. Fais confiance. » En faisant ça, je fais un acte de foi et je commence à me sentir en lien avec des êtres beaucoup plus positifs, des êtres qui ont envie de me parler, de m’initier.

A cette époque je commence à faire des channeling. Je suis en lien avec des consciences supérieures désincarnées qui m’envoient des messages. Les messages que je reçois pour les gens parlent à ces derniers. Ils leur permettent de se libérer de blocage, de les connecter avec leur mission de vie, d’avancer plus vite. En même temps, j’apprends, j’évolue, je grandis.

A 21 ans, après beaucoup de travail sur moi, beaucoup d’introspection, de travail sur l’enfant intérieur, sur les blessures, je décide de devenir thérapeute énergéticienne. Je crée une chaîne YouTube pour parler, sans tabou, de ce que je fais. Il y a un monde de l’invisible et j’en parle, c’est normal. C’est normal qu’il y ait des corps subtils, des champs vibratoires. Oui, ça fait peur mais en fait, beaucoup de gens vivent ce genre d’expériences. Sur ma chaîne YouTube, j’ai des milliers d’abonnés intéressés par ce que je vis et dont je n’osais pas parler.

Le channeling, c'est-à-dire le canal de transmission avec les esprits extraterrestres, peut se faire par des voies très différentes. En ce qui me concerne, je me suis mise à entendre d’autres types de consciences qui, en fait, me formaient. D’une autre façon, j’ai une amie ostéopathe qui, quand elle manipule ses patients, est complètement habitée par une énergie qui vient d’ailleurs. Elle se sent guidée. Quand je travaille avec des artistes qui ont une certaine renommée, ils ne veulent pas montrer au public qu’ils font du channeling alors qu’ils en font quand ils écrivent des chansons, quand les chansons leur viennent comme ça. C’est ce que l’on appelle des fulgurances, des illuminations. Quand l’esprit s’ouvre, quand on est dans son axe, aligné avec ce pourquoi on est sur terre, on est tous en train de faire du channeling, c'est-à-dire être le canal, le canal des énergies qui passent au travers de nous. On fait du channeling sans le savoir, par exemple quand on lâche prise, quand on fait confiance à d’autres choses qui nous dépassent.

Donc à cette époque tout va bien, l’activité de thérapeute, la chaîne YouTube. Je reçois mes premières initiations sur le plan vibratoire qui me permettent d’aider beaucoup de personnes. Je ne suis pas Mme Irma avec une boule de cristal mais je peux mettre en application des conseils qui me viennent de l’invisible, au service de nos missions pour accéder à notre moi profond et à notre moi supérieur.

J’ai franchi une autre marche quand on m’a initié à une méthode autour de l’ego en lien avec l’inconscient et la mémoire cellulaire. Pendant deux mois, j’ai beaucoup pleuré car les esprits sont très exigeants. Quand ils me posent une question, ils lisent en moi, je ne peux donc pas inventer un truc pour essayer de biaiser. Je devais travailler sur mon ego, c'est-à-dire travailler sur mes peurs les plus profondes. Ce qui m’a demandé de déployer beaucoup d’efforts pour sortir de mes zones de confort. Par exemple, en ce moment, devant vous, je sors de ma zone de confort. Ce travail sur l’ego est désagréable car on a l’impression de se perdre petit à petit. On entame un processus de dé personnification, on enlève toutes les couches que l’on croit être nous et qui ne sont pas nous, pour trouver qui l’on est vraiment. Ce travail est désagréable mais si votre âme vous appelle à grandir, à aller vers une mission de vie, on est obligé de le faire, impossible d’y échapper.

L’avenir de la spiritualité au XXI° siècle passe vraiment par le travail sur l’ego. L’ego est comme un logiciel présent pour assurer notre survie, répondre à nos besoins fondamentaux, nos besoins physiologiques de sécurité, d’amour, d’acceptation, de valorisation et de reconnaissance. Il considère que la satisfaction de nos besoins est essentielle pour survivre et se sentir bien. Si nous n’arrivons pas à satisfaire nos besoins fondamentaux, des blessures vont se créer. Je ne suis pas aimé / je ne suis pas aimable. Je ne suis pas reconnu / je ne suis pas légitime. Je ne suis pas en sécurité / je suis vulnérable.

Les blessures entraînent des peurs, la peur que cela m’arrive à nouveau. Notre vie et nos actions reposent souvent sur nos peurs. Nous n’agissons pas toujours dans l’espace du Soi avec une vraie pureté intentionnelle. Nous sommes souvent pilotés par l’ego.

Pour résumer, nous avons des besoins ainsi que des blessures et des peurs qui peuvent naître de ces besoins. Nous avons aussi des croyances qui viennent se greffer dans notre psyché, et nous attirons des évènements pour valider notre croyance « Je te l’avais bien dit, il ne faut pas tenter une nouvelle relation amoureuse, l’amour fait souffrir ».

L’ego pour nous protéger dispose de processus de compensation et de processus de privation. L’ego nous incite à porter des masques, ce que j’appelle des mini-moi. Ces masques nous écartent de ce que nous sommes, ce sont des mécanismes de protection qui vont nous plonger dans des positions extrêmes car l’ego n’est pas dans la voie du milieu. Le Soi est dans la justesse, en revanche l’ego est irraisonnable et irraisonné.

Normalement, quand on a régulé nos peurs, que l’on est dans la justesse du Soi, libéré des masques, on retrouve en nous cet état d’unité, d’équilibre et une forme d’équanimité. On peut apprendre à prendre du recul par rapport aux choses, à observer. Qu’est-ce que ça dit de moi, est-ce que j’apprends quelque chose sur moi ? La spiritualité, c’est la connaissance de soi, c’est se libérer de ce que l’on croit être.

L’ego n’est pas seulement « Tu es orgueilleux, tu es mégalo ! » selon la vision de l’Occident. Cela va beaucoup plus loin, ce sont tous les mécanismes mis en œuvre pour que l’on puisse survivre. Sur la voie spirituelle, l’ego n’a pas sa place, alors il se met au service du Soi.

Dans nos sous-personnalités ou mini-moi, nous avons des qualités. Personnellement j’ai un mini-moi perfectionniste qui me bloque en m’empêchant de laisser aller, de lâcher prise. Toutefois ce perfectionnisme me permet de bien fignoler mes réalisations. L’idée est de s’observer pour revenir à la voie du milieu.

L’ego se forge avec les mémoires de notre vie, nos expériences, nos souffrances. Il est aussi influencé par la mémoire cellulaire et la mémoire transgénérationnelle, les mémoires karmiques et les mémoires de l’inconscient collectif avec lesquelles nous entrons en résonnance. Nous rencontrons parfois des blocages dont nous ne connaissons par l’origine. Il est possible que cela nous ait été légué par un ancêtre au niveau de la mémoire cellulaire. Une sorte d’héritage qui peut remonter à des générations.

La spiritualité est le lien au Tout, aux autres, au cosmos, et le lien à soi. Pour moi, la spiritualité c’est prendre soin des champs vibratoires, des corps subtils, du physique, de l’émotionnel, du mental, du vital, du plan causal qui est relié à toutes les mémoires. La spiritualité, c’est être en lien avec l’énergie, avec les vibrations, avec ce qui nous dépasse. C’est aussi se dire que nous sommes tous sur terre pour participer à un ouvrage collectif qui fait sens en créant plus d’harmonie sur terre. Si je travaille sur mon état de paix intérieure, il y aura beaucoup moins de conflit. Si je travaille sur l’unité en moi, je me sentirai moins séparé des autres.

Pour finir une petite anecdote. Ce matin, je me suis dit que j’allais interroger mes copains là-haut pour recevoir un conseil pour la conférence. Ils m’ont dit « Malory, ne stresse pas, ce n’est pas la peine, ce n’est pas ta réputation qui en jeu mais la nôtre ». J’ai trouvé cela très rigolo.

Ce que je vous dis, c’est ma vie, c’est ma vérité, c’est ce que je vis. Tout le monde vit sa spiritualité à sa manière. Ce qui me paraît important, c’est de créer plus d’harmonie et de rester en lien avec l’amour et l’état d’unité.

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Les questions : 

 Vous parlez beaucoup de spiritualité, je n’ai pas entendu le mot Dieu ou divin. Et d’autre part, je suis fascinée par votre jeu de jambes et votre énergie !

Dieu est un mot que je n’utilise pas parce qu’il peut être assez clivant. Selon les religions, ce terme peut signifier plein de choses. Pour moi, Dieu est la force d’amour, la force lumineuse qui est en nous. Le divin, je l’associe au mot atmique. Dans les champs énergétiques de notre être, il y a le plan spirituel et le plan divin, le plan bouddhique et le plan atmique. Il y a la conscience supérieure qui représente le Soi, le divin en nous. Il n’y a rien d’extérieur qui ne puisse être intérieur. Il y a cette grande force qui unit tout le monde, une force d’amour, un liant. Nous en avons tous une parcelle en nous qui demande tous les jours à s’exprimer.

Nous avons tous un Dieu créateur à l’intérieur de nous. La religion nous a plutôt appris à ne pas être ce Dieu créateur, « Vous êtes l’œuvre et les marionnettes de Dieu », alors que je pense qu’il se trouve en chacun de nous une part d’un dessein commun et que nous devons jouer notre part de divinité et l’exprimer. Sur ma chaîne YouTube je dis « Nous sommes tous des dieux incarnés, nous avons cette vibration en nous ». Pour l’avoir écrit, j’ai reçu des commentaires avec des messages de mort, des religieux et des spirituels me condamnent en disant « C’est la parole du diable ».

En lien avec le thème d’aujourd’hui, voici quatre petites touches :

Quand j’entends ton témoignage sur la dizaine d’année où tu étais seule, je me dis « Mon Dieu… », je regrette qu’il n’y eu personne pour toi. Tu as su rebondir après, félicitations.

Socrate a dit « Connais toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ! »

Evagre le Pontique était un père du désert, il découvrait la dimension intérieure de Dieu et disait « Si tu veux connaître Dieu, connais-toi toi-même ! »

Et pour finir, c’est Saint Augustin qui dit « L’humilité, c’est de se connaître ».

Merci pour ces belles paroles. Merci aussi de souligner la solitude sur le chemin.

Aujourd’hui je suis auteure, j’écris des séries d’animation pour les enfants qui présentent des clés de conscience, des outils de connaissance de soi car il me semble que nous faisons les choses à l’envers. On grandit, on échafaude une personnalité et après, il faut faire le chemin inverse pour se rencontrer, pour découvrir qui l’on est.

Je pense que l’on peut accompagner les enfants beaucoup plus tôt. Les enfants sont tous hyper sensibles, mais la société l’a oublié. Ils sont seuls alors que beaucoup d’enfants sont nés avec des portes de perception. J’essaie de les aider au maximum.

L’humilité me paraît être essentielle. Il y a beaucoup de vulnérabilité dans la connaissance de soi. Être soi n’est pas facile, cela demande de se montrer tel que l’on est, c’est plus facile d‘être masqué. Je me suis promis de ne pas mettre de masque, néanmoins j’en ai forcément, parfois pour me protéger. Je crois qu’être soi est le plus beau cadeau que l’on puisse faire aux autres pour les inviter à faire pareil.

Tout ce que tu as appris et que tu nous livres, tu l’as reçu des grands Êtres, n’est-ce pas ? Tu ne l’as pas appris dans les livres, tu l’as reçu.

J’évite de lire pour ne pas être influencée. Les gens adorent m’offrir des livres, alors je les mets contre moi, je prends leurs vibrations qui me connectent à des choses. Ensuite j’en lis certains et constate que c’est identique à ce que je viens de ressentir. Mais il faut aussi faire attention parce que dans les esprits, tout n’est pas à prendre au pied de la lettre. Il y a des consciences supérieures de maîtres à penser, des anges mais aussi des esprits malsains. Il faut prendre soin de son taux vibratoire, prendre soin de sa lumière et avoir du discernement.

Tout ce que j’ai vécu de difficile durant les premières années de ma vie, heureusement que je les ai vécues car c’est grâce à elles que je suis devenue ce que je suis et que je peux comprendre et aider les autres.

Tu as été gratifiée et que tu as trouvé ton équilibre, comment ça te parle aujourd’hui ? Quand tu étais en souffrance, tu entendais des voix, aujourd’hui est-ce que ces voix sont plus douces ? Te parle-t-elles encore ? Qu’est-ce qui te parle aujourd’hui ?

Plutôt que dire qui me parle, je vais plutôt dire comment ils me parlent. Soit j’entends des voix très claires, je suppose interprétées par un filtre mental, soit je les entends par le biais de ma propre voix mais dans ce cas, je sens que cela ne vient pas de moi. J’arrive à distinguer si cela vient de ma conscience ou d’un être extérieur. Quelquefois ces perceptions passent par des ressentis très forts mais souvent par des flashs, des images, des films qui défilent dans ma tête. Je sens ce qu’ils veulent dire et pourquoi. Quand je suis en consultation avec une personne, ils utilisent quelquefois des métaphores, un mot que je dois changer pour ne pas déplaire à cette personne.

A propos de Marc, mon conjoint qui est là, les voix m’avait dit quand je l’ai rencontré « Sa mission de vie est d’éclater les gens ».

Marc monte sur scène et prend la parole : A New York je travaillais pour Evian, j’avais le droit de dépenser beaucoup d’argent dans les restaurants et les boites de nuit et je disais à mes relations « je vais vous éclater ».

Un peu plus tard, elle m’a dit « Toi tu es venu pour éclater les gens ». Alors que je doutais un peu de tout ce qu’elle me racontait sur ses capacités extrasensorielles, j’ai senti un truc très juste, ce fut un choc, mon ego, mon mental se sont tus, j’étais abasourdi.

Malory reprend la parole : Quand je dis le mot juste, cela ouvre toute la structure de la personne et toutes les défenses fondent. Alors je peux vraiment toucher les gens.

Loin de remettre en question ton expérience telle que tu l’as vécue, ma question porte sur l’interprétation que l’on peut donner à la provenance des voix. Nous avons tous la perception de voix intérieures, par exemple quand nous sommes en conflit avec nous-même, comme avec le petit ange et le petit diable qui nous donnent des directions opposées. J’ai l’impression d’avoir des voix intérieures qui me disent « Fais plutôt ci ou plutôt ça », comme si nous avions plusieurs personnes vivant en nous. J’ai l’impression de ne pas être toute seule dans ma tête. Ce n’est pas tout à fait comme ce que tu racontes. On peut donc interpréter ce que l’on entend dans sa tête et se dire : c’est une voix intérieure ou c’est quelqu’un qui me parle. J’ai vraiment du mal à comprendre comment se créent ces interprétations.       

Tout le monde a des guides, des consciences qui nous parlent, on a tous des possibilités de développer ses capacités extrasensorielles. Plutôt que de parler de dons, j’ai des capacités extrasensorielles. Tout le monde en a et reçoit des messages. Sans le savoir, tu te connectes avec le Soi et les messages viennent, par exemple des conseils de sagesse venant de ton mini-moi, de ton moi profond, de ton moi blessé, de ton yang intérieur, il y a plein de facettes en nous-même.

L’important est de faire taire son mental. Méditer est la clé. Quand le calme est dans le mental, alors les choses qui viennent sont vraiment importantes et se mettent au service de ta vie. Bien sûr il faut aussi faire preuve de discernement en faisant le tri dans notre fourbi mental et faire les bons choix. Moins on pense, plus on est intelligent !


Reza MOGHADDASSI

« Quelles inspirations pour le XXIème siècle ? »

Né d’un père musulman et d’une mère catholique, il a embrassé le bouddhisme pendant 10 années de sa vie. Il enseigne aujourd’hui comme agrégé de philosophie et a écrit deux ouvrages, « La soif de l’essentiel » et « Les murs qui séparent les hommes ne montent pas au ciel ». Nous accueillons Reza Moghaddassi.

 

Reza MOGHADDASSI

Bonsoir à tous,

On pourrait partir de cette question que posent les disciples à Jésus dans l'évangile de Thomas. "Que doit-on faire ?"

Très étonnamment, au lieu de leur donner des conseils et des méthodes, Jésus leur dit "Arrêtez le mensonge". On peut se demander "Qu'est-ce que le mensonge et que signifie sortir du mensonge ?" Héraclite avait également cette formule en parlant des êtres humains "Même éveillés, ils dorment."

« Se réveiller » peut avoir plusieurs significations. Peut-être se libérer petit à petit de quelque chose qui s'est enclenché depuis notre enfance qui consiste, pour trouver une réponse à son besoin d'être aimé, d'essayer de faire la preuve de sa valeur auprès des autres. Ceux-là même qui ne sont pas prêts à nous regarder si nous ne prouvons pas notre valeur en performant. Il s'enclenche une logique qui nous incite à faire ce qu'il faut, à paraître ce qu'il faut pour capter l'attention et le désir des autres. Je l'ai senti très fort lorsqu'un jour j’ai accompagné mon fils à l'école. C’était un jour de carnaval. Il voulait s'habiller en pirate, sa tenue préférée. Le soir je lui demande s'il est content de sa journée, il me dit "non, j'aurais préféré être habillé en Zorro." J'étais étonné parce qu'il ne connaissait pas ce personnage. Il ajoute "Tristan était habillé en Zorro et c'était bien." En l'interrogeant, je comprends que ce jour-là, Tristan avait été la star. Pourtant c'était un enfant qui était habituellement rejeté mais ce jour-là, il avait fait un carton. Tristan avait capté l'attention des autres, tout le monde avait voulu déjeuner avec lui. Ce jour-là mon fils avait compris que pour capter l'attention des autres, il fallait la tenue de Zorro. Le lendemain il me dit sur le chemin de l'école "Tu sais papa, maintenant Tristan, c'est mon copain". Je n'ai rien dit mais j'ai pensé "Tu es vraiment dégueulasse !"

Ça commence très tôt. Que comprend Tristan dans cette histoire ? On ne fait pas attention à moi, on ne m'invite à aucun anniversaire, mais si jamais j'ai ce qu'il faut dans la vie, si je fais ce qui faut et je parais comme il faut, eh bien on va m'aimer. Donc arrêter le mensonge, ça va être sortir de ce piège-là. Parce que quand bien même on gagnerait, quand bien même on arriverait à capter l'attention des autres, à être brillant, au cœur de cette victoire, il y aurait une défaite. Je ne suis pas aimé pour moi-même mais pour telle ou telle performance, or on veut être aimé pour nous-même. Donc arrêter le mensonge ce n'est pas facile, c'est parvenir à se libérer de cette impasse existentielle par laquelle nous avons à trouver la voie de l'amour. Arrêter le mensonge, c'est aussi avouer son ignorance. On a souvent tendance à faire les malins, à faire comme si on savait, même dans le domaine spirituel, alors qu'en réalité on n'a peut-être rien compris. Et je crois que la formule de Socrate "Je sais que je ne sais pas" ne concerne pas toutes les connaissances qui sont dans les livres mais signifie avoir compris que ce qui est essentiel à comprendre, je ne l'ai pas compris. Beaucoup de gens sont prêts à reconnaître qu'ils sont ignorants de beaucoup de choses mais ils ont l'impression d'avoir compris la vie, qu'au fond les bases sont posées. Ils ont des convictions. Et tout à coup lorsque le sol commence à se dérober sous nos pieds et qu'on ne comprend plus rien, eh bien à ce moment-là commence pour Socrate le chemin vers la vérité. A ce moment-là naît le désir, la quête. C'est déstabilisant parce qu'on aime bien avoir des points de repère et bien des choses qu'on a entendues aujourd'hui peuvent venir déstabiliser notre manière habituelle de voir les choses, ébranler le cadre culturel, civilisationnel, dans lequel on a grandi, l'école, et toute la séparation qui s'est instillée en nous depuis notre enfance, entre ce qui est sérieux, rigoureux, et ce qui est fumeux. Tout à coup en grandissant, en osant l'aventure, en osant aller là où les autres diraient que ce n'est pas sérieux, on découvre des trésors inattendus. On découvre des choses du réel beaucoup plus vastes, plus larges, que ce à quoi on s’attendait. Évidemment on peut se perdre, la vie est risquée, mais qui ne tente rien n'a rien. Cette aventure, qui est celle d'une vie, qui est ouverte, humble, c'est la condition du chemin. Mallory a fait un beau témoignage. Moi-même, je vais partir de ma propre expérience, de ma propre vie. Jean-Michel m'a présenté à travers mes différents ancrages religieux. Oui je suis issu à la fois de la culture iranienne à travers mon père, et toute la spiritualité, la civilisation qui va avec, et de la culture française, une famille de paysans normands. Il y a aussi la différence sociale. Ma mère est issue d’un monde paysan et non de celui des banquiers et des quartiers d'affaires qui était celui de mon père. Milieux socio-économiques différents. On sait bien qu'il y a quelque chose de l'ordre du rapport au réel qui change selon qu'on est - ou non - lié à la terre. Tout cela participait à m'enrichir de regards très différents, mais au fond ce n'est pas très original. Vous êtes tous issus de parents très différents. De cultures familiales relativement distinctes. Je ne fais peut-être que creuser un peu plus l'écart avec cet écart religieux et culturel. Nous sommes toujours l'être de plusieurs parts. Nous nous sommes constitués à travers le patrimoine génétique de nos deux parents, la mémoire transgénérationnelle comme le disait Mallory, et puis de tout ce que nous allons incarner dans cette vie-là. Avec son lot de souffrances, de tristesses, de blessures, et en même temps son lot d'émerveillements. C'est toujours beau de voir les bébés avec les yeux embués comme s'ils buvaient le monde avec leurs yeux. Donc l'être humain que nous sommes est travaillé de la sorte avec plusieurs héritages. Il y a aussi dans notre vie des rencontres. Pour moi, une des plus importantes s’est produite lorsque j’avais 14 ans, la rencontre avec des maîtres tibétains.

Peut-être que le désir est né chez moi à ce moment-là. Jusque-là je baignais dans une culture tantôt musulmane tantôt chrétienne, sans avoir reçu la moindre culture religieuse. C'est peut-être la seule manière qu'ont trouvé mes parents de les voir cohabiter. A travers mes deux familles, je rencontrai cet univers-là, à travers la poésie, les pratiques, les coutumes, etc. Ce qui a été nouveau pour moi avec le bouddhisme, c'est que pour la première fois, j'avais la figure d'un être lumineux, ce qui n'est pas la même chose qu'un être brillant. La figure du sage est complètement exotique dans notre culture occidentale puisque j'ai grandi en France. Ce qui m'a frappé surtout, c'est que tout ce qui se présentait à moi était sur le mode de la croyance. "Que faut-il croire ?" "Dois-je croire comme les Musulmans ou comme les Chrétiens ?" J'avais du mal à choisir. Et pour la première fois, le discours que j'entendais était fondé sur l'expérience. Un appel à l'expérience. C'était l'expérience qui devait vérifier telle ou telle idée ou telle ou telle pensée. C'était de l'expérience qu'il fallait tirer des conclusions provisoires. Et donc je me suis prêté au jeu. Avant de lire des livres, je me suis mis en présence de ces maîtres et j'ai pratiqué la méditation sans savoir à quoi m'attendre, et cela m'a donné le goût, la saveur, le parfum des choses d'en-haut. J'avais la soif de l'essentiel, c'est le titre de mon premier livre. C’est-à-dire ce besoin des profondeurs ou des hauteurs. Un désir de verticalité où l'on sent - pour reprendre la formule de Pascal - que "L'homme a un désir d'infini que nulle réalité physique ne peut combler". Cet appel de l'infini est un peu flou, car habituellement le désir désigne quelque chose de précis. Ce désir dont je parle n’arrive pas à se représenter son objet parce que précisément, ce n'est pas une chose. Pour l'entretenir, ce désir demande à s'arracher à la somme des urgences. Dans notre vie, il y a toutes sortes de choses qu'on doit faire, comme sortir les poubelles, faire les courses, s'occuper de ceci et de cela, aller à son travail. A force de s'occuper des urgences, on finit par se couper de ce désir, de se couper de cette soif. Quand on ne traite pas les urgences, ça peut nous créer des problèmes, mais quand on ne s'occupe que des urgences sans s'occuper de l'essentiel, notre vie n'a plus aucun sens. Si vous êtes là aujourd'hui, c'est que vous avez arraché aux urgences ce besoin de sens dont parlait Jean, et ce besoin de l'essentiel.

On pourrait évidemment parler de l'essentiel, toutefois, l'essentiel ne se trouve pas dans les mots mais dans une expérience. Peut-être doit-on tout de même passer par les mots. Essayer d'y comprendre quelque chose. J'aime beaucoup cette formule du Bouddha qui dit "Tout commence par la pensée. Là où la pensée est fausse, l'affliction s'ensuit, comme la roue de la charrette suit le pas du bœuf." Pourtant, Bouddha ne croit pas seulement dans la pensée. Il ne pense pas que la pensée suffit à elle seule pour pouvoir se libérer. En même temps, la pensée a ce rôle d'essayer de mettre un peu de clarté, parce que nos actes découlent d'abord de notre compréhension. Ce que je vais essayer de faire avec vous, c'est mettre un peu de sens.

On a écouté divers intervenants qui ont abordé un certain nombre de dimensions un peu en décalage avec notre éducation moderne et occidentale. Le public que vous êtes a semblé assez ouvert à tout cela, mais je sais que ce n'est pas toujours le cas. Ne serait-ce que pour moi-même, du fait de ma formation intellectuelle de philosophe, je suis passé par une classe préparatoire, j'ai fait l'agreg de philo, je peux vous dire que les 3/4 de ce que nous avons entendu aujourd'hui ne passe pas auprès de mes pairs qui pensent que c'est n'importe quoi ! Beaucoup de mes collègues et de mes pairs vont rigoler en voyant cette vidéo sur YouTube. Le mot "spiritualité" est un gros mot pour de nombreux philosophes. Toujours est-il qu'il se passe quelque chose dans notre culture, un changement de paradigme, dont tout le monde n'a pas forcément conscience. On en voit les effets mais on n'en comprend pas forcément très bien les causes. Je voudrais donner quelques éléments de compréhension de ce qui, à mon avis, est en train de se passer et qui fait que des journées comme aujourd’hui se multiplient et que de plus en plus d'individus s'ouvrent à des portes qu'on n'ouvrait pas habituellement. Ce qui était au cœur des civilisations traditionnelles, c'était évidemment les traditions, et plus précisément la tradition religieuse. La question de la vérité se trouvait dans la foi religieuse, et celui qui se trouvait inséré dans telle ou telle civilisation avait le sentiment que c'était là que se jouait la vérité, qu'il suffisant de s'ouvrir à elle, de la transmettre à ses enfants et la suivre. Le maître mot était la fidélité. Rester fidèle à ces trésors du passé que nous avons reçus, les faire fructifier et les transmettre à nos enfants pour que ça ne se perdre pas. Avec le sentiment un peu égocentrique que la vérité est de notre côté, dans notre système de pensée et de représentation, avec tel et tel dogme, tel et tel récit. Changement de paradigme, arrivée de la modernité. Les choses ne se font pas du jour au lendemain. L'invocation de la raison, de la rationalité, de la logique, devient le point central de la vérité. Cette raison insolente, conquérante, est venue troubler la tradition, la remettre en cause, douter d'elle, la malmener, abattre les idoles à coups de marteau. Ce qui a produit beaucoup de crispations dans notre société. Notre histoire est marquée par cette rencontre entre modernité et tradition, entre religion et science, entre philosophie et religion, ce passage d'un mode d'expression plutôt symbolique, mythique, à un mode d'expression plutôt rationnel, à une volonté d'essayer de comprendre le monde par la raison.  La science est venue occuper la première place dans la conscience moderne. La religion devenant un peu plus périphérique. Certains l'abandonnant. Le lieu premier de la vérité n'était plus la religion mais la science. Le maître mot de cette époque-là est la méthode. La méthode scientifique, la rigueur logique. On va essayer de dire ce qui est vrai et ce qui est faux grâce à cette méthode. Partout où cette raison peut être investie, elle vient balayer tout ce qui existait à sa place, des superstitions ou des croyances. La philosophie, dans sa version moderne, est bien évidemment l'héritière de ce bouleversement, de ce désir de rationalité, de mystique de la raison. L'école dans laquelle vous avez grandi, héritière du siècle des Lumières, est inscrite dans cette idée-là. L'école est le lieu du savoir, le temple de la raison. Ce mythe-là est en train de s'effondrer. Pas au sens où la science avec toutes ses découvertes et sa noblesse aurait disparu, au contraire, elle poursuit son chemin, de la même manière que la modernité n'a pas fait disparaître la religion, elle l'a juste poussée dans ses retranchements et l'a conduite à se purifier d'un certain nombre de choses qu'elle avait tendance à absolutiser et qui n'était pas absolues. De ce point de vue-là, il s'est produit quelque chose de salutaire.

Qu'est ce qui est en train de s’effondrer ? On se rend compte que la modernité a au fond commis la même erreur que ce qui se passait dans le monde traditionnel. Elle a voulu devenir propriétaire de la vérité. Cette fois-ci, ce n'est plus ma religion, avec ma représentation et mon système de croyances, mais c'est le système scientifique qui détient la vérité du monde, et ça donne le scientisme.

Pourquoi ça s’effondre ? Parce que les fragilités de ce mode de pensée commencent à se révéler dans le temps. La fidélité à la tradition montre ses limites lorsqu'elle continue à véhiculer des formes de pratiques assez archaïques qui n'ont finalement rien à voir avec la spiritualité. On comprend qu'il y a une rébellion nécessaire. De la même manière, dans ce troisième temps, ce changement de paradigme, on s'aperçoit qu'on a confondu la raison avec une raison. Il y a différents régimes de rationalité, tout système scientifique, rationnel, repose sur des présupposés. Que ce soit en mathématiques comme en physique. Ces présupposés-là peuvent être bouleversés. C'est ce qui fait que la science elle-même est passée d'une vision un peu arrogante de la vérité à une vision beaucoup plus humble. On ne prétend plus que la science dit la vérité. On dit que la science propose des modèles théoriques qui pour le moment, sont les plus fructueux, pour expliquer les phénomènes. On est donc beaucoup plus prudent. Et puis on s'est rend compte que ce regard scientifique n’est qu'un regard très limité sur le monde. D'autres points de vue nous permettent d'accéder à des dimensions plus profondes du réel. C'est pourquoi nos raisonnements ou nos théories ne parviennent pas à épuiser la question "Qui suis-je ?" ou la question "Quelle est la source de la réalité ?", quelque chose les dépasse. Lorsque Jean tout à l'heure parlait de l'absolu au-delà des mots, au-delà de nos représentations, au-delà des religions, on sent bien que quelque chose dépasse nos capacités de représentations. Ce qui est en train de se passer, c'est un troisième temps dans lequel on passe à un régime pluriel de la vérité. On passe d'une situation où l'on pensait, à travers un système religieux ou scientifique, détenir la propriété de la vérité, et on commence à se rendre compte que tout cela n’est qu’une illusion. On a besoin de penser, on a besoin d'avoir un système de pensée, parce que c'est à travers ce système qu'on essaye d’appréhender le monde et d'agir sur lui. Mais en même temps, aucun système ne peut à lui tout seul, rendre pleinement compte du réel. Il y a toujours quelque chose d'étriqué, de limité. On a besoin d'une forme, d'une tradition, de s'appuyer sur des convictions, d'utiliser des mots. Certains mots nous parlent plus que d'autres. On est le fruit d'une histoire, d'une civilisation. On a reçu un héritage. A partir de ce terreau-là, on essaye de faire jaillir la source, mais comme tout ce qui se produit dans l'espace et dans le temps, les choses se produisent de manière multiple. Il n'y a pas qu'une seule langue, il n'y a pas qu'un arbre, il n'y a pas qu'un style de musique, etc. La loi du monde est faite ainsi, de multiplicité. A chaque fois que quelque chose de transcendant se produit dans l'espace et dans le temps, c'est toujours à travers une formule multiple. Ce n'est donc pas étonnant qu'à notre échelle humaine, il y ait différents langages pour essayer de parler de l’absolu, différentes représentations, et chacun dans le creuset de son histoire personnelle et de ses racines, essaye de cheminer, de mener sa quête. Ce régime pluriel de la vérité se manifeste sous de nombreux angles. Nous sommes en train de parler de la sphère de la spiritualité, mais il en va de même dans le cadre de la médecine. Là où la médecine moderne pensait être la seule rigoureuse, on voit bien qu'il y a quelque chose d'étriqué. La médecine occidentale n'est pas la seule à avoir raison bien sûr. Ce qui se prétend être rationnel est en réalité un appauvrissement de la raison. On ne peut pas balayer d'un revers de main tous les trésors de la médecine chinoise. Ce monde qui advient est beaucoup plus riche que la vision étriquée de la raison qui était la vision du monde moderne.

Le passage de ce paradigme au monde nouveau provoque lui aussi des crispations. Ceux qui sont encore attachés à ce paradigme moderne, qui sentent que la science est en danger par rapport à d'autres systèmes de représentation, vont perdre. L'histoire ne va plus dans ce sens-là.

Ce n'est pas du relativisme. Tout ne se vaut pas. Parce que tout ne produit pas les mêmes fruits. Ce qui est important, ce sont les fruits qui tombent de l'arbre. Certaines manières de penser conduisent à la mort, d'autres conduisent à la vie. C'est à partir des fruits de l'arbre que nous pouvons juger de la qualité d'une thérapeutique, d'une voie ou d'un chemin. C'est un critère nouveau et important. Le plus important quand on rencontre quelqu'un n'est pas ce à quoi il croit, mais à quoi doit conduire ce à quoi il croit.

C'est à travers ce prisme-là qu'il faut comprendre la journée d'aujourd'hui. Beaucoup de gens s'accrochent aux tenants un peu étriqués de la raison. Dans le domaine de la spiritualité, j'ai ressenti de la joie en constatant qu'au-delà de mes héritages multiples, j'arrivais à trouver l'unité. J'ai apprécié d'écouter Jean qui a confirmé ce que je ressens à travers la diversité de mes héritages. Je voyais bien qu'il y avait de la divergence dans les concepts mais aussi quelque chose qui allait vers l'unité. Cette unité n'est pas au niveau des concepts, des théories, mais au niveau de l'expérience. Je prends l'exemple du dogme de l'incarnation. Si on le regarde de l'extérieur, on se dit qu'il s'agit d'une croyance chrétienne un peu étonnante s'agissant d'une femme vierge qui va mystérieusement enfanter d'un être divin après le message d'un ange. Si l'on regarde les choses du point de vue de l'expérience, ce dogme nous apprend non pas ce qu'il faut croire, mais nous invite à l'expérience. Au fond, cette expérience de Marie appelle tout chrétien à enfanter le Christ en lui - donc enfanter le divin en nous, l'accueillir, lui faire de la place. Retrouver cette pureté du cœur et de l'intelligence permet, étant libéré de l'ego, de laisser pleinement sa place à Dieu et permettre ce que Maître Eckart appelle "la naissance de Dieu dans l'âme". Angelus Silesius, disciple de Maître Eckart, avait cette formule "Peu m'importe qu'un enfant soit né il y a 2000 ans dans une mangeoire à Bethléem si cet enfant ne naît pas aujourd'hui en moi". Il se joue ici quelque chose de l'ordre d'une expérience et non seulement d'une croyance. Ça me rappelle mes amis bouddhistes qui me disaient leur quête de la pépite d'or dans le noir du charbon qu’ils souhaitaient découvrir, pas forcément créer. Découvrir la nature fondamentale de Bouddha suppose ce travail de nettoyage.

Les poètes persans utilisent souvent la métaphore du miroir. Son rôle est de refléter la lumière du soleil. Quand le miroir est sale, il ne la reflète pas bien. Il s'agit de polir le miroir pour que nous puissions voir resplendir la lumière dont nous sommes porteurs. C'est une idée qu'on retrouve aussi chez Plotin. Ce qui constitue le cœur de la spiritualité, c'est ce travail de purification, non pas par la force mais par notre disponibilité, notre capacité à accueillir ce qui vient d'ailleurs.

Saint Séraphin de Sarov disait que "ceux qui aiment le plus leurs ennemis sont les plus proches de la vérité". Il y a quelque chose de l'ordre de l'hospitalité qui caractérise celui qui est à la fois fier de son terroir mais qui sait objectivement qu'il n'a pas le plus beau terroir du monde. Rûmî, grand poète persan, disait "La vérité est un miroir tombé des mains de Dieu, qui s'est éclaté en 1000 morceaux. Chacun en ramasse un morceau et croit qu'il a toute la lumière, toute la vérité". A un moment ou à un autre de notre vie, quelque chose s'éveille vers cette quête, puis retombe, ce n'est pas linéaire, on reçoit des gifles mais on rencontre aussi des guides qui viennent nous réveiller, nous secouer.

Nous sommes aussi l'enfant d'une époque, l'enfant d'une civilisation marquée d'une crise spirituelle. On parle beaucoup de crises écologique, sanitaire, politique. Je crois que la racine fondamentale de ces crises est d'ordre spirituel. C'est important de faire le diagnostic de cette crise pour ne pas continuer à en payer les conséquences. On dit souvent en psychologie que quelqu'un qui ne connaît pas les causes de ses souffrances a tendance à poser des actes qui viennent nourrir les causes liées à ces souffrances. Ça pourrait donner cette fameuse formule de Bossuet "Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles continuent à chérir les causes".

Essayons de distinguer 4 causes importantes de cette déréliction, qui font qu'à certains égards on observe une sorte de conspiration contre la vie intérieure. La première chose, je crois que c'est l'appauvrissement de l'horizon. Pour les hommes de l'antiquité, le centre était la figure du sage. Pour l'homme médiéval, c'était la figure du saint. Ce qui était l'horizon de l'éducation, c'était d'accéder à la sainteté. Un jour un ami m'a dit que ce qu'il souhaitait le plus ardemment pour ses enfants était qu'ils deviennent des saints. J'étais un peu surpris, mais il m'a expliqué que le bonheur seul ne fait pas sens. Est-ce que le bonheur est le seul critère d'une vie ? Je crois que les êtres humains veulent être heureux mais ils veulent aussi une vie qui a du sens. Si on nous donnait une pilule qui permette d'être heureux sans effet secondaire, sans dépendance, je ne suis pas sûr que nous serions intéressés. On veut du bonheur dans la vérité, dans la profondeur. Dans l'histoire de l'Occident, les figures du sage et du saint vont tout à coup quitter l'horizon pour être remplacées par les figures du savant et de l'intellectuel. Phénomène qui s’accompagne d’une omniprésence de la raison, de la volonté et du contrôle. Voilà pourquoi l'horizon du Siècle des Lumières est le savant. Qu'est-ce que l'école cherche à faire de nous? Des savants, des experts. C'est très bien, très noble, mais on voit bien que l'être humain est coupé d'une dimension fondamentale qui ne peut pas se réduire à une dimension cérébrale et intellectuelle. Nos sociétés souffrent de la part belle faite aux savants et aux intellectuels qui manquent de sagesse. La fameuse phrase de Rabelais " Science sans conscience n'est ruine de l'âme" doit être comprise aussi de cette façon. Est-ce qu'il y a de la conscience ? Est-ce qu'il y a de la sagesse ? La sagesse ne concerne pas seulement les capacités intellectuelles, c'est aussi une qualité de cœur, une capacité intuitive et créative. L'appauvrissement de l'horizon, c'est l'appauvrissement de notre image de l'homme. On pourrait se dire que l'idéal de la figure du savant est un peu dépassé maintenant. On aspire à quelque chose de l'ordre d'une figure supérieure plus grande que nous, ou bien quelque chose d'un peu plus déjanté, que ce soit la mannequin, le sportif ? Je n'ai rien contre les sportifs, ces héros de l'inutile, mais face à ce qui fait l'enjeu d'une existence, ça me paraît difficile d’orienter sa vie vers un horizon qui consiste à marquer beaucoup de buts ou bien à crier fort derrière une guitare. L'image de l'homme augmenté par la technique nous montre finalement qu'il s'agit d'un homme très diminué, qui n’arrête pas d'externaliser ses fonctions. Ça produit un homme hébété, de plus en plus dépendant. L'homme s'humilie par ses propres productions. Il faut que l'image de l'être humain se soit tellement dégradée pour en arriver à être humilié par la performance des machines et des techniques ! La spiritualité propose de transfigurer l'homme. Je comprends la formule de Krishnamurti " Ce n'est pas un signe de bonne santé que d'être bien adapté à une société profondément malade". Il y a bien quelque chose de l'ordre d'une maladie dont il faut se libérer.

Le second appauvrissement est anthropologique. Le passage d'une vision ternaire des anciens, corps, âme, esprit - soma, pyché, pneuma chez les Grecs - à une vision binaire, l'homme physique et l'homme psychologique, qui naît à la Renaissance, a produit un refoulement de la dimension spirituelle. C'est une grosse perte qui se ressent dans toutes les structures de notre société. Notamment au niveau de la médecine. Si ça ne va pas sur le plan physique, on va voir le médecin du corps, si ça ne va pas sur le plan psychique, on va voir le psychologue. Et le spirituel dans tout ça ? Le corps nous permet d'entrer en relation avec le monde physique, ce n'est pas seulement un outil mais un organe de réception d'informations. De ce point de vue, le corps offre déjà une réalité spirituelle. Il nous permet d'agir sur le monde matériel. La psyché est cette dimension en nous qui s'ouvre à la question du sens. Cette dimension est capable d'affectivité, d'imagination, de pensée. La dimension spirituelle transcende les deux premières. Il est difficile de parler avec des mots de cette dimension car quand on emploie des mots, on est dans le plan psychique. Voilà pourquoi dans les différentes traditions spirituelles, on utilise plutôt des images. C'est l'expérience d'une autre dimension qui ne peut pas se dire dans le langage binaire de la raison. Mais certains signes évoquent la présence de la dimension spirituelle. La première caractéristique, c'est le fait qu'elle nous renvoie à une dimension intérieure au-delà de l'espace et du temps. Ce qu'on appelle dans le vocabulaire de la théologie, l'éternité. L'éternité n'étant pas une durée infinie - là on est plutôt dans la sempiternité, qui désigne ce qui est au-delà de l'espace et du temps. L'expérience spirituelle, dans sa fine pointe, est la rencontre de cette dimension en nous. Cette expérience spirituelle nous renvoie d'autre part à ce qui n'est pas conditionné, pas créé en nous. C'est la fameuse formule de Bouddha "Il y a en nous du non-né, du non-créé, du non-conditionné". Il s'agit de partir à la rencontre de cette dimension-là, libre à l'égard de l'espace et du temps.

C'est précisément parce qu'il y a cette dimension de non-causalité et de non-conditionnalité que l'être humain peut faire l'expérience d'une joie inconditionnelle, ou d'un amour inconditionnel. Pour celui qui n'est pas totalement réalisé, cette expérience est fugitive. Pour d'autres, c'est un peu plus long, et certains parviennent à demeurer dans cet état. Les Grands Éveillés. L'amour que nous donnent les êtres humains n'est généralement pas inconditionnel. On aime sous condition souvent, et pas tout le temps. Il peut y avoir quelque chose d'un peu sec parfois. La personne qui est en face de moi m'aime souvent par besoin d'être elle-même aimée. C'est pour cette raison que Saint François d'Assise demande "Mon dieu, fais que je ne cherche pas tant à être aimé qu'à aimer". La tendance naturelle de l'être humain n'est pas d'aimer mais d'être aimé. Derrière un "Je t'aime" il y a bien souvent un "J'ai besoin que tu m'aimes". L'autre l'entend inconsciemment. C'est pour cela que nos amours sont bien souvent des puits au lieu d'être des sources. La rencontre de l'amour inconditionnel, c'est rencontrer un amour qui n'est plus limité mais quelque chose qui transcende cet amour-là. Je voudrais ajouter que ce qui se présente à nous dans cette vie, à travers l'amour des êtres chers qui nous entourent, c'est aussi le lieu à travers lequel il y a une apparition. L'apparence est ce qui peut nous couper de ce qui nous transcende. C'est pour cette raison que Platon parle d'une caverne sombre. Mais rappelez-vous dans l'histoire de l'allégorie de la caverne, le prisonnier libéré de ses chaînes revient dans la caverne et quand il regarde le réel, il ne le voit plus pareil. A ce moment-là, ce ne sont plus des ombres mais des apparitions. A ce moment-là, tout ce qui se manifeste dans l'espace et dans le temps sont une théophanie. "A ce moment-là, chaque brin d'herbe devient une lettre du bien-aimé" écrit le poète Rabindranath TAGORE. Souvent les apparences dans cette vie nous cachent à la fois ce qui dépasse les apparences et des choses pas très jolies à voir. Mais en même temps, quand on commence à faire le lien entre le monde manifesté et la source de la manifestation, c'est le lieu de l'apparition et de l'émerveillement. Comme le dit Hugo "On ne meurt pas faute de merveille mais faute d'émerveillement". La réalité spirituelle c'est goûter des choses qui transcendent cet espace et ce temps et vivre leur présence déjà, ici et maintenant.

Je ne vais pas insister sur l'appauvrissement du regard sur l'être. C'est quelque chose qui nous est malheureusement très familier. Cette vision mécaniste, matérialiste, mais aussi ce que Heidegger appelle "l'emprise de la technique". C'est-à-dire un mode de rapport au monde toujours placé sous le signe de l'efficacité, de la productivité, de la rentabilité. Tout est placé sous le signe de l'utilité. On ne goûte plus l'orange pour sa saveur mais parce que c'est plein de vitamines C, le fleuve n'est plus un lieu d'émerveillement mais un moyen de transport, etc. Notre propre vie est placée sous cet angle-là. Cet univers de pensée marqué par la volonté de puissance, la volonté de toujours plus de contrôle, jusqu'au contrôle de la technique elle-même, produit un monde en réalité totalement déshumanisé, obsédé par les protocoles, la sécurité, l'optimisation. Il ne reste plus de place pour l'humain. Je reviens au mythe de la caverne, ce que les êtres humains appellent la réalité n'est qu'une dimension du réel. Nous devons nous arracher au fond de la caverne pour nous élever à une dimension supérieure, mais comme tout se passe comme si notre époque faisait un pas supplémentaire vers l'illusion.

Par rapport à tous les points que je viens de souligner, comment retrouver le lien à cette dimension spirituelle ? Ça va être prendre le contre-pied, retrouver une image de l'homme qui nous permette de grandir, un horizon, une finalité. Nous plonger au fond de l'océan, là où tout est calme quand tout est agité au-dessus. Ou au-dessus des nuages.

Pour terminer, je vous propose un petit poème de Armand Robin, qui date de 1945, qui nous propose une sorte de récit de notre histoire.

On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.
On supprimera l’Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.
On supprimera la Charité
Au nom de la Justice,
Puis on supprimera la justice.
On supprimera l‘Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.
On supprimera l’Esprit de Vérité
Au nom de l’Esprit critique,
Puis on supprimera l’esprit critique.
On supprimera le sens du mot
Au nom du sens de mots,
Puis on supprimera le sens des mots.
On supprimera le sublime
Au nom de l’art,
Puis on supprimera l’art.
On supprimera les écrits,
Au nom des commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.
On supprimera le saint
Au nom du génie,
Puis on supprimera le génie.
On supprimera le prophète
Au nom du poète,
Puis on supprimera le poète.
On supprimera l’Esprit
Au nom de la matière,
Puis on supprimera la matière.
Au nom de rien on supprimera l’homme.
On supprimera le nom de l’homme
Il n’y aura plus de nom
Nous y sommes.

Là c'est la descente. Mon ami Jean-Yves Leloup a voulu la remontée. Je vous la propose.

Oui nous y sommes

Là où je suis, je te donnerai un nom

Et je retrouverai le nom de l'amour

Rien ne pourra plus le supprimer

J'honorerai la matière

Et au cœur de la matière je découvrirai l'esprit

J'écouterai les poètes

Et parmi les génies j'honorerai les saints

J'étudierai les commentaires

Et à travers les commentaires

Je m'élèverai jusqu'aux écrits

J'aimerai l'art

Et à travers les œuvres d'art

J'irai vers le sublime

Je développerai mon esprit critique

Et au-delà de l'esprit critique

Je m’éveillerai à l'esprit de vérité

Je m'initierai à la fraternité

Et au plus profond de la fraternité

Je prendrai goût à l'amour

Je pratiquerai d'abord la justice

Et par la justice je m'ouvrirai à la charité et à la compassion

Je me servirai de ma raison

Et plus haut que la raison, je libèrerai mon âme

J'honorerai la connaissance

Et au nom de la connaissance

Je retrouverai la foi

Dans sa lumière

Nous verrons la lumière.

 

Merci à tous.

Les questions :

 Quand j'entends un philosophe, je me régale toujours. Tu sais mettre les mots pour clarifier. J'ai apprécié le moment où tu as parlé de la raison et des limites de la raison. Ça m'a renvoyé à ma mission chrétienne. Saint Ignace se demande "Qu'est ce qui nourrit l’âme ?" Non pas d'en savoir beaucoup mais de goûter. Alors le mot final que j'ai envie de dire, c'est "Bon appétit à chacun."

Pierre Rabhi dit qu'on ne sait plus quoi se dire, "Bon appétit" ou "Bonne chance" !

Je garderai en particulier de cette journée l'universalité de tout ce qui s'est dit aujourd'hui. Il y a quelque chose de vrai, de juste, dit à travers des prismes différents mais qui trouvent le même écho à l'intérieur de chacun. Il n'y a pas de démonstration mais juste une résonance. Merci aux intervenants d'avoir eu cette cohérence, cette complémentarité qui parle d'une vérité multiple.

C'est tout à fait vrai. J'ajoute juste qu'il y a universalité mais le début du chemin, c'est aussi le singulier. Très concrètement, on est quelque part dans une vie avec une histoire personnelle, des convictions, des racines, des nœuds à desserrer, des grâces reçues. C'est à travers ce terreau singulier, qui n'est pas celui de mon voisin, que je vais accéder à l'universel. C'est à partir de cette matière-là que je vais sublimer, que je vais illuminer, que quelque chose va se faire dans le sens de l'universel. Au départ, l'universel est une intuition, ça peut être aussi quelque chose de très intellectuel et théorique, ça peut être aussi quelque chose d'affectif, car au-delà de nos différences il y a de l'amour qui passe. Néanmoins, on ne pourra pas parler toutes les langues, certaines choses que font les autres vont nous heurter, nous paraître bizarres, nous devons accepter ça. Ce n'est pas évident pour un être humain de gérer cette différence-là. Mais humblement au travers de ma langue, de ce qui a été mon terreau, je vais essayer d'aller vers la lumière. J'aime beaucoup le nom du chemin de Saint Jacques de Compostelle. On y trouve à la fois le compost et Stella l'étoile. L'étoile qui traverse la matière. Plus on veut aller vers la dimension spirituelle, plus il faut s'incarner, éprouver la sensualité, le corps. Même nos blessures, nos épreuves et nos échecs constituent notre terreau, la matière de nos transformations. La vie quotidienne avec toutes ses épreuves, la réalité sociale nous mettent à l'épreuve mais nous invitent aussi à ce dépassement. Le risque serait de rêver d'images de sages, de s'émerveiller d'ouvrages spirituels, de tomber dans cette sorte de piège. C'est en se libérant peu à peu, pas à pas, d'un certain nombre de nœuds, que quelque chose chemine.

Reza, tu nous as parlé de la capacité d'émerveillement, tu as aussi parlé de quête de bonheur et de sagesse. Je crois que le taoïsme voit la sagesse chez l'enfant et non chez le vieillard. Avec la capacité d'émerveillement, avec la divine insouciance. Le taoïsme considère-t-il qu'il faille retourner en enfance pour trouver la sagesse ?

Avec le taoïsme on pense le dépassement des contraires. Je n'ose pas parler au nom du taoïsme mais indéniablement, il y a quelque chose dans les qualités de l'enfance comme la spontanéité, la capacité à vivre l'instant présent, une communication assez fine avant que certaines portes se referment, qui font qu'on a pu comparer l'accès à la sagesse, à la réalisation spirituelle au regard de l'enfant. Le regard de l'enfant vous transperce de l'intérieur. Assis dans la chambre d'un bébé, on sent la théophanie. On ne peut pas se permettre d'être superficiel. Et en même temps, nous avons à grandir, à mûrir, parce que l'enfant, c'est aussi l'infantilité, l'incapacité à différer le plaisir, à renoncer à certains désirs, la tendance à se prendre pour le centre du monde. De ce point de vue, cette infantilité n'a pas d'âge. La maturité va consister précisément à dépasser ça et à retrouver cette qualité de spontanéité, mais cette fois-ci dans un cadre de relation plus mûre. Donc oui il y a quelque chose de l'enfance qui fait écho à la spiritualité, pour autant, il ne s'agit pas de retomber dans l'enfance à mon avis. Cette idée me fait penser à un point de la tradition bouddhiste. Imaginez un parc de jeu dans lequel des enfants sont en train de jouer. Un vieillard assis sur un banc regarde la scène. Il sourit en regardant les enfants jouer. Ceux-ci passent par des étapes d'excitation, d'euphorie, de colère, etc. Tout à coup un enfant tombe, s'écorche le genou, court vers le vieillard qui continue à sourire. Parce qu'il sait au fond de lui que cela ne prête pas à conséquence. Il sait que, derrière le tragique, à un autre niveau, il y a un grand rire. Derrière les cauchemars, quelque chose s'évanouit quand on se réveille.  Ce cheminement vers les profondeurs nous conduit à passer de l'expérience du tragique à ce grand rire. A passer de l'éternel pourquoi face au mal, à la violence, à un grand oui et non à un "parce que". Tout à coup nos pourquoi disparaissent. C'est l'expérience de Job. Il avait raison de dire que ce n’était pas juste là où ses copains disaient "S'il t'arrive tant de malheurs Job, c'est forcément parce que tu as fait des choses condamnables." Job disait "Non non je ne mérite pas ce que j'ai vécu." Et le texte biblique lui donne raison. Ce qui va être libératoire pour Job, c'est de passer à un autre niveau et sentir que le tragique n'a pas le dernier mot.

 

Compte-rendu réalisé par Laurence Crespel Taudière

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